15 fév 1935

La campagne contre les ouvriers immigrés - Arthur Ramette (février 1935)

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février 1935

La campagne contre les ouvriers immigrés se poursuit, en premier lieu, sous le prétexte de la défense des intérêts des ouvriers français frappés par la crise.

On répète de tous les côtés le chiffre de 300.000 ouvriers étrangers en France et de 350.000 chômeurs. Il suffit donc d'expulser les 350.000 ouvriers étrangers, et le problème du chômage, sera résolu en France.

Les journaux réactionnaires publient des placards suggestifs devant faire pénétrer cette vérité dans les esprits des ouvriers français. Ainsi par exemple Le jour publie le placard :

« A Paris, pour 16 chômeurs français, il y a 23 travailleurs étrangers. En province, pour 39 chômeurs français, il y a 100 travailleurs étrangers. » (Cité par je suis partout du 3 novembre 1934)

Edouard Herriot propage la même philosophie :

Le chômage est, pour une grande partie, la conséquence de l'inflation de main d'oeuvre qui a suivi la guerre... Nous ne pourrons plus jamais employer à la fois tous nos compatriotes et tous les étrangers qui ont afflué chez nous. Je réclame la priorité pour les Français. (Discours à Lyon le 5 octobre.)

Jacquier, ministre du Travail, en annonçant les mesures draconiennes contre les ouvriers étrangers, a défini ainsi la doctrine du gouvernement :

Nous sommes décidés à apporter au problème de la protection de la main d'oeuvre nationale des solutions énergiques et courageuses qui, en accentuant l'effort déjà accompli mais nettement insuffisant dans les circonstances actuelles donneront aux travailleurs français la certitude qu'ils ne supporteront, qu'après les travailleurs étrangers, les contrecoups de la crise. (Paris Midi du 20 novembre.) La doctrine commune à tous les partis bourgeois sur la « protection de la main d'oeuvre nationale » est donc la suivante : il y a trop peu de travail en France pour pouvoir satisfaire les ouvriers français et étrangers ; pourtant, cette quantité suffirait pour les ouvriers français. Le chômage résulte donc de l'affluence des ouvriers étrangers. L'intérêt des ouvriers français exige que des Mesures soient prises pour refouler les ouvriers étrangers, pour réserver le travail disponible aux ouvriers français.Toutes les autres considérations doivent être subordonnées à la nécessité de procurer du pain aux chômeurs français. Les fascistes insinuent d'une façon habile aux ouvriers français, à qui on sert tous ces raisonnements, que leurs organisations syndicales et politiques qui se refusent à s'engager dans cette voie agissent contre leurs intérêts.

Voici par exemple, comment le journal royaliste je suis partout dénonce « les marxistes » comme ennemis des ouvriers français : Le Parti S.F.I.O. Et le Parti communiste, la Franc maçonnerie et la Ligue des droits de l'Homme sont les protecteurs et les introducteurs des Allemands, des Espagnols, des Italiens, des Slaves et des Balkaniques, qui volent le pain des travailleurs.

Les marxistes, contrairement à leurs protestations réitérées, se préoccupent fort peu des intérêts matériels et moraux de leurs commettants et cotisants ouvriers. Leur but réel est d'asservir le prolétariat à leur Internationale, comme la haute finance veut asservir les classes moyennes et les patrons indépendants. (Je suis partout du 3 novembre.)

« Les meneurs du front commun contre les intérêts des ouvriers Français » sous ce titre, Fernand Laurent, un des topazes [de la pièce de théâtre du même nom de Marcel Pagnol : un topaze signifie un bureaucrate corrompu] du Conseil général de la Seine, défend dans le Matin du 11 novembre les ouvriers français contre le front commun :

Le front commun ne demande pas que le salarié français soit protégé contre la concurrence redoutable de l'ouvrier étranger... Une observation impartiale des faits oblige à constater, tout au contraire, que toute l'action de ceux que le président Herriot a si justement appelés «révolutionnaires en smoking», s'oppose aux intérêts véritables de la classe ouvrière dont ils vivent, mais qu'ils ne cessent de tromper.

Il ne suffit pas de dénoncer le caractère suspect de ces nouveaux « défenseurs des ouvriers » qui préparent en France l'avènement du régime fasciste, régime d'esclavage renforcé pour les ouvriers. La démagogie sociale de ces messieurs peut exercer une certaine influence sur les couches arriérées des ouvriers, des employés. Elle peut, si les ouvriers révolutionnaires ne s'y opposent dès le début avec une énergie nécessaire, produire des ravages au sein des travailleurs.

Il est donc nécessaire de disséquer minutieusement tous les sophismes et mensonges sur « la protection de la main d'œuvre nationale ».

II y a assez de pain pour tous

Tous ces mangeurs d'étrangers adoptent une prémice qui doit être vigoureusement rejetée par les ouvriers : le chômage est un fléau naturel, tout comme la crise ; la France est trop pauvre pour entretenir des ouvriers étrangers ; la seule solution est de s'adapter aux premiers coups de la crise, en leur assurant pour ainsi dire « la priorité dans la souffrance ».

Même Jacques Duboin, dans son livre « Ce qu'on appelle la crise », met à nu le caractère mensonger de ce raisonnement.Quoi écrit-il en répondant à Herriot la France, en 1934, serait plus pauvre qu'en 1918, alors qu'elle sortait de quatre ans et demi de dévastation systématique ?

A quoi ont donc servi 16 années de labeur ? En 1918, elle pouvait encore donner à manger à ceux qui venaient lui apporter leur travail ; 16 ans plus tard, elle ne le peut plus.

Si je rapproche cette déclaration de la constatation qu'il y a aujourd'hui trop de blé, trop de vin, trop de chaussures trop d'appartements vides, trop de charbon, n'ai-je pas le droit de crier au mystère ?

N'est-ce vraiment la plus grande hypocrisie de parler des ouvriers étrangers venant « voler le pain des ouvriers français », moment précis où le gouvernement et la Chambre multiplient lois après lois pour inventer un meilleur moyen de destruction du blé en excédent sans y arriver d'ailleurs ?

Il y a en France actuellement assez de pain, de chaussures, de vêtements, de viande, de lait pour tous les ouvriers français et étrangers, il y en aura assez pour des milliers d'ouvriers nouveaux. Au point de vue des ressources indispensables à la vie des hommes, la France est actuellement plus riche qu'elle ne l'était, il y a quelques années, où les capitalistes français allaient à l'étranger pour y recruter la main-d'œuvre.

Et si une denrée quelconque manquait, les bras qui sont, parait-il, de trop, peuvent suppléer à cette pénurie.

Sommes-nous vraiment arrivés à une telle situation que chaque Français possède un logement hygiénique et habitable et voit tous ses besoins alimentaires, vestimentaires et autres pleinement satisfaits ? Toutes les écoles françaises se trouvent-elles dans des locaux correspondant aux exigences de la culture moderne ? Toutes les voies sont-elles aménagées ? Etc.

Voici quelques données sur les besoins de la France, citées au Sénat le 27 novembre 1934 :

Sur 38.007 communes françaises, 27.350 n'ont pas encore de distribution d'eau potable. 300 chefs lieux de communes sont sans route. Il y a des milliers de villages où tous les transports se font à dos de mulet ou à dos d'homme car on n'a pas de route carrossable. (Journal officiel du 28 novembre 1934)

Aucun homme honnête ne peut nier qu'il y a encore des dizaines d'années de travail de tous les bras disponibles, français et étrangers, pour assurer à la population de ce pays un niveau de vie correspondant aux besoins les plus élémentaires.

Et si, avec les ressources puissantes de la technique moderne, on réussissait à produire toutes ces richesses plus vite, où est l'obstacle naturel empêchant la réduction du temps de travail à six heures, cinq heures par jour, ce qui laisserait à chaque individu le temps nécessaire pour développer librement et harmonieusement toutes ses facultés physiques et intellectuelles ?

Il faut chasser et condamner à la faim de mort des milliers d'ouvriers étrangers, car on a trop de blé, trop de vin, trop de toute sorte de produits voici la logique de messieurs les capitalistes, réactionnaires et radicaux.En réalité, la France n'est pas du tout trop pauvre comme d'ailleurs aucun autre pays capitaliste pour entretenir ses travailleurs. Il y a assez de richesse pour tout le monde, seulement le régime capitaliste a abouti à une telle stupidité que les gens doivent crever de faim, s'habiller en guenilles, porter des chaussures trouées, se prostituer, voler en face d'amoncellement de montagnes de produits de tout genre qu'ils ont créés et que la bourgeoisie refuse de leur donner, car la loi du profit capitaliste les prive des moyens d'achat et concentre dans les mains des capitalistes en même temps l'argent qu'ils ne peuvent dépenser et les marchandises qu'ils ne peuvent consommer.

La crise montre avec une acuité particulière que le régime capitaliste est devenu un monstre dévorant en même temps les hommes et les marchandises, empêchant tout développement social, rejetant l'humanité dans les affres de la barbarie et de l'autodestruction. La crise fait apparaître aux ouvriers plus clairement que jamais que le renversement de ce régime est la condition nécessaire pour qu'ils puissent vivre, que toutes les conditions sont mûres pour l'institution d'un autre régime, du régime socialiste, où les producteurs libres travailleront pour satisfaire les besoins de la communauté et non pas pour enrichir les parasites et augmenter la misère des travailleurs. Les contradictions de la crise posent devant les ouvriers dans toute son ampleur la question sociale. N'estce pas naturel d'exiger, en premier lieu, la distribution gratuite des produits en surnombre à ceux qui en ont besoin ?

La bourgeoisie craint le plus que cette vérité apparaisse aux ouvriers.C'est pourquoi elle empoisonne leurs cerveaux du mensonge sur la crise, fléau naturel, sur la pénurie du travail, sur « la grande pénitence » (pour les pauvres) qui vient après les années de facilité et de folie collective.

Pour empêcher que les ouvriers réunissent leurs efforts contre leurs exploiteurs, les profiteurs de la crise, elle essaie de les diviser, de leur faire croire que la crise est due à une telle ou autre catégorie parmi eux.

Elle leur fait croire que le patron leur accordant le travail leur fait le plus grand bienfait, qu'ils doivent accepter n'importe quelle condition, car « il n'y a pas assez de travail en France pour tout le monde, heureux est celui qui ne soit pas condamné par les forces naturelles au chômage ».

Ne laissons pas diviser la classe ouvrière

Paul Lafargue décrit ainsi l'attitude des ouvriers influencés par ta bourgeoisie devant la crise :

Au lieu de profiter des moments de crise pour une distribution générale des produits et un gaudissement universel, les ouvriers, crevant la faim, s'en vont battre de leur tête les portes de l'atelier. Avec des figures hâves, des corps amaigris, des discours piteux, ils assaillent les fabricants : « bon Monsieur Chagot, doux M. Schneider, donnez nous du travail, ce n'est pas la faim, mais la passion du travail qui nous tourmente » et ces misérables qui ont à peine la force de se tenir debout, vendent 12 et 14 heures de travail deux fois moins cher que lorsqu'ils avaient du pain sur la planche. Et les philanthropes de l'industrie de profiter des chômages pour fabriquer à meilleur marché. (Paul Lafargue, Le droit à la paresse)

« Pour fabriquer à meilleur marché » les bourgeois doivent avoir en face d'eux les ouvriers divisés, se combattant mutuellement. Ils veulent sortir de la crise au détriment des travailleurs, c'est pourquoi ils leur font croire, par la bouche de leur agent Jacquier, qu'il est fatal que les ouvriers supportent les contrecoups de la crise, que chaque catégorie doit essayer de les rejeter sur une autre.

La campagne contre les ouvriers étrangers fait une partie intégrante de ce plan. Si même quelques ouvriers français pouvaient prendre la place des ouvriers étrangers, les ouvriers français agiraient contre leurs intérêts réels s'ils soutenaient la campagne contre les ouvriers étrangers.

En premier lieu, cela ne résoudrait pas dans la moindre mesure la crise, car la cause de la crise, c'est le régime capitaliste avec toutes ses contradictions et non pas comme le prétend Herriot « l'inflation de la main d'oeuvre ».

L'exemple de grands pays capitalistes où il n'y a pas d'ouvriers étrangers, comme l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie, est à ce point de vue concluant : ces pays souffrent dans la même mesure du chômage sinon plus que la France et la Belgique, pays de l'immigration ouvrière.

D'ailleurs, les pays qui fournissaient des ouvriers à la France, comme la Pologne, l'Espagne, la Tchécoslovaquie, souffrent dans la plus haute mesure du chômage.Enfin, selon les statistiques de Jacquier, depuis 1930, 471.000 ouvriers étrangers ont quitté la France, ce qui a réduit leur nombre à 814.000. Si la théorie de Herriot sur l'inflation de la main d'oeuvre était juste, cela devrait amener la disparition du chômage en France. Au contraire, depuis 1930 le chômage ne cesse de croître. Le pourcentage de chômeurs complets passe de 7,5 (moyenne de 1931) à 23,9 en novembre 1934 ; donc, il a plus que triplé.

Ainsi le renvoi des ouvriers étrangers est absolument inefficace comme moyen de résoudre la crise. La lutte réelle contre la crise exige qu'on combatte ses causes et non pas ses symptômes ou ses conséquences, comme le préconisent les partis bourgeois. Il est possible que le renvoi des ouvriers étrangers ne résolve pas la crise peut répondre un chômeur inconscient mais si l'on met dehors un ouvrier étranger, sa place sera libre, et j'aurai du boulot. Mais pourquoi exiger qu'on renvoie l'ouvrier étranger ? Demain, quand dans une « boîte » les ouvriers feront la grève, on n'a qu'à se présenter et on aura du « boulot ».

Oui, mais c'est un travail de jaune et aucun ouvrier honnête ne consentirait à jouer un rôle pareil.

Et pourtant la campagne contre les ouvriers étrangers est apparentée à celle menée par les bourgeois pour recruter les jaunes. Ce sont d'ailleurs les mêmes journaux, les mêmes organisations qui organisent et glorifient les briseurs de grève, les jaunes, et prêchent la « protection de la main d'oeuvre nationale ».

Un ouvrier français qui s'allie à son patron pour faire chasser son compagnon de travail étranger et prendre sa place, agit comme un briseur du front ouvrier, il agit contre les intérêts ouvriers. Car l'ouvrier étranger qu'il a fait chasser ne le considérera pas comme un allié, mais comme un ennemi, et demain cet ouvrier étranger pourrait être utilisé par le patron contre lui même, lors d'une grève ; cet ouvrier étranger, abandonné de ses camarades français, serait livré au patron et devrait accepter n'importe quelle condition de travail, faisant baisser les salaires généraux de la profession. Ainsi, au lieu des ouvriers unis contre le patron nous aurions des luttes fratricides entre les ouvriers eux mêmes, luttes dont seul le patronat tirera profit.

Un ouvrier français, qui collabore avec le patron contre l'ouvrier étranger, n'a plus son indépendance envers l'ennemi de classe. Il pratique la pire forme de collaboration de classe, il accepte la thèse patronale qu'il n'y a pas assez de travail, qu'il faut favoriser une catégorie d'ouvriers contre les autres, et demain il sera désarmé quand le patron le chassera pour accepter quelqu'un qui a « plus de droits » sur le travail que lui.

Car pourquoi s'arrêter à la priorité de la main d'oeuvre nationale ? Les hommes n'ont-ils pas la priorité sur les femmes ? Et les jeunes sur les vieux ? Les adultes sur les jeunes ?

On peut aller plus loin : pourquoi ne pas réserver le travail à Paris pour les Parisiens, à Lyon pour les Lyonnais, à Tours pour les Tourangeaux ?

Enfin, on arriverait à réserver dans chaque arrondissement le travail aux gens du quartier, dans chaque commune, à ses résidents.

Il n'y aura plus de classe ouvrière, il n'y aura que des groupements ouvriers éparpillés, s'entredéchirant, tous asservis par le patronat qui pourrait les utiliser les uns contre les autres à son gré. Cette image n'est pas du tout due à l'imagination, elle n'est pas le produit d'une spéculation. La bourgeoisie travaille dans toutes ces directions.

Elle est obligée de reconnaître qu'il est impossible si l'on ne veut pas désorganiser toute la production de renvoyer trop d'ouvriers étrangers ; d'ailleurs, le nombre réel de chômeurs dépasse plusieurs fois les chiffres officiels, et même le renvoi en masse des ouvriers étrangers n'y changerait pas beaucoup.

Alors Jacquier prépare des charrettes suivantes : une pour les vieillards, l'autre pour les femmes :

L'élimination progressive des ouvriers étrangers n'est qu'un aspect du problème du chômage. Cette élimination doit rentrer dans un plan d'ensemble de lutte contre le chômage.

Quelques chiffres, à ce sujet, me paraissent suggestifs. S'il y a 814.000 travailleurs étrangers en France, il y a aussi 774.000 travailleurs âgés de plus de 60 ans et 805.000 salariés du sexe féminin.

Je vous demande s'il ne serait pas souhaitable je regrette de ne formuler pour l'instant que des souhaits et de ne pouvoir apporter des réalisations non seulement de donner du travail aux Français avant d'en donner aux étrangers, mais aussi de donner du travail aux jeunes gens avant d'en donner aux vieillards, et aux hommes avant d'en donner aux femmes. (Journal officiel, 3° séance de la Chambre du 29 novembre)

Le gouvernement belge vient de prendre un décret contre les ouvrières, après avoir chassé les ouvriers étrangers. Hitler en Allemagne a déjà fait un pas de plus par rapport à Jacquier et son collègue belge : il a chassé les jeunes des entreprises. La bourgeoisie française se trouve sur une bonne voie, on peut espérer que cette solution serait envisagée par Jacquier dans un de ses prochains discours, après la faillite frauduleuse de ses moyens charlatanesques actuels.

Ainsi le plan capitaliste de solution momentanée de la crise par la division des ouvriers se dessine nettement.

La bourgeoisie incapable de diriger les forces productives, ne voit plus d'autre possibilité de maintenir son existence que la destruction des forces productives et des produits.

Elle brûle le café, dénature le blé pour le donner à manger au bétail, fait arracher les vignes, transforme les vaches (au Danemark) en galettes dont on alimente les cochons, détruit l'outillage (dans le Nord), en préparant la grande destruction des richesses dans la prochaine joyeuse [référence à la première guerre mondiale impérialiste, dont il fut dit qu'elle serait « fraîche et joyeuse »]. L'homme est la plus importante des forces productives.Pour produire au meilleur marché, la bourgeoisie abaisse les salaires, raccourcit la vie de milliers de ses esclaves et de leurs familles. Cela ne suffit plus. Il faut chasser de la production, en même temps que les machines, de nouveaux milliers d'ouvriers : étrangers, vieillards, femmes, jeunes.

Pour la bourgeoisie qui réduit tout à l'argent, chaque travailleur est évalué comme un capital. On estime qu'un homme en âge de travailler a coûté 20.000 francs pour l'élever et l'éduquer, on se propose donc de mettre hors du processus de production des capitaux humains dont le montant s'élève à plusieurs milliards de francs (selon l'évaluation de Mauco, les ouvriers étrangers et les ouvrières représentent un capital de 30 milliards de francs).

A côté de la destruction de l'outillage et des produits du travail, la bourgeoisie, incapable d'associer le travail et les moyens de production, veut détruire les forces du travail, en faisant ainsi la répétition des guerres futures.

La crise ressemble sous cet angle à la guerre. Selon l'évaluation des économistes, les pertes occasionnées par la crise dans le monde entier s'élèvent déjà à 250 milliards de dollars, ce qui dépasse largement le coût de la guerre mondiale. (Peuple du 30 novembre 1934.)

La campagne xénophobe a pour but d'associer les ouvriers à cette oeuvre capitaliste de destruction, de les entraîner derrière la bourgeoisie recherchant à rejeter sur eux tous les fardeaux de la crise, de les éloigner de la lutte pour la solution socialiste de la crise, pour la révolution prolétarienne.La bourgeoisie pose les ouvriers devant un problème artificiel inventé par elle : il faut répartir la petite quantité de travail disponible.

Ouvriers français, chassez les étrangers, les femmes, les jeunes, vous assurerez ainsi au moins votre existence.

En même temps on dit aux ouvriers étrangers : il n'y a pas de travail pour tout le monde ; soyez donc raisonnables, acceptez n'importe quel salaire, ainsi le patron vous gardera.

Et simultanément on réduit les allocations familiales, les pensions de vieillesse, les salaires des soutiens de famille, on pousse ainsi les femmes, les vieillards, les jeunes dans la production, on les oblige à s'embaucher pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Et on leur dit : soyez modestes, les temps sont difficiles, acceptez ce qu'on vous donne, autrement vous n'aurez pas de travail. Ainsi la bourgeoisie espère diviser et opposer les uns aux autres les travailleurs en quête de travail. Français contre étrangers, hommes contre femmes, jeunes contre adultes. Etc., peut-il y avoir une meilleure situation pour les exploiteurs ?

Du moment où les exploités s'entredéchirent, s'arrachent mutuellement les places, combattent les uns contre les autres, le roi capital peut régner tranquillement.

Il n'a qu'à sélectionner ses victimes, fixer lui-même les conditions de travail et entretenir les haines ; dans la mesure où les ouvriers sont divisés, ils ne sont pas dangereux.Les « bons » et les « mauvais » étrangers Le plan de la grande bourgeoisie ne consiste pas, en réalité, à éliminer toute la main d'oeuvre étrangère, féminine, juvénile. Les articles très significatifs que les organes du grand patronat, le Temps en particulier, ont consacré à la question des ouvriers étrangers ne laisse aucun doute à ce sujet.

Il serait impossible écrit le Temps du 21 novembre en effet, dans la plupart des cas, de remplacer les ouvriers étrangers par des chômeurs français. L'expérience en est faite tous les jours, quand les entreprises présentent aux offices de placement leurs offres d'emplois. Essayer de remédier à la crise de chômage en éliminant une partie de la main d'oeuvre, c' est s'attaquer aux symptômes et non pas au mal lui-même.

Le Temps du 14 décembre, en montrant que les ouvriers étrangers remplissent très souvent les travaux les plus pénibles, travaux que les travailleurs français, malgré le chômage, hésitent à reprendre, indique que « le remplacement de la main d'oeuvre étrangère par des chômeurs français exigerait l'institution du système de placement du travail obligatoire », ce qui nous rappelle étrangement l'Allemagne hitlérienne.

Wladimir d'Ormesson souligne dans le Temps du 1er décembre que beaucoup d'ouvriers étrangers établis en France sont indispensables au fonctionnement même de la vie économique française,...en cas de mobilisation que deviendrait la vie agricole de ce pays s'il ne devait compter pour l'assurer que sur les vieillards, les femmes, les mutilés et les enfants ?

A la Chambre et au Sénat, lors de la discussion budgétaire, des représentants des régions agricoles soulignaient à plusieurs reprises la situation très grave des entreprises agricoles privées de leur main d'oeuvre étrangère. Les mines françaises privées complètement des ouvriers étrangers ne pourraient fonctionner non plus. On pourrait citer de nombreux exemples du même genre.

Le véritable plan de la, grande bourgeoisie, d'Ormesson le formule d'une façon nette dans le même article en demandant qu'on refoule « les nomades qui ne font que passer sans s'enraciner..., les agents politiques, les éléments suspects qui charrient toujours vers nous les mouvements révolutionnaires et qui viennent jeter le désordre dans nos rangs et le poison dans nos esprits ».

Chasser les « mauvais étrangers », conserver les « bons » voici le véritable dessein de la bourgeoisie et de son gouvernement. Les mauvais étrangers, ce sont les éléments révolutionnaires, ceux qui ne veulent pas accepter de réduction des salaires, ceux qui veulent organiser leurs frères de misère pour la lutte commune avec les ouvriers français, ce sont, en un mot, tous ceux qui ne consentent pas à devenir des bêtes de somme obéissantes, des instruments dociles dans les mains du patronat.

Les bons étrangers, ce sont tous ceux qui acceptent sans ronchonner de travailler 12, 14 heures pour des salaires de famine qui suivent les curés et les agents fascistes, qui ne viennent ni aux meetings ouvriers, ni aux syndicats, que le patronat peut manier à sa guise.Les bons étrangers, ce sont encore les oisifs et parasites étrangers qui viennent gaspiller en France la plus value produite par les « mauvais étrangers », ce sont enfin les fascistes et les gardes blancs, prêts, quand il le faudra, à aider les fascistes français à mater les ouvriers de ce pays, les « mauvais Français » et les « mauvais étrangers ». La bourgeoisie veut utiliser la crise avec son anarchie accrue du marché du travail et le chômage extraordinaire pour se débarrasser de tous les éléments du désordre, pour décapiter politiquement l'immigration ouvrière, pour « épurer » la classe ouvrière de ce pays les émigrés en premier lieu des éléments qui pourraient entraver la réalisation de ses plans.

Les représentants les plus qualifiés de la grande bourgeoisie posent nettement la question sur son terrain de classe.

Ils distinguent, contrairement aux démagogues réactionnaires parlant pour les larges masses, entre les différentes catégories des étrangers, comme ils distinguent entre les Français.

Ils veulent frapper les étrangers, ennemis de classe, ils protègent et aident les étrangers qui défendent les intérêts de la bourgeoisie ils considèrent comme leurs amis les émigrés réactionnaires et blancs, ennemis des ouvriers.

La bourgeoisie veut réglementer le marché du travail dans son intérêt en s'assurant des bénéfices plus élevés encore, en renforçant encore plus l'esclavage des ouvriers.

Sa politique dans le domaine de la M.O.I [main d'oeuvre immigrée] ne fait que partie de sa politique générale « de l'économie dirigée » au profit de la bourgeoisie.Les capitalistes veulent utiliser pendant la crise plus particulièrement l'appareil étatique dans leur intérêt pour créer, comme pendant la guerre, un capitalisme d'Etat que Lénine a caractérisé comme suit : C'est le capitalisme étatique monopoliste de guerre ou, en s'exprimant plus simplement et plus clairement, bagnes de guerre pour les ouvriers, profits assurés militairement pour les capitalistes. Les capitalistes « libéraux » se prononcent contre l'aide de l'Etat, les autres ne font que glorifier l'intervention de l'Etat, mais en réalité, la bourgeoisie combine ces deux méthodes entre lesquelles il n'y a aucune opposition de principe.

Le « libéral » Flandin se montre le partisan le plus farouche de l'intervention étatique dans le domaine de la main d'oeuvre immigrée, de la réglementation la plus stricte suivie des mesures pénales vraiment militaires en violant ainsi un des principes du libéralisme, principe formulé par le Congrès international de l'immigration de 1889.

Ce congrès, s'élevant contre toute intervention des pouvoirs publics, affirmait « le droit de l'individu à la liberté primordiale que lui reconnaît toute nation civilisée d'aller et de venir, de disposer de sa personne et de ses destinées comme il l'entend ».

La position communiste

Seuls le Parti communiste et la C.G T.U. Ont une position conséquente de classe dans la question des ouvriers immigrés, position qui correspond pleinement aux intérêts de tous les ouvriers de ce pays.Les communistes considèrent que les méfaits résultant de l'emploi des ouvriers étrangers (abaissement des salaires, aggravation des conditions de travail, etc.) proviennent non pas de la mauvaise volonté de ces ouvriers, mais de la politique antiouvrière du patronat et de la privation des droits des ouvriers étrangers livrés à la police. Dans leurs revendications concernant les ouvriers immigrés les communistes s'inspirent des revendications traditionnelles du socialisme français formulées encore dans le programme du Parti ouvrier de 1880.

Dans ce programme on exige « l'interdiction légale aux patrons d'employer les ouvriers étrangers à un salaire inférieur à celui des ouvriers français ».

Dans le même sens, le VIIè Congrès du Parti communiste français de 1932 exige pour les ouvriers immigrés le salaire égal à travail égal, les secours de chômage pour tous les ouvriers étrangers, ainsi que la suppression des contrats de travail, contrats d'esclavage. Pour réaliser l'égalité économique des ouvriers immigrés avec les ouvriers français, il faut les placer dans les mêmes conditions légales, leur donner les mêmes possibilités de défendre leurs conditions d'existence.

C'est pourquoi le Parti communiste met en tête de ses revendications pour les ouvriers immigrés la suppression de toutes lois et mesures exceptionnelles pour les étrangers, droits égaux sur tous les terrains avec ceux des Français.

Le contrôle policier et gouvernemental sur la main d'oeuvre immigrée n'a d'autre but que de renforcer l'esclavage des ouvriers immigrés, de les séparer de leurs frères de classe français, de les utiliser contre eux.

Le contrôle exercé par les patrons et les consuls étrangers sur l'immigration a le même caractère.

C'est pourquoi nous exigeons la suppression de tous ces contrôles, la suppression du droit d'expulsion et de refoulement, la suppression de toutes les entraves à l'entrée et à la sortie de France des étrangers. La bourgeoisie, reconnaissant formellement le droit d'asile, fait en réalité tout pour le rendre inefficace et vain pour les révolutionnaires étrangers, elle le réserve surtout aux fascistes et gardes blancs qui, sous la protection de la police, travaillent parmi les émigrés, excitent chez eux des sentiments chauvins, essaient de les entraîner dans les organisations contrerévolutionnaires collaborant avec les fascistes français.

Le Parti communiste tout en dénonçant les insuffisances et les mensonges de la conception bourgeoise du droit d'asile, exige le droit d'asile intégral pour les révolutionnaires étrangers. Les communistes exigent en même temps la dissolution de toutes les organisations fascistes et militaires dans l'immigration, expulsion de leurs chefs de France.

Cette revendication se lie étroitement à notre lutte générale pour la dissolution des ligues fascistes qui organisent la guerre civile contre les ouvriers de ce pays et tendent à la suppression des libertés démocratiques dont disposent les ouvriers.

Cette revendication découle de notre lutte pour briser les courants xénophobes que les fascistes entretiennent parmi les émigrés, pour libérer ces ouvriers de l'emprise des agents de leur bourgeoisie et du patronat français.

Les communistes exigent l'abrogation de la loi du 10 août 1932 et des décrets de limitation de l'emploi de la M.O.I. Pris en vertu de cette loi, décrets jugés d'ailleurs insuffisants par Jacquier. Le contingentement de la main d'oeuvre immigrée fit par le patronat et le gouvernement n'a d'autre but que d'asservir plus profondément les ouvriers immigrés, abaisser leurs conditions de vie, faire le triage parmi eux, les utiliser pour faire baisser les salaires de l'ensemble des ouvriers.

La question de la main d'oeuvre immigrée n'est qu'un des aspects de l'anarchie capitaliste et de la loi du profit, base du régime capitaliste, qui condamne des millions d'ouvriers à la dégradation et à la famine au moment où le développement des forces productives permet d'assurer une existence aisée à tout le monde.

Les communistes qui seuls mènent une lutte efficace contre le régime capitaliste, contre l'Etat bourgeois, pour l'instauration de la société socialiste, préconisent, seuls, le moyen efficace de résoudre d'une façon définitive toute la question sociale, de supprimer tous les maux engendrés par les capitalistes ; ils préparent ainsi la solution définitive du problème des ouvriers étrangers, à l'instar de l'U.R.S.S. où les ouvriers de toutes les nationalités jouissent des mêmes droits, ont les mêmes salaires, peuvent tous se développer librement et harmonieusement.

La question des ouvriers étrangers dans le sens capitaliste ne se pose donc plus en U.R.S.S., elle ne se posera non plus dans la France soviétique. L'union de la lutte quotidienne avec la révolution, tel est le grand problème du mouvement social-démocrate qui doit logiquement se frayer sa voie entre les deux écueils suivants : l'abandon du caractère de masse et celui du but final, la rechute dans le sectarisme et la chute dans le mouvement réformiste bourgeois, l'anarchisme et l'opportunisme. (Rosa Luxembourg.)