18 oct 2014

Trotskysmes et néo-socialismes français – 5e partie : un planisme « au-delà du marxisme »

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On a appelé « planisme » l'idéologie mettant en avant le principe du « plan » comme donnant des « impulsions » - et non des directives comme dans le matérialisme dialectique – à une société par ailleurs restant fondée sur la propriété privée.

Il y a ici deux idées essentielles, que l'on retrouve parfaitement résumées par Pierre Drieu La Rochelle dans « Socialisme fasciste ». Tout d'abord, il y a l'idée que le plan étatique est la conséquence logique du capitalisme lui-même :

« Le capitalisme épuisé a besoin de l’État pour le soutenir : il se livre à l’État fasciste. La mécanisation du capitalisme aboutit à son étatisation. »

Ensuite, il y a l'idée que l'État est en mesure de « cadrer » le capitalisme. Cette idée fondamentalement naïve implique évidemment un anticapitalisme romantique violent, puisqu'il faut attribuer au « parasite » les défauts généraux du capitalisme.

Pierre Drieu La Rochelle considère ainsi que :

« Du jour où le capitalisme travaille dans les cadres de l’État, il ne travaille plus pour des buts individuels, il travaille pour des buts collectifs, et pour des buts limités. Les hommes qui travaillent dans un tel système ne peuvent plus se mouvoir selon des appétits de lucre, mais selon des appétits de prestige, où il entrera un minimum spirituel. »

Marcel Déat a tout fait, une fois sorti de la SFIO, pour tenter de prôner le plan. Il est notamment l'auteur en 1935, avec Henri Clerc et Edouard Chaux, d'un « Plan français, doctrine et plan d'action » au nom d'un « Comité du plan ».

En ce sens, pour Marcel Déat, « l'enjeu est désormais le pouvoir, l'État, le paquet de leviers de commande qu'il offre » (La Vie socialiste du 15 avril 1934).

Le plan exige donc la participation aux institutions : c'est du réformisme. Le paradoxe est alors que Léon Blum dénonce le plan, au nom du socialisme, alors que lui-même a une vision libérale du socialisme, avec un processus très long de réformes...

Car la SFIO veut décider de ces réformes, sur la base d'un rapport de forces (légal), dans une perspective qui est celle de la social-démocratie historiquement, alors que les néo-socialistes considèrent que la tendance historique est de toute façon au planisme, et qu'il faut en être.

D'où les rapports conflictuels avec les communistes, mais le rapprochement quant au but, d'où inversement la ligne des néo-socialistes qui veulent le plus vite possible « pousser » au plan dans l'État.

Ce sera précisément la justification de la collaboration, qui ne sera jamais un simple opportunisme pro-nazi, mais une démarche s'appuyant sur la conception idéaliste selon laquelle les nazis jouent un rôle historiquement positif, intermédiaire, vers une société « planée ».

Marcel Déat, dans La Vie socialiste du 7 juillet 1934, expliquait déjà :

« Le front antifasciste est en antithèse avec le rassemblement autour du plan et pour la réalisation du plan au pouvoir. Jamais les communistes ne seront planistes ; jamais les SFIO gagnés par l'influence communiste ou simplement imprégnés de guesdisme n'accepteront de construire dans le cadre démocratique, dans le cadre national, un régime d'économie mixte qui n'est autre chose [à leurs yeux] qu'un « régime intermédiaire ». »

Ainsi :

- les socialistes rejettent l'idée d'une étape intermédiaire : ils veulent le socialisme au pouvoir, n'acceptant au mieux auparavant que de puissantes réformes sociales, combinée avec l'idéal socialiste de l'avenir (ce qui est une contradiction fondamentale, formant une idéologie consistant justement en le jauressisme) ;

- les communistes conçoivent une étape intermédiaire, avec des secteurs encore capitalistes avant le capitalisme, mais uniquement avec une direction communiste ;

- les néo-socialistes considèrent que participer au plan dans le capitalisme est en soi une avancée vers le socialisme.

Inévitablement, la social-démocratie doit d'ailleurs tendre au communisme ou à la social-démocratie « planiste ». En France, elle a accepté de s'allier aux communistes pour former le Front populaire ; en Belgique par contre, le Parti Ouvrier a assumé la ligne « planiste ».

Le principal théoricien du « planisme » inspirant les néo-socialistes est d'ailleurs le belge Henri De Man, dont l'un des ouvrages marquants fût « Au-delà du marxisme », publié en 1926. S'il fut attaqué de manière vigoureuse par la social-démocratie allemande comme révisionniste – l'ouvrage ayant même été écrit en allemand à l'origine afin d'influencer celle-ci-, l'impact fut très fort en France, par l'intermédiaire des néo-socialistes.

Voici comment Henri De Man résume son point de vue, au tout début de ses « Thèses défendues au congrès pour le socialisme éthique tenu à Heppenheim », en Allemagne en mai 1928 :

« Le socialisme est une tendance de la volonté vers un ordre social équitable. Il considère ses revendications comme justes parce qu'il juge les institutions et relations sociales d'après un critère moral universellement valable.

La conviction socialiste présuppose donc une décision de la conscience, décision personnelle et dirigée vers un but.

L'interprétation causale et scientifique du devenir historique peut mettre en lumière des conditions et des obstacles à la réalisation de la volonté socialiste, mais elle ne peut, étant libre de tout jugement de valeur, motiver la conviction dont cette volonté procède.

C'est pourquoi toutes les tentatives de transformer des doctrines des causes sociales en doctrines des fins sociales sont vouées à l'échec.

La volonté socialiste ne peut donc être déduite de causes données dans le milieu capitaliste, et particulièrement de la lutte d'une classe pour l'intérêt et le pouvoir ; elle doit au contraire être motivée par une doctrine des objectifs, fondée sur le caractère général de certains jugements moraux des valeurs sociales. Ces jugements découlent de la croyance, commune à toute l'éthique religieuse, philosophique et populaire de notre époque, à certains principes, dont la réalisation donne un sens et un but à l'évolution historique. Ceci implique notamment la croyance :

Que les valeurs vitales sont supérieures aux valeurs matérielles, d'où il découle que la possession des valeurs matérielles doit se justifier en servant à la satisfaction de besoins vitaux; de sorte que l'activité économique doit être subordonnée au but de la satisfaction de ces besoins et être organisée en vue de servir l'œuvre commune et non le profit individuel ;

Que chaque être humain est responsable du sort de toute l'humanité dans la mesure où sa volonté peut l'influencer, d'où il découle que la conduite des individus et l'organisation des institutions sociales doivent s'inspirer du bien général, et que les mobiles du sentiment de communauté sont supérieurs aux mobiles de l'avantage personnel en puissance ou en biens ;

Que le sens du devenir historique est l'accomplissement d'une tâche assignée à l'humanité, tâche dont la réalisation signifie le plus grand développement possible de sa faculté de concevoir et de réaliser le vrai, le beau et le bien ;

Qu'à l'égard de cette tâche commune tous les êtres humains sont, de par leur naissance, investis d'une responsabilité égale, donc de droits égaux et d'une dignité égale.

Parmi les droits égaux que les revendications socialistes tendent à assurer, on peut citer en premier lieu :

Le droit à la vie, donc le droit du travailleur à la valeur produite par son travail, et la protection légale de ce droit contre toutes les tentatives motivées par des droits de propriété d'utiliser les valeurs produites par le travail d'autrui pour exercer une domination sur les travailleurs ; donc aussi le droit des enfants à une éducation qui les prépare à la vie, le droit des faibles, des mineurs ou des incapables de travail à la sauvegarde sociale de leur vie et de leur dignité humaine ;

Le droit à l'autonomie personnelle, c'est-à-dire à la possibilité, garantie par les institutions, pour tous les membres de toutes les communautés, de participer à la détermination du sort commun, avec des droits égaux à la libre formation et expression des opinions et à la fixation des règles communes ; de façon à combattre l'emploi d'êtres humains comme moyens de réaliser des avantages en biens ou en puissance au profit d'autrui, et à faire, dans la mesure du possible, de tout pouvoir social, l'expression de la volonté libre et consciente des membres de la communauté.

La validité générale de ces principes fait du socialisme une exigence qui concerne tous les êtres humains quelle que soit leur condition sociale. »

Le réformisme des néo-socialistes est donc « total », passant par l'union de toutes les classes : il s'agit d'un fascisme mais réformiste et institutionnel. Avec la crise de 1940, les néo-socialistes et les fascistes se retrouveront de manière parfaitement naturelle, avec les trotskystes en force d'appoint.

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