4 déc 1936

Déclaration - Gabriel Péri (décembre 1936)

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Gabriel Péri, décembre 1936

[Cette déclaration à la chambre des députés rentre dans le cadre du soutien communiste à la lutte antifasciste en Espagne, où la République est confrontée à la rébellion de Franco depuis le 18 juillet 1936 ainsi qu'à la dénonciation partielle par Blum, le 25 juillet 1936, du traité commercial franco-espagnol prévoyant l'achat d'armes par l'Espagne à la France. C'est la « non intervention », alors que l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste arme les rebelles.]

Au delà d'une frontière proche, une épreuve de force se développe, que d'autres sans doute avaient précédée, mais dont la portée dépasse celle de toutes les autres.

En face de cette épreuve, l'attitude de l'Europe, l'attitude de la France en particulier, fera jurisprudence. Le sort de la paix ou de la guerre en dépend.

L'Europe s'inclinera ou elle dira « non ».

Suivant qu'elle s'incline ou qu'elle dise « non », elle signifiera qu'elle est prête ou non à se soumettre aux entreprises de domination, d'expansion et de guerre.Suivant qu'elle s'incline ou qu'elle dise « non », elle signifiera qu'elle se résigne à la guerre ou qu'elle est résolue à imposer la paix. (Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) C'est dans ce cadre général qu'il convient, selon nous, d'apprécier la politique pratiquée par le Gouvernement français, depuis le 18 juillet à l'égard des événements d'Espagne.

De quoi s'agit-il ?

UNE REBELLION PREPAREE HORS D'ESPAGNE

Le 18 juillet, en Espagne, un gouvernement régulier, issu d'élections récentes, dirigées et contrôlées, d'ailleurs, par un cabinet de droite — élections non contestées, élections confirmées par des scrutins ultérieurs — un gouvernement républicain voit se dresser contre lui des militaires qui ont trahi leur fonction et violé le serment de fidélité qu'ils avaient volontairement renouvelé après les élections du 16 février.

Voilà l'aspect juridique du problème, et voici son aspect politique. Cette rébellion, née en Espagne, a été inspirée et préparée hors d'Espagne (vifs applaudissements à l'extrême-gauche communiste), préparée de longue date, à grands frais, ainsi qu'en témoignent notamment les documents si pertinents découverts à Barcelone au domicile des chefs et des organisations rebelles.

Elle n'est qu'un paravent d'une entreprise d'expansion de l'étranger. Sur ce point, dès le 18 juillet, des présomptions nombreuses s'accumulaient. Depuis, des certitudes ont été acquises.

L'IMPORTANCE DE L'ESPAGNE POUR LE IIIe REICH

Messieurs, je voudrais insister sur cette notion : la conquête de l'Espagne n'est qu'un des éléments de cette grande offensive économique, coloniale, maritime, qui caractérise depuis des années, l'effort des dirigeants de l'Allemagne du IIIème Empire. Mais, en pareille matière, permettez-moi de m'abriter derrière une caution qui, je suppose, ne sera pas suspecte : celle d'un journaliste de droite, celle de Pertinax, qui, dès le 1er août, précisait ainsi les desseins d'Hitler et de Mussolini en Espagne : « Se servir de l'espagne pour menacer les communications de la France métropolitaine avec l'Afrique du Nord. »

Et Pertinax rapportait ce détail inédit sur le voyage du général Sanjurjo à Berlin, au printemps dernier :

« L'attaché militaire à l'Ambassade d'Espagne, écrivait-il, dans cette capitale, aurait accompagné le chef de l'éventuelle révolte dans sa visite aux usines de matériel de guerre.

« De source diplomatique, on sait que le Général Franco dispose actuellement de fonds qui lui sont avancés par une banque de Hambourg. »

Et, deux jours après, le 3 août, Pertinax insistait sur l'aspect marocain de l'entreprise des rebelles :

« Dans le Maroc espagnol, écrit-il, le général Franco recrute et arme librement les indigènes, en violation du traité franco-espagnol du 27 novembre 1922. Il transporte même les Maures par avions au dessus du détroit de Gibraltar. On imagine les sentiments réveillés dans le cœur des tribus riffaines par cette reprise inattendue de l'invasion du huitième siècle.

« Le 1er août, le général Franco a payé la solde de ces hommes,européens et indigènes. D'où vient forgent ?

« Et qu'est-ce qui a été promis en contrepartie ? » interroge Pertinax.

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Voici donc un mouvement qui se présente avec ce double caractère de révolte contre un gouvernement constitutionnel, et de prétexte à la conquête d'un pays par un autre.

Ce qui se passe en Espagne depuis le 18 juillet, ce n'est pas seulement la Démocratie qui se défend contre le Fascisme, c'est l'Espagne qui défend son indépendance nationale contre une entreprise de domination et de conquête.

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.)

UN GOUVERNEMENT FRANÇAIS NE PEUT SE DESINTERESSER DE CETTE AFFAIRE

Je suppose qu'un gouvernement français puisse se désintéresser du premier aspect du problème et considérer que la défense des institutions démocratiques n'est, en quelque sorte, qu'une fantaisie idéologique — l'expression a été employée, il y a quelques jours, par

M. le Président Flandin, qui apportait une adhésion remarquée et précieuse à la politique extérieure du gouvernement — je suppose, dis-je, qu'un gouvernement puisse se désintéresser de ce premier aspect du problème.

Mais comment, par contre, un gouvernement français pourrait-il admettre que l'indépendance de l'Espagne ou sa domination par l'hitlérisme sont des éventualités qui ne concernent pas directement et la paix de l'Europe et la sécurité de la France ?(Vifs applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) L'indépendance de l'Espagne, la France l'a toujours considérée comme tellement essentielle pour sa sécurité qu'au mois de décembre 1935 un ministre français allait à Madrid signer un traité commercial qui réglait les relations entre les deux pays, en ce qui concerne notamment la fourniture des armes.

LA POLITIQUE DITE DE « non intervention » C'EST UNE PRISE DE POSITION

Ce traité reste valide jusqu'au 25 juillet. Le 25 juillet, c'est-à-dire lorsque se présente pour l'Espagne l'éventualité, le besoin en vue duquel il a été conclu, le gouvernement français le dénonce partiellement.

Le 8 août, il l'abroge complètement. Le 8 août, !a France dit : le contrat signé par moi ne vaut plus rien.

La France, par une décision unilatérale, cesse de tenir pour valables des engagements contractés par elle, et c'est ce que l'on appelle la politique de non intervention.

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Cette appellation, Messieurs, ne nous paraît pas correcte. Nous contestons cette définition.

La décision du 8 août, ce n'est pas l'abstention, c'est une prise de position.

Le gouvernement espagnol vous répond aussitôt : la non intervention, ce n'est, ce ne doit pas être l'annulation d'un contrat,mais son maintien normal. Si vous voulez vous désintéresser de ce qui se passe chez nous, libre à vous ; mais alors que votre désintéressement soit complet et qu'il ne se traduise pas par un changement dans nos relations. A vrai dire, votre décision était une forme d'intervention car, pour elle, vous avez, au départ, modifié le rapport des forces sur le champ de bataille espagnol et vous l'avez modifié au détriment de la République.

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.)

UNE DUPERIE

J'entends bien, Messieurs, que la décision du gouvernement français faisait partie d'un système.

Les 5 et 6 août, la France proposait une mesure internationale d'embargo sur les armes destinées à l'Espagne.

Lorsque la France prend cette initiative, elle a grand soin de préciser que, dans l'esprit du gouvernement français, cette proposition est subordonnée à une condition rigoureuse : son respect par tous.

M. le Ministre des Affaires Etrangères écrit, le 20 août, à l'ambassadeur d'Espagne à Paris :

« Le Gouvernement français est d'accord avec Votre Excellence pour reconnaître que la valeur d'une déclaration de non intervention dépend essentiellement de sa prompte mise en vigueur et de l'efficacité des garanties prévues pour sa stricte application. » En d'autres termes, la convention doit être immédiatement acceptée et loyalement appliquée. En style moins diplomatique, M. Le Ministre des Affaires Etrangères déclare quelque temps après : « Si la neutralité était observée par les uns et violée par les autres, elle serait une duperie. » On ne pensait pas, M. Le Ministre, que vous entendiez dire alors : Même si la neutralité devenait une duperie, la France consentirait à être dupe.

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Or, Messieurs, dans ce système, une première faille est ouverte.

HITLER ET MUSSOLINI RAVITAILLENT LES REBELLES

Le Gouvernement français a décidé de suspendre ses exportations vers l'Espagne. Cet engagement, le 8 août, il l'a pris seul. L'Italie et l'Allemagne n'y souscriront que le 21 et le 24 août. Ainsi, pendant une période d'attente, l'embargo ne s'applique qu'aux Républicains. Le 6 septembre, M. Le Président du Conseil, dans son discours de LunaPark, annonce qu'enfin cette période d'attente, d'injustice choquante, et d'inégalité, a pris fin, que les engagements ont été souscrits et qu'ils sont respectés.

Eh bien, non ! On peut le dire aujourd'hui, les engagements, s'ils ont été souscrits, n'ont jamais été respectés.

L'engagement allemand est du 24 août. Le 26, le correspondant du Times à Hendaye constate que les rebelles de Burgos ont reçu la veille 21 avions Junker nouveaux, avec lesquels ils ont effectué le bombardement de deux aérodromes près de Madrid. L'engagement italien est du 21 août, mais sous réserve d'application ultérieure ; pour se laisser toute latitude d'achever à Vigo une livraison qui fait grand bruit dans la presse occidentale, le Gouvernement de Rome retarde jusqu'au 28 l'exécution de son engagement.

Exécution promise, donc, à partir du 28.

Or, le 29, un trimoteur italien portant l'inscription I. F. A. N. 0., et trois autres trimoteurs de bombardement, arrivent à Palma. Le 6 septembre, le Quai d'Orsay l'ignore-t-il ? Ses agents ont-ils omis de l'informer ? M. L'ambassadeur de France en Espagne a-t-il oublié qu'il était ambassadeur de France à Madrid et non pas sous préfet de Saint-Jean-de-Luz ?

(Vifs applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Dans tous les cas, Messieurs, à partir du 15 septembre, l'ignorance n'est plus possible, puisqu'à cette date l'Espagne présente son dossier aux puissances.

LA NEUTRALITE A SENS UNIQUE

Quelle suite lui réserve t-on ? Tout ce que l'on peut dire, c'est que, pendant la deuxième quinzaine de septembre, les faits d'ingérence se multiplient.

Le 25 septembre, M. William Dood, fils de l'ambassadeur américain à Berlin, apprend du consul britannique à Vigo qu'une importante livraison d'avions italiens a été faite dans ce port, trois ou quatre jours auparavant.

Et M. Dood ayant attiré l'attention du consul sur la gravité du fait, son interlocuteur lui réplique que le pacte de non intervention ne vaut rien et qu'on le viole ouvertement. C'est le 28 septembre que le Gouvernement portugais consent enfin à se faire représenter dans le comité de non intervention de Londres. Mais, le 29, un lot de matériel de guerre provenant d'Italie était encore expédié de Lisbonne à la frontière d'Espagne. Vous aviez dit : l'embargo pratiqué sur les armes, c'est, en définitive, une façon d'apporter un secours réel à la République. Voici la réponse des faits :

C'est dans la période qui va de la fin août à la fin septembre que les rebelles ont pris Irun, Saint Sébastien, Tolède et progressivement resserré leur étau sur Madrid.

Ce n'est pas la République, c'est la rébellion et ce sont les ennemis de la France qui ont été les plus grands bénéficiaires de la non intervention.

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Cette conception de la neutralité à sens unique, vous vous insurgiez contre elle ; vous affirmiez au mois d'août, que vous n'accepteriez pas pour la France ce rôle de dupe.

Si l'on pouvait dire aujourd'hui que les contrevenants expriment l'intention de mettre fin à leur intervention !

Si, à l'heure où nous sommes réunis, on pouvait dire enfin : l'Allemagne, l'Italie, renoncent à leur entreprise, elles écoutent notre appel, elles sont disposées à suivre, dans quelques jours, notre exemple !Mais c'est le contraire qui se produit.

PIQUER D'HONNEUR LES GOUVERNEMENTS FASCISTES ?

Et alors qu'aucune des conditions auxquelles vous aviez subordonné cette politique n'est remplie, alors que tous les arguments que vous aviez invoqués en sa faveur ont été mis en défaut, vous vous obstinez dans cette politique et votre obstination, je le crois, loin de décourager, enhardit l'audace des interventionnistes. Vous espériez piquer d'honneur les gouvernements fascistes, conjurer la reconnaissance de la junta de Burgos. Pour nourrir cet espoir, il fallait, par un effet de volonté, oublier les buts de guerre de l'Allemagne, et de l'Italie. Mais enfin, vous avez consenti à oublier un moment tout cela.

La France n'a pas piqué d'honneur les gouvernements pour qui l'honneur réside dans la violation des traités.

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) La France n'a pas conjuré la reconnaissance de Franco par l'Allemagne et par l'Italie.

Et voici que, maintenant, c'est à vous que certains demandent d'imiter l'exemple d'Hitler et de Mussolini, et de reconnaître à votre tour le général factieux.

Mais ici, Messieurs, permettez moi de formuler une observation sur laquelle je crois qu'on ne saurait trop insister.

L'UNION SOVIETIQUE ET L'ACCORD DE « NON INTERVENTION »

II n'est pas vrai qu'il y ait eu, comme certains le prétendent, violation de l'accord de part et d'autre.

Pour parler net, il n'est pas vrai que l'accord ait été violé à la fois et de la même façon par l'Allemagne et l'Italie, et aussi par l'Union Soviétique (Interruptions à droite) et qu'entre ces puissances le rôle de la France soit de distribuer, en les dosant, les avertissements et les remontrances.

Je sais bien que la presse de droite de chez nous, en même temps d'ailleurs que la presse nazie de Berlin, a sommé le Gouvernement d'adresser une sorte d'admonestation au Gouvernement soviétique. Je sais aussi — et c'est plus grave — que, parlant aux Communes,

M. Eden a dit, l'autre jour, que la responsabilité du Gouvernement soviétique était au moins aussi lourdement engagée que celle du Gouvernement allemand.

Messieurs, quelle que soit notre déférence à l'égard du secrétaire d'Etat pour le Foreign Office, nous espérons qu'à l'occasion de ce débat, M. Le Ministre des Affaires Etrangères voudra dire à voix haute et claire que la France ne souscrit pas à l'interprétation de M. Eden, parce que cette interprétation est contraire à la vérité historique.

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Nous l'espérons, Messieurs, parce que nous n'oublions pas que la France est liée à l'Union Soviétique par un pacte dont le programme du Front Populaire a dit qu'il était le modèle à suivre. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)Ce pacte n'est attaqué par F Allemagne qu'en raison des garanties de sécurité qu'il offre à la France. Nous croyons, Messieurs, que l'on sert la paix en défendant ce pacte contre les attaques. Nous croyons qu'on ne la sert pas en s'appropriant les vocabulaires de M. Gœbbels et en traitant les associés de la France de « puissance barbare et asiatique ».

(Vifs applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Quoiqu'il en soit, Messieurs, ce ne sont pas les hommes d'Etat soviétiques, c'est le ministre des Affaires Etrangères d'Italie qui a déclaré que son pays n'admettrait point que s'instaure telle ou telle forme de gouvernement en Espagne.

Et quelle est donc l'attitude du Gouvernement soviétique après le 18 juillet ? Comment les Soviets accueillent-ils la proposition de la France du 8 août ?

Ils y adhèrent et M. Litvinov indique dans quelles conditions et dans quel esprit : le Gouvernement soviétique a adhéré à la déclaration de non intervention uniquement parce qu'un pays ami appréhendait le danger d'un conflit international.

Nous avons agi ainsi bien que nous considérions le principe de neutralité comme nonapplicable à une insurrection contre un gouvernement légitime et, au contraire, comme une infraction aux règles du droit des gens.

C'est-à-dire, que les Soviets redoutent le précédent qui s'institue, la prime à l'agression qu'il risque de consacrer ; mais ils ne veulent pas gêner l'initiative de la France.

Ils précisent aussitôt que l'accord n'aura de sens que s'il est généralement appliqué. Ils conditionnent le respect de l'accord à la rigueur de son application par tous.

A partir du 20 août, ils appliquent la convention. Ils la respectent. Us la respectent si scrupuleusement que lorsque, ici, nous formulons nos critiques et nos réserves, le Gouvernement, les partisans de la politique de non intervention, nous opposent l'attitude du Gouvernement soviétique et invoquent cette attitude comme un argument contre notre campagne.

Aussi bien, Messieurs, pour vérifier dans cette affaire la bonne foi de chaque partie, il y avait une méthode honnête, simple et pratique, la méthode de l'enquête internationale.

Les Soviets, sûrs de leur bon droit, l'ont proposée. L'Allemagne et l'Italie l'ont repoussée.

(Vifs applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Que s'est-il passé dans la suite ? L'Union Soviétique avait souscrit et respecté un accord dont les initiateurs disaient qu'il n'aurait de sens que s'il était général, faute de quoi il deviendrait une duperie. Le jour où, à Genève d'abord, à Londres ensuite, les preuves se sont accumulées que l'accord n'était respecté que d'un côté, le jour où le Comité de Londres

a donné au monde le spectacle de son impuissance à imposer la généralisation et le contrôle de l'accord, ce jour là, l'observer encore, c'était admettre sa violation par les autres, c'était se faire complice de sa violation.

L'Union (Soviétique n'a pas voulu accepter cette complicité.Son gouvernement a répondu par avance à l'appel pressant que

l'Internationale Ouvrière et Socialiste, la Fédération Syndicale Internationale adressaient à tous les gouvernements démocratiques. Le 24 octobre, son représentant, l'ambassadeur Maiski, a déclaré : « Le gouvernement soviétique ne peut se considérer davantage lié par l'accord de non intervention. »

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Mais ce problème a été évoqué il y a quelques jours à la Chambre des Communes et voici, M. Le Président du Conseil, comment notre ami commun Noël Philip Baker, représentant du Parti Socialiste de Grande Bretagne, répondait à ceux qui critiquaient l'attitude des Soviets :

« Si les honorables membres mettent la Russie sur le même plan que les puissances approvisionnant les rebelles, ils adoptent la position de ceux qui disent qu'en occupant Ypres, en 1914, nous étions aussi coupables de violer le territoire belge que l'Allemagne, qui occupa la plus grande partie de ce pays. » (Applaudissements à l'extrême gauche communiste. — Mouvements divers.)

M. GEORGES SCAPINI. — C'est un imaginatif, M. Baker.

LES RESULTATS DE LA NEUTRALITE A SENS UNIQUE

Et cependant, tous les arguments invoqués contre la politique de non intervention perdraient l'essentiel de leur valeur si, après quatre mois et demi de pratique de cette politique, on pouvait dire : « Voyez les résultats ! L'Espagne a été pacifiée. En Europe, les amateurs d'aventures sont découragés. La France peut se sentir plus sûre, entourée de voisins pacifiques dans une Europe plus tranquille. »Vous le savez bien, après quatre mois de politique de non intervention, c'est un spectacle bien différent que nous offrent l'Espagne et l'Europe.

L'Espagne, j'en ai la conviction, serait aujourd'hui pacifiée si elle avait pu se procurer les moyens de rétablir l'ordre chez elle. (Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Entretenir des relations normales avec l'Espagne, ce n'était pas une décision audacieuse. C'était une mesure de prévention et de prudence.

Pour ne pas l'avoir adoptée, la France sera acculée demain, je le crains, à des décisions beaucoup plus graves et beaucoup plus sévères.

Nous demandons au Gouvernement de prendre l'initiative d'une proposition internationale tendant à rétablir avec l'Espagne la normalité de nos relations.

Si le gouvernement ne le fait pas, demain, il ne s'agira plus de savoir si l'on respectera ou non un traité de commerce, mais si l'on signera, et pour de bon, cette fois, l'arrêt de mort de la (Société des Nations. Demain, il ne s'agira plus de savoir si l'on permettra ou non, à l'Espagne, d'acheter des armes en France, mais quel accueil la marine française réservera aux ultimatums du général Franco. Il s'agit déjà de savoir ce que vous allez faire devant les navires allemands qui, forts de l'impunité que leur a octroyée la politique de non intervention, bombardent Carthagène et Alieante, menacent de bombarder Barcelone et débarquent 6.000 hommes à Cadix.On nie répond : « C'est possible, mais cela, c'est pour demain, en attendant, cette politique a retardé l'échéance et c'est un grand résultat que d'avoir retardé une échéance guerrière. » Mais, au fait, Messieurs, avez vous reculé l'échéance ? Le danger qu'on se flatte d'avoir conjuré, sous quelle forme se présentait-il au juste ?

EN CEDANT AU CHANTAGE A LA GUERRE, ON AFFAIBLIT LES CHANCES DE PAIX

L'Allemagne, en riposte au respect par la France du traité commercial, menaçait-elle de se livrer à une agression ? Menaçait elle d'accomplir contre la France ce qu'elle n'a pas osé accomplir contre l'Union Soviétique au lendemain du 24 octobre messieurs, si cette menace a été formulée, n'est-il pas évident qu'elle sera formulée chaque fois que la France voudra faire respecter le droit ou remplir ses obligations internationales ?

(Applaudissements à f extrême-gauche communiste.) Mais, en cédant au chantage à la guerre, on n'augmente pas les chances de paix, on les affaiblit, on incite les maîtres chanteurs à menacer plus souvent et à exiger davantage.

Au fond, M. Le Président du Conseil, c'est un vieux débat qui est engagé aujourd'hui.

C'est notre vieux débat de 1935 gui recommence, le débat au cours duquel, vous et nous, nous nous élevions contre ceux qui prétendaient défendre la paix en disant : « Les sanctions, c'est la guerre ! » (Très bien ! très bien ! à l'extrême-gauche communiste.) Et vous, vous les dénonciez, vous les appeliez « les néophytes de la paix ». La plupart d'entre eux approuvent aujourd'hui la politique espagnole du Gouvernement.

M. LEON BLUM, président du Conseil. — Mais moi, je ne suis pas un néophyte.

Je le sais, M. Le Président du Conseil, seulement, permettez moi de vous faire observer que nous disons aujourd'hui : « Levez l'embargo ! » sur le même ton et avec la même préoccupation que nous disions hier : « Appliquez les sanctions à l'agresseur ! » (Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Mais, hier, nous avions la satisfaction de vous savoir en notre compagnie.

Que disions-nous, vous et nous ? Nous disions que ce qui crée le danger de guerre, c'est l'impunité accordée à l'agresseur. Ce qui crée le danger, c'est la prime à l'agression.

LA TCHECOSLOVAQUIE, LA ROUMANIE OU LA BELGIQUE PEUVENT DEVENIR UNE NOUVELLE ESPAGNE

Messieurs, c'est toujours vrai et c'est toujours le même problème, car f agression, ce n'est pas nécessairement l'attaque d'une frontière. Ce peut être aussi le coup d'Etat intérieur fomenté du dehors. On peut même se demander si ce ne sera pas là, désormais, la forme la plus courante de l'agression. (Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) On peut se le demander, après la signature sensationnelle de ce traité germano-nippon, dont le paragraphe B proclame le droit à l'intervention.

Alors je vous le dis : il nous sera interdit de parler de loi internationale, de parler de sécurité collective, de parler de Société des Nations, si nous nous refusons à paralyser cette forme nouvelle d'agression.

Nous devrons nous résigner à nous mettre à genoux devant les fauteurs de guerre, si nous ne mettons pas les peuples pacifiques à l'abri de cette forme nouvelle d'agression, ou plutôt, Messieurs, si nous ne le faisons pas, il ne nous restera plus qu'à tourner les regards vers les pays de l'Europe balkanique et danubienne, à penser à l'agitation des Sudètes en Tchécoslovaquie, à l'agitation des Gardes de fer en Roumanie, à regarder la Belgique, et à nous demander quelle sera la prochaine Espagne.

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) D'autre part, le danger de guerre, n'estil pas évident qu'il s'aggrave dans la mesure où l'encerclement de la France suscite toutes les convoitises et avive tous les appétits ?

L'œuvre de paix n'aura rien gagné le jour où la France aura trois frontières à défendre, où ses communications maritimes seront compromises.

Vous savez bien que ce ne sont pas là des hypothèses fantaisistes, qu'un statut d'autonomie a été déjà, en fait, octroyé à la zone espagnole du Maroc où, depuis le 1er juillet, l'influence allemande est prépondérante.

Vous savez bien qu'en dépit de vos démarches et des assurances de

M. Mussolini, l'Italie s'est installée dans les Baléares. A ceux qui nous disent : « Ne nous occupons que des intérêts français », j'ai bien le droit de répondre : ne sont-ce pas là des intérêts français ? Ne sontce pas là des intérêts aussi légitimes que ceux des grandes compagnies bancaires, financières ou industrielles, qui, depuis si longtemps, ont rançonné l'Espagne ? (Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Messieurs, j'entends bien l'argument suprême : la politique de non intervention, c'est la seule, me diton, qui ait permis l'entente franco britannique, la seule qui ait rendu possible et concevable le discours de M. Eden.

A COTE DE L'ANGLETERRE OFFICIELLE IL Y A L'ANGLETERRE LIBERALE ET TRAVAILLISTE

Nous ne négligerons pas la portée de la déclaration du Secrétaire d'Etat britannique. Il est précieux d'entendre le ministre de la Grande-Bretagne affirmer que son pays respectera ses engagements envers le nôtre.

C'est là, croyons-nous, une contribution infiniment utile à l'assistance mutuelle, qui est une nécessité pour la France et une nécessité pour la Grande-Bretagne.

Mais pourquoi l'entente franco-britannique aurait-elle comme contrepartie obligatoire et nécessaire notre acceptation devant l'aventure des généraux rebelles, notre acceptation devant l'hitlérisation de l'Espagne ? La primauté italienne ou allemande sur le bassin méditerranéen ne porte-t-elle pas en elle un danger aussi grave pour la Grande Bretagne que pour la France ?

N'est-ce pas le devoir de la France de prêcher, à Londres, l'union, le barrage, contre ce danger commun ?

Que serait après tout une entente franco-britannique qui, au lieu d'organiser le barrage devant les aventuriers, harmoniserait la reculade devant eux ?

Et enfin, comment un Gouvernement français à direction socialiste pourrait-il oublier par ailleurs, qu'à côté de l'Angleterre officielle,une autre Angleterre, libérale, travailliste, sollicite de son Gouvernement le geste que nous demandons au nôtre d'accomplir ? (Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.) Nos amis travaillistes, libéraux anglais, nous disent : « Notre tâche est difficile, parce que nous avons en face de nous un gouvernement conservateur. Comme notre besogne serait plus aisée si nous étions comme vous, en présence d'un Gouvernement à direction socialiste ! »

(Applaudissements à l'extrême-gauche communiste.)

DANS L'INTERET DE LA SECURITE FRANÇAISE

J'en ai terminé.

A une époque où les faiblesses et les convoitises du concert européen allumaient ou menaçaient d'allumer la guerre dans le Proche Orient, Jaurès s'insurgeait contre cette forme de défaite qu'est une certaine démission devant les entreprises de violence. Il disait : « Vous n'avez pas le droit d'appeler cela la paix. Vous n'avez pas le droit de profaner le beau nom de paix. »

Et il ajoutait :

« Est-ce la paix ? C'est peut-être notre paix à nous et pour un moment, notre paix étroite, notre paix égoïste. Mais ce n'est pas la paix que cette paix sanglante. C'est la caricature de la paix. C'est la forme la plus odieuse de la guerre. »

Messieurs, c'est pour que l'Europe ne nous donne pas le spectacle de cette caricature que nous demandons encore au Gouvernement français de rétablir la normalité de ses relations avec l'Espagne. Qu'il ne soit pas dit que, dans un monde où la paix et la liberté sont des biens indivisibles, la France a préféré faire fléchir le droit plutôt que d'apporter, dans l'intérêt même de sa propre sécurité, sa collaboration à la sauvegarde d'un peuple ami, à la défense d'une démocratie courageuse, au salut de la grande paix humaine. (Vifs applaudissements à l'extrême-gauche communiste. — Sur les bancs, MM. Les Députés se lèvent et applaudissent l'orateur.}