Grandeur et décadence du Parti « néo » - Fernand Fontenay (avril 1934)
Submitted by Anonyme (non vérifié)Fernand Fontenay, avril 1934
Le Parti socialiste de France est fondé depuis quatre mois. II donne déjà des signes non équivoques de dégénérescence et de décomposition.
C'est qu'il fut, dès sa naissance, soumis à l'épreuve du feu - nous voulons dire des combats de classe, - et qu'il en a sévèrement pâti.
Il s'était créé dans une confusion inouïe de doctrine, que seuls pouvaient ignorer les observateurs superficiels aux yeux desquels, pour un parti bourgeois, un congrès unanime est l'indice d'une unité politique profonde.
Le Congrès de la Mutualité avait donné ce spectacle de l'unanimité : elle n'a point survécu aux événements de cet hiver. Comment naquit le Parti « néo » ?
Il s'est formé en suite d'un débat de tactique qui déchira durant des mois le Parti socialiste.
La tendance Blum-Paul Faure, peu de temps après les élections de 1932, comprit que la politique du soutien ouvert à l'égard des gouvernements radicaux risquait de mener à la liquidation du Parti socialiste, car la situation économique et financière obligeait de plus en plus ces gouvernements à l'offensive contre les travailleurs.
Bloquer ouvertement avec les radicaux, c'était assumer la responsabilité des réductions de traitements, d'indemnités, de pensions, de salaires...
C'était dresser contre le Parti socialiste des masses de plus en plus irritées et combatives.
On sait comment, tout en facilitant de son mieux la vie et la tâche néfaste des gouvernements de « gauche » le Parti socialiste s'est graduellement orienté vers une opposition de façade.
Politique destinée à conserver le contact avec les masses, à enrayer leur passage au communisme, à garder suffisamment d'influence pour briser la formation du front unique contre la bourgeoisie.
Mais à cette conception de la tactique socialiste, sanctionnée par la majorité aux congrès et conseils nationaux de la S.F.I.O., s'opposait avec une âpreté croissante une autre conception tactique, représentée par Renaudel et ses amis.
Elle tenait dans cette formule :
« L'Union des gauches est indispensable pour barrer la route à la réaction menaçante ; le Parti socialiste doit la pratiquer et aller, vu les circonstances, jusqu'à la participation ministérielle. »
Même politique fondamentale dans les deux tendances principales de la S.F.I.O., divergence tactique qui allait s'aggraver jusqu'à provoquer une rupture organique. On connaît les étapes essentielles de cette marche à la scission. Il n'est pas inutile de souligner que le pas décisif fut franchi précisément à l'époque où le gouvernement Daladier avait besoin, tout à la fois, de consolider sa majorité au Parlement, et de disposer cependant d'une « opposition »socialiste pour faire barrage, dans les masses, à la poussée du communisme. Compte tenu de la situation politique générale, des conditions de la lutte des classes, qui, bien entendu, sont l'élément déterminant de tout ce procès, l'on peut dire que Daladier fut le deus ex machina de la scission socialiste.
C'est lui qui, personnellement ou par des émissaires, a « débauché » homme par homme les députés qui devait bientôt lâcher la SFIO, c'est lui qui leur a réitéré les assurances de son accord intime avec leurs vues, qui a fait miroiter des portefeuilles aux yeux des ministrables ; lui, enfin, qui s'est attaqué à son vieux complice Blum avec une violence calculée, comprenant qu'il fallait pour faciliter la cassure entamer le prestige d'ailleurs ébranlé du leader socialiste.
On verra plus loin que les fonds secrets jouèrent aussi un certain rôle dans l'affaire...
Les événements, en septembre-octobre, se précipitent. Renaudel, Montagnon, Marquet, Gounin, Cayrel, Dechizeaux, Lafont, ayant à Angoulême développé leur point de vue, la majorité les déclare indisciplinés, et les tendances s'affrontent sur le cas des « pèlerins d'Angoulême », avec lesquels Déat se solidarise.
Renaudel déclare :« Si on touche à l'un d'entre nous, nous nous considérerons tous comme frappés. La volonté d'exclusion est une volonté de scission. »
En octobre 1933, à propos de l'article 37 du projet Daladier frappant les fonctionnaires, la scission se dessine clairement sur le plan parlementaire.
Daladier est renversé (24 octobre), bien que 28 députés S.F.I.O. aient voté pour lui, tandis que 11 s'abstenaient et que les autres votaient contre.
Dès ce moment, le Parti néo est virtuellement formé. C'est le 5 novembre que les pèlerins d'Angoulême sont exclus. Déjà les contradictions de la politique des « mous » se sont révélées.
Le 4 novembre, Sarraut présente son cabinet... Les néos sont décidés à soutenir cette équipee de gauche : c'est leur programme !
Mais la bourgeoisie a besoin d'un rassemblement de ses forces, et c'est une majorité de « concentration » que Sarraut recherche et obtient : 397 voix contre 34.
Flandin et de nombreux « modérés » votent pour le cabinet ; Tardieu s'abstient ; les mous sont obligés, avec les durs , de se réfugier dans l'abstention !
Si nous rappelons ce fait, c'est qu'il constitue un symptôme. Le Parti néo s'est fondé en vue d'une collaboration gouvernementale, à l'heure même où l'action gouvernementale consistait nécessairement en mesures de compressions, en alourdissement des impôts, etc.
Le Parti néo ne pouvait soutenir son attitude qu'en allant à l'encontre des revendications immédiates des fonctionnaires, des anciens combattants, des travailleurs en général. D'où des difficultés inextricables traduites par des oscillations grotesques sur le plan parlementaire.
Qui renversera Sarraut ? C'est le Parti néo , par le fameux amendement Gounin relatif au prélèvement sur les traitements ! La politique d'union des gauches comportait donc déjà par elle- même les contradictions qu'on vient de voir.
Des raisons supplémentaires de décomposition du Parti néo ont surgi du fait de la naissance, dans ses couches « jeunes », d'une idéologie consciemment apparentée au fascisme, celle qui faisait dire à Blum après un discours de Marquet : « je suis épouvanté ! »
A côté des bonzes à la Renaudel, à la Lafont, à la Compère- Morel, l'on vit en effet Marquet, Déat et Montagnon mettre sur pied une doctrine de pacotille qui s'est résumée dans la fameuse formule :« Ordre ! Autorité ! Nation ! ».
Les théoriciens du néo-socialisme préconisent le repliement (provisoire, disent-ils) dans le cadre national, l'organisation de l'économie France-colonies à l'abri de barrages douaniers, certaines « syndicalisations » d'industries essentielles, la fin de la lutte de classes spécialement par l'instauration d'un corporatisme à la Mussolini ; et pour maîtriser l'ensemble, un Etat fort débarrassé de diverses vieilleries parlementaires et prétendant jouer un rôle d'arbitre entre les intérêts des classes et couches sociales diverses.
On est frappé de l'analogie de ces thèses avec le programme élaboré par la C.G.T. Aux Etats généraux du travail. Fascisme à masque de « gauche », en un mot.
Ses partisans n'ont jamais considéré l'union des gauches que comme une étape provisoire, destinée à éviter que la place soit prise au pouvoir par leurs « concurrents » fascistes à la Tardieu, et que comme un moyen de rechercher des liaisons avec le mouvement syndical réformiste, avec les organisations de fonctionnaires.
Mais cette tendance du mouvement néo , elle aussi, allait être mise à l'épreuve des événements : il nous faut ici dire un mot du fameux « complot Frot ».
Le « complot Frot » fut révélé au grand public lorsque Chiappe, pour masquer les responsabilités de ses amis politiques dans les sanglantes journées de février, tenta une diversion sensationnelle.
Les débats de la commission d'enquête ont montré que Frot avait l'ambition de former un gouvernement en dehors du jeu traditionnel des groupes, et qu'il s'était abouché à cette fin avec les milieux politiques et économiques les plus divers, sondant les Croix de feu, faisant des avances au Comité des forges, comptant aussi bien sur Marquet que sur Ybaraegaray, etc. Il est absurde d'imaginer que l'on est ici en présence d'un cas individuel d'ambition, de mégalomanie.
Le « complot Frot », c'était une esquisse de la mise en pratique des vues des « néo-socialistes » proprement dits, de l'aile « jeune » du Parti socialiste de France.
La conception maîtresse de Fret, Marquet, Déat et Montagnon était : « Mettons la main sur le pouvoir central, gardons-le fermement sans souci de la légalité, nous agirons ensuite... »
Plans que la brusque aggravation de la situation poli tique a balayés !
La poussée fasciste de janvier-février a culbuté ceux qui complotèrent à l'ombre de l'Acacia désormais fameux. C'est sur les vieilles organisations nationalistes et sur les groupes ouvertement réactionnaires, et non pas sur la jeune équipe néo-socialiste, que le grand capital a misé.
L'apprenti dictateur Frot s'est effondré dès le 7 février, plongeant ses admirateurs dans la consternation et la honte. Mais un coup plus rude encore allait s'abattre sur le Parti socialiste de France : Marquet entra dans le gouvernement de « trêve, d'apaisement et de justice ».
Ainsi, la promesse d'une « révolution nationale » aboutissait à la participation à un ministère Tardieu !
On se doute des colères soulevées dans les sections néos par cette pantalonnade.
Et puis, l'Appel , de Compère-Morel, est devenu hebdomadaire, parce que les fonds secrets ont cessé de l'alimenter dès la chute de Daladier.
La décomposition du Parti « mou » est commencée, elle va vraisemblablement se poursuivre et s'accélérer.
A présent, tout en proclamant que Marquet ne participe au gouvernement Tardieu-Doumergue qu'à titre personnel, les néo-socialistes sont ouvertement partisans de la « trêve » avec Tardieu.
Ils sont avec l'Union nationale, quelque langage démagogique qu'ils tiennent à son encontre.
Aussi de vives réactions se font-elles jour dans les rangs du parti.
On annonce, par exemple, qu'un retour vers la S.F.I.O. Se dessine fort sérieusement dans le Var, c'est-à-dire dans le fief même de Renaudel.
Dans ces conditions, notre tâche à l'égard du Parti néo est, en premier lieu, de faire en chaque occasion son procès implacable, de le montrer sous son aspect double – mais unique au fond – de défenseur de la démocratie bourgeoise et de fourrier du fascisme.
Mais cette critique, il nous faut la compléter en démontrant qu'elle s'applique également à la social-démocratie tout entière : la politique des néo-socialistes est identique quant au fond à celle de la S.F.I.O. Et de la C.G.T.
C'est ainsi que nous saurons attirer à nous les éléments ouvriers, les paysans pauvres égarés dans les rangs du parti Marquet-Renaudel, qui sans cela risqueraient, désillusionnés, de retourner à la « vieille maison », dont les Paul Faure et les Marceau Pivert essaient de redorer à tout prix le blason.