1er Mai 1937 - Gaston Monmousseau (mai 1937)
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Gaston Monmousseau, mai 1937
Voilà un an, au 1er Mai 1936, nous nous trouvions en pleine poussée des forces populaires, entre les deux tours de scrutin, quelques jours avant la proclamation de la victoire électorale qui allait donner 72 élus communistes au Parlement et permettre par l'autorité et le rayonnement de notre Parti d'entreprendre sans délai la réalisation du programme du Front populaire.
Voilà un an, l'unité syndicale était certes réalisée, mais le mouvement syndical se trouvait encore dans sa période de regroupement ; les effectifs, déjà en pleine croissance, n'atteignaient guère plus de un million de membres.
Mais le résultat des élections législatives, le renversement de la majorité Laval furent tels que sans attendre la constitution du nouveau ministère, les masses se mirent en mouvement et, en rangs compacts, engagèrent la lutte pour la révision des salaires et pour les conventions collectives.
Le 12 juin, le nouveau gouvernement s'installait et il s'installait dans une ambiance générale telle que la réaction elle-même se trouvait désemparée et devait céder du terrain.
Chacun se souvient, mais il n'est pas mauvais de le rappeler, des grandioses mouvements de juin qui, prenant naissance fin mai sous la forme de la grève sur place, s'étendirent à toutes les industries et à toutes les régions.
Prudemment, la grande bourgeoisie baissait la voix ; elle faisait même son mea culpa sous l'emprise de la peur, en avouant qu'elle avait vraiment trop abusé de sa force à l'égard de la classe ouvrière alors qu'elle était au pouvoir, qu'on avait été trop loin clans la réduction des salaires, qu'on avait piétiné les sentiments de justice et le droit syndical au cours des années écoulées.
Certains patrons, invités à faire appel à la force publique pour l'évacuation de leurs entreprises, dédaignaient cette provocation en disant que ma foi les travailleurs se conduisaient très sagement à l'intérieur des usines, respectant l'outillage et même lui apportant tous leurs soins.
Comme nous étions loin des anathèmes, des appels à l'emploi de la force, des calomnies à l'égard du mouvement syndical et de ses militants, que nous avions connus précédemment et que nous recommençons à entendre depuis quelque temps.
En l'espace de quelques heures, des conventions collectives furent élaborées et signées par les organisations patronales et syndicales ; en moins d'une soirée, la puissante Confédération de la Production Française engageait sa signature dans le bureau de la présidence du Conseil à côté de celle de la Confédération Générale du Travail. La classe ouvrière française, soutenue par toutes les forces du Front populaire, réalisait plus en quelques heures qu'au cours de toute l'histoire de la IIIè République.
Le salaire se trouvait garanti, les syndicats officiellement reconnus, les libertés syndicales affranchies des lourdes restrictions que jusque- là les oligarchies leur imposaient.
Finie la douloureuse et révoltante époque où le salarié, créateur des richesses nationales, devait cacher son Humanité aux yeux du patron et de ses agents, où il devait la lire en cachette !
Finie cette époque humiliante où le salarié devait cacher avec soin ses liaisons syndicales et politiques pour pouvoir trouver du travail et conserver sa place à l'étau, à la forge, au train, au comptoir de magasin, au bureau, au chantier, au métier à tisser, etc. Le joug du patronat avait été plus lourd encore, puisqu'en de nombreux cas il fallait faire acte d'adhésion aux Croix-de-Feu pour demeurer à son poste.
Dès l'avènement du Front populaire, les travailleurs ont senti la force immense qui s'était dégagée de la consultation électorale ; ils ont senti qu'une nouvelle période de la lutte des classes venait de s'ouvrir devant eux ; ils se sont senti des hommes nouveaux. Incontestablement, le 1er Mai 1936 a ouvert en France la voie à un renversement de l'ancien rapport des forces entre la classe ouvrière et le grand capital ; il est à l'origine des conquêtes réelles réalisées par la classe ouvrière contre les oligarchies. Il restera une date ineffaçable dans notre histoire.
Nous voici au 1er mai 1937, avec une année entière d'expérience du Front populaire derrière nous ; avec une C.G.T. Forte de près de cinq millions de membres, qui au cours de ces douze mois ont acquis une conscience de classe dont nous pouvons mesurer la portée par le fait que, contrairement aux espoirs du grand capital, les effectifs syndicaux, loin de regresser, se consolident et se renforcent.
L'autre fait non moins important réside dans la croissance du communiste, dont les effectifs atteignent aujourd'hui 311.000 membres. Enfin, le courant d'unité politique s'amplifie dans les masses, qui comprennent à merveille que cette unité orientée contre le grand capitalisme constitue une garantie essentielle pour le renforcement du Front populaire et du mouvement syndical en face des attaques de la réaction.
Nous n' approuvons pas ceux-là qui, affectant de croire que le vote des lois sociales termine et garantit à lui seul l'oeuvre du Front populaire, proposent de souffler et de profiter de la « pause » pour édifier un programme nouveau.
Le programme du Front populaire, tel qu'il fut rédigé et présenté à la ratification des masses, ne permet pas une telle interprétation qui est contraire au fait social, à l'existence des oligarchies, à leurs offensives directes et indirectes contre les réalisations obtenues et celles qui ne sont pas encore acquises dans la réalité et qui intéressent des couches sociales extrêmement importantes. D'où vient, en effet, qu'à peine un an après la signature des conventions collectives du travail, les syndicats portent à leur ordre du jour le réajustement des salaires, et que déjà des réajustement s'opèrent sous la pression des masses et parfois même par la grève ? En réalité, le grand capital, un moment désemparé par l'impétuosité du mouvement ouvrier – en mai et juin derniers – s'est ressaisi. Patiemment, souterrainement, il s'est attaché à préparer le terrain pour sa contre-offensive pour reprendre peu à peu les positions perdues.
C'est un fait que la hausse des prix affecte gravement l'ensemble de la population laborieuse en même temps qu'elle procure aux spéculateurs et gros industriels de nouveaux bénéfices. Les masse paysannes ont certes bénéficié de l'Office du blé, mais les produits industriels dont ils sont acheteurs pour satisfaire aux besoins de leurs exploitations, et les denrées de première nécessité dont ils ont besoin pour vivre, ont considérablement augmenté, et les charges qui pèsent sur la petite et moyenne culture sont demeurées les mêmes.
Les petits artisans et commerçants ne sont pas satisfaits. Sans doute, le nombre des faillites a diminué, les affaires vont mieux ; mais ils doivent vendre au prix imposé par les fabricants et les grossistes ; leurs bénéfices n'ont pas augmenté et leurs charges n'ont pas été notablement allégées.
L'idée transmise par les fomenteurs de vie chère, que le Front populaire a uniquement profité à la classe ouvrière, que les classes moyennes n'ont rien à attendre de lui, trouve dans la réalité économique un terrain favorable.
Ce n'est évidemment qu'une calomnie.
Dans l'ordre économique les difficultés dont souffrent les classes moyennes ont eu leur cause essentielle dans la diminution du pouvoir d'achat de larges masses ouvrières ; c'est la politique du grand capitalisme, de ses gouvernements Pierre Laval et Doumergue, qui est à l'origine de ces difficultés ;
c'est eux qui, en frappant les salaires ouvriers, ont tari les revenus du petit commerce et de la masse des paysans, sans oublier la concurrence sans merci que les grands propriétaires fonciers, les grandes exploitations industrielles, les grands magasins et magasins à succursales multiples mènent contre les petits exploitants. Il était clair que le Front populaire, appuyé par les masses, devait prendre dès le début le contre-pied de la politique lavalienne, et pour ouvrir une nouvelle voie à la reprise des affaires relever le pouvoir d'achat des masses, lutter contre le chômage, garantir la paysannerie contre les spéculateurs.
Les inquiétudes, et parfois un certain mécontentement qui règnent chez les classes moyennes, ont comme cause principale, non pas les lois sociales votées depuis un an, mais le fait que la réaction a su, au moins partiellement, freiner l'oeuvre en cours, jeter des obstacles sur la route du Front populaire en limitant de façon notable les réalisations destinées à favoriser les classes moyennes. La responsabilité première fondamentale de cet état de choses incombe aux oligarchies et non au Front populaire, mais il faut bien convenir que le gouvernement du Front populaire a été porté au pouvoir pour se dresser contre les prétentions réactionnaires des oligarchies et pour passer outre.
Or, s'il était absolument juste de commencer l'oeuvre économique du Front populaire en restaurant le pouvoir d'achat des grandes masses salariées, il était nécessaire de prendre simultanément toutes mesures utiles afin de maintenir une marge favorable au pouvoir d'achat de ces masses, par rapport au coût de la vie, et de limiter la marge des profits du grand capital. Ainsi le jeu des lois sociales aurait eu un plein effet sur le cours de la vie économique.
Les conséquences budgétaires de l'application des premières lois sociales étaient prévues quand le programme du Front populaire fut élaboré, et aussi leur correction, puisque la réforme fiscale s'y trouve mentionnée.
En réalisant celle-ci, sans se laisser intimider par les criailleries réactionnaires, les charges qui grèvent les classes moyennes se trouvaient réduites, le Front populaire se renforçait et se préparait de nouvelles et solides positions pour continuer son oeuvre. Cela, le Parti communiste n'a cessé de le préconiser ; on pouvait et on devait le faire et, parce qu'on ne l'a pas voulu, la réaction, voyant le chemin libre, a provoqué la hausse des prix ; ce faisant, elle a menacé le pouvoir d'achat des salariés et jeté lé trouble au sein des classes moyennes, accusant le Front populaire de ses propres crimes. Répondant à des observations de même nature que celles-ci, des militants socialistes, chargés de responsabilités gouvernementales, ont argué, à maintes reprises, que le gouvernement n'était pas désigné pour réaliser le Programme socialiste.
Mais, précisément, il s'agit du programme du Rassemblement populaire, d'un programme qui reprend les idées essentielles du vieux programme radical-socialiste.
Nous, communistes, qui n'oublions nullement notre programme, ne demandant présentement rien qui ne puisse se réaliser dans le cadre du régime actuel, nous l'avons répété cent fois.
La lutte contre la spéculation, la réforme fiscale, les mesures à prendre contre la hausse exagérée et anormale des prix constituent des mesures fort modestes par rapport à ce que nous voudrions, nous, communistes ; elles ont été acceptées par tous, la majorité du pays y a souscrit et, parmi ceux qui ont voté contre le Front populaire, des centaines de milliers de personnes eussent applaudi à leur application, car elles répondent à leurs désirs.
Les mouvements de juin 1936 étaient soutenus par la majorité de la nation, parce que leurs objectifs étaient reconnus légitimes ; parce que les classes moyennes voyaient dans les lois sociales les premières fondations de l'oeuvre commune d'une politique de justice sociale.
Le Front populaire est bien une formation nouvelle dont le destin est loin de consister à revenir, après une période d'expériences heureuses, dans les vieux chemins de la politique traditionnelle des anciens cartels.
Une telle conception du Front populaire correspondrait, non pas à la réalité, non pas au désir des masses, mais elle irait au devant de la pensée secrète du grand capitalisme qui, dans le passé, sut utiliser avec brio les partis de gauche pour apaiser, durant un moment, les mécontentements populaires, tout en tenant le gouvernement en laisse dans la ligne générale de la défense de ses intérêts. Reprendre le programme du Parti radical socialiste n'a jamais voulu dire qu'il s'agissait de reprendre la politique des vieux partis de gauche ou des cartels, mais de l'appliquer grâce au concours de toutes les forces populaires et au seul profit de la majorité du pays. Ces jours-ci, des grèves ont eu lieu et ont abouti à un réajustement des salaires d'une moyenne de 12 %, alors que les travailleurs la voulaient de 15.
On ne saurait trouver exagéré ce dernier chiffre, étant donné le coefficient du coût de la vie par rapport à celui de juin dernier. Une réunion monstre des vieux travailleurs, convoquée par notre Parti, au Vélodrome d'Hiver, avait réuni 25.000 de ces derniers : il s'agissait de faire aboutir leur retraite.
Une grande démonstration fut organisée le 24 avril, à Vincennes, par l'Union des Syndicats de la région parisienne, contre la vie chère, pour la mise en application des grands travaux, la retraite aux vieux travailleurs, l'échelle mobile des salaires, etc. Léon Jouhaux y représentait la C.G.T.
Voilà qui donne au 1er Mai 1937 sa physionomie.
Si, placé en face de mouvements grévistes, le patronat doit accorder des augmentations de salaires, on ne saurait insinuer sans être de mauvaise foi que les travailleurs abusent de leurs forces pour tirer à eux la couverture.
Et si comme c'est le cas cité plus haut, la majorité des travailleurs acceptent un compromis portant à 12 % au lieu de 15 leur augmentation de salaire, on ne saurait mettre en doute leur pondération et leur esprit de discipline. Nous ne pouvons, quant à nous, que les approuver et pour leur fermeté, et pour leur pondération et pour leur discipline.
Certains d'entre eux expriment leur mécontentement à l'égard d'un tel compromis ; il n'est pas question, en la circonstance présente, de considérer comme contraire à la justice la prétention des travailleurs ; loin de là.
Mais nous devons considérer les changements qui depuis juin se sont produits dans l'esprit de toutes les couches sociales composant le Front populaire et dans les positions occupées par le grand capitalisme.
Nous devons surtout ne pas laisser jeter l'oubli sur la situation économique et politique de la classe ouvrière avant l'avènement du Front populaire, avant que ne soit réalisée l'unité syndicale. Nous devons rappeler avec force et sans nous lasser qu'avant l'époque de l'unité syndicale et du Front populaire, il ne s'agissait pas de compromis pour la classe ouvrière, mais d'un asservissement aux volontés des oligarchies, mais de grèves brisées, mais de lock-out victorieux, mais de salaires diminués.
La force arrogante des oligarchies venait de ce qu'elles possédaient le pouvoir, de ce que les classes moyennes, séparées du prolétariat, offraient des avantages essentiels à l'agression réactionnaire. Et toutes les tentatives actuelles de la réaction sont orientées vers le retour à une telle situation, vers la rupture du Front populaire, vers une rupture entre la classe ouvrière et les classes moyennes et, disons-le, vers la liquidation de l'unité syndicale.
Nous devons rappeler avec fierté qu'en juin 1937, alors que s'affirmait avec une telle puissance la volonté de lutte du prolétariat, alors que certains hommes en proie à une griserie plus ou moins suspecte tendaient à pousser les travailleurs hors des limites de la victoire par leurs exagérations gauchistes, nous devons rappeler les sages et décisifs appels de Maurice Thorez et de Benoît Frachon a plus de modération : Non, tout n'est pas possible ; il faut savoir terminer une grève.
S'agissait-il de tracer, une fois pour toutes, les limites de l'action revendicative de la classe ouvrière ? Évidemment non ! Il s'agissait de tracer dans un moment donné des limites dictées par l'intérêt du Front populaire, par la nécessité de lier des revendications des classes moyennes et du prolétariat, par la nécessité de conserver un contact précieux entre la classe ouvrière et le classes moyennes. Le problème, aujourd'hui, demeure entier ; au 1er mai 1937, il se trouve posé d'une manière plus aiguë qu'il ne l'était voilà un an, en raison de certaines faiblesses dont on a fait preuve pour lutter contre les oligarchies, pour poursuivre la réalisation du programme commun en faveur de couches importantes de la population. En 1937 comme en 1936 le problème continue de se poser ainsi : grand capitalisme + classes moyenne = fascisme ; classe ouvrière + classes moyennes = front populaire.