17 juin 1936

Un exemple de création de cadres - Pierre Donnier (juin 1936)

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Pierre Donnier, juin 1936

Question -

Il paraît que la région normande vient de faire une expérience intéressante pour le Parti. Toi qui en reviens, voudrais-tu nous dire quelle était la situation là-bas au point de vue de nos directions et de nos cadres ?

Réponse -

La première chose que je dois te dire c'est que ce n'était guère brillant : comme direction pour les trois départements : Orne, Calvados et Manche, il existait en tout et pour tout un bureau régional de 6 membres. Il n'y avait pas un seul rayon, ce qui voulait dire que le bureau régional dirigeait directement ses cellules à plus de 100 kilomètres à la ronde. Tu t'imagines les difficultés.

Q. -

Oui, mais cette direction était peut-être forte par ses capacités politiques et d'organisation, par sa liaison avec les ouvriers de la région ?

R. -

Elle était surtout forte de son dévouement au Parti, et de sa bonne volonté. A part deux d'entre eux, aucun n'avait seulement dirigé une cellule.

Deux ou trois avaient déjà une petite éducation politique et l'un d'entre eux une grande expérience du mouvement ouvrier puisqu'il venait du mouvement d'avant-guerre. Un seul parlait en public et pouvait faire du travail de masse.

Le travail étant faible, la liaison avec la masse des ouvriers était insuffisante. Néanmoins, les camarades avaient fait des efforts à l'occasion du tour de France et de la campagne électorale cantonale. J'ajoute qu'aucun d'entre eux n'a suivi d'école du Parti et que tous par conséquent n'ont que les connaissances qu'ils ont pu acquérir au travers de leurs lectures. Un d'entre eux était membre du B.R quelques semaines après son entrée au Parti.

Q. -

Alors, comment avez-vous fait ? Quelle méthode avez-vous employée ? Une école régionale ? Des écoles de rayon ?

R. -

C'est par là qu'on avait l'intention de commencer. Mais on s'est vite rendu compte que ce n'était pas la tâche la plus urgente dans la situation où on se trouvait.

1.

Il n'y avait pas encore dans le Parti l'entrain, la vie politique qui pousse les camarades à vouloir étudier, à vouloir connaître ;

2.

L'organisation d'écoles régionales ou de rayon nécessite une préparation minutieuse et assez longue. Nous n'avions ni les camarades pour s'en occuper, ni le temps, car il fallait aller vite ;

3.

De pareilles écoles coûtent forcément et la caisse de la région ne pouvait se permettre un effort comme celui qui aurait été nécessaire ;

4.

A l'époque les forces organisées du Parti dans la région étaient si limitées que nous aurions eu d'immenses difficultés à trouver en assez grand nombre les éléments nécessaires pour faire une école de cadres. Or, sans élèves, on ne fait pas d'école.

Les seules écoles qui se révélaient donc possibles étaient les écoles élémentaires de quatre cours, à faire par localités. Mais ce n'était pas l'instructeur qui pouvait les assurer car il aurait passé beaucoup de temps pour un résultat forcément limité.

Il fallut donc s'orienter dans un autre sens, rechercher une autre base de départ.

Dans le travail de masse

Un plan de travail fut établi par le Bureau régional avec comme but le recrutement du Parti, et comme moyen un travail d'agitation où nous jetterions toutes nos forces.

Ce travail, qui, au début était assez général, fut orienté vers des objectifs plus précis et un contenu revendicatif plus concret. Le résultat fut la création de 20 cellules nouvelles du Parti dans la région. Naturellement, il fallut sortir des cadres, trouver des secrétaires, des trésoriers.

Dans les anciennes cellules le travail à exécuter poussa à rechercher un élargissement des responsabilités et de nouveaux camarades pour les prendre.

Or, au fur et à mesure qu'on avançait, le travail de masse révélait aux membres du Parti et à la direction ceux qui étaient les meilleurs, les plus dévoués au Parti, ceux qui savaient organiser le travail, ceux qui comprenaient bien la politique du Parti, ceux qui étaient liés aux ouvriers et aux paysans, qui étaient capables de leur parler. Ce furent ceux-là, ceux qui avaient travaillé et bien travaillé qui furent portés aux postes de direction de cellules, en même temps qu'apparaissaient ceux qui, dirigeant bien leur cellule ou une organisation de masse, étaient susceptibles d'assurer une direction de rayon ou régionale.

Nous avons donc sorti nos cadres des régions normandes dans le travail de masse et le développement de l'organisation du Parti en prenant ceux que leurs camarades reconnaissaient comme les meilleurs, en vérifiant le résultat de leur travail et leur capacité de se lier aux masses.

Cela a donc été une formation essentiellement pratique. On s'efforçait d'obtenir une discussion politique, mais sur des problèmes concrets ou des propositions précises, de façon à ce qu'il sorte toujours une décision de la discussion.

Enfin personnellement, je m'efforçais chaque fois que cela était possible de discuter avec le secrétaire de la cellule ou le rapporteur pour le B.R. [bureau régional] afin de préparer son ordre du jour ou son petit rapport.

Je l'orientais mais en le laissant travailler de plus en plus tout seul, et en n'intervenant que lorsque je voyais qu'il « calait » devant une difficulté, et s'il commettait une erreur, je montrais ce qu'il avait fait de bien, afin de l'encourager et lui expliquais son erreur. Cette méthode a donné de bons résultats, puisque ceux qui ont pu la mettre en application, surtout membres du BAR., ont pu au bout de 4 ou 5 discussions de ce genre être capables de préparer un ordre du jour et un petit schéma de rapport ou d'intervention ; 4 ou 5 d'entre eux, sans faire de grands discours ont déjà pris la parole en public, et il y a une bonne quinzaine de camarades qui pourront intervenir.

Q. -

Quelle est donc en gros maintenant la situation là-bas au point de vue direction ?

R. -

Nous avons trois régions, car on a opéré la décentralisation et par conséquent trois comités régionaux, au lieu du bureau régional suffisant à tout, dont je te parlais tout à l'heure.

Ces comités régionaux groupent 33 camarades. Deux d'entre eux, les plus forts ont un bureau respectivement de 6 et 5 membres et l'autre un secrétariat de 3 membres.

Il y a de plus, actuellement en cadres pour le Calvados, assez de camarades qui, dans ces quatre mois, ont fait leurs preuves, pour pouvoir créer deux rayons, avec une bonne direction, ainsi d'ailleurs que dans l'Orne, pour Flers, Condé et La Ferté. Et dans nos cellules l'activité déployée fait surgir des nouvelles forces.

Si hardiment on utilise nos bons dirigeants de cellules aux directions de rayons qu'on va certainement créer, si on prend les forces qui se révèlent pour leur confier des responsabilités, et si on continue le travail de masse et le renforcement organique de notre Parti, nos régions normandes non seulement auront des cadres, qui leur sont indispensables, mais elles pourront encore fournir de bons militants, tant ouvriers que paysans, à notre Parti, à la classe ouvrière. Notre travail a pourtant eu une faiblesse, le travail d'éducation. Nous aurions dû faire plus.

Bibliothèques de cellules

Q. -

I Il n'y a donc rien eu de fait pour la formation théorique de ces camarades et du restant du Parti, pour l'élévation du niveau idéologique ?

R. -

Si, certes, d'abord on s'est attaché à ce que chaque cellule possède sa bibliothèque et actuellement il y a au moins 10 cellules qui en ont une et un certain nombre d'autres qui devaient les commander incessamment.

Il serait d'ailleurs bon, à mon avis, que le C.D.L.P., lorsque les camarades ne font pas un choix, tout en y mettant un certain nombre de brochures d'agitation, laisse à la base de ces bibliothèques un ensemble assez consistant d'oeuvres de Marx, Engels, Lénine et Staline.

Puis on a diffusé pour plus de 400 francs de brochures en quatre mois dans notre région.

Enfin et c'est une des choses les plus importantes, on s'est efforcé de faire organiser l'éducation par nos cellules sur la base de «  Que veulent les communistes ? » avec des écoles élémentaires que font les camarades les plus capables dans chacune d'elles. Actuellement 25 de ces brochures ont été placées et les cours organisés dans 7 ou 8 cellules.

Naturellement, tout cela est insuffisant, et il faut faire beaucoup plus. Il faut arriver à ce que chaque cellule ait sa bibliothèque, à ce que dans chaque cellule ou parallèlement à chaque cellule fonctionne une école ou un cercle d'études marxistes, il faut entraîner tous nos membres du Parti à lire, à étudier, au moins l'Humanité , et quelques heures par semaine les Cahiers du bolchévisme ou des ouvrages théoriques à leur portée, il faudrait et cela est presque décisif organi ser une école régionale pour la région du Calvados, à laquelle on pourrait d'ailleurs s'efforcer de faire participer les meilleurs cama rades des autres régions.

Les grandes questions: