Le Parti Communiste français - 8e partie : Le Parti des fusillés
Submitted by Anonyme (non vérifié)1. Au lendemain de la victoire
La résistance communiste a joué un rôle essentiel dans la défaite, dans la mesure où c’est lui qui a permis, de par son caractère populaire, à ce que les masses s’engouffrent dans la Résistance. De Gaulle ne disposait que d’un état-major et de réseaux et il a fallu du temps avant que Léon Blum n’apporte l’appui socialiste. Mais en aucun cas il n’est possible de dire que le PCF a « trahi » en 1945 car prendre le pouvoir n’a en fait jamais été son but, ou tout au moins pas de cette manière là.
Qui plus est, les rangs des FTP ou des milices patriotiques ne se sont vraiment massifiées qu’au moment du débarquement en Normandie, passant de 25 000 à 250 000 pour les FTP, sur un total de 500 000 FFI, au moment du débarquement de plus de 300 000 soldats alliés. Les FTP ne sont historiquement qu’une composante des FFI, elles-mêmes composante des forces alliées.
La ligne politique et culturelle du PCF après la victoire est dans le prolongement de ce qui s’est passé au sein de la Résistance, c’est-à-dire la concurrence avec De Gaulle. Dans ce cadre, le PCF a tenté de générer le plus d’organismes possibles pour poser son hégémonie. Il a ainsi poussé à l’unification en mars 1945 dans une Confédération Générale de l’Agriculture de l’ancienne Confédération générale des Paysans travailleurs avec les Comités de défense et d’action paysanne. Le Front National Universitaire fusionne avec des comités de la zone sud pour former l’Union Française Universitaire. Le Secours Populaire de France et des Colonies devient le Secours Populaire Français. La Jeunesse Communiste devient de la même manière l’Union de la Jeunesse Républicaine de France.
Celle-ci édite à patir de juin 1945 l’hebdomadaire Vaillant, qui prend le relais du Jeune Patriote fondé en 1942, qui publiait des textes illustrés sur la Résistance. Vaillant deviendra Vaillant le journal le plus captivant puis Vaillant le journal de Pif, avant de terminer en Pif gadget, qui après un énorme succès (1 million d’exemplaires pour les numéros 60 d’avril 1970 et 137 de septembre 1971 qui avait comme gadget les poids sauteurs du Mexique) disparaîtra dans les années 1990, pour reprendre dans les années 2000.
On trouve également le Comité National des Écrivains, fondé dans l’occupation par Jacques Decour, tout comme des organisations rassemblant, par catégories, cadres, techniciens, artistes, avocats, médecins ou encore l’Union des vieux de France.
La FSGT a pareillement grandi : un peu plus de 50 000 licenciés en août 1945, un peu plus de 250 000 un an après. Elle propose la naissance d’une grande fédération unique multisports et ses statuts se sont adaptés à la ligne républicaine : l’article 1 précise qu’il s’agit de former un « citoyen au service d’une République Laïque et Démocratique ».
Elle subira néanmoins la scission socialiste en raison de l’envoi d’un cadeau à Staline pour son 70ème anniversaire et perd ses subventions jusqu’aux années 1960. Dans le domaine sportif, le PCF organisera également, par l’intermédiaire du quotidien Ce soir, fondé en 1937 (et disparaissant en 1953), la Ronde de France, une nouvelle forme de Tour de France sans les organisateurs officiels mis à l’écart pour cause de collaboration.
Par conséquent, il n’y a aucune raison d’avoir des groupes armés, surtout vu que le PCF a un écho populaire en 1945 qui va à l’opposé de la position de paria de 1939. Le PCF ouvre donc les vannes de ses rangs et passe à 370 000 adhérents en Décembre 1944, puis 800 000 à la fin de 46. Aux élections de novembre 1946, il prend même la première place, avec 28,6% des suffrages ; le résultat est même de 30,64% aux municipales d’octobre 1947. Et il dissout les FTP et toutes les structures politico-militaires, selon le principe expliqué par Thorez à la réunion du Comité que les communistes sont tombés en héros central à Ivry du 21 au 23 janvier 1945 : « une seule armée, le parti communiste français qui a le plus fait d’efforts et le plus versé de sang pour délivrer la Patrie a été appelé par un une seule police, une seule administration ».
Maurice Thorez expliquera dans son rapport au Comité Central au Xème Congrès, qui se tient à Paris du 26 au 30 juin 1945, que les Milices Patriotiques « ont eu leur raison d’être avant et pendant l’insurrection contre l’occupant hitlérien et ses complices vichystes. Mais la situation est maintenant différente. La sécurité publique doit être assurée par les forces régulières de la police constituées à cet effet. Les gardes civiques et, d’une façon générale, tous les groupes armés irréguliers ne doivent pas être maintenus plus longtemps (...).
Nous ne cesserons pas de répéter que l’unité de la nation est la condition absolue de notre renaissance nationale. Nous répéterons que le relèvement de la France, ce n’est pas la tâche d’un seul parti, non plus de quelques hommes d’État ; c’est la tâche des millions de Français et de Françaises.
Pour notre part, nous entendons ne pas nous dérober aux exigences et aux obligations de l’unité nationale. Nous envisageons comme la perspective la plus heureuse pour notre pays le maintien prolongé aux affaires d’un gouvernement de large unité nationale et démocratique, réalisant ainsi de meilleures conditions d’autorité et de stabilité, et s’appuyant franchement sur le peuple pour l’application du programme de rénovation nationale et sociale voulu par le peuple. »
Quelle est donc la conception du PCF, puisqu’il ne s’agit pas de détruire l’État ? Le PCF défend une ligne républicaniste face à De Gaulle présenté comme trafiquant avec les valeurs républicaines ; Jacques Duclos, dans un discours à l’assemblée consultative intitulé « L’avenir de la République est en jeu », le 29 juillet 1945, affirme ainsi : « C’est vrai, il n’y a qu’un souverain, qui est le peuple. Mais encore faut-il s’entendre sur la façon dont on veut permettre à ce souverain d’exercer sa souveraineté. Qu’on le veuille ou non, il n’y a pas d’autre moyen pour le peuple d’exercer sa souveraineté que de la déléguer à des hommes dont il a pu juger le programme, à qui il a pu poser toutes les questions utiles et en qui il a placé sa confiance. A partir du moment où ces représentants du peuple sont élus, ils sont dépositaires de la souveraineté du peuple. C’est la doctrine républicaine. »
Le PCF publie ainsi « Haute trahison crime des trusts, la France accuse ! », document répertoriant l’activité collaboratrice des grandes entreprises avec l’occupant allemand, chiffrant les bénéfices de celles-ci, et demandant justice, c’est-à-dire l’établissement d’un régime patriotique fondé sur les valeurs de la Résistance. « Le Parti des Fusillés veille et dénoncera le sabotage de la juste répression par les complices des trusts. »
Le PCF participe donc aux nouvelles institutions, qu’il contribue à fonder, considérant comme son devoir de veiller sur elle, sur leur caractère démocratique ; dans le cadre de la nouvelle république : la quatrième. Il entend bien « gouverner » : « Le Parti communiste, conscient de ses responsabilités est prêt à assumer toutes les charges qui découlent pour lui de sa position de premier Parti de France.
C’est pourquoi, respectueux des décisions du suffrage universel, il revendique l’honneur et la responsabilité de la présidence du gouvernement de la République française, dans une volonté d’étroite collaboration avec tous les républicains soucieux de poursuivre dans l’union et la concorde, dans le respect des convictions et des croyances de chacun et dans l’exaltation de l’effort de tout un peuple, une politique démocratique, laïque et sociale, gage de la renaissance de la France... Le Parti communiste et le Parti socialiste disposent, dans la nouvelle Assemblée nationale, de forces suffisantes pour faire appliquer, en accord avec tous les républicains sincères, la volonté de suffrage universel. » (Déclaration du Bureau politique, L’Humanité, 15 novembre 1946).
Le PCF participe même aux gouvernements de 1944 à 1947, avec Maurice Thorez comme ministre d’État chargé de la fonction publique, Charles Tillon à l’armement, François Billoux à l’économie nationale, Ambroise Croizat au travail, Marcel Paul à la production industrielle. Le PCF se pose donc comme partenaire politique et culturel participant aux institutions et assumant l’intégration de la classe ouvrière.
Le PCF fait donc partie d’un gouvernement menant la répression contre l’insurrection à Madagascar (90 000 morts), sans compter la question de la répression à Sétif et Guelma, en Algérie, qui a fait entre 15 000 et 30 000 morts, selon les estimations. Celle-ci suit l’émeute du 8 mai 1945, qui était en fait une véritable tentative d’insurrection poussée par le Parti du Peuple Algérien, causant une centaine de victimes européennes, dont le secrétaire du PCF de Sétif, qui a les poignets sectionnés.
Le mot d’ordre du PCF à la victoire, en tant que « Parti de la classe ouvrière », passe donc de « S’unir, s’armer, combattre » à « S’unir, combattre, travailler ». L’objectif du PCF est d’apparaître comme l’élève sérieux et méthodique : Maurice Thorez explique dans un discours à Waziers, le 22 juillet 1945 : « Produire, faire du charbon, c’est aujourd’hui la forme la plus levée de votre devoir de classe... C’est pour produire pour préserver, pour renforcer l’union de la classe ouvrière avec les travailleurs des classes moyennes, avec les masses paysannes, pour assurer la vie du pays, pour permettre la renaissance morale et culturelle de la France. »
Pour quelles raisons le PCF, organisation se posant comme révolutionnaire et luttant pour le communisme, participe-t-il aux institutions ? Tout se fonde sur la conception absolument hégémonique au sein du PCF selon laquelle les communistes doivent gagner les classes moyennes par l’intermédiaire d’une sorte de « République sociale ».
C’est la théorie de Thorez et elle ne souffre d’aucune opposition dans l’organisation. Par conséquent, à la Libération, la ligne du PCF est tout à fait logique : puisque le Parti Communiste a réussi grâce à son investissement politico-militaire à être partie prenante dans le Conseil National de la Résistance (CNR), et puisque la classe ouvrière est la classe guidant le peuple, alors il faut que son représentant, le PCF, prenne la direction du CNR et des institutions qui en découlent.
Qu’est-ce que le CNR ? C’est en fait du CNR que sont issus la majeure partie des changements sociaux aboutissant aux « acquis sociaux » du 20ème siècle en France. Le programme du CNR prévoit entre autres « l’établissement de la démocratie la plus large en rendant la parole au peuple français par le rétablissement du suffrage universel ; l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ; le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques. Ainsi sera fondée une République nouvelle qui balaiera le régime de basse réaction instauré par Vichy et qui rendra aux institutions démocratiques et populaires l’efficacité que leur avaient fait perdre les entreprises de corruption et de trahison qui ont précédé la capitulation. Ainsi sera rendue possible une démocratie qui unisse au contrôle effectif exercé par les élus du peuple la continuité de l’action gouvernementale. »
Par conséquent le Parti Communiste Français, puisque l’adjectif français a été rajouté pendant l’occupation, doit se présenter comme le meilleur élève du CNR. Le Manifeste à la Nation française, issu du Xème Congrès du PCF qui se tient à Paris du 26 au 30 juin 1945, est explicite concernant cette question : « Pour que l’effort de production remporte un plein succès, il est indispensable que ceux qui travaillent mangent à leur faim. Pour cela, il faut gagner la bataille du ravitaillement, payer des salaires et des traitements suffisants, revaloriser les prix des produits agricoles, augmenter la retraite des vieux travailleurs en l’étendant aux vieux paysans, artisans et petits commerçants, établir une fiscalité équitable et confisquer les biens des traîtres.
Il est non moins indispensable que l’épuration soit faite résolument dans toutes les branches de l’économie et dans la haute administration. Il est indispensable que soient balayées toutes les institutions odieuses de Vichy, tous les vestiges du fascisme.
Il est indispensable que les traîtres, à commencer par Pétain, soient rapidement et implacablement châtiés. Il faut enfin que, très vite, les grands moyens de production et d’échange, les monopoles de fait retournent à la nation, que soient supprimés les trusts sans patrie, traîtres à la France. Il faut, en un mot, que soit appliqué le programme du Conseil National de la Résistance. »
« Il faut, en un mot, que soit appliqué le programme du Conseil National de la Résistance » : tel est, ni plus ni moins, l’objectif du PCF, objectif partiel, rentrant dans un cadre bien plus large, selon la conception de Thorez selon laquelle plus on avance dans la démocratie, plus on avance dans le socialisme. Une conception dans la continuité du « légitimisme » républicain au moment du Front Populaire, réaffirmée par Maurice Thorez sur la démocratie dans une interview retentissante au Times du 18 novembre 1946, interview allant devenir l’un des principaux documents du PCF.
Thorez y affirme que le chemin pris par les bolchéviks en Russie n’est pas valable en France, que les communistes s’insèrent dans la démocratie : « Tout le monde sait qu’à l’appel du Parti communiste, les mineurs français ont, depuis un an, doublé notre production de charbon qui dépasse de quinze pour cent les chiffres d’avant-guerre. En même temps, grâce à l’initiative des ministres communistes, les ouvriers, les fonctionnaires, les paysans, les vieux travailleurs, les mères ont obtenu des avantages substantiels. (...) Nous voulons la liquidation du fascisme et le désarmement effectif de l’Allemagne. Nous estimons nécessaire, indispensable, l’entente entre nos grands alliés anglais, américain et soviétique. Nous repoussons toute politique de blocs et d’orientation exclusive sur l’un quelconque de nos alliés, notre gratitude allant également à tous. (...)
Nous avons répété expressément au cours de notre campagne électorale que nous ne demandions pas au peuple le mandat d’appliquer un programme strictement communiste, c’est-à-dire reposant sur une transformation radicale du régime actuel de la propriété et des rapports de production qui en découlent. Nous avons préconisé un programme démocratique et de reconstruction nationale, acceptable pour tous les républicains, comportant les nationalisations, mais aussi le soutien des moyennes et petites entreprises industrielles et artisanales et la défense de la propriété paysanne contre les trusts.
A l’étape actuelle du développement de la société, nous avons la conviction que les nationalisations - le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés - constituent un progrès dans la voie du socialisme. Les nationalisations portent atteinte à la toute-puissance des oligarchies financières, elles limitent les possibilités légales de l’exploitation de l’homme par l’homme, elles placent entre les mains d’un gouvernement démocratique des moyens appréciables pour l’oeuvre de redressement économique et social du pays.
Il est évident que le Parti communiste, dans son activité gouvernementale, et dans le cadre du système parlementaire qu’il a contribué à rétablir, s’en tiendra strictement au programme démocratique qui lui a valu la confiance des masses populaires.
Les progrès de la démocratie à travers le monde, en dépit de rares exceptions qui confirment la règle, permettent d’envisager pour la marche au socialisme d’autres chemins que celui suivi par les communistes russes. De toute façon, le chemin est nécessairement différent pour chaque pays. Nous avons toujours pensé et déclaré que le peuple de France, riche d’une glorieuse tradition, trouverait lui-même sa voie vers plus de démocratie, de progrès et de justice sociale. Cependant, l’histoire montre qu’il n’y a pas de progrès sans lutte. Il n’y a pas de route toute tracée sur laquelle les hommes puissent avancer sans effort. Il leur a toujours fallu surmonter bien des obstacles. C’est le sens même de la vie.
L’union des forces ouvrières et républicaines est le sûr fondement de la démocratie. Le Parti ouvrier français que nous proposons de constituer par la fusion des partis communiste et socialiste, serait le guide de notre démocratie nouvelle et populaire. Il ouvrirait largement ses rangs aux travailleurs catholiques auxquels nous avons tendu bien avant la guerre une main fraternelle que beaucoup ont saisie. Nombreux sont d’ailleurs les Français qui partagent notre conception de la laïcité : pas de guerre à la religion, neutralité absolue de l’enseignement au regard de la religion.
Les Français communistes désirent vivement que le caractère national et démocratique de toute leur activité soit compris en Grande-Bretagne. Il n’en peut résulter que des effets heureux dans les rapports entre nos deux pays, pour le plus grand bien de notre cause commune, la cause de tous les peuples, la cause de la liberté et de la paix. »
Il faut noter la proposition de fusion des socialistes et des communistes en un « parti ouvrier français », qui est une démarche dans la continuité de la ligne de l’époque du Front Populaire, sauf qu’il existe une différence énorme avec l’esprit de l’époque.
Car l’objectif des communistes était de gagner la base socialiste, de la faire passer sur ses propres positions. Tel n’est plus le cas, il y a une véritable démarche de compromis, justifié par l’idée que l’existence d’un seul Parti de la classe ouvrière a plus de valeur que les positions idéologiques.
Cette conception va largement triompher dans les pays d’Europe centrale. S’il est parlé des « partis communistes » des pays de l’Est, c’est de manière impropre; en réalité, il s’agit de partis ouvriers issus de la fusion des partis communistes et socialistes. Le Parti Ouvrier Polonais, ancien Parti Communiste de Pologne, fusionna ainsi en 1948 avec le Parti Socialiste polonais pour donner le Parti Ouvrier Unifié Polonais.
On trouve pareillement en 1946 le Parti de l’unité socialiste d’Allemagne issu de la fusion du Parti Communiste d’Allemagne et du Parti Social-démocrate d’Allemagne, le Parti des Travailleurs Roumains fondé en 1948 à partir du Parti Social-Démocrate de Roumanie et du Parti Communiste Roumain (appelé avant 1945 Parti Communiste de Roumanie), le Parti des Travailleurs Hongrois (puis le Parti des Travailleurs Socialistes Hongrois en 1956) fondé en 1948 à partir du Parti Communiste Hongrois et du Parti Social-Démocrate...
Ou encore le Parti Communiste Bulgare, issu en 1948 de la fusion du Parti Social-Démocrate des Travailleurs Bulgares avec le Parti Ouvrier (Communiste) Bulgare, lui-même issu de la fusion en 1938 du Parti Communiste de Bulgarie avec le Parti des Travailleurs. Un parcours compliqué mais qui a son importance, vu que le principal dirigeant communiste bulgare est Dimitrov, l’un des principaux théoriciens du Front Populaire et dont le parti a commencé un processus de fusion dès 1938.
En effet, dans son rapport au cinquième congrès du Parti Ouvrier (Communiste) Bulgare en décembre 1948, Dimitrov dit expressément: « Dans les conditions de la défaite militaire des États fascistes agresseurs, dans les conditions de l’aggravation rapide de la crise générale du capitalisme et de l’énorme accroissement de la puissance de l’Union Soviétique, étant donné sa collaboration étroite avec l’URSS et les démocraties populaires, notre pays, ainsi que les autres pays de démocratie populaire, voit s’ouvrir la possibilité de réaliser la transition du capitalisme au socialisme sans un régime soviétique, au moyen du régime de la démocratie populaire, à la condition que ce régime se renforce et se développe, en s’appuyant sur l’aide de l’URSS et des autres pays de démocratie populaire. »
De la même manière, Klement Gottwald, alors premier ministre de la Tchécoslovaquie, déclara le 4 octobre 1946 au sujet de l’expérience tchécoslovaque que cela correspondait à « ce qui avait été prévu théoriquement par les classiques du marxisme, à savoir qu’il existe une autre voie au socialisme que celle de la dictature du prolétariat et du système d’État soviétique. Prennent ce chemin la Yougoslavie, la Bulgarie, la Pologne et également la Tchécoslovaquie. »
On remarque également qu’en lieu et place de la règle de l’Internationale Communiste selon laquelle le nom de l’organisation devait être « Parti Communiste de [le nom du pays] » (la « 17ème condition »), les partis deviennent français, bulgare, roumain... Par conséquent, la position de Maurice Thorez n’est nullement originale et c’est fort logiquement que la position du PCF va subir les mêmes critiques que devront subir les communistes de Bulgarie, d’Italie ou de Tchécoslovaquie. Car pour les communistes d’URSS, il est hors de question de faire le moindre compromis avec le « monde capitaliste », conçu comme un bloc idéologique, politique, militaire : c’est en ce sens qu’a lieu la conférence de Szklarska Poreba en Pologne, les 22-28 septembre 1947.
Y sont présents les Partis Communistes – ou Partis Ouvriers - d’URSS, de Yougoslavie, de Hongrie, de Roumanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie, de Pologne, d’Italie et de France, afin de fonder un Bureau d’Information des Partis Communistes et Ouvriers, le Kominform.
C’est selon les historiens académiques le moment clef de la « guerre froide », c’est-à-dire de la mise en avant par Andreï Jdanov de la théorie des deux mondes antagoniques.Y a également lieu, de manière interne et qui ne sera pas rendue officielle, un véritable réquisitoire contre les Parti Communiste Français et Parti Communiste Italien, qui se voient reprochés la ligne ministérielle et l’absence de prise de pouvoir.
Jdanov y affirme que l’on se moque de savoir si les communistes sont dans l’opposition ou dans le gouvernement, ce qui compte c’est la destruction du capitalisme. Il est très intéressant comme exemple de comprendre ce qu’un tel changement va signifier pour le PCF. Le Comité Central de celui-ci lançait encore un appel le 6 mai 1946 : « Notre peuple apparaît comme étant divisé en deux blocs sensiblement égaux. C’est cette division de la France que le Parti communiste français s’est toujours efforcé d’empêcher et qu’il entend s’employer à cesser au plus vite. »
Même pas une année plus tard, en raison de sa nécessaire subordination, tout au moins en apparence, au mouvement communiste international, il signe un document intitulé « déclaration sur les problèmes de la situation internationale » signée en Pologne par les Partis Communistes et Ouvriers où il est affirmé : « Ainsi deux camps se sont formés dans le monde : d’une part, le camp impérialiste et antidémocratique, qui a pour but essentiel l’établissement de la domination mondiale de l’impérialisme américain et l’écrasement de la démocratie et, d’autre part, le camp anti-impérialiste et démocratique, dont le but essentiel consiste à saper l’impérialisme, à renforcer la démocratie, à liquider les restes du fascisme.
La lutte entre ces deux camps, entre le camp impérialiste et le camp anti-impérialiste, se déroule dans les conditions de l’accentuation continue de la crise générale du capitalisme, de l’affaiblissement des forces du capitalisme et de l’affermissement des forces du socialisme et de la démocratie. C’est pour cela que le camp impérialiste et sa force dirigeante, les États-Unis, déploient une activité particulièrement agressive. Cette activité se développe à la fois sur tous les plans : sur le plan militaire et stratégique, sur le plan de l’expansion économique et sur le plan de la lutte idéologique. » La ligne du PCF se voit ainsi totalement renversée.
2. Le mouvement pour la paix
La position internationale du mouvement communiste international a donc amené le PCF à avoir une position qui, dans le fond, ne correspondait pas à sa propre stratégie initiale. Il est évident que sur le plan de l’application, cela devait produire des contradictions insolubles. Si Maurice Thorez pouvait prononcer à l’été 1946 à Rouen un discours intitulé Problèmes français, solutions françaises, ce sont désormais les questions internationales qui prévalent.
Les États-Unis ont en effet pris la tête du « monde libre » et grâce au plan Marshall, bientôt à l’OTAN, organise la structuration du bloc des pays capitalistes et leurs alliés. Ce que le PCF pouvait considérer comme un chemin tracé rempli d’embûches, par la simple concurrence institutionnelle avec les gaullistes, devient un véritable parcours du combattant.
Ainsi, lors de la grande grève de 1947, commencée dans les bassins houillers du Nord et à Marseille et qui finit par rassembler 2 500 000 personnes, il n’y a pas que le rappel de 200 000 réservistes, plusieurs morts, des centaines de blessés et des milliers d’emprisonnés. Il y a également la CGT qui se scinde en deux. La tendance qui scissionne rassemble les anciens « confédérés » de la CGT, opposés au communisme durant les années 1920 ; se prononçant pour le soutien au plan Marshall et très largement aidé par l’American Federation of Labour (qui agit en fait comme intermédiaire pour la CIA), leurs partisans quittent la CGT en décembre 1947.
Ils fondent en avril 1948 la CGT – Force Ouvrière, qui rejoint la Confédération Internationale des Syndicats Libres, qui rassemblent les syndicats anti-communistes et soutiendra massivement toute la politique de construction européenne (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier...), ce qui aboutira notamment à la Confédération européenne des syndicats, plate-forme du dialogue social européen à laquelle font partie aujourd’hui les grands syndicats (CGT, CGT-FO, CFDT, CFTC, UNSA).
Les socialistes soutiennent naturellement la CGT-FO ; Léon Blum déclare clairement dans Le Populaire du 19 décembre 1947 que « Le devoir du Parti socialiste est d’appuyer de toutes ses forces le mouvement de Force Ouvrière. Il faut détacher les travailleurs de la tyrannie absurde et intolérable du communisme. C’est la tâche vitale. »
Pareillement que sur le plan intérieur, la question internationale acquiert une dimension énorme, et la culture populaire anti-impérialiste va énormément jouer, donnant au PCF une radicalité particulière. En effet, dans le cadre de menace d’une nouvelle guerre a lieu le Congrès mondiale des intellectuels pour la paix, à Wroclaw en Pologne, du 25 au 28 août 1948.
Les Assises pour la paix et la liberté rassemblent 1200 délégués à Paris et en avril 1949 a lieu à Paris et Prague le premier Congrès mondial des partisans de la paix, sous la présidence de Frédéric Joliot-Curie. Son symbole est un dessin de Picasso représentant une colombe; des caravanes de la paix le rejoignent en partant des hauts lieux de la Résistance et de toutes les grandes villes. C’est alors qu’est fondé le Conseil mondial de la paix.
Le 18 mars 1950 est lancé l’appel de Stockholm, qui exige entre autre l’interdiction absolue de l’arme atomique, recueillant 14 millions de signatures en France et 560 millions dans toute l’Europe. Un an plus tard, le Conseil Mondial de la paix se réunit à Berlin et la campagne pour un « pacte de paix » recueille des centaines de millions de signatures dans le monde, dont 12 en France. En décembre 1952 a lieu à Vienne en Autriche un Congrès mondial des peuples pour la paix. Il rassemble 2000 délégués de 72 nations. Il y a également la grande vague de soutien à Julius et Ethel Rosenberg, condamnés à mort aux USA pour espionnage au profit de l’URSS ; le 17 juin 1953, deux jours avant l’exécution, est organisée une énorme manifestation en leur soutien.
C’est dans ce contexte qu’en France dockers, marins et cheminots refusent de débarquer et de transporter du matériel de guerre destiné à la lutte contre le Viêt Minh ou pour une guerre contre l’URSS. A Nice, c’est une rampe de lancement de V-2 qui est jetée à la mer par les manifestants ; à Bercy une locomotive est décrochée d’un train de matériel de guerre. Des trains de matériel sont bloqués à Grenoble, Saint-Pierre-des-Corps, Valence, Roanne... De vastes mouvements sont lancés contre la Communauté Européenne de Défense (CED) et le réarmement allemand.
De par sa position de membre du mouvement communiste international, le PCF a donc une ligne très dure dans le cadre du conflit se développant au niveau international. Le Manifeste du XIIème congrès (se tenant à Gennevilliers en banlieue parisienne du 2 au 6 avril 1950), qui explique que « la Paix tient à un fil », est très engagé : dénonciation du plan Marshall et de l’OTAN, appel à l’interdiction de la bombe atomique, à la reconnaissance de la République Démocratique Allemande et de la République Démocratique du Vietnam...
La répression est très importante. L’atmosphère de l’immédiat après-guerre est pesante et propice à l’affrontement ; de par leur expérience, les couches populaires n’hésitent pas à se lancer. En avril 1953 le pouvoir d’achat du salaire horaire a diminué de 33% par rapport à six années auparavant. La CGT organise des milliers d’actions, 4609 rien que d’avril à juillet 1953.
Une grève de 24 heures rassemble 2 600 000 travailleurs en janvier 1954, un mouvement populaire qui a une longue continuité. Lorsque a lieu le 21 avril 1948 la catastrophe de Courrières, dans le bassin minier du Nord, toute une vague de grève s’enclenche, avec des incidents très violents à Clermont-Ferrand, avec presque 200 arrestations.
La répression est tous azimuts : Frédéric Joliot-Curie est licencié de son poste de haut-commissaire à l’énergie atomique pour avoir refusé de placer l’atome au service de la guerre. Les maires et maires-adjoints communistes de Paris sont révoqués. Le gouvernement interdit toute activité en France à la Fédération Syndicale Mondiale et à la Fédération Démocratique Internationale des Femmes. La commémoration des journées antifascistes de 1934 est interdite.
Les arrestations sont nombreuses ainsi que les inculpations pour « complot contre la sûreté de l’État ». Il faut également noter l’affaire du salon d’automne de novembre 1951, où le gouvernement fait décrocher sept peintures, puis deux, puis cinq, n’autorisant que celle de Jean Milhau (Maurice Thorez va mieux) et Marie-Anne Lansiaux (Le Premier Mai). Les cinq peintres voyant leurs oeuvres réprimées sont Julien Sorel, Berberian, Bauquier, Gérard Singer et l’ancien déporté Boris Taslizky, auteur d’un portrait de Henri Martin, ancien FTP condamné à cinq ans de prison pour propagande contre la guerre d’Indochine au sein de l’armée.
Lorsque le 28 mai 1952 vient à Paris le général américain Ridgway, nommé responsables des forces occidentales pour l’Europe, l’Humanité titre : « Le peuple de Paris ne tolérera pas de criminel de guerre dans la capitale. » La manifestation contre « Ridgway la peste », surnom provenant du fait de l’utilisation par l’armée des USA d’armes bactériologiques contre les troupes de la Chine populaire et de la Corée populaire lors de la guerre de Corée (1950-1953), est interdite, pourtant le PCF passe outre et la manifestation est un gigantesque affrontement, qui fera plusieurs morts.
Il y a des arrestations dont celle de Jacques Duclos, second responsable du PCF, pour possession d’armes et de pigeons voyageurs (il sera finalement libéré) ; lors d’une grève de la CGT en soutien à Duclos des arrestations ont pareillement lieu. Au début février 1962, la manifestation contre la guerre d’Algérie est réprimée et des centaines de personnes sont chassées à la station de métro Charonne ; la manifestation qui s’en suit en l’honneur des huit morts rassemble un million de personnes. Chose tout à fait habituelle, des perquisitions ont lieu au siège du Comité Central du PCF, à la CGT, au Mouvement pour la Paix....
Mais inévitablement on retrouve les mêmes élans « démocratiques », puisqu’il est exigé la « défense de la légalité républicaine et des libertés constitutionnelles (droit de grève, liberté d’expression, liberté de réunion, d’association et de manifestation) ; [le] Désarmement et dissolution des groupes para-militaires de guerre civile organisés par le Rassemblement du Peuple Français [fondé par De Gaulle] » : le PCF croit fermement à la nature « démocratique » du régime. De la même manière, la bourgeoisie française n’est selon le PCF qu’une classe corrompue et vendue aux USA ; « la bourgeoisie française, en tant que classe aux intérêts contraires à ceux de la Nation, organise et dirige la trahison nationale (...).
La bourgeoisie française se conduit comme un domestique de l’impérialisme américain, mais cela n’atténue rien, bien au contraire, ses responsabilités. Cette idée doit être très claire sous peine de voir dévier les coups que nous avons à porter contre notre propre bourgeoisie. Celle-ci n’est pas une espèce de « victime » de la colonisation américaine puisque c’est volontairement qu’elle s’est placée sous les ordres des milliardaires américains. » (Cahiers du Communisme de mai 1952, article de François Billoux intitulé Les tâches du Parti deux ans après le XIIème congrès : Organiser et diriger l’action unie des masses pour imposer une politique de paix et d’indépendance nationale)
De fait, déjà la résolution du Comité Central du 30 octobre 1947 affirmait : « Devant notre peuple se trouve posé, sous une forme aiguë, le problème de la restauration de l’indépendance française et de la sauvegarde des institutions républicaines. Souveraineté nationale ou subordination à l’étranger, démocratie ou fascisme, tels sont les deux aspects de ce problème unique. »
Le manifeste d’avril 1950 conserve cette interprétation, exigeant notamment la « défense de l’économie nationale contre les empiètements des trusts américains et rétablissement de relations commerciales normales avec tous les pays sans discrimination » Pour le PCF, le principal protagoniste de l’histoire n’est plus la classe ouvrière dans son combat révolutionnaire, mais « les forces de paix et de démocratie. »
Cette interprétation patriote va également se révéler au grand jour dans le domaine culturel au moment de la mort de Staline. Celle-ci est un événement, en URSS comme en France ; en l’honneur de l’allié de la guerre mondiale, la République française met en berne les drapeaux des bâtiments civils et militaires.
On peut lire dans France Nouvelle, l’hebdomadaire du Comité central du PCF : « Le coeur de Staline, l’illustre compagnon d’armes et le prestigieux continuateur de Lénine, le chef, l’ami et le frère des travailleurs de tous les pays, a cessé de battre. Mais le stalinisme vit. Il est immortel. Le nom sublime du maître génial du communisme mondial resplendira d’une flamboyante clarté à travers les siècles et sera toujours prononcé avec amour par l’humanité reconnaissante. »
Va alors se dérouler au sein du PCF une bataille qui va former l’affaire des Lettres Françaises. Louis Aragon, qui venait d’en prendre la direction, publie à la mort de Staline un croquis effectué par Picasso. Une chose nouvelle pour ce peintre qui, s’il a adhéré au PCF en 1944, était surtout un compagnon de route parmi d’autres. Les artistes sympathisaient très largement avec le PCF et Aragon, s’étant imposé comme le chef de file des intellectuels communistes était au coeur d’un véritable système de mondanités mêlant artistes, grands bourgeois amateurs d’art, milieu de la mode, etc.
Le croquis est un véritable scandale au sein de la base du PCF, qui reproche le ton impersonnel du dessin et dont la réaction est résumée par celle du peintre André Fougeron : « Ma tristesse, y écrivait-il, tient au fait qu’un si grand artiste, en 1953, est incapable de faire un bon mais simple dessin du visage de l’homme le plus aimé des prolétaires du monde entier. » André Fougeron était alors celui qui était le plus avancé dans le réalisme socialiste en peinture, notamment avec Les parisiennes au marché, Aragon disait encore en 1947 dans une note publiée lui étant adressé : « Il faut prendre garde à chaque dessin. Fougeron, dans chacun de vos dessins se joue aussi le destin de l’art figuratif, et riez si je vous dis sérieusement que se joue aussi le destin du monde. » (Préface aux Dessins de Fougeron).
Et même pas une semaine après la publication des Lettres françaises, on peut lire le 18 mars 1953 en première page de l’Humanité : « Le Secrétariat du Parti Communiste Français désapprouve catégoriquement la publication, dans Les Lettres françaises du 12 mars, du portrait du grand Staline dessiné par le camarade Picasso. Sans mettre en doute un instant les sentiments du grand artiste Picasso, dont chacun connaît l’attachement à la cause de la classe ouvrière, le Secrétariat du Parti Communiste Français regrette que le camarade Aragon, membre du Comité Central et directeur des Lettres françaises, qui, par ailleurs, lutte courageusement pour le développement de l’art réaliste, ait permis cette publication.
Le Secrétariat du Parti Communiste Français remercie et félicite les nombreux camarades qui ont immédiatement fait connaître au Comité Central leur désapprobation. Une copie des lettres reçues sera adressée aux camarades Aragon et Picasso. Le Secrétariat du Parti Communiste Français demande au camarade Aragon d’assurer la publication des passages essentiels de ces lettres qui apporteront une contribution à une critique positive. »
Aragon se voit alors obligé de faire son autocritique ; il se défend surtout en s’appuyant sur l’importance de Picasso qu’il a lui-même mis systématiquement en avant comme le plus grand peintre de son époque. Avec le croquis la contradiction a pourtant explosé : Picasso n’a strictement rien à voir effectivement avec le réalisme socialiste ; la « construction » intellectuelle effectuée par Aragon saute aux yeux.
Celui-ci pratique alors la fuite en avant ; son autocritique se termine par : « Permettez-moi, pour finir, de dire ici simplement que sur ce chemin-là, nous avons avec nous un homme que l’ennemi nous envie furieusement, d’où sa rage et ses mensonges, ses calomnies, ses grossièretés : c’est un grand artiste, célèbre dans le monde entier, le peintre de Guernica et de la Colombe, un homme au bout d’une longue vie de travail, de recherches, un homme très modeste, mon ami, notre ami Pablo Picasso. » (Lettres françaises, 9 avril 1953).
Et c’est Thorez, depuis 1950 en URSS en raison de sa maladie, qui envoie un télégramme de soutien à Aragon, renversant la vapeur et permettant à celui-ci, la même année, de littéralement assassiner Fougeron par l’intermédiaire de son oeuvre Civilisation occidentale, l’attaquant dans une longue critique : « Pour qui cela est-il peint ?... Un simple « Go Home » sur les murs est plus significatif que cette caricature... Il faut dire « Halte-là Fougeron »... Une oeuvre d’art n’est pas un discours de démagogue... »
Ce retournement ne doit pas étonner. Aragon s’insère donc parfaitement dans la ligne de Maurice Thorez, comme le résume son discours d’Ivry en 1954 : « La réévaluation critique de notre patrimoine national est l’une des tâches déterminantes de l’art de parti. L’artiste, l’écrivain communiste, doit avoir sans cesse en mémoire le mécanisme même par lequel Maurice Thorez a fait de notre parti ce qu’il est, quand il a appris à la classe ouvrière la signification de Jeanne d’Arc, celle de la Marseillaise, quand il lui a rendu son drapeau. »
Dans ce cadre, il faut savoir qu’Aragon a systématiquement donné une définition du réalisme socialiste qui lui était propre. Il a toujours revendiqué comme référence le « roman politique » du nationaliste Maurice Barrès, affirmant même au sujet de sa découverte : « La lecture de ce livre fut pour moi un grand coup de soleil, et il n’est pas exagéré de dire qu’elle décida de l’orientation de ma vie. (...) J’ai le regret d’avoir à dire que, pour étroit qu’il soit, le nationalisme de Barrès est plus proche de ce que je ressens, et sans doute de ce que ressent aujourd’hui l’avant-garde ouvrière dans notre pays, que l’internationalisme, disons de M. Guéhenno : car, comme Barrès, les hommes de notre peuple ne sont pas disposés à sacrifier ce qui est national, à une Europe, par exemple, fabriquée par MM. Blum et Churchill, et financée par M. Marshall. » (préface au tome II de l’oeuvre de Maurice Barrès. Ed. Club de l’honnête homme, Paris, 1965)
Aragon a parfaitement assumé le décalage entre le réalisme socialiste et son interprétation, expliquant de cette manière celle-ci lors d’une conférence tenue à la Comédie des Champs-Elysées, le 5 octobre 1937, inversant pour ainsi dire la définition de Staline du réalisme socialiste comme « national dans sa forme, socialiste dans son contenu » : « Le roman moderne, comme le portrait, est une invention de l’Europe ocidentale au XVIIIème siècle, une invention réaliste à quoi la France a la plus grande part. Une invention aussi première que le fut en peinture le portrait. Le roman est un des moyens que l’homme a de connaître le monde, et des plus singuliers. Pour connaître le monde, il faut d’abord connaître son propre pays. C’est là l’objet de ce que j’appelle le réalisme français. Ici, il ne manquera pas de gens pour me dire, et le croire, que j’abandonne la conception du réalisme socialiste, au profit d’une conception « nationaliste ».
Cette erreur se fait sentir, pour les même esprits, que dans le domaine du roman. Car le réalisme socialiste exige de connaître la réalité pour la transformer. Et c’est pourquoi en France, en 1937, il suppose le réalisme français. Vers le réalisme socialiste, qui ne pousse pas comme une plante de serre sur une table rose, il n’y a pas d’autre chemin, en France, en 1937, que le réalisme français.
Le réalisme français, c’est la victoire à laquelle, à travers les siècles, nos écrivains et nos artistes ont donné le meilleur d’eux-mêmes, c’est le parachèvement de la pensée progressive de France, et de lui, les écrivains, les artistes qui représentent aujourd’hui pleinement notre pays, qu’ils le veuillent ou non, ne se détourneront pas. Sans lui, pas de réalisme socialiste.
Le réalisme socialiste ne trouvera dans chaque pays sa valeur universelle qu’en plongeant ses racines dans les réalités particulières, nationales, du sol duquel il jaillit. Vous ne parlerez pour tous, ô poètes, que si votre voix sort de ce sol, et que si dans son trouble chantent les forêts et les villes de votre pays. Alors seulement, vous toucherez à l’universel. Alors seulement, vos livres deviendront des armes, des instruments pour la transformation du monde, à l’image de la transformation de votre pays. »
Ces derniers propos sur la portée universelle sont clairement à rapprocher de ce qu’Aragon affirmera dans son discours prononcé au Kremlin le 28 avril 1959, lors de la réception du prix Lénine (auparavant prix Staline) : « Je pense qu’en attribuant ce prix à un écrivain français, il [le comité des prix Lénine] a voulu marquer la place particulière, dans un combat commun à l’énorme majorité des hommes de ce siècle, non seulement de l’art d’écrire, mais d’écrire en français, c’est-à-dire en France, du milieu d’un peuple que la géographie et l’histoire ont placé à une charnière du monde, en un point où plusieurs fois les idées communes à l’humanité en marche ont pris force matérielle en s’incarnant dans la masse vivante, et où toute défaillance demain, tout à l’heure, pourrait avoir pour ce peuple, mais pour tous les autres, des conséquences incalculables. »
Le rôle de la France est d’autant plus souligné que celle-ci est comprise comme étant affaiblie et qu’il s’agit de retrouver l’élan de l’époque du front populaire. La session du Comité Central de Drancy, les 22 et 23 octobre 1953, confirme ce rapprochement théorique très clair entre la période du front populaire et celle des années 1950, avec l’ajout de la question « nationale » et « démocratique » ; Maurice Thorez explique à ce sujet dans une interview du 29 octobre 1953 que « La situation de 1953 diffère de celle de 1934-1936 essentiellement par ce fait que la question de l’indépendance nationale est maintenant posée avec force et se trouve placée au centre de toute la vie politique de la France.
Pour remédier aux maux qui accablent aujourd’hui le pays, il est nécessaire avant tout de changer l’orientation de sa politique extérieure (...). C’est pourquoi le front de lutte tend à englober toutes les classes laborieuses et en même temps d’autres milieux, c’est-à-dire tous les Français qui veulent reconquérir l’indépendance et la souveraineté nationales... L’union et l’action de toutes les énergies nationales et démocratiques constituent le problème décisif de l’heure, l’unité de la classe ouvrière étant la condition d’un tel rassemblement. »
Ces considérations politiques vont avoir un rôle capital dans la compréhension de la question coloniale, en plus d’une conséquence culturelle retentissante. Le PCF a une tendance importante à considérer en effet que les pays coloniaux sont trop faibles pour conserver leur indépendance s’ils la gagnent, cela alors que dans un pays comme la France les communistes jouent un rôle important. Cela signifie qu’il vaut mieux pour les colonisés profiter des progrès de la démocratie en France que de gagner une indépendance qui les fera basculer dans une autre dépendance, inévitablement nord-américaine.
Le PCF ne connaît pas les thèses de l’Internationale Communiste sur la « révolution démocratique » et de Mao Zedong sur la « révolution de nouvelle démocratie » ; il n’en parle jamais, se contentant au mieux de parler de « paix », de « liberté » et d’« indépendance ».
Si cela joue moins pour le Vietnam, en raison d’une direction communiste avec Ho Chi Minh, cela prend un sens tout particulier pour ce qui concerne l’Algérie, le PCF met donc en avant une déclaration de Thorez à Alger en février 1939 : « Il y a une nation algérienne qui se constitue dans le mélange de vingt races. »
Le PCF considère que le processus des indépendances rentre dans un cadre plus global, il est sincèrement anti-colonial, comme ses mobilisations et ses prises de positions le montrent. Léon Feix, dans un article de l’Humanité du 3 novembre 1954 intitulé « Le drame algérien » affirme que « ce que désire, par dessus tout, l’immense majorité des Algériens : la fin du régime colonial » ; lors de la célébration du 37ème anniversaire de la Révolution d’Octobre Raymond Guyot déclare : « Les colonialistes semblent croire à l’éternité de leur domination, mais il faut bien voir qu’un vent d’indépendance souffle de plus en plus fort dans les pays soumis à la domination colonialiste, comme en ont témoigné et en témoignent notamment les événements de Tunisie, du Maroc et d’Algérie. La seule position juste et raisonnable consisterait à reconnaître aux peuples coloniaux le droit à l’indépendance et à conclure avec eux des traités culturels et économiques. »
Mais en raison de la conception « républicaine » de Thorez, le PCF affirme de la même manière que « Les problèmes qui se posent au Maroc, en Algérie et dans les autres pays coloniaux, ne peuvent être résolus que par une politique faisant droit aux aspirations des peuples à la liberté et à l’indépendance, et tenant compte des véritables intérêts de la France, qui ne sont pas ceux des colonialistes. » (Déclaration du PCF du 22 août 1955)
Le PCF participe ainsi aux institutions et sur cette base il pense qu’« il est possible d’établir un programme des forces ouvrières et démocratiques, un programme de gauche basé sur l’indépendance nationale, la paix, la laïcité, les libertés et le progrès social, un programme qui est acceptable par tous les démocrates. Il ne suffit pas de se déclarer partisan d’une politique de gauche, il faut en vouloir les moyens, c’est-à-dire l’union de toutes les forces de gauche, dont celle représentée par le Parti communiste constitue une base indispensable. » (Appel du Bureau politique, décembre 1955).
Cette participation aux institutions permet de fait de mettre de côté des figures de la résistance comme Lecoeur, Tillon, Marty et Guingouin, sous le prétexte d’avoir commis de graves fautes et sans que de réels motifs idéologiques soient mis en avant par les uns ou les autres, bien qu’au fond ce qui leur est reproché est un parcours différent du parcours traditionnel.
Le PCF place au centre de ses préoccupations les élections, dans la continuité de ses succès de l’immédiat après-guerre ; aux législatives d’avril 1951, il avait encore obtenu 5 millions de suffrages, était resté avec 25,67% des voix le « premier parti de France », n’obtenant toutefois que 103 députés, soit 15 de moins que le « Rassemblement Populaire Français » de De Gaulle (qui a un million de voix de moins).
C’est donc fort logiquement que lorsque la gauche remporte les élections au début de 1956, le PCF soutient le « front républicain » rassemblant socialistes et radicaux, amenant par là une véritable catastrophe qui se produit le 12 mars 1956, lorsque les 146 députés du PCF votent l’adoption de pouvoirs spéciaux en Algérie pour le gouvernement de Guy Mollet.
Le PCF, en participant aux institutions, est clairement partie prenante dans l’oppression coloniale, au-delà de ses positions de principe. En considérant comme irrésistible la tendance à la démocratie, en considérant qu’il ne cesserait de grandir et d’avaler l’ensemble des institutions, le PCF ne remarque pas qu’il est devenu un parti comme les autres.
Le PCF ne s’en aperçoit pas, car il considère qu’il est dans sa nature de soutenir les gouvernements de gauche, quitte à les critiquer, ou comme le dit Maurice Thorez dans l’Humanité du 27 mars 1956 : « Le Parti communiste n’a pas voulu sacrifier le tout à la partie. Il a subordonné son attitude dans une affaire très importante, mais pourtant délimitée, à la préoccupation essentielle qui l’inspire : préserver les possibilités d’un large développement du front unique avec les ouvriers socialistes, y compris par le cessez-le-feu et la solution pacifique du problème algérien. Les députés communistes ont eu raison de ne pas compromettre cette perspective générale en se laissant aller à la rupture sur un point spécial où ils ne sont pas d’accord avec la politique générale. »
Et alors que les députés PCF ont soutenu l’adoption des pouvoirs spéciaux, Maurice Thorez peut donc affirmer par la suite, pour mettre en avant la « différence » des positions du PCF dans les Cahiers du Communisme d’avril 1957, qu’« aucun autre gouvernement que le ministère à direction socialiste n’aurait réussi à faire aussi bien les affaires de la réaction. Aucun autre n’aurait osé envoyer à la mort en Algérie les soldats du contingent – en y portant les effectifs militaires de 200 000 hommes en mars 1956 à 600 000 à l’heure actuelle – et instaurer dans ce pays une terreur aussi barbare, marquée par des centaines de condamnations capitales et la répression aveugle contre des populations désarmées. »
Maurice Thorez y affirme également que « l’existence de liens historiques entre la France et l’Algérie est un fait, comme est un fait que la présence d’un million d’Algériens d’origine française et européenne, dont l’immense majorité n’a rien à voir avec le colonialisme ». Ce qui est très révélateur : s’il y a une domination anti-impérialiste, puisqu’il est parlé « d’Algériens d’origine française » et non de Français en Algérie – une thèse qui revient souvent, le PCF parlant même de « réels traits communs » entre les communautés –, le colonialisme n’est pas considéré comme une oppression nationale de la France sur l’Algérie, mais simplement d’une petite clique.
Les conséquences vont être culturellement absolument énormes. Soutenant le Parti Communiste Algérien et considérant la lutte armée comme de l’aventurisme avant d’accepter le triomphe reconnu comme inévitable du Front de Libération Nationale (FLN), le PCF se fait totalement déborder. La culture anti-impérialiste relancée en 1947 a en effet eu un grand écho dans la jeunesse et celui-ci est en partie récupéré sur le plan organisationnel par les mouvements trotskystes.
Exclus des rangs communistes à la fin des années 1930, marginalisés par le Front Populaire et combattu durant la Résistance, les trotskystes réapparaissent avec un nouveau profil façonné par le théoricien trotskyste grec Michel Raptis dit Pablo (1911-1996). Ce dernier considère en effet que la révolution mondiale va avoir lieu et sera faite par les partis communistes « staliniens » malgré eux ; il faut donc y participer pour en prendre la direction au moment où les masses « pousseront ».
Alain Krivine est gagné de cette manière au « Parti Communiste Internationaliste » alors qu’il militait aux Jeunesses Communistes puis dans les rangs des étudiants communistes. Cette conception va s’affiner avec Pierre Frank (1905-1984) : la théorie ne consiste plus qu’à « marcher sur les plates-bandes » des staliniens, notamment en ce qui concerne la question algérienne où bon nombre de réseaux de porteurs de valises pour le FLN sont organisés par les trotskystes. Michel Raptis deviendra même conseiller du président algérien, aux côtés d’autres trotskystes installés pour conseiller le nouveau régime : on les appellera les « pieds-rouges ».
Dans les années 1960 naîtront, avec Alain Krivine et Pierre Frank, les « Jeunesses Communistes Révolutionnaires » (JCR), qui servent de « front de masse » au « Parti Communiste Internationaliste ». Le nom montre l’orientation : « communistes » mais révolutionnaires, pour se distinguer du PCF. Les JCR organisent le soutien à Cuba, au Vietnam, scandent « Ho – Ho – Ho Chi Minh – Che – Che – Che Guevara » au grand dam des autres tendances trotskystes pour qui il s’agit de dirigeants staliniens assassinant les trotskystes.
Pour la JCR, le FNL vietnamien, tout comme Castro et Guevara en 1959, sont trotskystes mais ne le savent pas ; le journal Rouge du 25 mai 1973 explique qu’ils font du trotskysme comme Monsieur Jourdain de la prose.
3. Document : « De Budapest à Alger »
Ici, un extrait d’un tract du « Parti Communiste Internationaliste », supplément à leur journal La Vérité du 2 novembre 1956 à l’occasion de l’intervention soviétique en Hongrie et appelant à une réunion publique sous le mot d’ordre : « De Budapest à Alger, la révolution gronde ». Le travail clandestin du « Parti Communiste Internationaliste » (PCI) au sein des étudiants communistes aboutira à la formation des « Jeunesses Communistes Révolutionnaires », qui joueront un grand rôle en 1968 puis tout au long des années 1970 suite à la fusion avec le PCI en tant que « Ligue Communiste Révolutionnaire. »
Les staliniens à la porte ! L’heure est venue, pour les travailleurs français, de tirer profit pour eux-mêmes de ces événements révolutionnaires gigantesques. De Varsovie et de Budapest à Alger et Rabat, la révolution gronde. La classe ouvrière française prendra bientôt sa place au tout premier rang dans ce combat. Il faut pour cela briser le carcan bureaucratique stalinien que constitue l’appareil du PCF et de la CGT, ce rempart de la bourgeoisie française contre la révolution prolétarienne.
Les staliniens, ces diviseurs, ces calomniateurs professionnels, ces organisateurs de grèves tournantes, ces saboteurs de la grève générale, ces combinards parlementaires, ces voteurs de pouvoirs spéciaux à Lacoste, ces ennemis de l’indépendance des peuples coloniaux, ces partisans de la « Voie parlementaire vers le socialisme », ces adeptes dévots du traître contre-révolutionnaire Staline et de ses successeurs, ces laudateurs des assassins des ouvriers hongrois, les staliniens doivent être chassés du mouvement ouvrier. À la porte les permanents, les fonctionnaires « syndicaux », les « chefs ouvriers », choisis par eux-mêmes, soucieux seulement de préserver leur fromage !
À la porte du mouvement ouvrier, les Thorez, Duclos, Servin et leurs derniers fidèles ! Ces canailles bureaucratiques, instruments du gouvernement contre-révolutionnaire du Kremlin, doivent être extirpées du mouvement ouvrier ! Place à l’action libératrice des masses, malgré et contre tous les bureaucrates ! Pour mettre fin à la guerre d’Algérie, pour vaincre la misère, pour abattre le capitalisme, il nous faut un nouveau parti ouvrier, libre de toute attache avec la bourgeoisie comme avec tout gouvernement étranger ! Un parti sans bureaucrates, où les travailleurs fassent la loi et non les permanents ! Un véritable parti de classe !
C’est ce combat que mènent les trotskystes ! Travailleur, tourne le dos au bureaucrate, rejoins nos rangs sans retard !
Paris, 30 octobre 1956
Le Bureau Politique du Parti communiste internationaliste (section française de la IVe Internationale)