12 mai 2013

Le Parti Communiste français - 3e partie : Classe contre classe - naissance d'un parti bolchévik en France

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1. La bolchévisation

Une fois l’aile « droite » du nouveau Parti communiste exclu, processus s’étant déroulé en France mais également dans d’autres pays, l’Internationale Communiste a les coudées franches pour accentuer la pression. Celle-ci va prendre le terme de « bolchévisation » : l’ensemble des partis communistes qui se sont formés doivent avoir comme modèle le parti bolchévik et la révolution russe.

« La bolchévisation des sections de l’Internationale communiste consiste à étudier et à appliquer dans l’action les expériences acquises par le Parti communiste russe au cours de trois révolutions et aussi, bien entendu, les expériences de toutes les autres sections ayant à leur actif des luttes sérieuses. A la lumière de cette expérience les sections de l’Internationale communiste doivent comprendre les tâches qui leur incombent et généraliser leur propre expérience. » (Thèses sur la bolchévisation, Comité Exécutif élargi de l’Internationale Communiste, 25 mars-16 avril 1925).

Un modèle qui ne doit donc pas être accepté schématiquement : le maître-mot étant l’adaptation aux conditions concrètes de chaque pays. L’Internationale Communiste explique ainsi que « La bolchévisation consiste à savoir appliquer les principes généraux du léninisme à chaque situation concrète dans chaque pays. La bolchévisation est en plus l’art de saisir le « chaînon » le plus important qui permet de tirer toute la chaîne. Ce « chaînon » ne peut être identique dans tous les pays à cause de la diversité de leurs conditions sociales et politiques. »(Thèses sur la bolchévisation, Comité Exécutif élargi de l’Internationale Communiste, 25 mars-16 avril 1925).

Mais cette bolchévisation ne se déroule pas en pleine guerre civile ; au contraire on est dans l’après-guerre, le capitalisme s’est stabilisé. La vague ouvrière retombe, comme en témoignent les chiffres :

Les gouvernements bourgeois passent même à l’offensive en Europe afin de juguler la progression de l’idéologie communiste. De 1919 à 1924 c’est la domination électorale du « Bloc national », alliance de la droite et du centre ; c’est de cette époque que date la caricature du communiste, « l’homme au couteau entre les dents ».

La France occupe la Ruhr et peut même criminaliser pour « complot contre la sûreté extérieur de l’État » toute une série de dirigeants communistes, alors qu’une énorme agitation de masse est conjointement menée avec le Parti Communiste d’Allemagne, y compris dans l’armée. Le Parti communiste se voit obliger de mener sa campagne électorale par rapport à une demande d’amnistie, car sa ligne est légaliste et il n’y a pas de résistance illégale, à part dans la Fédération de la Seine qui organise des manifestations de rues illégales, réunissant 2 000 à 3 000 membres sur les grands boulevards parisiens ou le jardin du Luxembourg.

Le Parti est composé de 90 fédérations plus au moins autonomes et le nombre d’adhérents, qui n’est même pas connu avec certitude, est en chute libre, comme en témoigne le tableau suivant (pour 1919 et 1920, il s’agit du parti socialiste encore unifié) :

Mais les chiffres ne doivent pas cacher un changement en profondeur lorsque la bolchévisation se met en place. Car celle-ci amène à ce que les communistes soient regroupés par lieux de travail, par « cellules d’entreprise ». La France est découpée en 24 régions, elles-mêmes découpées en « rayons » et « sous-rayons ». Le premier rayon communiste de la région parisienne comprenait ainsi les ler, Ilème, Xème, XIXème arrondissements de Paris et la commune de Saint-Denis. 

Ceux qui sont habitués à la vie tranquille des sections partent au fur et à mesure, alors qu’il y a un afflux d’ouvriers. En 18 mois, l’organisation a renouvelé 70% de ses membres, un taux énorme. Les bastions sont les centres ouvriers : la région parisienne (16 674 cartes en 1925), le Nord (9 440) et la région lyonnaise (4 215). Le centre de la vie du Parti Communiste devient l’usine.

A cela s’ajoute la naissance d’« appareils », qui permet au Parti Communiste d’être totalement centré sur son activité et de rompre y compris sur le plan de l’organisation avec la culture « clientéliste » de la social-démocratie.

Est ainsi organisé un appareil central, avec des sections de travail composées de militants spécialisés, un appareil de dirigeants régionaux et de rayons reliés au Comité Central. Une section coloniale est formée, alors que le Parti Communiste affirme son soutien à ceux qui combattent la France dans les territoires coloniaux du Maroc et de la Syrie.

Le Parti Communiste dispose aussi d’un organisme généré très important : l’Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC). Elle a été fondée en mai 1917 par l’écrivain Henri Barbusse et deux jeunes intellectuels : Paul Vaillant-Couturier et Raymond Lefebvre, ainsi qu’un ouvrier métallurgiste, Georges Bruyère. L’ARAC avait pris comme devise « Guerre à la guerre » et rassemble les anciens combattants dans un front favorable aux communistes.

A cela s’ajoute les « comités d’unité prolétarienne » et le groupe « Clarté », qui font participer des ouvriers et des minorités socialistes et syndicales, ainsi que des ouvriers sans-parti. Ont ainsi lieu une série de congrès ouvriers au cours de l’été 1925, notamment à Paris, Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg et Béziers ; y participent 7 230 délégués dont 200 socialistes, 320 syndiqués réformistes, 31 syndiqués autonomes, 1 173 sans-parti et plus de 200 sont des délégués de villages.

La grève générale contre l’intervention au Maroc en est un thème central, mais celle-ci aura du mal à se mettre en place et malgré 900 000 ouvriers en grève, 274 militants sont condamnés à plus de 120 années de prison et le militant communiste Sabatier est tué à Puteaux, en région parisienne, 100 000 travailleurs participant à ses obsèques.

Reste la question électorale et une autre question, totalement nouvelle, qui se pose : celle du fascisme. Le combat antifasciste a immédiatement été au centre de la politique communiste, au point que l’Internationale Communiste fait un rappel à l’ordre à la veille du quatrième congrès de la SFIC, des 17 au 21 janvier 1925 à Clichy en banlieue parisienne (où 224 délégués sur 239 sont des ouvriers) : « Le paragraphe de vos thèses concernant le Bloc antifasciste doit également être complètement modifié. Dans sa forme actuelle, ce paragraphe contient, non seulement de la confusion, mais des idées très dangereuses sur le rôle du Parti.

Certes, le Parti doit chercher à créer contre le fascisme un vaste front unique de tous les ouvriers, des paysans et des couches accessibles des classes moyennes, mais il ne doit pas former avec ces éléments un bloc politique dans lequel il se confondrait avec des éléments petits-bourgeois sur un programme d’opposition au fascisme. Il faut bien indiquer dans ce large mouvement anti-fasciste le rôle prédominant du prolétariat et le rôle de guide du Parti Communiste, qui doit devenir le centre de la lutte de classe antifasciste, et non le composant d’extrême-gauche d’une opposition antifasciste comprenant des éléments de la bourgeoisie.

Le prolétariat doit s’allier aux paysans, qui sont ses alliés naturels dans la lutte révolutionnaire et parmi lesquels le Parti doit travailler intensément pour pouvoir vaincre le fascisme. Il doit, par contre, chercher non à s’allier à la petite-bourgeoisie, mais à la neutraliser ou à entraîner ses couches les plus prolétarisées et les plus accessibles à la propagande.

Il doit, à cet effet, avoir une base idéologique pour mener ses campagnes afin d’arracher les ouvriers, les paysans et certaines couches de la petite-bourgeoisie à l’influence des partis soi-disant de gauche en voie de fascisation. Il doit abandonner complètement la notion de classe travailleuse, qui, outre la classe ouvrière et les paysans, englobe les intellectuels et les petits-bourgeois. On ne peut parler que des classes travailleuses (parmi lesquelles prolétariat et paysannerie doivent être intimement unis pour la lutte).

La notion qui est et qui doit demeurer au centre de toute notre action, et particulièrement de notre action antifasciste, est celle de la classe ouvrière, du prolétariat, qui doit avoir l’hégémonie sur toutes les autres classes travailleuses. »

Cette conception du statut d’avant-garde antifasciste que s’attribue la SFIC est d’une grande importance, notamment en raison du fait que depuis 1924 c’est le « cartel des gauches » qui gouverne. Celui-ci est composé des radicaux indépendants, des radicaux-socialistes, des républicains socialistes, des socialistes indépendants et de la SFIO.

Quelle est l’attitude à avoir par rapport à ces structures opposées à la révolution prolétarienne, mais parfois ouvertes à des activités antifascistes ? Le problème se pose avec plus de profondeur qu’en Allemagne, où la social-démocratie, qui a assassiné Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, tente depuis le départ de briser les communistes, dans un contexte social bien plus dur.

La ligne de la SFIC est alors de se poser comme le pôle le plus révolutionnaire de la gauche ; telle est sa conception du front unique. Lors du transfert des cendres de Jaurès au Panthéon le 23 novembre 1924, qui suit la victoire du Cartel des gauches aux élections de mai 1924, la SFIC rassemble plus de 150 000 personnes, avec 180 drapeaux rouges dépourvus de toute inscription et 300 pancartes portant des slogans comme « Guerre à la guerre par la révolution prolétarienne », « Instituons la dictature du prolétariat », « Aux ligues fascistes, opposons les centuries prolétariennes ».

Car, très concrètement, la SFIC mène la lutte armée contre les « Jeunesses Patriotes », dont l’un des avatars sera la fusillade de la rue Damrémont, où la bourgeoisie criera au scandale lorsque plusieurs fascistes seront tués. Le programme aux élections municipales de mai 1925 tourne autour de ce même thème central, vu comme prioritaire (1. La lutte contre le fascisme ; 2. Pour l’unité syndicale ; 3. Pour des mesures fiscales énergiques contre la bourgeoisie ; 4. Pour la paix avec la Russie des Soviets).

La tactique électorale de la SFIC est définie ainsi : « Nous proposerons des listes communes avec des candidats socialistes en posant comme condition de prendre un certain nombre d’engagements comme celui de défendre en toute occasion les revendications les plus immédiates des travailleurs, de mener au sein des municipalités une lutte énergique en organisant au besoin des milices municipales antifascistes. »

La bolchévisation a naturellement des opposants. Leur chef de file est Souvarine, d’origine ukrainienne, qui dénonce en mars 1924 le « centralisme mécanique, bureaucratique, et irresponsable » et prône une orientation ouverte en direction des syndicalistes révolutionnaires. Il organise une véritable « fraction » au sein du Parti Communiste, publiant l’ouvrage de Trotsky « Cours nouveau », jusqu’à finalement son exclusion. Souvarine fondera en 1930 le « Cercle communiste démocratique », petit groupe éphémère centrant son activité sur la critique de l’URSS.

On trouve également Dunot et Loriot, qui prônent un retour à la social-démocratie, ou bien encore Monatte, Rosmer et Delagarde qui soutiennent Souvarine et sont pareillement exclus en 1924. Monatte et Rosmer fonderont la revue la Révolution prolétarienne, qui se maintiendra pendant plusieurs décennies et diffusera une conception syndicaliste du monde, dont l’absence absolue durant la Résistance contre l’occupation nazie scellera l’échec complet.

2. La culture classe contre classe

La bolchévisation est indéniablement une réussite : la SFIC n’a plus grand chose à voir en 1925 avec ce qu’elle était à sa fondation. Elle est une organisation éprouvée par la lutte, totalement fondée sur les luttes d’entreprise et ayant une analyse conséquente de la société française. A son Vème congrès celle-ci est présentée de cette manière : « La vieille France démocratique se développant paisiblement dans les cadres du régime parlementaire fait place à une nouvelle France avec des conflits de classe aigus, avec une rapide radicalisation des couches ruinées de la population, avec les tentatives des différentes classes de poser le problème du pouvoir et de le résoudre par des moyens extra-parlementaires. »

Cette société a deux aspects. « A l’un des pôles politiques se trouve la grande bourgeoisie : industrielle, commerciale, terrienne, unie par les grandes banques. Elle tient dans ses mains le gouvernail de la dictature économique ; elle est fortement organisée en cartels et en trusts. » et « A l’autre pôle, le prolétariat qui peut jouer un rôle décisif dans les conflits sociaux prêts à éclater. »

Mais la SFIC est très au fait de l’existence des classes moyennes ; il est ainsi également dit : « Entre le prolétariat et la grande bourgeoisie se trouvent les couches moyennes éternellement hésitantes, économiquement appauvries, qui perdent peu à peu leur pouvoir politique (...). C’est justement dans le fait que le rôle économique amoindri de la petite-bourgeoisie ne correspond pas à son influence politique qu’il faut chercher la source de la crise politique permanente (...).

Nous sommes actuellement en France devant cette alternative : ou le prolétariat réussira à conquérir la majorité de la petite-bourgeoisie et des paysans et à résoudre par des voies révolutionnaires la crise actuelle sur le dos du gros capital, ou la petite-bourgeoisie, comme en Italie, suivra la grande bourgeoisie et celle-ci établira un régime réactionnaire basé sur une exploitation renforcée du prolétariat et de la petite-bourgeoisie, qui fera peser sur leurs épaules tout le fardeau de la crise. »

Les mots d’ordre sont ainsi, dans un contexte d’hyper-inflation, le monopole du commerce extérieur, la nationalisation des banques et des monopoles de fait, l’annulation de toutes les dettes de guerre, l’échelle mobile des salaires pour suivre la hausse des prix... La CGTU passe de 512 000 cartes en 1925 à 542 000 en 1926 et la SFIC dirige la plupart des grandes grèves (Château-Regnault, Laroque-d’Olmes, Dunkerque...) mais également des grèves de solidarité, comme celle en soutien à la grève générale des ouvriers et des mineurs en Angleterre, qui rassemble le 9 août 1926 100 000 mineurs sur 300 000.

La Jeunesse Communiste arrive à largement mobiliser contre les périodes de réserve de l’armée, avec des mouvements dans tout le pays, au point que Le 22 avril 1927, à Constantine, le ministre de l’Intérieur Albert Sarraut s’exclame : « Le communisme, voilà l’ennemi ! » Les affrontements sont fréquents, dont l’un des plus marquants est celui du 23 août 1927, lors des manifestations contre l’exécution des anarchistes Sacco et Vanzetti aux USA. A Paris plus de 80 000 personnes, tantôt dispersées tantôt groupées en colonnes de mille personnes, débordent la police pendant des heures. Il y a très clairement une remontée de la vague populaire, comme en témoignent les chiffres :

C’est dans ce contexte de poussée révolutionnaire qu’est alors décidée la ligne « classe contre classe ». Cette ligne remet en cause celle de la « discipline républicaine » et de la recherche de l’accord avec les directions du Parti socialiste et de la CGT. Cela signifie que lors des élections, la SFIC se maintiendra au second tour si la proposition de « Bloc ouvrier et paysan » est refusée par le candidat socialiste. Mais cela a également des conséquences profondes sur la position du Parti Communiste, qui devra dès lors systématiquement assumer la position de dirigeant. Une partie importante de la SFIC est rétive à cette tâche, montrant la confiance en soi limitée de la jeune organisation.

D’où vient la ligne « classe contre classe » ? Il s’agit en fait d’une tactique décidée à l’échelle internationale. L’Internationale Communiste décide de celle-ci car la social-démocratie, notamment en Allemagne, est une formidable barrière au communisme, et cela alors que le fascisme ne cesse de grandir. En ce qui concerne la France, le neuvième Comité Exécutif de l’Internationale Communiste devait effectuer la résolution suivante sur la France, en février 1928 : « Le rôle économique de la petite-bourgeoisie ne cesse de diminuer et les forces sociales ont tendance à se polariser toujours davantage dans l’opposition fondamentale de la classe ouvrière et de la grande bourgeoisie.

Les effets de la rationalisation capitaliste, l’offensive contre les salaires, provoquent une accentuation des antagonismes de classe et poussent le prolétariat à la lutte pour la défense de ses conditions de vie. Un processus de radicalisation des masses se poursuit et oblige la bourgeoisie à jeter le masque démocratique et à intensifier la répression patronale et gouvernementale contre le prolétariat et ses organisations de classe. 

Ces transformations économiques et sociales ont eu, au cours de ces deux dernières années, des répercussions particulièrement profondes dans la superstructure politique du pays, en particulier dans l’orientation politique des partis traditionnels de la petite-bourgeoisie française.

Le Cartel des Gauches qui, en 1924, se présentait comme un bloc d’opposition de la petite-bourgeoisie et d’une partie de la classe ouvrière à la politique du grand capital, a trahi son programme et ses promesses tout en conservant une phraséologie de « gauche » pour maintenir son influence sur les couches de la petite-bourgeoisie et du prolétariat qui la soutiennent, et a pratiqué en fait une politique de soutien actif de toute la politique d’oppression et d’exploitation de l’impérialisme français, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Le Parti socialiste et la CGT réformiste, tout en prenant, pour les mêmes raisons, une position d’opposition formelle à l’Union nationale, ont collaboré activement et appuyé toute la politique fondamentale du grand capitalisme français : réorganisation militaire, colonialisme, rationalisation, etc...

La CGT proclame ouvertement sa volonté de collaboration de classe en s’efforçant de s’intégrer à l’État bourgeois par le Conseil national économique. Elle soutient l’effort de rationalisation aux dépens des travailleurs et trahit régulièrement les luttes économiques du prolétariat. La CGT et les socialistes renforcent en même temps leur lutte contre l’URSS et les ouvriers révolutionnaires.

La soi-disant gauche socialiste s’est révélée, au cours de cette période, non comme une opposition irréductible, fidèle aux principes fondamentaux du socialisme, mais davantage comme un groupe s’efforçant de retenir, par sa démagogie, les ouvriers sous l’influence du Parti socialiste et comme une barrière les empêchant de passer au Parti communiste. »

La théorie de la « barrière », voilà sur quoi se fonde la tactique « classe contre classe » ; l’influence de l’expérience allemande est déterminante, les communistes affrontant seuls les nazis, les socialistes empêchant qui plus est une large partie des ouvriers de rejoindre la combat.

Aux élections de mai 1928, la SFIC va donc seule au combat et enregistre un certain progrès, recueillant 1 070 000 voix, soit 200 000 de plus qu’en 1924. Le succès est marquant dans les zones ouvrières : Nord, Rhône, Loire, Alsace-Lorraine... En ce qui concerne l’Alsace-Lorraine, la SFIC lui reconnaît d’ailleurs le droit à l’autodétermination.

Qui plus est, les communistes restent présents au second tour dans 265 circonscriptions, où se reportent 251 794 voix sur les 425 751 du premier tour. Dans les bastions de la SFIC seulement 9% des voix ne se reportent pas (Seine, Seine-et-Oise, Nord, Rhône, Haute-Vienne, Seine-Inférieure, Ardennes, Gard, Haut-Rhin). Dans les 81 circonscriptions les plus importantes, la SFIC recueille 80% de report des voix du premier tour. C’est indéniablement un succès dans cette épreuve de force.

Mais l’État a bien entendu organisé les élections pour que la SFIC en soit rejetée et, avec le mode de scrutin imposant un découpage « pourri », la SFIC n’a que 14 députés, alors que le SFIO qui a 1 600 000 voix en a 100. Cela n’empêche pas la ligne de se maintenir et aux élections municipales de mai 1929, une année après, les progrès se confirment, avec 115 conseils municipaux contre 70, dont 26 (contre 21 auparavant) dans les villes de plus de 5 000 habitants, des minorités dans 139 (contre 55) conseils municipaux et 107 646 voix (contre 98 400) à Paris.

Mais la question essentielle pour les communistes est celle de la base ouvrière, ou comme l’a formulé le sixième congrès de l’Internationale Communiste, en juillet-août 1928 : « Cette tactique [classe contre classe] modifie la forme, mais ne change nullement le contenu principal de la tactique du front unique.

Le renforcement de la lutte contre la social-démocratie déplace le centre de gravité du front unique vers la base, mais ne diminue nullement, augmente même encore, le devoir des communistes de faire la distinction entre les ouvriers social-démocrates, qui se trompent en toute sincérité, d’une part, et les leaders social-démocrates vils serviteurs de l’impérialisme, d’autre part. » Pour ce faire, les communistes multiplient les initiatives, mais se confrontent automatiquement à l’État. Les manifestations de masse tentées en 1928 ou pour le 1er mai 1929 sont des échecs, dans ce dernier cas ce sont 4 000 arrestations préventives qui ont lieu. 

Les forces policières étaient déjà massivement présentes pour le 1er mai 1929. Au mois de juin 1929 il y a 80 000 grévistes et des affrontements violents pour la libération du secrétaire du syndicat des terrassiers, arrêté après que 20 000 d’entre eux aient fait grève.

Et le 1er août (jour anniversaire de la déclaration de la première guerre mondiale), alors que la SFIC a appelé à la grève pour 11 heures (afin que celle-ci soit vraiment « d’entreprise »), l’État mène des arrestations préventives, lance la police, les gardes mobiles, l’armée ; les affrontements sont nombreux : à l’usine parisienne de Citroën, à Alais, Bezons, Waziers-Douai, Rouen, Nîmes, Troyes, Romilly, Bordeaux, Boulogne-sur-Mer, Sète, Audincourt, Anzin...

L’État interdit la direction du Parti Communiste, celles des régions et des rayons ; les locaux du Parti Communiste, de la CGTU et de l’Humanité sont mis à sac par la police. Les dirigeants sont accusés de « complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État » et ne seront libérés qu’en mai 1930.

C’est la première grande expérience de l’illégalité par la SFIC, qui appelle une souscription qui est un immense succès, et des comités de défense de l’Humanité se forment, la plupart du temps spontanément (350 à Paris rien qu’en automne 1929). Il s’ensuit également une épuration de ceux qui trouvent que les choses vont trop loin et notamment des « six » (Louis Sellier, Jean Garchery, Charles Joly, Louis Castellaz, Camille Renault, Louis Gélis) qui formeront l’éphémère « parti ouvrier et paysan » qui rejoindra le « parti socialiste-communiste » pour fonder le « parti d’unité prolétarienne », qui rejoindra la SFIO en juin 1937).

Le même phénomène se déroule face à l’importante minorité de la CGTU qui a pris le nom de « Ligue syndicaliste », dont le dirigeant syndicaliste révolutionnaire Maurice Chambelland affirme : « Nous avons encore devant nous au moins 40 années de paix sociale », il n’y a pas de radicalisation des masses, le 1er août est une aventure, la politique de la CGTU nous mène à l’illégalité, en particulier est dangereuse sa dépendance complète du Parti communiste.

Avec la ligne « classe contre classe » le Parti apparaît comme le Parti de l’insurrection, il a acquis une stature forte, indépendante, une identité très claire.

Dans un document d’époque de l’armée, intitulé Note sur la défense de la Région parisienne contre l’ennemi intérieur en temps de guerre, analysant les positions communistes dans la région parisienne, il est parlé d’insurrection assurée en cas de guerre, de « 260 000 insurgés véritables » à prévoir, en raison d’une « classe ouvrière plutôt campée qu’installée, mélangée à des déracinés de toutes origines – étrangers, gens de couleur... L’agglomération parisienne présente ainsi une répartition sociale donnant à la révolution l’avantage d’un véritable encerclement apriorique des organes du pouvoir. »

En cas d’insurrection, l’armée prévoit « un îlot central, véritable citadelle de l’agglomération parisienne, situé à l’intérieur de Paris, renfermant les ministères de guerre [guerre, marine et air], l’Hôtel de Ville, la Banque de France, le Central des PTT, de la DAT, le poste de TSF de la Tour Eiffel, la prison du Cherche-Midi... avec en son milieu, un réduit comprenant les Invalides et l’École militaire, à la fois siège du commandement, de ses réserves et de l’ultime défense. »

3. Document : « Front rouge » d’Aragon

De nombreux jeunes intellectuels vont sympathiser avec la SFIC, notamment ceux organisés dans la mouvance du surréalisme. Les motivations sont diverses et parfois ne dureront pas : Drieu La Rochelle deviendra vite un fasciste, Julien Gracq un auteur mystique conservateur, André Breton rejoindra le trotskysme.

D’autres auront un engagement plus durable, comme Tristan Tzara, Paul Eluard ou Louis Aragon, qui sera le premier à rompre totalement avec le surréalisme (au grand dam d’Eluard, qui rejoindra par la suite pareillement le Parti Communiste et chantera Staline). La série de poèmes en l’honneur de la SFIC, dont voici des extraits, vaudra à Aragon d’être inculpé pour « incitation des militaires à la désobéissance » ainsi que « provocation au meurtre ».

Extrait de Front rouge :

« Une douceur pour mon chien
Un doigt de champagne Bien Madame
Nous sommes chez Maxim’s l’an mil neuf cent trente
On met des tapis sous les bouteilles
pour que leur cul d’aristocrate ne se heurte pas aux difficultés de la vie
[...]
Il y a des fume-cigarettes entre la cigarette et l’homme
[...]
Les journées sont de feutre
les hommes de brouillard
Monde ouaté sans heurt
[...]
Et puis les bonnes oeuvres font traîner des robes noires
dans des escaliers je ne vous dis que ça
La princesse est vraiment trop bonne
Pour la reconnaissance qu’on vous en a
À peine s’ils vous remercient
C’est l’exemple des bolchéviques
Malheureuse Russie
L’U.R.S.S.
L’U.R.S.S. ou comme ils disent S.S.S.R.
S.S. comment est-ce S.S.S.
S.S.R. S.S.R. S.S.S.R. oh ma chère
Pensez donc S.S.S.R.
Vous avez vu les grèves du nord
Je connais Berck et Paris-Plage
Mais non les grèves S.S.S.R.
S.S.S.R. S.S.S.R. S.S.S.R.
[...]
Paris il n’y a pas si longtemps
que tu a vu le cortège fait à Jaurès
et le torrent Sacco-Vanzetti
Paris tes carrefours frémissent encore de toutes leurs narines
Tes pavés sont toujours prêts à jaillir en l’air
Tes arbres à barrer la route aux soldats
[...]
Pliez les réverbères comme des fétus de pailles
Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace
Descendez les flics
Camarades
descendez les flics
Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment
les enfants riches et les putains de première classe
Dépasse la Madeleine Prolétariat
Que ta fureur balaye l’Élysée
Tu as bien droit au Bois de Boulogne en semaine
Un jour tu feras sauter l’Arc de triomphe
Prolétariat connais ta force
connais ta force et déchaîne-la
[...]
Feu sur Léon Blum
Feu sur Boncour Frossard Déat
Feu sur les ours savants de la social-démocratie
Feu feu j’entends passer
la mort qui se jette sur Garchery 
Feu vous dis-je
Sous la conduite du parti communiste
SFIC
[...]
J’assiste à l’écrasement d’un monde hors d’usage
J’assiste avec enivrement au pilonnage des bourgeois
[...]
Je chante la domination violente du Prolétariat sur la bourgeoisie
pour l’anéantissement de cette bourgeoisie
pour l’anéantissement total de cette bourgeoisie
[...]
L’éclat des fusillades ajoute au paysage
une gaieté jusqu’alors inconnue
Ce sont des ingénieurs des médecins qu’on exécute
Mort à ceux qui mettent en danger les conquêtes d’Octobre
Mort aux saboteurs du Plan Quinquennal
[...]
À vous Jeunesses communistes
[...]
Dressez-vous contre vos mères
Abandonnez la nuit la peste et la famille
Vous tenez dans vos mains un enfant rieur
un enfant comme on n’en a jamais vu
Il sait avant de parler toutes les chansons de la nouvelle vie
Il va vous échapper Il court Il rit déjà
Les astres descendent familièrement sur la terre
C’est bien le moins qu’ils brûlent en se posant
la charogne noire des égoïstes
[...]
Les yeux bleus de la Révolution
brillent d’une cruauté nécessaire
SSSR SSSR SSSR SSSR
[...]
Voici la catastrophe apprivoisée
voici docile enfin la bondissante panthère
l’Histoire menée en laisse par la Troisième Internationale
Le train rouge s’ébranle et rien ne l’arrêtera
[...]
Le train s’emballe vers demain
SSSR toujours plus vite SSSR
[...]
C’est le chant de l’homme et son rire
C’est le train de l’étoile rouge
qui brûle les gares les signaux les airs
SSSR Octobre octobre c’est l’express
Octobre à travers l’univers SS
SR SSSR SSSR SSSR SSSR
 »

Extrait de Prélude au temps des cerises :

« [...]
Il s’agit de préparer le procès monstre
d’un monde monstrueux
Aiguisez demain sur la pierre
Préparez les conseils d’ouvriers et soldats
Constituez le tribunal révolutionnaire
J’appelle la Terreur du fond de mes poumons
[...]
Je chante le Guépéou qui se forme
en France à l’heure qu’il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France
Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d’un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d’un monde
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou vous qu’on plie et vous qu’on tue
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou
Vive le Guépéou figure dialectique de l’héroïsme
[...]
Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste
Vive le Guépéou contre dieu chiappe et la Marseillaise
Vive le Guépéou contre le pape et les poux
Vive le Guépéou contre la résignation les banques
Vive le Guépéou contre les manoeuvres de l’Est
Vive le Guépéou contre la famille
Vive le Guépéou contre les lois scélérates
Vive le Guépéou contre le socialisme des assassins du type
Caballero Bancour Mac Donald Zoergibel
Vive le Guépéou contre tous les ennemis du Prolétariat
VIVE LE GUÉPÉOU
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