Pour un plan d'éducation dans chaque région - Etienne Fajon (juin 1936)
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Etienne Fajon, juin 1936
Au VIIè Congrès du Parti, en mars 1932, fut votée unanimement une résolution spéciale sur le travail théorique du Parti. Cette résolution invitait les régions et rayons à « accorder une attention soutenue au travail d'éducation, en intégrant ce travail dans l'ensemble de leurs tâches politiques ».
Trois ans après le VIII Congrès, le retard de l'ensemble du Parti sur le front théorique persiste. Certes, des efforts sont réalisés de-ci de- là, mais sans plan d'ensemble ; le travail d'éducation est en général négligé par les organismes responsables aux divers échelons. On justifie le plus souvent cette négligence par les nombreuses et pressantes tâches quotidiennes qui se posent dans les régions ; mais une telle justification prouve simplement que le travail d'éducation n'est pas intégré dans l'ensemble des tâches politiques, que la théorie est considérée comme un domaine réservé à quelques spécialistes, détaché de l'activité politique de l'ensemble du Parti. Staline a fait justice de ce point de vue absolument erroné. Dans les Questions du léninisme , il écrit :
« La théorie est la synthèse de l'expérience du mouvement ouvrier de tous les pays. Elle perd sa raison d'être si elle n'est pas reliée à la pratique révolutionnaire, de même que la pratique erre dans les ténèbres si elle n'est pas éclairée par la théorie révolutionnaire. Mais la théorie peut devenir la plus grande force du mouvement ouvrier si elle est indissolublement liée à la pratique révolutionnaire, car seule elle peut donner au mouvement l'assurance, l'orientation, l'intelligence de la liaison interne des événements, seule elle peut aider à comprendre le processus et la direction du mouvement des classes au moment présent et dans l'avenir prochain. »
Est-il possible au Parti de résoudre convenablement les problèmes posés chaque jour devant lui sans l'élévation du niveau théorique de ses membres ? Non ce n'est pas possible.
Prenons par exemple la question du danger de guerre. Nous ne pouvons fixer les mots d'ordre justes au moment présent qu'en analysant la situation concrète à la lumière des enseignements de Lénine sur la lutte contre la guerre.
Prenons le problème de l'unité de la classe ouvrière. Il dépend, en particulier, du problème du pouvoir et de la dictature du prolétariat. Comment le résoudre si nous ignorons l'enseignement de Marx et de Lénine à ce sujet ?
Il en est de même pour toutes les questions qui se posent devant le Parti.
S'il n'est pas éduqué, le Parti ne peut vaincre les courants néfastes qui subsistent dans la classe ouvrière, le courant anarcho-syndicaliste par exemple.
S'il n'est pas éduqué, le Parti offre un terrain plus favorable aux attaques des renégats et des agents de la bourgeoisie. S'il n'éduque pas ses nouveaux adhérents, le Parti ne pourra venir entièrement à bout de la fluctuation de ses effectifs. Nous arriverions à la même conclusion dans tous les domaines de l'activité du Parti.
Il est indispensable aujourd'hui que chacun de nos militants sache appliquer la ligne du Parti sans attendre les instructions d'en haut ; il est indispensable que les dirigeants aux divers échelons, les cadres du parti, sachent se diriger eux-mêmes à travers les événements de plus en plus compliqués, sachent trancher les questions rapidement et résolument.
L'expérience pratique, bien que décisive dans ce domaine, ne suffit pas. Elle doit être renforcée, éclairée par l'éducation, par les connaissances théoriques.
Il importe donc de veiller, dans chaque région, à l'élévation du niveau idéologique de tout le Parti, à l'éducation plus particulière des cadres. C'est pourquoi chaque région doit mettre sur pied un plan d'éducation et vérifier minutieusement sa réalisation.
La causerie mensuelle
Le plan d'éducation doit tendre en premier lieu à développer les connaissances de l'ensemble du Parti dans la région. Ce but ne peut être atteint que par l'amélioration du contenu des réunions de nos cellules.
Si l'on examine, en effet, l'ordre du jour des réunions de cellules, on constate dans la plupart des cas qu'il porte exclusivement sur les tâches pratiques immédiates ; certes, il ne peut être question d'éliminer ces tâches essentielles et de transformer nos cellules en clubs de discussion stérile ; le problème, c'est au contraire de donner à la cellule les connaissances politiques nécessaires pour qu'elle puisse fixer ses tâches avec justesse et éviter les erreurs dans leur exécution.
Dans ce but, il nous paraît indispensable que l'activité intérieure de la cellule comporte, au moins une fois par mois, une causerie éducative sur un problème d'actualité.
Si, par exemple, on fait aujourd'hui une causerie sur la politique de paix de l'U.R.S.S., il est clair que les connaissances ainsi acquises par la cellule lui permettront de mieux orienter son activité pratique contre la guerre et pour la défense de l'U.R.S.S.
Ces causeries mensuelles, élargies si possible aux sympathisants, peuvent fort bien être assurées par un membre du bureau de cellule, à défaut d'un délégué du comité de rayon.
La direction régionale a pour tâche de convaincre les cellules de l'importance de telles réunions, de vérifier directement ce travail dans les principales cellules d'entreprise, d'apporter aux cellules, en particulier par la « Vie du Parti » dans chaque hebdomadaire, des directives, des suggestions propres à faciliter l'organisation de la « Causerie du mois ».
A plus forte raison le comité régional doit-il veiller à élever le niveau des discussions dans ses propres réunions et dans celles des comités de rayon, qui ne sauraient jouer leur rôle de direction sans examen sérieux des questions politiques essentielles.
Pour que chaque communiste puisse lire
Le rayonnement insuffisant des revues, des brochures et ouvrages du Parti et de l'Internationale dans nos rangs reflète bien notre retard sur le terrain idéologique. On ne lit pas assez dans le Parti ; d'une part en raison du manque de temps, d'autre part en raison du coût de la littérature.
Le plan d'éducation dans la région doit prévoir la solution de ces difficultés.
Pourquoi les meilleurs militants du Parti n'ont-ils pas le temps de lire ? Parce qu'ils accumulent sur leurs épaules toutes les tâches, y compris les tâches matérielles à la portée de tout membre de la cellule ; parce qu'ils sont accaparés par les réunions intérieures des multiples organisations auxquelles ils appartiennent. Il est nécessaire de procéder dans chaque cellule, dans chaque comité, à une répartition rationnelle des tâches entre tous les membres ; il est possible et souhaitable de réduire le nombre de réunions intérieures (par exemple deux réunions de cellule par mois suffisent); il faut dégager les membres du parti de l'obligation de militer dans toutes les organisations ; un ouvrier communiste doit seulement prendre une part active à la vie de sa cellule et de son organisation syndicale, les communistes non ouvriers peuvent fort bien travailler dans les autres organisations.
Une telle orientation permettra de libérer les membres du Parti une soirée sur deux en moyenne, sauf bien entendu dans certaines périodes (grèves, élections, etc...).
Chaque communiste pourra ainsi employer une dizaine de soirées par mois à lire, à s'éduquer.
C'est alors seulement que nous pourrons demander sérieusement à tous les communistes la lecture régulière des Cahiers du Bolchevisme et des brochures politiques régulièrement éditées par le Parti, puis orienter progressivement vers la lecture de l'Internationale Communiste et des ouvrages théoriquement fondamentaux.
Il reste encore à créer les possibilités financières de telles lectures. Pour cela la meilleure solution consiste à organiser des bibliothèques de cellules et de rayons, abonnées aux trois revues ( Cahiers du Bolchevisme , Internationale Communiste , Correspondance Internationale) et achetant au fur et à mesure de leur partition les brochures politiques essentielles et les ouvrages théoriques. Une bibliothèque constituée ainsi, progressivement, n'exige pas une importante mise de fonds, quelques dizaines de francs qu'on peut trouver par l'organisation d'une fête ou d'un bal ; nos lecteurs, communistes ou sympathisants, ne marchanderont pas cinq ou dix sous par ouvrage emprunté et nous aurons ainsi le fonds de roulement nécessaire.
Telle est la deuxième préoccupation dont notre plan d'éducation doit s'inspirer : donner à chaque communiste des livres et le temps de les lire.
Un réseau permanent d'écoles élémentaires
Les causeries mensuelles, la lecture des revues permettent aux membres du Parti d'approfondir les problèmes politiques d'actualité. Mais il est un minimum de connaissances de base absolument nécessaires à chaque communiste : lois essentielles de l'économie capitaliste et de l'économie socialiste ; principes fondamentaux de la politique et de l'organisation du Parti. L'école élémentaire se propose de donner à chacun ces connaissances indispensables.
« Créer un réseau permanent d'écoles élémentaires de base », telle était la directive du VII° congrès du Parti ; elle conserve toute son actualité.
Pour faciliter la réalisation de cette directive, la direction du Parti a édité, sous le titre : Que veulent les communistes ? , une brochure à bon marché contenant les schémas de quatre cours de base fondamentaux et les indications nécessaires pour l'organisation d'une école élémentaire.
Chacune de ces écoles peut s'étendre sur un mois ; à raison d'une séance par semaine. Dans chaque rayon, les écoles élémentaires doivent se succéder sans interruption de mois en mois, et grouper, à côté de tous les adhérents nouveaux, les camarades n'ayant jamais suivi d'école et ne possédant pas les connaissances de base enseignées à l'école.
Est-il impossible de trouver dans chaque rayon un ou plusieurs militants susceptibles de diriger une école élémentaire ? II suffit de choisir, parmi les militants les plus éduqués, ceux qui possèdent une bonne expérience pratique et quelques capacités d'organisation pour avoir un ou plusieurs professeurs.
Il conviendra de les décharger d'une partie de leurs tâches pour qu'ils puissent se consacrer sérieusement à leur nouveau travail. La direction régionale et les directions de rayon veilleront à l'organisation rationnelle des écoles élémentaires, au choix des élèves, en insistant sur la nécessité d'éduquer le maximum de femmes communistes et de former, en même temps que les membres du Parti, des militants pour la jeunesse communiste. Clôturer chaque école par une saine autocritique permettant d'enrichir notre expérience, suivre le travail des militants après leur passage à l'école, autant de problèmes qui se posent dans nos régions, pour l'élaboration de leur plan d'éducation.
Pour l'éducation des cadres
Les connaissances acquises dans l'école élémentaire, indispensables à chaque communiste, ne suffisent pas au militant qui a la responsabilité de diriger une importante cellule d'entreprise, une organisation de masse, ou qui appartient soit au comité de rayon, soit au comité régional.
Afin d'élever le niveau idéologique de cette catégorie de militants, la direction de chaque région a pour tâche d'organiser une école moyenne au centre de la région, puis dans les principaux rayons. La sélection pour une telle école des meilleurs éléments de nos cellules d'entreprise est à recommander.
Ici encore la direction du Parti tient à la disposition des régions dix schémas de cours destinés à faciliter le déroulement de ces écoles. Les cours peuvent être assurés par différents militants (par exemple le cours sur « le Parti du prolétariat » par le responsable du travail d'organisation), mais un membre de la direction devra assurer le contrôle politique du fonctionnement de l'école et la liaison entre les divers professeurs.
Les membres du Parti, dans la mesure où ils développeront leur éducation politique, seront amenés également à poser le problème des écoles dans les diverses organisations où ils militent (syndicats, comités de chômeurs, etc.).
Le plan d'éducation doit envisager plus particulièrement le développement de jeunes cadres destinés à remplacer au moment voulu tel ou tel militant susceptible de suivre avec succès une école supérieure du Parti.
Il convient de lutter contre la résistance à envoyer aux écoles supérieures les meilleurs éléments sous le prétexte qu'ils rendent des services dans la région, c'est précisément ces éléments qu'il faut éduquer, pousser en avant dans l'intérêt bien compris du Parti.
Pas de théoriciens détachés de la vie
L'écueil à éviter dans le développement de notre politique d'éducation ; c'est ce que nous pourrions appeler la déviation intellectuelle , consistant à épater les camarades par les connaissances acquises, à se transformer en théoriciens bavards et pédants planant au-dessus des masses.
L'éducation ainsi comprise, nous enseigne Staline, « perd sa raison d'être »; la théorie n'est une force que dans la mesure où elle éclaire, où elle oriente le travail pratique.
C'est pourquoi il importe de lier nos écoles avec la vie ; dans la plus large mesure possible, les schémas de cours, les questions de contrôle doivent être nourris, illustrés avec les événements du moment et les exemples locaux.
En outre, une partie des séances doit être consacrée au travail pratique ; la meilleure forme nous paraît être le parrainage d'une entreprise du rayon par l'école ; enquête des élèves auprès des ouvriers, confection d'un journal d'entreprise, organisation pratique d'une assemblée de sympathisants, élaboration collective de la causerie à faire, tels sont les travaux pratiques que peut réaliser l'école, non pas pour une entreprise imaginaire, mais concrètement, dans la vie.
Nous éviterons ainsi la rupture entre la théorie et la pratique. Tels sont les objectifs que doit se poser chaque région en mettant sur pied son plan d'éducation dans la période présente. Bien entendu, il ne suffit pas d'avoir un bon plan, mais de le réaliser. La vérification des décisions s'impose ici plus que dans tout autre domaine, en raison de la sous-estimation générale du travail d'éducation. Il est indispensable de désigner à tous les échelons, un responsable de ce travail.
Se proclamer léninistes ne suffit pas, ce qu'il faut c'est mettre en pratique les directives de Lénine, en particulier celle qu'il donna sous la forme suivante au Ivè Congrès de l'Internationale communiste :
« Ce qui importe le plus dans la période qui vient c'est l'étude. Nous (les Russes) étudions dans l'acception générale du terme. Eux (les communistes des pays capitalistes) doivent étudier spécialement pour posséder la structure, l'organisation, la méthode et le contenu du travail révolutionnaire. Lorsqu'il en sera ainsi, les perspectives de la révolution mondiale, j'en suis persuadé, seront non seulement bonnes, mais excellentes. »