Trotskysmes et néo-socialismes français – 15e partie : Vers le style du XXe siècle
Submitted by Anonyme (non vérifié)En juin 1945 parut un ouvrage au titre étrange : Vers le style du XXe siècle. C'est en effet le manifeste de « l'équipe d'Uriage », supervisé par Gilbert Gadoffre.
Pour comprendre la nature de ce dernier, il suffit de mentionner que lorsqu'il participa à la bataille portée jusqu'en Allemagne avec les armées alliés, se permit même d'aller rendre visite au philosophe allemand ultra-réactionnaire Heidegger, à Fribourg, pour lui parler de sa pensée, de l'existentialisme, de Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty !
C'est lui qui a, avec Hubert Beuve-Méry, porté le projet final d'Uriage, son manifeste. L'ouvrage fut écrit alors que les cadres de l'école d'Uriage avaient quitté Uriage en tant quel, passé aux mains de la Milice, pour s'installer dans un autre château, appelée la « Thébaïde », tout en participant aux maquis de la Résistance, tout au long de l'année 1943.
Le paradoxe est qu'on comprend tout à fait pourquoi les gens d'Uriage étaient passés avec Charles De Gaulle alors qu'ils étaient avec le Maréchal Philippe Pétain avant la bataille Stalingrad.
Leur objectif est un fascisme français, d'esprit catholique social. L'occupation allemande pouvait permettre d'aller en ce sens, mais pouvait s'avérer un obstacle, et le fascisme français a ici louvoyé.
On ne peut qu'être frappé, en effet, de voir à quel point Vers le style du XXe siècle témoigne du fascisme. Et on ne peut que voir que la France d'après 1945 est profondément marquée, dans son organisation étatique, l'esprit des cadres de l'appareil d'État, par la mise en perspective faite dans Vers le style du XXe siècle.
Déjà, à la base, on trouve le corporatisme :
« Sur le plan social et économique, limiter la révolution nécessaire à la seule classe prolétarienne est une solution utopique dans un pays faiblement industrialisé comme la France, où les ouvriers d’usine ne représentent qu’une minorité exceptionnellement homogène au sein de la communauté nationale, car tous les travailleurs intellectuels, techniciens, commerçants ou manuels, sont intéressés et sont nécessaires aujourd’hui à la disparition d’un système qui les étouffe et les exploite au profit de quelques privilégiés. L’élargissement de la base révolutionnaire du marxisme s’impose : la coalition révolutionnaire doit remplacer la dictature du prolétariat. »
L'objectif de l'État doit être d'impulser ces corporatismes :
« L’habitude bien française de se laisser hypnotiser par l’antithèse individu-État nous a fait oublier de tenir compte d’un tiers aspect : celui des groupes sociaux qui forment la structure de la nation.
Cette structure interne, depuis longtemps effondrée, il s’agit de la reconstruire.
La revalorisation de l’homme se fera de pair avec un lent travail de réfection du tissu social, cellule par cellule. Tous les métiers et tous les étages sociaux disposent aujourd’hui d’un nombre de sujets d’élite infiniment plus grand qu’un regard superficiel sur la France ne le laisserait croire ; mais ils restent dispersés, sans idéal, et à peine conscients d’eux-mêmes.
Beaucoup n’attendent qu’un signal, des points de cristallisation, pour se remettre en branle et s’affirmer, pour se constituer en noyaux capables d’organiser autour d’eux des auréoles. »
L'État doit donc avoir une politique culturelle puissante comme levier :
« Les foyers culturels de l’ancienne France, monastères, cours, universités, salons, avaient été sécrétés spontanément par un organisme social plein de santé. Ils ont disparu avec lui, ce qui n’aurait pas été grave s’ils avaient été remplacés : mais la société d’avant-guerre manquait trop d’équilibre et de vigueur pour apporter une contribution à la vie culturelle.
Depuis plus d’un siècle, la vie des lettres et des arts dépend d’institutions à forme administrative, créations de l’État (universités, grandes écoles) et de l’argent (maisons d’édition, revues), mais qui n’étaient à aucun degré des milieux de vie, des foyers de rayonnement, ils manquaient de chair et de sang.
Le divorce entre les créateurs et le public est dû en grande partie à l’absence de foyers de culture imbriqués dans le corps social et capables d’assurer les liaisons, les embrayages nécessaires. »
Enfin, les institutions doivent combiner décentralisation – pouvoir local fort – et représentation nationale autoritaire. C'est ni plus ni moins que la question centrale posée par le régime de la « cinquième république ».
« Il est essentiel d’établir que la représentation des gouvernés doit se faire tout au long de l’échelle depuis la plus petite collectivité locale jusqu’auprès du pouvoir central.
Quant au mode selon lequel doit se faire cette représentation, c’est affaire d’une constitution ou tout au moins d’un programme politique. Il suffit de remarquer que l’élection est sans doute le meilleur moyen d’assurer cette représentation, mais que ce moyen n’est ni exclusif, ni doué d’une efficacité absolue.
Non seulement, en effet, le mandat impératif n’était pas reconnu dans le système ancien, mais la représentation même d’une communauté condamnée à l’opposition restait illusoire. Il semble donc plus sain de faire place à différents modes de représentation en faisant à l’élection une place de choix — un organisme hiérarchisé comme l’est un grand corps de l’État pourra ainsi être représenté par son chef, alors que les représentants d’une association professionnelle seront élus ou choisis par cooptation.
De même pourrait-on concevoir une chambre représentant les communautés et une autre, émanation directe de la nation par le suffrage universel. L’essentiel est que soit assuré le plus complet développement de ces deux composantes de l’État : la représentation des gouvernés et la puissance centralisatrice de l’État.
Développer l’une, c’est la dictature. Développer l’autre, c’est l’anarchie, alors que leur équilibre dans un système fédéraliste assure la forme d’État, semble-t-il, la plus harmonieuse. »
Vers le style du XXe siècle n'a pas eu d'impact historique, mais il reflète toute un élan planiste au sein de la technocratie, qui prend les commandes de l'État pour le moderniser massivement, permettant à la bourgeoisie française de se moderniser, de passer de l'Empire colonial et ses traditions militaro-conservatrices à l'État impérialiste gérant des semi-colonies et une société dans un esprit catholique-social.
Et cet élan, bien entendu, aura comme organe de presse le nouveau quotidien lancé après la défaite nazie : Le Monde.