2 nov 2014

Trotskysmes et néo-socialismes français – 16e partie : naissance du quotidien Le Monde

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L'existence même du journal Le Monde et de son idéologie catholique de gauche tient à l'école d'Uriage. Le directeur du Monde, fondé à la fin 1944, est ainsi Hubert Beuve-Méry, un des principaux acteurs de l'école d'Uriage.

Hubert Beuve-Méry est issu du journal Le Temps, fondé en 1862 et qui dans les années suivant la première guerre mondiale, était porté par une union des organisations patronales (Comité des forges, Comité des Houillères, Union des industries métallurgiques et minières, Confédération générale du patronat français), devenant pas moins que l'expression officieuse du ministère des affaires étrangères.

Par conséquent, Hubert Beuve-Méry est quelqu'un relevant de l'appareil d'État, de la réaction la plus franche. Dans la revue Esprit, dans un article « Révolutions nationales, révolution humaine », en 1941, il exprime son point de vue de la manière suivante, dans la logique de l'école d'Uriage :

« Il faut à la révolution un chef, des cadres, des troupes, une foi, ou un mythe. La Révolution nationale a son chef et, grâce à lui, les grandes lignes de sa doctrine. Mais elle cherche ses cadres. »

Cela n'empêchera pas Le Monde, donc Hubert Beuve-Méry qui en est le responsable, d'expliquer à son apparition, le 19 décembre 1944 :

« À nos lecteurs.

Un nouveau journal paraît : Le Monde. Sa première ambition est d’assurer au lecteur des informations claires, vraies et dans toute la mesure du possible, rapides, complètes.

Mais notre époque n’est pas de celles où l’on puisse se contenter d’observer et de décrire. Les peuples sont entraînés dans un flot d’événements tumultueux et tragiques dont tout homme, qu’il le veuille ou non, est l’auteur autant que le spectateur, le bénéficiaire ou la victime.

En acceptant passivement sa défaite, la France eût consommé sa propre perte. Au contraire, l’appel à la résistance lancé par le général de Gaulle au lendemain de la capitulation, et qui eut un si large écho dans le cœur des Français, a rendu au pays toutes les chances qu’il semblait avoir perdues.  »

C'est un retournement apparent à 180°. Mais en réalité, on a ici précisément la ligne de l'école d'Uriage, qui a été récupérée par le nouvel État français.

Ce qui compte, c'est la formation d'un appareil idéologique dans l'esprit de la troisième voie : ni alignement sur les États-Unis ni communisme, ni libéralisme outrancier ni communisme, dans un esprit d'unité nationale la plus large, social mais respectueux du traditionalisme.

La suite de ce qu'explique Le Monde est on ne peut plus clair dans l'esprit d'union nationale au-delà des classes, de réconciliation, de restructuration sous la supervision d'une sorte de technocratie qui doit naître :

« Pour que ces possibilités, magnifiquement développées depuis quatre mois, soient demain une incontestable réalité, il faut d’abord vaincre. La bataille de France, perdue en 1940, ne peut être compensée que par le succès total de la bataille d’Allemagne qui vient de s’ouvrir.

Mais cette victoire, condition de tout, ne suffirait à rien. Á quoi bon être victorieux si la santé publique et le peuplement français restaient définitivement compromis ; si les jeunes,

quelle que soit leur origine, ne recevaient pas l’éducation nécessaire à leur plein épanouissement individuel et social, si l’industrie française cessait d’être productrice et la terre d’être

féconde ; si le chef d’entreprise et l’ouvrier ne se sentaient enfin réconciliés dans leur commun labeur, le juste partage des responsabilités communes et du commun profit ?

Si usé que soit le mot, c’est bien une révolution — une révolution par la loi — qu’il s’agit de faire triompher ; celle qui restaurera, par l’union et l’effort créateur de tous les Français dignes de ce nom, la grandeur et la liberté françaises. »

Le Monde est né directement comme ayant une grande responsabilité idéologique dans la structuration tant de l'État que de la société française après 1945.