Poèmes sur Gabriel Péri - Louis Aragon (1944)
Submitted by Anonyme (non vérifié)Louis Aragon, 1944
[Honoré d’Estienne d’Orves est « celui qui croyait au ciel », Gabriel Péri « celui qui n’y croyait pas »; Gabriel Péri n'est par contre pas enterré au cimetière d'Ivry.]
Légende de Gabriel Péri
C'est au cimetière d'Ivry
	Qu'au fond de la fosse commune
	Dans 1'anonyme nuit sans lune
	Repose Gabriel Péri
	Pourtant le martyr dans sa tombe
	Trouble encore ses assassins
	Miracle se peut aux lieux saints
	Où les larmes du peuple tombent
	Dans le cimetière d'Ivry
	Ils croyaient sous d'autres victimes
	Le crime conjurant le crime
	Etouffer Gabriel Péri
	Le bourreau se sent malhabile
	Devant une trace de sang
	Pour en écarter les passantsIls ont mis des gardesmobiles
	Dans le cimetière d'Ivry
	La douleur viendra les mains vides
	Ainsi nos maîtres en décident
	Par peur de Gabriel Péri
	L'ombre est toujours accusatrice
	Où dorment des morts fabuleux
	Ici des hortensias bleus
	Inexplicablement fleurissent
	Dans le cimetière d'Ivry
	Dont on a beau fermer les portes
	Quelqu'un chaque nuit les apporte
	Et fleurit Gabriel Péri
	Un peu de ciel sur le silence
	Le soleil est beau quand il pleut
	Le souvenir a les yeux bleus
	A qui mourut par violence
	Dans le cimetière d'Ivry
	Les bouquets lourds de nos malheurs
	Ont les plus légères couleurs
	Pour plaire à Gabriel Péri
	Ah dans leurs pétales renaissent
	Le pays clair où il est né
	Et la mer Méditerranée
	Et le Toulon de sa jeunesseDans le cimetière d'Ivry
	Les bouquets disent cet amour
	Engendré dans le petit jour
	Où périt Gabriel Péri
	Redoutez les morts exemplaires
	Tyrants qui massacrez en vain
	Elles sont un terrible vin
	Pour un peuple et pour sa colère
	Dans le cimetière d'Ivry
	Quoi qu'on fasse et quoi qu'on efface
	Le vent qui passe aux gens qui passent
	Dit un nom Gabriel Péri
	Vous souvientil ô fusilleurs
	Comme il chantait dans le matin
	Allez c'est un feu mal éteint
	Il couve ici mais brûle ailleurs
	Dans le cimetière d'Ivry
	Il chante encore il chante encore
	Il y aura d'autres aurores
	Et d'autres Gabriel Péri
	La lumière aujourd'ui comme hier
	C'est qui la porte que l'on tue
	Et les porteurs se subtituent
	Mais rien n'altère la lumière
	Dans le cimetière d'IvrySous la terre d'indifférence
	Il bat encore pour la France
	Le coeur de Gabriel Péri
La Rose et le Réséda
Celui qui croyait au ciel
	Celui qui n'y croyait pas
	Tous deux adoraient la belle
	Prisonnière des soldats
	Lequel montait à l'échelle
	Et lequel guettait en bas
	Celui qui croyait au ciel
	Celui qui n'y croyait pas
	Qu'importe comment s'appelle
	Cette clarté sur leur pas
	Que l'un fut de la chapelle
	Et l'autre s'y dérobât
	Celui qui croyait au ciel
	Celui qui n'y croyait pas
	Tous les deux étaient fidèles
	Des lèvres du coeur des bras
	Et tous les deux disaient qu'elle
	Vive et qui vivra verra
	Celui qui croyait au ciel
	Celui qui n'y croyait pas
	Quand les blés sont sous la grêle
	Fou qui fait le délicat
	Fou qui songe à ses querelles
	Au coeur du commun combat
	Celui qui croyait au cielCelui qui n'y croyait pas
	Du haut de la citadelle
	La sentinelle tira
	Par deux fois et l'un chancelle
	L'autre tombe qui mourra
	Celui qui croyait au ciel
	Celui qui n'y croyait pas
	Ils sont en prison Lequel
	A le plus triste grabat
	Lequel plus que l'autre gèle
	Lequel préfère les rats
	Celui qui croyait au ciel
	Celui qui n'y croyait pas
	Un rebelle est un rebelle
	Deux sanglots font un seul glas
	Et quand vient l'aube cruelle
	Passent de vie à trépas
	Celui qui croyait au ciel
	Celui qui n'y croyait pas
	Répétant le nom de celle
	Qu'aucun des deux ne trompa
	Et leur sang rouge ruisselle
	Même couleur même éclat
	Celui qui croyait au ciel
	Celui qui n'y croyait pas
	Il coule il coule il se mêle
	À la terre qu'il aima
	Pour qu'à la saison nouvelle
	Mûrisse un raisin muscat
	Celui qui croyait au ciel
	Celui qui n'y croyait pas
	L'un court et l'autre a des ailes
	De Bretagne ou du Jura
	Et framboise ou mirabelleLe grillon rechantera
	Dites flûte ou violoncelle
	Le double amour qui brûla
	L'alouette et l'hirondelle
	La rose et le réséda
