Trotskysmes et néo-socialismes français - 18e partie : le programme trotskyste de « transition » néo-socialiste
Submitted by Anonyme (non vérifié)Si les planistes veulent « encadrer » l'économie de l'intérieur de l'État, les trotskystes quant à eux veulent la même chose, mais en puisant en-dehors de l'État. Tout le discours des trotskystes français tient à un seul raisonnement de fond : les capitalistes ne savent pas gérer correctement l'économie, il faut le « contrôle ouvrier ».
Il s'agit, derrière le discours en apparence révolutionnaire, d'un simple planisme, mais appuyé sur les syndicats, et cette conception a été théorisée par Trotsky lui-même, dans le document principal du trotskysme : Programme de transition ou l'agonie du capitalisme et les tâches de la IVe Internationale.
Ce « Programme de transition » a été rédigé en 1938 ; il représente l'apogée de Trotsky comme théoricien anticommuniste. Si les trotskystes étaient auparavant relativement des empiristes, ils ont désormais une stratégie très claire.
Le sous-titre est d'ailleurs très parlant : « La mobilisation des masses autour des revendications transitoires comme préparation à la prise du pouvoir ».
Le paragraphe la plus célèbre de cette œuvre est parlante également :
« Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir. Sans révolution socialiste, et cela dans la prochaine période historique, la civilisation humaine tout entière est menacée d'être emportée dans une catastrophe. Tout dépend du prolétariat, c'est-à-dire au premier chef de son avant-garde révolutionnaire. La crise historique de l'humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire. »
De manière anti-dialectique, Trotsky pense qu'il peut ne pas y avoir un saut qualitatif ; de manière anti-matérialiste, il nie l'importance de l'idéologie. Ce qu'il faut, selon lui, c'est une « direction ».
Ce ne sont plus les luttes de classe qui comptent, plus le Parti Communiste comme avant-garde, mais simplement la bataille pour la direction.
On est, comme chez les planistes, dans le problème de la gestion. Finie, l'idéologie : le trotskysme ne tente plus de combattre idéologiquement le « stalinisme » ; il ne fait désormais que le rejeter, en bloc.
Il n'y a ainsi aucune étude trotskyste concernant le matérialisme dialectique, le réalisme socialiste dans les arts et les lettres, la planète comme Biosphère, ou encore la conquête spatiale. Le trotskysme dénonce, et cela s'arrête là.
Le trotskysme n'est, en 1938, qu'un simple planisme existant en-dehors de l'État, un « néo-socialisme » de forme non pas réformiste (ou droitière), mais d'ultra-gauche.
Trotsky, dans le Programme de transition, l'admet pratiquement lui-même : il est pour un « planisme » démocratique. Il dit ainsi que le « contrôle ouvrier » est... le premier pas nécessaire pour le socialisme.
Le prolétariat doit exercer une « pression »... et les éléments clefs sont... les « comptables, statisticiens, ingénieurs, savants ».
Voici ce qui est expliqué dans le Programme de transition :
« La nécessité d'un "contrôle" sur l'économie, d'une "direction" étatique, d'une "planification" est maintenant reconnue - au moins en paroles - par presque tous les courants de la pensée bourgeoise et petite-bourgeoise, du fascisme à la social-démocratie.
Pour les fascistes, il s'agit surtout d'un pillage "planifié" du peuple à des fins militaires. Les sociaux-démocrates cherchent à vider l'océan de l'anarchie avec la cuillère d'une "planification" bureaucratique. Les ingénieurs et les professeurs écrivent des articles sur la "technocratie". Les gouvernements démocratiques se heurtent, dans leurs tentatives poltronnes de "réglementation", au sabotage insurmontable du grand capital.
Le véritable rapport entre exploiteurs et "contrôleurs" démocratiques est caractérisé de la meilleure façon par le fait que messieurs les "réformateurs", saisis d'une sainte émotion, s'arrêtent au seuil des trusts, avec leurs "secrets" industriels et commerciaux. Ici règne le principe de la "non-intervention" (…).
Les ouvriers n'ont pas moins de droits que les capitalistes à connaître les "secrets" de l'entreprise, du trust, de la branche d'industrie, de l'économie nationale toute entière. Les banques, l'industrie lourde et les transports centralisés doivent être placés les premiers sous la cloche d'observation.
Les premières tâches du contrôle ouvrier consistent à éclairer quels sont les revenus et les dépenses de la société, à commencer par l'entreprise isolée; à déterminer la véritable part du capitaliste individuel et de l'ensemble des exploiteurs dans le revenu national; à dévoiler les combinaisons de coulisses et les escroqueries des banques et des trusts; à révéler enfin, devant toute la société, le gaspillage effroyable de travail humain qui est le résultat de l'anarchie capitaliste et de la pure chasse au profit.
Aucun fonctionnaire de l'État bourgeois ne peut mener à bien ce travail, quels que soient les pouvoirs dont on veuille l'investir. Le monde entier a observé l'impuissance du président Roosevelt et du président du conseil Léon Blum en face du complot des "60" ou des "200 familles". Pour briser la résistance des exploiteurs, il faut la pression du prolétariat.
Les comités d'usine, et seulement eux, peuvent assurer un véritable contrôle sur la production, en faisant appel - en tant que conseillers et non comme "technocrates" - aux spécialistes honnêtes et dévoués au peuple : comptables, statisticiens, ingénieurs, savants, etc.
En particulier, la lutte contre le chômage est inconcevable sans une organisation large et hardie de GRANDS TRAVAUX PUBLICS. Mais les grands travaux ne peuvent avoir une importance durable et progressiste, tant pour la société que pour les chômeurs eux-mêmes, que s'ils font partie d'un plan général, conçu pour un certain nombre d'années. Dans le cadre d'un tel plan, les ouvriers revendiqueront la reprise du travail, au compte de la société, dans les entreprises privées fermées par suite de la crise. Le contrôle ouvrier fera place, dans ces cas, à une administration directe par les ouvriers.
L'élaboration d'un plan économique, même le plus élémentaire - du point de vue des intérêts des travailleurs, et non de ceux des exploiteurs - est inconcevable sans contrôle ouvrier, sans que les ouvriers plongent leurs regards dans tous les ressorts apparents et cachés de l'économie capitaliste.
Les comités des diverses entreprises doivent élire, à des conférences correspondantes, des comités de trusts, de branches d'industrie, de régions économiques, enfin de toute l'industrie nationale dans son ensemble. Ainsi, le contrôle ouvrier deviendra l' "ECOLE DE L'ÉCONOMIE PLANIFIÉE". Quand l'heure aura sonné, le prolétariat par l'expérience du contrôle se préparera à diriger directement l'industrie nationalisée.
Aux capitalistes, surtout de petite et moyenne taille, qui proposent parfois eux-mêmes d'ouvrir leurs livres de comptes devant les ouvriers - surtout pour leur démontrer la nécessité de diminuer les salaires - les ouvriers répondent que ce qui les intéresse, ce n'est pas la comptabilité de banqueroutiers ou de semi-banqueroutiers isolés, mais la comptabilité de tous les exploiteurs. Les ouvriers ne peuvent ni ne veulent adapter leur niveau de vie aux intérêts de capitalistes isolés devenus victimes de leur propre régime.
La tâche consiste à reconstruire tout le système de production et de répartition sur des principes plus rationnels et plus dignes. Si l'abolition du secret commercial est la condition nécessaire du contrôle ouvrier, ce contrôle est le premier pas dans la voie de la direction socialiste de l'économie. »
Il est même dit expressément que la socialisation des moyens de production peut commencer dans le capitalisme lui-même, exactement comme le conçoit le planisme :
« Le programme socialiste de l'expropriation, c'est-à-dire du renversement politique de la bourgeoisie et de la liquidation de sa domination économique, ne doit en aucun cas nous empêcher, dans la présente période de transition, de revendiquer, lorsque l'occasion s'en offre, l'expropriation de certaines branches de l'industrie parmi les plus importantes pour l'existence nationale ou de certains groupes de la bourgeoisie parmi les plus parasitaires. »
Ce sont des thèses éminemment conformes à la démarche du néo-socialisme.