1 sep 1973

Etre communiste dans les camps fascistes - André Roustan (1973)

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André Roustan, 1973

Il y a 34 ans, le Parti Communiste Français était dissous par la bourgeoisie qui se préparait à collaborer avec Hitler. Il entrait dans l'illégalité, des milliers de militants étaient arrêtés, emprisonnés dans les camps en France.

C'était une nécessité pour le Parti de se réorganiser rapidement dans les prisons et dans les camps, en groupes de 3 selon le principe des triangles, pour continuer la lutte politique, élever le niveau idéologique des camarades, maintenir le moral face aux pressions des gardes-chiourmes. Et le Parti engagea tout de suite la lutte contre les reniements.

Les pressions avaient lieu dès l'arrivée au camp. Là elles étaient très grossières : les gardes essayaient de nous faire signer des déclarations de fidélité à Pétain.

Leur but était de briser l'esprit communiste du militant, de connaître celui qui serait sensible aux pressions physiques et morales, celui dont ils pourraient se servir pour essayer de démoraliser les autres. Certains ont signé, quoique membres du Parti.

Dès qu'on s'est aperçu de la situation, une directive a circulé indiquant qu'il ne fallait pas signer. Mais il a fallu une explication qui a duré assez longtemps. Les arguments de certains étaient : « qu'est ce qu'une signature ? Ça ne m'empêchera pas de rester communiste. »

Il fallait donc combattre le principe même de la signature : face aux gardes-chiourmes, un communiste devait à chaque instant garder haut levé le drapeau du Parti. Il fallait montrer les conséquences de la signature : comment l'ennemi allait l'exploiter auprès des masses. La grande majorité des camarades ont su résister à ces pressions.

Les pressions de l'ennemi de classe pour nous faire renier prirent alors d'autres formes. Les gardes-chiourmes essayèrent de recruter des volontaires pour l'organisation TOD, du nom de l'ingénieur nazi qui dirigeait la construction du mur de l'Atlantique, de Bayonne aux Pays-Bas, pour empêcher un débarquement.

La directive du Parti à l'extérieur pour les emprisonnés était alors de s'évader par ses propres moyens pour rejoindre au plus vite le maquis le plus proche, ou l'organisation du Parti.

Or nous venions d'enregistrer un certain nombre d'échecs dans nos tentatives d'évasion, et ces échecs finissaient par décourager certains camarades. C'est ainsi que l'un d'eux pensa que s'engager dans l'organisation TOD serait un bon moyen de s'évader. «Travailler 15 jours pour les nazis ? Qu'importé, disait-il, puisqu'après je rejoindrai le maquis. »

Le Parti s'oppose tout de suite à ces idées. Il montra que partir au mur de l'Altlantique ce n'était rien d'autre qu'une autre forme de reniement, c'était avant tout faire acte de soumission à l'occupant, et ce serait exploité comme tel auprès des masses : c'était trahir. Ce qui se passa ensuite justifia pleinement la position du Parti : le camarade, obligé de travailler au milieu des Allemands, non seulement n'a pas pu s'évader, mais on l'a retrouvé à la fin de la guerre engagé volontaire contre le Japon, et par conséquent quelques temps plus tard dans les rangs des troupes impérialistes en Indochine : une première trahison en avait entraîné une autre.

La grande majorité des camarades avait su garder haut le drapeau du Parti. C'est bien pourquoi la police collabo, n'ayant pu nous faire plier, nous livra en 42 aux SS.

Mais la déportation en Allemagne des prisonniers politiques ne fut pour le Parti dans les camps que l'occasion de nouvelles luttes plus exemplaires encore. Dès le transfert dans les wagons à bestiaux, le Parti se réorganisa. Il fallait lutter à la fois contre la peur, et les idées du genre : « on ne sera pas plus malheureux en Allemagne qu'ailleurs ».

La tâche du Parti était de préparer les gars à l'arrivée dans les camps, de les endurcir pour éviter toute capitulation : on allait dans le bastion du fascisme, vers les camps de concentration et d'extermination, il fallait se préparer à résister.

A Buchenwald étaient déjà internés des dizaines de milliers de communistes allemands, qui, emprisonnés depuis l'avènement du nazisme, luttaient farouchement contre l'extermination. Ils avaient construit une puissante organisation du Parti qui couvrait tout le camp.

Les nazis, obligés de confier aux détenus

certaines tâches d'administration dans le camp, devaient ainsi tolérer la présence des communistes allemands dans les rangs de l'administration du camp. Cette organisation du Parti allemand allait nous apporter une aide précieuse pour résister aux tentatives d'extermination des nazis pendant notre déportation.

Communistes allemands,

tchèques, russes, français, se retrouvèrent côte à côte, pendant que les Blum, les Daladier, eux, étaient dans les belles villas de la ville SS voisine aux rues pavées de mosaïques. A Buchenwald, le but de l'ennemi était clair : plus de temps à perdre à nous extorquer des reniements improbables, travail forcé et extermination systématique.

Mais à mon arrivée dans ce camps de 100.000 prisonniers le Parti était déjà solidement implanté dans toutes les baraques et aguerri à la lutte. Chaque Parti Communiste avait son organisation propre reliée aux autres au niveau de la direction politique du camp.

Et nous avions sous les yeux l'attitude exemplaire des soldats de l'Armée Rouge, qui, par exemple, allaient chercher la soupe sans attendre qu'on la leur apporte, au pas cadencé, avec chants révolutionnaires, et que les SS eux-mêmes, impressionnés, n'osaient plus frapper.

Tout de suite, le Parti engagea la lutte contre l'extermination de ses membres : le travail forcé (par exemple l'extraction et le transport de la pierre) était pour les SS un moyen

d'extermination quotidienne ; ainsi, pour le transport, si on hésitait devant le tas de cailloux à soulever, avec l'air de choisir, on était abattu ; si on en prenait un trop gros pour ses forces, on était abattu ; nous savions comment déjouer ces pièges : choisir de loin la pierre qu'on allait soulever.

Pour les communistes employés aux travaux de déchargement des camions de ravitaillement, l'ordre était d'en ramener le plus possible pour alimenter les camarades, au risque d'être fouillé et pendu le soir même.

En effet, même internés, les communistes devaient rester des militants, des combattants actifs. Les camarades qui travaillaient à la fabrication des V1 ou à l'entretien des armes stockées avaient des ordres précis de sabotage. Il faut souligner, malgré la liquidation systématique lorsqu'ils se faisaient prendre, la discipline extraordinaire des camarades : jamais le sabotage ne s'est interrompu.

Il y avait aussi la diffusion des feuilles d'agitation quotidiennes, manuscrites, qui faisaient le point de la situation politique et militaire grâce à un poste émetteur en liaison avec l'Armée Rouge dont le Parti s'était emparé lors d'un bombardement. Les feuilles étaient diffusées à chaque triangle de communistes, puis elles étaient diffusées oralement à tout le camp. La lutte contre les perquisitions fut bien menée : jamais les SS n'ont mis la main sur nos feuilles.

Les non communistes reconnaissaient vite que seuls les communistes avaient quelque chose qui les soutenait :c'est qu'ils croyaient dans la lutte armée du peuple sous la direction du Parti, dans sa victoire inévitable.

Ce qui orientait toute l'activité du Parti c'était la préparation de l'insurrection. La directive était que les camps aident par leurs propres moyens à leur libération. Dans ce but s'était constitué un Comité International de Liaison dont l'existence n'était connue que des communistes.

L'insurrection fut en effet préparée et dirigée exclusivement par les Partis Communistes dans le plus grand secret. C'est ce comité qui donna l'ordre aux communistes, lors du bombardement américain de Buchenwald en 44,

bombardement gigantesque qui dura deux heures et fit 11.000 morts, de se porter volontaires pour ramasser les morts et les blessés.

C'est ainsi que les camarades purent s'emparer de plus d'un millier d'armes prises sur les SS. Ces armes furent planquées dans des trous de 30/40 cm (pour une dizaine d'armes) faits la nuit sous les baraques et les bâtiments administratifs.

Là encore, l'organisation, la discipline furent telles que jamais les SS ne se doutèrent de ces caches. Il y avait un plan d'insurrection. Nous étions organisés en détachements, chaque détachement savait ce qu'il devait faire et où il devait aller. La veille de l'insurrection, l'Armée Rouge était à 11 km, on la voyait de Buchenwald.

Les SS pris de panique allaient exterminer tout le camp.

L'insurrection fut déclenchée le soir. Au matin, à l'arrivée conjointe des américains et de l'Armée Rouge, le camp était libéré, la vie de milliers de déportés sauvegardée.

Ainsi, grâce au Parti, même dans les pires conditions de répression, non seulement jamais les communistes n'ont perdu confiance dans le succès de la lutte, mais ils ont pu préparer ce succès, y aider.

Les grandes questions: