15 fév 1936

Les origines et la formation du mouvement syndical français - Pierre Semard (février 1936)

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Pierre Semard, février 1936

A la veille de la reconstitution de l'unité du mouvement syndical dans une seule C.G.T., il est utile de rappeler quelques pages de son histoire.

Notre mouvement ouvrier et son organisation sur le plan syndical est, en effet, extrêmement riche en expériences, en réalisations et en luttes contre le capitalisme.

Les grandes batailles de la classe ouvrière en 1830 et 1848 et la grande Commune de 1871 marquent les étapes de cette action révolutionnaire de masse qui, malgré ses échecs, fit améliorer et progresser les conditions de vie, de travail et de liberté du peuple travailleur.

Depuis la Commune de Paris, et plus particulièrement dans les vingt années qui précédèrent la guerre, il y eut de grandes luttes, parfois violentes, qui se produisirent en même temps que la formation de notre mouvement syndical et sous son impulsion.

Les plus importantes furent : le 1er Mai 1891 et la fusillade de Fourmies ; les grèves des mineurs de 1902, 1906, 1912 ; la grève générale de solidarité d'octobre 1905 ; la grève des vignerons du Midi en 1907 et le passage du 17ème régiment d'infanterie qui a refusé de tirer sur des grévistes viticulteurs à Béziers] du côté des grévistes ; les grèves des employés des P.T.T. En 1909 ; la grève du bâtiment de Villeneuve-Saint- Georges et la fusillade de Draveil en 1909 ; la grève des cheminots de 1910.

Une simple comparaison entre le nombre de grèves de la période de 1890 à 1899 et celle de 1900 à 1910 permet d'apprécier les changements importants qui s'opéraient dans les masses, au point de vue éducation sociale et combativité au fur et à mesure que se développait l'organisation syndicale. Dans la première période, il y eut 4.210 grèves, avec 924.400 grévistes et 15.021.840 journées de grève, et dans la deuxième : 9.042 grèves, 2.021.200 grévistes et 37.702.650 journées de grève (statistique du ministère du Travail). Nul doute que l'accentuation de la lutte des classes dans la période de 1900 à la guerre ait été favorisée par la force progressive de l'organisation syndicale, quels qu'en puissent avoir été les défauts et les insuffisances.

Bref rappel de la formation du mouvement syndical

Pratiquement, l'organisation syndicale date de la formation de l'As sociation Internationale des Travailleurs, en 1865.

Avant, il n'existait que des embryons d'organisations. En 1833, un groupement des ouvriers de la soie de Lyon ; à la même époque se formèrent des groupements de compagnonnages.

En 1860, des ententes mutuelles se créèrent dans la région rouen naise.

En 1868, ce fut la fondation de la « Chambre fédérale des sociétés ouvrières de Paris », baptisée de la Corderie , nom de la place où était son siège social.

Après 1871, l'échec de la Commune entraîna un recul, une période de stagnation.

C'est en 1876 que se tient le premier congrès ouvrier à Paris. Mais le mouvement était plutôt coopérateur et mutualiste. Enfin, au Congrès de Marseille en 1879, les guesdistes créèrent la « Fédération du Parti des travailleurs socialistes de France », où les syndicats et les groupes politiques étaient confondus. Deux conceptions s'affrontaient alors dans le mouvement ouvrier et influençaient les organisations syndicales : le proudhonisme, expression de l'anarcho-réformisme et de l'anarcho-syndicalisme, et le socialisme-réformiste, avec ses tendances politiques diverses.

Ce qu'était Proudhon

Proudhon fut un économiste d'idéologie petite-bourgeoise qui, tout en faisant le procès et une critique acerbe de la société capitaliste, bâtit toute une théorie pour remédier aux défauts du régime bourgeois, par le mutuellisme, la création de banques d'échanges, et l'organisation du Crédit public gratuit. Proudhon déclarait que « la propriété c'est le vol » et parlait de « détruire pour édifier », mais il ne voulait pas la disparition de la propriété.

Il voulait seulement la retirer des mains incapables qui la gouvernaient, la purger des abus, la sauver de la bureaucratie qui l'accaparait.

Il légitimait la plus-value capitaliste en disant que c'est une rémunération légitime de l'entrepreneur et une indemnité de ses risques ( Manuel du spéculateur ).

Il écrivait dans De la capacité politique des classes ouvrières :

« II va sans dire que le prolétariat ne demande pas à dépouiller la bourgeoisie de ses biens acquis, ni d'aucun des droits dont elle jouit justement... La propriété est absolue et abusive ; c'est la détruire que de lui imposer des conditions et de la réglementer. (Théorie de la propriété)

Proudhon écrivait encore que « la distinction actuelle entre les deux classes est un simple accident révolutionnaire. Toutes deux doivent s'absorber réciproquement dans une conscience supérieure ». (De la capacité politique des classes ouvrières)

Proudhon a voulu démontrer que toute hausse des salaires aboutissait au renchérissement des denrées :

« Tout mouvement de hausse dans les salaires ne peut avoir d'autre effet que celui d'une hausse sur le blé, le vin, etc., c'est- à-dire l'effet d'une disette.

Car, qu'est-ce que le salaire ? C'est le prix de revient du blé, etc.; c'est le prix intégral de toutes choses.

Allons plus loin encore : le salaire est la proportionnalité des éléments qui composent la richesse et qui sont consommés reproductivement chaque jour par la masse des travailleurs. Or, doubler les salaires..., c'est attribuer à chacun des producteurs une part plus grande que son produit, ce qui est contradictoire ; et si la hausse ne porte que sur un petit nombre d'industries, c'est provoquer une perturbation générale dans les échanges, en un mot, une disette... Il est impossible, je le déclare, que les grèves suivies d'augmentation de salaires n'aboutissent à un renchérissement général : cela est aussi certain que deux et deux font quatre. »

Marx a répondu ironiquement : « de toutes ces quatre thèses, nous n'en acceptons qu'une, c'est que deux et deux font quatre ».

Cette « théorie » absolument fausse de la stérilité de toute lutte économique voudrait dire que l'ouvrier aura beau faire, il ne pourra pas améliorer son sort.

Marx, a démontré :

que la hausse du taux des salaires entraînerait une baisse générale des profits, mais ne toucherait pas en somme au prix des marchandises ;

Que la tendance générale de la production capitaliste n'est pas d'élever le salaire normal moyen, mais de l'abaisser. (Travail salarié et Capital)

Proudhon s'efforçait de détourner les ouvriers de la lutte, il condamnait vigoureusement les grèves et le droit de coalition : « La grève des ouvriers est illégale, et ce n'est pas seulement le Code pénal qui dit cela, c'est le système économique. C'est la nécessité de l'ordre établi. Que chaque ouvrier,

individuellement, ait la libre disposition de sa personne et de ses bras, cela peut se tolérer ; mais que les ouvriers entreprennent par des coalitions de faire violence au monopole, c'est ce que la société ne peut permettre...

Que chaque ouvrier ait individuellement la libre disposition de sa personne et de ses bras, cela peut s'accorder ; mais que des bandes ouvrières, sans égard aux grands intérêts sociaux, pas plus qu'aux formalités légales, entreprennent par des coalitions de faire violence à la liberté et aux droits des entrepreneurs, c'est ce qu'à aucun prix, la société ne peut permettre. User de force contre les entrepreneurs et propriétaires ; désorganiser les ateliers ; arrêter le travail ; risquer les capitaux, c'est cons pirer la ruine universelle.

L'autorité qui fit fusiller les mineurs de Rive-de-Gier fut bien malheureuse.

Mais elle agit comme l'ancien Brutus, placé entre son amour de père et son devoir de consul ; il fallait sacrifier ses enfants pour sauver la République, Brutus n'hésita pas et la postérité n'a pas osé le condamner. » (Proudhon : Système des Contradictions économiques )

« Une fois sur la pente de l'arbitraire, la démocratie ouvrière, pas plus que le despotisme ne saurait s'arrêter », écrit-il dans De la capacité politique des classes ouvrières.


 

Proudhon fut l'ennemi du communisme

« Je me suis déclaré anarchiste dès 1840 », dit-il dans son livre Du principe fédératif en 1863, et il attaquait avec violence ceux qui se réclamaient alors du communisme :« Loin de moi, communistes, votre présence m'est une puanteur et votre vue me dégoûte ».

« Le socialisme n'est rien, n'a jamais été rien, ne sera jamais rien », écrit-il, dans Système des contradictions économiques .

Il accuse le communisme de réaliser l'égalité dans la misère : « La communauté, c'est la religion de la misère » ( Système des contradictions économiques , tome II).

Selon lui, le communisme c'est de la propriété à rebours : « La propriété est l'exploitation du faible par le fort, la communauté, c'est l'exploitation du fort par le faible » ( Mémoire sur la propriété ).

Il combat la dictature du prolétariat en prêchant l'égalité des travailleurs et des capitalistes :« Travailleurs et capitalistes, producteurs et consommateurs doivent être identifiés comme l'ont été par la révolution de février les électeurs et les éligibles » ( Mélanges ).

Proudhon était contre le communisme, contre la révolution prolétarienne, et contre un parti prolétarien jouant le rôle d'avant-garde du mouvement ouvrier.

La critique de Proudhon par Marx et Engels

Marx a démontré dans son livre Misère de la philosophie , répondant à celui de Proudhon Philosophie de la misère , que l'ouuvre de ce dernier était « le code du socialisme petit- bourgeois ». Marx a dit de Proudhon qu'il était un « démocrate anarchisant », et Lénine a confirmé en disant qu'il avait été « le fondateur de l'anarchisme » ( L'Etat et la révolution ).

Marx, dans Misère de la philosophie dit que Proudhon « est parmi les improviseurs de système qui courent après une science régénératrice », qu'il est « de ceux qui ne voient dans la misère que la misère, sans y voir le côté révolutionnaire, subversif qui renversera la société ancienne »

Proudhon, dit Marx, a écrit « l'histoire de ses propres contradictions (...) d'un côté, il fait le procès de la société du point de vue et avec des yeux de petit bourgeois français, et de l'autre côté lui applique l'étalon que lui ont transmis les socialistes ».

Marx montre qu'au lieu de partir d'une analyse critique de l'économie politique, Proudhon subordonne l'ensemble de ces rapports économiques, à la notion juridique de la propriété, pour indiquer que « la propriété, c'est le vol ».

C'est pourquoi, plus tard, Proudhon légitimera la plus-value « comme rémunération légitime de l'entrepreneur et indemnité de ses risques ».

Marx se rendait parfaitement compte de l'influence que les théories de Proudhon pouvaient avoir sur le mouvement ouvrier français, c'est pourquoi il lui consacra le livre Misère de la philosophie , qu'il écrivit spécialement en français.

Le « Manifeste communiste » lui consacra également un chapitre intitulé Le socialisme conservateur ou bourgeois, dans lequel on démontre que Proudhon « a élaboré ce socialisme bourgeois en système complet ».

Il indique : « Les socialistes bourgeois veulent les conditions de vie de la société moderne sans les luttes et les dangers qui en dérivent fatalement.

Ils veulent la société actuelle, mais expurgée des éléments qui la révolutionnent et la dissolvent.

Ils veulent la bourgeoisie sans le prolétariat.

La bourgeoisie, comme de juste se représente le monde où elle domine comme le meilleur des mondes. Le socialisme bourgeois systématise plus ou moins à fond cette représentation consolante.

Ce socialisme n'entend aucunement l'abolition du régime de production bourgeois, laquelle n'est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes qui, par conséquent, n'affectent pas les relations du capital et du salariat et ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les dépenses de son gouvernement et lui faciliter sa gestion.

Le libre-échange dans l'intérêt de la classe ouvrière ! Des droits protecteurs dans l'intérêt de la classe ouvrière ! Des prisons cellulaires dans l'intérêt de la classe ouvrière ! Voilà le dernier mot du socialisme bourgeois, le seul qu' il ait dit sérieusement.

Car le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette affirmation que les bourgeois sont des bourgeois, dans l'intérêt de la classe ouvrière. » (Manifeste communiste)

Le proudhonisme, qui imprégnait tout le mouvement ouvrier, allait pénétrer profondément le mouvement syndical, grâce à la propagande et à l'activité organisatrice de Fernand Pelloutier, organisateur des Bourses du travail et de la Fédération des Bourses et fervent proudhonien.

Ce que fut Fernand Pelloutier

Fernand Pelloutier se signala à la vie politique en soutenant en 1889 la candidature radicale d'Aristide Briand. En 189I, il prenait la direction du journal

La Démocratie de l'Ouest et fondait à Saint-Nazaire le groupe « l'Emancipation » section du Parti ouvrier français.

En 1892, il était délégué des Bourses du travail de Saint- Nazaire et Nantes, au Congrès de Tours, organisé par la « Fédération des travailleurs socialistes de l'Ouest ». Pelloutier fut le véritable père de la grève générale. Dans la résolution qu'il présenta, au nom des Bourses du travail de Nantes et SaintNazaire à ce Congrès, et qui fut défendue la même année par Briand au Congrès de la « Fédération des syndicats », à Marseille, on condamnait les révolutions sanglantes, pour préconiser la grève générale, afin de faire triompher les revendications formulées au programme du « Parti ouvrier ».

Voici le texte de cette résolution :

Considérant :

Que la formidable organisation sociale dont dispose la classe dirigeante rend impuissantes et vaines les tentatives amiables d'émancipation faites depuis un demi-siècle par la démocratie socialiste ;

Qu'il existe entre le capital et le salariat une opposition d'intérêts que la législation actuelle, prétendue libérale, n'a pu ou voulu détruire ;

Qu'après avoir fait aux pouvoirs publics de nombreux et inutiles appels pour obtenir le droit à l'existence, le Parti socialiste a acquis la certitude que seule une révolution pourra lui donner la liberté économique et le bien-être matériel conformes aux principes les plus élémentaires du droit naturel ; Que le peuple n'a jamais conquis aucun avantage aux révolutions sanglantes, dont ont seuls bénéficié et les agitateurs et la bourgeoisie ;

Qu'en présence, d'ailleurs, de la puissance militaire mise au service du capital, une insurrection à main armée n'offrirait aux classes dirigeantes qu'une occasion nouvelle d'étouffer les revendications sociales dans le sang des travaitteurs ; Que parmi les moyens pacifiques et légaux inconsciemment accordés au Parti ouvrier pour faire triompher ses légitimes aspirations, il en est un qui doit hâter la transformation économique et assurer, sans réaction possible, le succès du quatrième Etat ;

Que ce moyen est la suspension universelle et simultanée de la force productrice, c'est-à-dire la grève générale, qui, même limitée à une période relativement restreinte, conduirait infailliblement le Parti ouvrier au triomphe des revendications formulées dans son programme ;

Le Congrès régional ouvrier de l'Ouest, réuni à Tours les 3, 4 et 5 septembre 1892, prend en considération la proposition de grève universelle déposée par le citoyen Fernand Pelloutier, et décide qu'il y a lieu de procéder à une organisation spéciale du Parti ouvrier français, dans le but de fournir au Congrès international de Zurich, en 1893, un projet complet de grève universelle. »

Note : L'auteur de cette proposition croit utile de faire

remarquer qu'en 1894, c'est-à-dire deux ans après la tenue du Congrès de Tours, il en avait déjà modifié certains passages et qu'aujourd'hui il en répudierait plusieurs paragraphes. ( Fernand

Pelloutier : Histoire des Bourses du travail )

En 1894, Pelloutier corrigeait sa position sur la grève générale parce que, entre temps, il avait quitté le Parti ouvrier français pour « embrasser les idées libertaires »

S'il défendait encore l'idée de la grève générale, il affirmait son dédain « des formules politiques » et se prononçait pour la lutte

« sur le seul terrain économique » reprenant les théories proudhoniennes.

C'est en 1895, alors qu'il était administrateur de la verrerie ouvrière d'Albi, qu'il organisa la Fédération des Bourses du travail.

Pelloutier, avec Lagardelle et Sorel ont développé l'anarcho- syndicalisme. Sorel en fut le théoricien.

Sorel a montré Proudhon comme un « rénovateur du socialisme » et son livre Matériaux d'une théorie du prolétariat est un hymne à Proudhon.

L'histoire des Bourses du travail de Pelloutier a été préfacée par Sorel qui a montré les Bourses du travail « comme devant réaliser la décentralisation organique et de l'autorité ».

« Le Comité fédéral qui les relie - dit Sorel - ne doit être qu'un bureau administratif assurant la liaison, et les Bourses du travail doivent être les bases de la commune ouvrière ».

Pelloutier, dans une « Lettre aux anarchistes » (décembre 1899) s'affirmait « partisan de la propriété individuelle, homme sans dieu, sans maître et sans patrie, irréconciliable de tout despotisme moral et collectif, c'est-à-dire des lois et des dictatures (y compris celle du prolétariat) ».

Et dans un manifeste des Bourses du travail

, pour le 1er Mai 1896, Pelloutier écrivit entre autres :

« Les Bourses du Travail, confidentes des souffrances et des plaintes du prolétariat, elles savent que le travailleur aspire non pas à prendre la place de la bourgeoisie, à créer un Etat « ouvrier », mais à égaliser les conditions et à donner à chaque être la satisfaction qu'exigent ses besoins.

Le jour (et il n'est pas éloigné) où le prolétariat aura constitué une gigantesque association, consciente de ses intérêts et du moyen d'en assurer le triomphe, ce jour-là, il n'y aura plus de capital, plus de misères, plus de classes, plus de haines. La révolution sociale sera accomplie. »

Ce Manifeste est typiquement réformiste ; la platitude collaborationniste s'y conjugue avec la phrase radicale. Avec Pelloutier, les militants anarcho-syndicalistes déclaraient vouloir protéger le mouvement syndical de tous les politiciens, des socialistes réformistes enfoncés dans le parlementarisme bourgeois, afin de le maintenir dans la voie révolutionnaire, disant qu'il se « suffisait à lui-même », aussi bien pour les luttes revendicatives quotidiennes que pour « réaliser la révolution sociale ».

En réalité, ils étaient révolutionnaires en paroles et réformistes en action.

Leurs théories anarchisantes sur la « spontanéité des masses », sur l'action des « minorités agissantes » et la pratique qui en découlait, isolaient le mouvement syndical des larges masses et laissaient celles-ci désorganisées et souvent impuissantes. Lénine a vigoureusement démasqué ces théories anarchistes et proudhoniennes.

Il montre combien les conceptions anarcho-syndicalistes sur le parti et sur la dictature du prolétariat étaient petites-bourgeoises et contre-révolutionnaires, parce que dirigées contre le marxisme, dirigées contre la création d'un parti révolutionnaire jouant le rôle d'avant-garde, d'organisateur et de dirigeant de la classe ouvrière, dans ses luttes contre la bourgeoisie et pour son renversement.

Lénine montra le syndicalisme français d'avant-guerre comme

« un produit de la conception philosophique bourgeoise ».

Il souligna que le mouvement ouvrier français, le Parti socialiste et la C.G.T. D'avant-guerre avaient été influencés par deux tendances : le revisionnisme et l'anarchisme, en écrivant :

« Les désaccords principaux sur la tactique du mouvement ouvrier contemporain, en Europe et en Amérique, se réduisent à deux grandes tendances ayant renié le marxisme. Ces deux tendances : le révisionnisme (opportunisme, réformisme) et l'anarchisme (anarcho-syndicalisme, anarcho- socialisme), ces deux abjurations de la théorie et de la tactique marxistes, régnant dans le mouvement ouvrier, apparaissent sous différentes formes et nuances dans tous les pays civilisés, au cours de plus d'un demi-siècle de l'histoire du mouvement ouvrier ».


 

Le mouvement anarchiste et les syndicats

Bien que leurs théories aient été influentes à cette époque, les anarchistes boudèrent longtemps les syndicats, et il y eut à leur sujet maintes controverses dans leurs rangs.

Jusqu'en 1896, le plus grand nombre était hors des syndicats. En 1897, Emile Pouget leur donna le conseil de se syndiquer. Il disait dans un almanach de cette année-là : « S'il y a un groupement où les anarchos doivent se fourrer, c'est évidemment la Chambre Syndicale ». Pouget fut entendu. Leur présence dans les syndicats contribua à renforcer encore les tendances antiparlementaires et sectaires à l'égard des partis ouvriers.

Quant aux libertaires, ils étaient entrés dans les syndicats avec leur leader jean Grave, dès leur reconstitution, après la Commune, en 1876.

Ils participèrent même au Congrès socialiste du Havre en 1880 et pactisèrent alors avec les collectivistes qui devaient, plus tard, constituer le Parti ouvrier socialiste sous la direction de Guesde.

Le guesdisme et la formation des syndicats

Les guesdistes furent les meilleurs artisans de la création des syndicats, après la Commune de Paris.

On leur doit notamment la création de la Fédération du Textile et celles des Ouvriers mégissiers et des Marins.

En 1882, le parti ouvrier de Guesde déclare à son Congrès de Roanne : « Que la création des syndicats est une nécessité de la production capitaliste », et il invite tous ses membres à entrer dans les chambres syndicales de leur corporation.

Pendant des années, les guesdistes influencèrent une importante partie du mouvement ouvrier de leurs conceptions qui associaient l'action politique et syndicale dans une même organisation.

Ce n'est qu'en t894, au Congrès de Nantes, organisé par la Fédération des Syndicats (guesdistes), le Secrétariat national du Travail et la Fédération des Bourses (Pelloutier), que fut affirmée l'indépendance de l'organisation syndicale et sa neutralité à l'égard des partis.

Les guesdistes de la « Fédération des Syndicats » furent battus dans leurs conceptions par la majorité des délégués organisés dans la Fédération des Bourses que dirigeait Pelloutier. Celui-ci fit le procès de la Fédération des Syndicats en disant :« Elle est inutile, elle n'a pas fait aboutir de grèves, elle n'est qu'un organe politique ».

L'année d'après, en 1895, la Fédération des Bourses, dans son 4è Congrès émettait le voeu « que les syndicats se détachent officiellement de toutes les fractions politiques et se renferment sur le terrain économique, laissant à chacun la liberté d'aller où son tempérament le lui indique ».

L'opposition syndicaliste que conduisait Pelloutier était tout particulièrement dirigée contre les guesdistes.

Pelloutier qui avait assisté au Congrès général du Parti socialiste français en 1899 en fit un compte rendu en général hostile aux divers partis qui, alors, s'unifiaient.

Il fut violemment hostile aux guesdistes à qui il reprochait leurs conceptions marxistes.

Dans sa « lettre aux anarchistes », où il commente ce Congrès, Pelloutier écrit :

« La caractéristique du Congrès socialiste a été l'absence totale des syndicats ouvriers. Cette absence a frappé tout le monde, et moi-même, bien que connaissant l'horreur professée depuis longtemps par les syndicats à l'égard des sectes politiques. J'ai été surpris, je l'avoue, du petit nombre qu'il y en avait à ce « premier » Congrès général du Parti socialiste. Cette absence fut le résultat d'un état d'esprit où il entre assurément beaucoup de scepticisme (je ne dis pas d'indifférence) à l'endroit de l'action parlementaire.

Les syndicats ne croient plus que médiocrement à l'efficacité et, par conséquent, à l'utilité des réformes partielles, qu'elles soient d'ordre politique ou d'ordre économique, et ils croient encore moins à la sincérité des parlementaires : cela paraîtra particulièrement évident si l'on songe qu'après avoir témoigné, en termes parfois très chaleureux, leur reconnaissance pour les décrets du citoyen Millerand, ils ne crurent pourtant pas devoir se rendre au Congrès où devait s'instruire le procès et s'opérer peut-être l'exclusion du même citoyen Millerand. » Dans cette lettre qui préfaçait le compte rendu du Congrès socialiste, Pelloutier traitait Guesde de « Torquemada en lorgnon », ridiculisait « l'évangile de saint Karl Marx » et après une profession de foi anarchiste, il faisait allusion au Parti corporatif, en parlant du mouvement syndical qu'il opposait aux partis politiques.

Malgré les méritoires efforts que firent les guesdistes pour se lier aux masses, pour les organiser syndicalement et être à la tête de leurs luttes, leur sectarisme, leur dogmatisme, ne leur permit pas une lutte féconde contre l'anarcho-syndicalisme.

La lutte des classes et l'indépendance du syndicalisme

Quand, sous l'impulsion de Marx et d'Engels, la 1ère Internationale se constitua, elle donna la plus grande importance aux luttes économiques, à leur organisation et à leur direction, c'est-à-dire à la direction du mouvement de masse pour ses buts propres de classe.

Dès cette époque, les marxistes considérèrent les syndicats comme la forme indispensable d'organisation des masses, pour les luttes revendicatives et sociales, contre le capitalisme. Ils montrèrent que les luttes économiques, par leur développement à un niveau supérieur conduisent à la lutte politique pour le pouvoir et pour le socialisme.

C'est pourquoi la Iième Internationale se prononça pour l'action conjuguée, politique et économique, du parti révolutionnaire du prolétariat avec les organisations syndicales.

C'est là que les marxistes se heurtèrent à l'opposition des socialistes réformistes et des anarcho-syndicalistes. Ainsi, depuis la formation du mouvement ouvrier, la question de l'action concertée et conjuguée du mouvement syndical avec le mouvement politique se trouve posée.

On voit plus haut comment l'idéologie et l'influence de Proudhon et des proudhoniens ont contrecarré la réalisation de cette action commune concertée, économique et politique, sur une base de lutte des classes.

On a vu également que les erreurs des guesdistes avaient favorisé l'opposition auarcho-réformiste dans les syndicats et permis à ceux-ci de séparer l'action économique de la classe ouvrière de l'action politique, en plaçant l'indépendance du mouvement syndical sur un terrain d'hostilité à l'égard des partis qui se réclamaient de la classe ouvrière.

C'est cette politique proudhonienne qui, après bien des discussions passionnées dans le mouvement syndical, allait conduire à l'adoption de la charte d'Amiens, au Congrès de la C.G.T. À Amiens en I906.

Il faut dire qu'à l'époque les ouvriers écoeurés par les scandales successifs qui éclaboussaient déjà le parlementarisme bourgeois, dégoûtés par les trahisons répétées de chefs socialistes devenus ministres bourgeois, prêtaient l'oreille à la propagande des anarcho-réformistes proudhoniens. Les uns allaient vers l'hervéisme, croyant se livrer à une véritable opposition politique révolutionnaire, les autres, plus nombreux, glissaient à l'anti-parlementarisme vulgaire, grossissant ainsi les rangs de l'anarchisme et de l'anarcho- syndicalisme.

Les guesdistes tentèrent de réagir. La Fédération du Textile, dans son Congrès de Tourcoing en I9o6, à la veille du Congrès confédéral d'Amiens, avaient décidé de soumettre le vS u suivant :

« Considérant qu'il y a lieu de ne pas se désintéresser des lois ayant pour but d'établir une législation protectrice du travail qui améliorerait la condition sociale du prolétariat et perfectionnerait ainsi les moyens de lutter contre la classe capitaliste ;

 

Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens qui sont à leur disposition en dehors de l'organisation syndicale, afin d'empêcher d'arriver au pouvoir législatif les adversaires d'une législation sociale protectrice des travailleurs ;

Considérant que les élus du parti socialiste ont toujours proposé et voté des lois ayant pour objectif l'amélioration de la condition de la classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ;

Que tout en poursuivant l'amélioration et l'affranchissement du prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que des relations s'établissent entre le Comité confédéral et le Conseil national du Parti socialiste, par exemple, pour la lutte à mener en faveur de la journée de huit heures, de l'extension du droit syndical aux douaniers, facteurs, instituteurs et autres fonctionnaires de l'Etat ;

pour provoquer la réduction des heures de travail,

l'interdiction du travail de nuit des travailleurs de tout sexe et de tout âge ;

pour établir le minimum de salaire, etc., etc...

Le Congrès décide :

Le Comité confédéral est invité à s'entendre toutes les fois que les circonstances l'exigeront, soit par des délégations intermittentes ou permanentes avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières.

Mandat est donné aux délégués de la Fédération Textile qui la représenteront au Congrès confédéral d'Amiens de soutenir la dite résolution. »

Ce voeu allait devenir au Congrès d'Amiens la motion Renard. Cette motion montre une réaction contre les tendances antiparlementaires, mais elle est imprégnée de socialisme parlementaire et ses défenseurs ne tinrent pas compte du profond mécontentement des masses à l'égard de la politique socialiste, enlisée dans l'électoralisme et le ministérialisme. C'est pourquoi la charte d'Amiens, défendue par Griffuelhes, alors secrétaire de la C.G.T., fut adoptée à une forte majorité. Soulignons que, quand le Congrès d'Amiens adopta cette charte qui indique que la C.G.T. « groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat », il affirmait par là que le syndicalisme entendait, par ses propres moyens, poursuivre une action de lutte de classe pour des fins révolutionnaires.

D'ailleurs Griffuelhes souligna que l'action directe était à la base même du syndicalisme.

Ceci doit être souligné pour montrer comment les défenseurs actuels de la charte d'Amiens appliquent cette directive maîtresse du document.

Indiquons que les chefs socialistes donnèrent leur accord avec la charte ; Vaillant, Renaudel, Jaurès l'approuvèrent. Hervé, lui- même, la trouva excellente.

Le Congrès socialiste de Limoges (1906) prit acte de cette charte. Celui de Nancy (1907), confirma dans une résolution qui donnait un accord de principe.

Les premières interprétations de la Charte d'Amiens

A l'égard des partis, la charte indique :

« Le Congrès affirme l'entière liberté pour le syndiqué de participer en dehors du groupement corporatif à telle forme de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander en réciprocité de ne pas introduire dans le syndicat des opinions qu'il professe au dehors... Les organisations confédérées, n'ayant pas en tant que groupements syndicaux à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale. »

Ainsi certaines réserves s'exprimaient sur les accords entre les deux mouvements politique et syndical et sur l'action des partis ouvriers en vue de la transformation sociale.

Le mouvement syndical prenait l'attitude d'opposition à l'égard de tous les partis, que Proudhon développait en 1863 dans « Les Démocrates assermentés et les réfractaires » en disant :

« Il faut avant tout que la classe ouvrière sorte de tutelle et que, sans se préoccuper davantage de ministère ni d'opposition, elle agisse désormais et exclusivement par elle-même et pour elle- même.

Conclusion : rejeter toute action parlementaire. L'appât de la tribune publique auquel le peuple s'est laissé séduire n'a été qu'un leurre ; toutes ses espérances ont été trahies par ses représentants, et elles le seront toujours... il n'y a rien à faire pour nous au Corps législatif. »

Et Proudhon concluait :

« L'idéal politique et économique poursuivi par la démocratie ouvrière n'étant pas le même que celui auquel s'acharne en vain depuis soixante-dix ans la classe bourgeoise, nous ne pouvons figurer, je ne dis pas seulement dans le même parlement, mais dans la même opposition ; les mots, chez nous, ont un autre sens que chez ceux-là ; ni les idées, ni les principes, ni les formes de gouvernement, ni les institutions et les mS urs ne sont les mêmes. »

 

La conception proudhonienne du mouvement syndical formant le «parti du travail», exposée par Pelloutier, était reprise par l'anarchiste Emile Pouget qui indiquait que le parti du travail devait être opposé par principe à toute action politique et à toute participation à la bataille électorale.

La charte laisse bien le syndiqué libre de participer à « telle forme de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique », mais à l'intérieur du mouvement syndical, la propagande anti-parlementaire et anti-parti était activement poursuivie.

La question des incompatibilités

Avant la charte d'Amiens, cette question avait été plusieurs fois abordée dans les Congrès.

Au Congrès de Bourges, en 1904, la Bourse de Lyon demanda

« que les avocats, les médecins, les professionnels du journalisme politique, vivant de cette profession, les élus politiques appointés, tous ceux qui exercent des professions dites libérales ne puissent faire partie du Comité fédéral ».

 

Cette proposition visait deux journalistes de La Petite République qui critiquaient violemment la politique du Comité confédéral.

La proposition fut rejetée par le Congrès, sur demande de Niel, secrétaire confédéral, et une résolution fut prise qui se bornait « à regretter que des camarades se servent parfois de leur titre de syndiqué pour dénigrer dans les journaux politiques les actes de la Confédération ».

Ce n'est qu'en I911, à une conférence des Fédérations et Unions de Syndicats, que fut adopté l'article des statuts de la C.G.T. disant que « les fonctionnaires confédéraux ne pourront faire acte de candidat à une fonction politique. Leur acte de candidature impliquera leur démission du Bureau confédéral ». (Le texte primitif dit « leur démission de leur fonction confédérale ».)

Notons que cette disposition fut adoptée par 76 voix contre 43. Aujourd'hui, à l'examen de certaines tentatives actuelles faites pour éliminer de la direction de la C.G.T. Unifiée des militants pour le simple motif qu'ils sont membres du Comité central du Parti communiste, on peut avoir la crainte qu'il ne s'agisse ici que d'une manoeuvre contre un parti.

La Charte d'Amiens et le syndicalisme de collaboration de classe

Quand les leaders du mouvement syndical et Griffuelhes en particulier défendaient la Charte d'Amiens, ils déclaraient que la classe ouvrière devait former un tout, avec comme direction le syndicalisme, opposé au tout que formait la classe et l'ordre capitalistes.

Le principe proclamé était la lutte entre les deux forces en présence, et la Charte l'affirmait catégoriquement en se prononçant contre la collaboration des classes et pour l'action directe.

Il n'est pas nécessaire de souligner que comparé aux principes de la Charte, le syndicalisme de la C.G.T. A beaucoup « évolué » depuis, quand il accepte des mandats des gouvernants, défend l'intérêt général et pratique l'action commune avec le Parti socialiste.

Cette « évolution » situe la C.G.T. Beaucoup plus proche de la motion Renard, qui fut opposée à la Charte d'Amiens, que proche de cette dernière.

En effet, rappelons que le considérant de cette motion dit : « Le Comité confédéral est invité à s'entendre toutes les fois que les circonstances l'exigeront, soit par des délégations intermittentes ou permanentes avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières. »

Mais la contradiction n'est qu'apparente.

La Charte d'Amiens correspond à une époque où le mouvement ouvrier développait sa combativité, cependant que les partis se réclamant du socialisme, pratiquaient une politique étroitement électoraliste et réformiste.

Les leaders syndicalistes, même ceux qui étaient les plus proudhoniens, devaient tenir compte de cette poussée combative des masses.. C'est la guerre qui allait les montrer avec leur véritable visage !

Le caractère des discussions actuelles pour la reconstitution de l'unité syndicale

On retrouve dans les discussions actuelles pour l'unité syndicale, toute l'idéologie anarcho-syndicaliste ; hier opposée à ce que l'action politique et économique soit conjuguée, aujourd'hui hostile au Parti communiste et à l'action commune avec lui.

Il est des syndiqués, membres du Parti socialiste, qui confondent l'indépendance nécessaire du mouvement syndical, à l'égard de tous les partis et gouvernements, avec l'opposition de principe et la lutte que mènent les anarchistes et anarcho- syndicalistes contre les partis ouvriers.

L'indépendance syndicale à l'égard des partis ne saurait se traduire par l'hostilité à l'égard de l'un d'entre eux, dont précisément l'action se place sur le terrain de la lutte des classes.

Or, les dernières discussions au C.C.N. Ont montré une tendance chez certains dirigeants ex-confédérés de porter leurs coups contre le Parti communiste et ses dirigeants. Pour justifier ces nouvelles exigences, les dirigeants ex- confédérés se servent bien entendu des traditions de notre mouvement, et ils interprètent à leur façon nos déclarations communes sur l'indépendance du mouvement syndical. Nous connaissons parfaitement les traditions et l'originalité particulière du mouvement syndical de notre pays. Ce serait une erreur de ne pas tenir compte de celles-ci et de ses expériences nombreuses, fruit des luttes puissantes et courageuses de notre classe ouvrière contre le capitalisme, sous la conduite des organisations syndicales.

Ce serait une erreur aussi de ne pas tirer tous les enseignements des fautes et faiblesses qui, selon nous, ont leur origine dans les théories proudhoniennes, appliquées dans notre mouvement syndical.

Par exemple, qui donc pourrait soutenir que notre mouvement ouvrier et que le syndicalisme sont débarrassés de la fausse conception des « minorités agissantes » et de celle de la spontanéité en matière de grève ?

Nombreux sont encore les militants qui différencient de façon tout à fait arbitraire les éléments « conscients » de la classe ouvrière, de ceux dits « inconscients » parce que inorganisés ? Et souvent, au lieu de prendre les mesures utiles pour gagner ceux-ci, ils opposent la qualité du syndiqué à la masse inorganisée, qualifiée d'inconsciente, perpétuant ainsi les erreurs du syndicalisme d'avant-guerre qui exaltait le rôle des minorités conscientes.

C'est cela qui perpétue le caractère étroit et sectaire de notre mouvement syndical et contrarie son acheminement vers une puissante organisation de masse ouverte à l'ensemble de la classe ouvrière, en considérant que sur plus de 12 millions d'ouvriers, un million seulement seront organisés dans la C.G.T. Reconstituée.

Comment le mouvement syndical pourrait-il ignorer les changements profonds qui se sont opérés dans la situation économique et politique, dans les conditions dé développement et de structure du capitalisme, comme dans la situation de la classe ouvrière, au point de vue travail et conditions de vie, formation et concentration du prolétariat, etc.

Au Congrès des fonctionnaires, Delmas disait très justement « qu'il

y avait des gens dans les partis et aussi dans le mouvement syndical qui ne comprennent pas que depuis la guerre un renouvellement des idées, comme des principes essentiels, s'est opéré ».

Delmas est un des militants de la C.G.T. Qui a proclamé la nécessité de l'action commune du syndicalisme avec le Front populaire, en soulignant que la C.G.T. Unifiée devait être l'animatrice de ce mouvement.

En cela nous sommes entièrement d'accord et nous avons proposé que l'unanimité se fasse au Congrès confédéral de fusion sur le programme du Front populaire, pour que l'action commune se réalise immédiatement pour la défense du pain, des libertés et de la paix.

Le mouvement syndical qui fait siens les grands mots d'ordre de Marx, qui inscrit sur ses drapeaux la conclusion du Manifeste communiste : « Prolétaires de tous les pays, unissez- vous ! », ne saurait en repousser la doctrine, les moyens d'action et les buts révolutionnaires.

En tout cas la pensée marxiste doit pouvoir s'exprimer librement dans la C.G.T. Unifiée, comme tout autre opinion doctrinale.

Brimer les syndiqués communistes, sous quelque forme que ce soit, cela signifierait en réalité que dans le mouvement syndical on s'oppose à la libre expression de la doctrine de Marx et d'Engels, et que le proudhonisme est sa doctrine officielle et immuable.