29 oct 2014

Trotskysmes et néo-socialismes français – 14e partie : Uriage comme modèle catholique et chevaleresque

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Le problème théorique des intellectuels bourgeois concernant l'école d'Uriage est qu'ils ont cherché une extrême-droite déjà synthétisée, comme le fascisme italien ou le national-socialisme allemand. Or, l'école d'Uriage se situe idéologiquement au début de la synthétisation, et qui plus est son point de vue est celui de la « révolution conservatrice ».

Les membres de l'école d'Uriage, en grande majorité des jeunes de moins de 30 ans, sont des traditionalistes. Ils viennent de milieux liés à l'aristocratie, à l'armée, et surtout à l'Église catholique.

Hubert Beuve-Méry, qui après 1945 sera le fondateur des journaux Le Monde et Le Monde diplomatique, raconte ainsi au sujet de l'école d'Uriage :

« Vue de loin, l’entreprise paraissait sympathique mais anachronique et promise à tous les déboires, toutes les compromissions que Vichy ne manquerait pas d’imposer.

Ces cavaliers qui, dans leurs chars d’assaut, s’étaient battus à la limite des forces humaines étaient des hobereaux, catholiques, monarchistes, traditionalistes, vouant une piété filiale au maréchal de France qui n’avait pas fléchi à Verdun. Comment de ce côté espérer le salut ? »

Les gens de l'école d'Uriage sont des gens « bien comme il faut », liés à la bourgeoisie traditionnelle, fondamentalement respectueux du catholicisme et de l'Église. Leurs horizons politiques sont divers, mais dans tous les cas ils rejettent catégoriquement le communisme ; et ils ne viennent pas de l'extrême-droite qui elle soutient le régime de Vichy en tant que tel.

Ce qui intéresse l'école d'Uriage, c'est l'après-Vichy, dont le régime est considéré comme temporaire, la « révolution nationale » étant une inspiration surtout. L'objectif est le départ des armées nazies et l'instauration d'un régime opposé au capitalisme et au communisme, dans un rejet spiritualiste du matérialisme.

Voilà pourquoi à la fin 1942, lorsque la zone occupée passe sous contrôle direct de l'Allemagne, l'école d'Uriage est fermée par l'administration collaborant avec les nazis, ses membres passant alors ouvertement dans la Résistance.

Tout était prêt avec l'école d'Uriage qui avait un pied dedans et un pied dehors, son identité étant celle de la bourgeoisie française conservatrice voulant une France pacifiée et décentralisée. Idéologiquement, on est dans la tradition nationaliste catholique corporatiste telle qu'elle a existé avec l'austro-fascisme et la « révolution conservatrice » allemande. Les gens de l'école d'Uriage n'ont toutefois aucune connaissance de cet univers idéologique.

L'intérêt énorme de l'école d'Uriage est que donc elle va recréer cette dimension idéologique, en profitant notamment du « personnalisme » d'Emmanuel Mounier, qui soutient le projet de l'école.

Emmanuel Mounier est un intellectuel catholique, parmi de très autres nombreux conférenciers du même type, comme :

- Louis Salleron, éminente figure du catholicisme traditionaliste, auteur en 1937 d'un ouvrage intitulé Un régime corporatiste pour l'agriculture, membre du Conseil National du régime de Vichy et également délégué général à la Commission d'organisation corporative paysanne ;

- le théologien dominicain Marie-Dominique Chenu, grande figure théorique de l'Église catholique, proche des « prêtres ouvriers » et de la « théologie de la libération » ;

- le prêtre dominicain Ambroise-Marie Carré, un important prédicateur et intellectuel de l'Église, qui participera à la Résistance ;

- le théologien jésuite Henri de Lubac, lançant notamment en 1942 la collection « Sources chrétiennes » et devenant par la suite cardinal ;

- Gabriel Marcel, le principal représentant de l'existentialisme chrétien ;

- Edmond Michelet, activiste catholique royaliste, résistant puis membre de la fraction la plus dure du régime gaulliste, notamment comme ministre de la justice ;

- le poète catholique ultra-conservateur Paul Claudel ;

- l'écrivain et historien catholique « Daniel-Rops ».

Cette démarche « spirituelle » se reflète particulièrement dans les « 18 commandements de l'Ordre » qui est censé exister clandestinement au bout de quelques années à Uriage, sur le mode de la chevalerie. Les voici :

« 1. Se plaçant dans l’évolution du monde vers des formes de vie collective, prendre pour but la libération de l’homme sur les plans économique, social, spirituel.

2. Prendre pour principe : « La fin ne justifie pas tous les moyens. » Chacun pourra et devra déterminer les applications de ce principe suivant les exigences de sa conscience.

3. Mener une action éducative dans le milieu dans lequel on se trouve. Dans la perspective d’une transformation des institutions, s’attacher principalement à la transformation de l’homme.

4. Développer au maximum ses possibilités physiques et assurer son équilibre, par exemple par la pratique du décrassage quotidien et la participation à une séance de sport hebdomadaire (en commun).

5. Développer ses qualités intellectuelles par l’acquisition d’une méthode de pensée et d’éléments de culture.

6. Savoir utiliser et dominer, dans sa vie quotidienne, les moyens mis à notre disposition par la science et la technique modernes : motorisation, habitat, etc. Garder avec la nature les contacts indispensables à une vie équilibrée. Rechercher la maîtrise de la technique professionnelle que l’on exerce.

7. Faire dans sa vie une large place au désintéressement, voire au détachement, ce qui exclut la recherche pour eux-mêmes des honneurs et de la fortune.

8. Accepter pleinement les risques qu’implique le témoignage de ses idées et de ses convictions.

9. Dans sa ligne spirituelle propre, faire de sa vie intérieure un engagement et une recherche toujours approfondie.

10. Avoir le souci constant d’entrer en contact avec des éléments représentant des milieux différents du sien. Poursuivre ces contacts dans un esprit d’humilité, de compréhension et de recherche en commun.

11. Chercher à développer les liens personnels et une amitié dans tous les milieux dont on fait partie.

12. S’insérer dans la communauté française, d’Europe, d’outre-mer, en approfondissant ses valeurs traditionnelles et la réalité vivante de son peuple.

13. Avoir le souci d’élargir ses perspectives, en se situant sur le plan international.

14. être envers tous les membres de l’équipe d’une complète loyauté. S’abstenir d’émettre des critiques graves sur les actes d’un camarade, sans le porter à sa connaissance.

15. Pratiquer entre tous les membres de l’équipe l’entraide la plus large, en particulier l’hospitalité.

16. Verser une cotisation proportionnelle à son salaire suivant un taux fixé par le groupe auquel on appartient.

17. Participer d’une façon habituelle à la vie du groupe le plus proche et mener, quelques jours par an, une vie communautaire complète dans toute la mesure du possible, à l’occasion de la réunion générale annuelle.

18. Pour les membres mariés, la présente règle devra être connue du conjoint et approuvée par lui, avant que l’engagement soit souscrit. Les membres déjà engagés et désireux de contracter mariage sont, de droit, s’ils le désirent, déliés de leur engagement.

Je m’engage sur mon honneur à conformer ma vie à la règle de l’Ordre et à me soumettre aux décisions du Conseil relatives à cette règle. Cet engagement est pris pour un an. Il est renouvelable à l’occasion de chaque réunion générale. Dans des cas exceptionnels, le Conseil peut en admettre la résiliation. »

On est ici dans une aventure chevaleresque, on est dans l'idéalisme typique du fascisme.