Trotskysmes et néo-socialismes français – 4e partie : néo-socialistes et « socialisme fasciste »
Submitted by Anonyme (non vérifié)Les trotskystes ne sont pas les seuls à s'opposer au Front populaire et à la Résistance : à la même époque, on trouve les « néo-socialistes ». Ceux-ci sont issus de la SFIO, et leur chef de file est Marcel Déat, auteur notamment de Perspectives socialistes publié en 1930.
Mais on trouve également tout le courant porté par Paul Faure au sein de la SFIO, et formant à peu près 40 % de ce parti. A cela s'ajoute tout un courant ayant quitté le Parti Communiste français sous l'impulsion de Jacques Doriot.
Il y a une grande nuance entre Jacques Doriot d'un côté, les « néo-socialistes » et les partisans de Paul Faure de l'autre : ces derniers auront été contre le Front populaire, mais de l'intérieur, en assumant des grandes positions en son sein... avant de rejoindre la collaboration aux premières loges. Jacques Doriot, quant à lui, fondera dès le milieu des années 1930 un parti ouvertement fasciste.
En fait, la démarche de cette grande tendance historique française est relativement simple : le capitalisme en crise ne peut selon eux avoir comme réponse qu'un « socialisme » effaçant les contradictions, et non les dépassant comme l'explique le matérialisme dialectique.
Le fascisme est alors considéré non pas comme une idéologie, mais comme une logique historique, qui dans le fond correspondrait aux exigences d'unification sociale. Au congrès national de la SFIO qui se tint à Paris du 14 au17 juillet 1933, le député Barthélemy Montagnon osa même expliquer que :
« Le drame, voyez-vous, c'est que nous croyions qu'il n'y avait qu'une direction pour aller au socialisme et aujourd'hui par les faits mêmes, nous nous rendons compte que notre voie n'est pas la seule, qu'il peut y en avoir une autre : la voie fasciste. »
On retrouve ici la considération générale que la tendance est pour ainsi dire à la « rencontre », la « réconciliation », à la fusion de tous les éléments de la société, et cela de manière inévitable, comme si c'était une tendance « logique », « naturelle », à l'unification, l'union.
Cela ne veut nullement dire qu'il n'existe pas de nuances, de contradictions voire d'antagonismes dans cette approche, entre les uns et les autres. Cependant, tout comme dans le national-socialisme de Rudolf Jung et d'Adolf Hitler, le « socialisme » est une forme sociale « naturelle », une réaction « saine » de la société, et pas du tout un mode de production guidé par une idéologie.
Pour cette raison, l'écrivain Pierre Drieu La Rochelle exerce une fascination importante sur tout un secteur de la jeunesse, que l'on peut définir comme romantique, en quête d'idéal, d'aventure. Ce romantisme est présenté comme la forme intellectuelle et culturelle du besoin d'unification sociale. Les S.A. seront une forme allemande équivalente, cependant en France le courant est exclusivement intellectuel et individuel, à l'image du « style » de Pierre Drieu La Rochelle.
Pierre Drieu La Rochelle représente en effet par excellence cette logique individualiste d'aventure « communautaire » : il modifiera ses points de vue à de très nombreuses reprises, tout en essayant de synthétiser un « socialisme fasciste ».
Voici son explication de ce qu'est le fascisme, publié dans L’Émancipation nationale du 13 août 1937 :
« La définition la plus profonde du fascisme, c’est celle-ci : c’est le mouvement politique qui va le plus franchement, le plus radicalement dans le sens de la grande révolution des mœurs, dans le sens de la restauration du corps – santé, dignité, plénitude, héroïsme –, dans le sens de la défense de l’homme contre la grande ville et contre la machine... Parce que ce sont les hommes du XXe siècle qui ne veulent pas mourir accablés de toutes les maladies qui guettent les sédentaires et les immobiles, avec des muscles débiles et des gros ventres à la terrasse d’un café ou dans l’ombre d’un cinéma. »
On retrouve ici la tentative romantique de nier, au lieu de dépasser, les contradictions travail manuel / travail intellectuel et villes/campagnes.
Un autre point essentiel dans ce refus de la dialectique est le refus de l'opposition centrale bourgeoisie / classe ouvrière. Les classes sont considérées comme n'ayant pas de frontières définies précisément, la morale et la psychologie des individus sont considérées comme « au-dessus » des classes et comme un moteur essentiel ; enfin, les classes moyennes se voient attribuer une existence culturelle, économique et politique centrale.
Pierre Drieu La Rochelle résume dès 1922 cette conception commune aux néo-socialistes et aux fascistes :
« Il n’y a pas de classes. Il n’y a plus que des catégories économiques, sans distinctions spirituelles, sans différences de mœurs. Les basses classes sont formées des mêmes éléments physiques, moraux, intellectuels, que les hautes classes. Les unes et les autres sont de plus en plus interchangeables. Il n’y a que des modernes, des gens dans les affaires, des gens à bénéfices ou à salaires ; qui ne pensent qu’à cela et qui ne discutent que cela (…).
L’ouvrier est pourri par la monnaie de son salaire comme le bourgeois par son bénéfice (…).
Il faudrait remuer les cendres des catégories sociales. Rassemblement des restes indépendants de la bourgeoise, voire de la classe ouvrière et des paysans, ce serait l’institution d’un Tiers-Parti, d’un Entre-Deux, qui relèverait les intérêts spirituels entre la masse dominant par l’argent et la masse dominée par l’argent. » (Mesure de la France)
S'il n'y a plus de classes, seulement des intérêts, alors il faut résoudre les problèmes sociaux par en haut, par une « rationalité » communautaire : c'est le principe du planisme.