29 sep 1938

Munich : quelques heures avant la capitulation - Gabriel Péri (septembre 1938)

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Gabriel Péri, septembre 1938

[Paru le 29 septembre 1938 dans L'Humanité]

Les coups de théâtre se succèdent. Hier, au début de l'après-midi, l'Europe a appris la grande nouvelle : MM. Daladier et Chamberlain rencontreront, aujourd'hui, à 15 heures, à Munich, Mussolini et Adolf Hitler.

Cette rencontre avait été précédée d'un message du président Roosevelt et d'une démarche de lord Perth au comte Ciano. Le président de la République américaine avait adressé au Fuhrer un appel qui était une manière d'avertissement.

Il suggérait la réunion en pays neutre d'une conférence internationale.

Il «soulignait la gravité de la responsabilité qu'assumerait l'Allemagne nazie si elle se dérobait à la conversation. Que cet avertissement ait joué dans les déterminations d'hier un rôle essentiel, nul ne pourrait le mettre en doute.

ON A SUPPLIE LES DICTATEURS

Mais le fait est que ce n'est point à la suggestion du président américain que se sont ralliées les puissances. La GrandeBretagne a supplié le Duce d'adjurer le Fiihrer d'Allemagne d'accepter la parlote.

Le Fuhrer n'a point négligé l'occasion qui s'offrait de rehausser son prestige. Il a fait attendre son consentement. Il l'a finalement accordé comme on accepte de souscrire à un grand sacrifice. Que le monde s'incline devant la magnanimité du chancelier ! Il consent dans sa générosité d'âme à recevoir MM. Chamberlain et Daladier à Munich, berceau du « National Socialisme », et à discuter avec eux du dépècement de la Tchécoslovaquie.

Mais qu'on ne s'y méprenne point, Adolf Hitler nous prévient que c'est son amitié pour Mussolini qui l'inspire en l'occurrence. Il nous avertit par avance que c'est à lui et à son allié de l'Axe, et à eux seuls, que le monde inquiet devra témoigner sa gratitude.

LE DUCE « RENFLOUE »

La situation de Mussolini n'est pas moins digne d'intérêt. Depuis quinze jours, il s'efforçait assez vainement d'attirer sur lui l'attention publique internationale.

Il prononça dans ce but huit discours. Malgré les objurgations du Fuhrer, le Duce, jusqu'ici, n'a point pris de mesure de mobilisation, et le roi lui a signifié qu'il s'opposait à une décision de cette nature. La rencontre de Munich réhabilite et renfloue le dictateur enchemise noire. Le Duce risque de quitter la Bavière « les poches pleines ».

Il aura touché au guichet hitlérien en défendant l'Allemagne à la conférence. Mais il aura touché peutêtre aussi au guichet franco britannique.

Qui sait si MM. Daladier et Chamberlain ne récompenseront pas ses bons et loyaux services d »intermédiaire en lui offrant une complicité plus ou moins ouverte en Espagne où l'armée fasciste est battue et archibattue depuis le 25 juillet.

La rencontre des quatre aura donc lieu tout à l'heure. Au risque de contrister une fois encore, les plumitifs à chemise brune ou noire, nous écrivons qu'elle nous inspire les mêmes appréhensions que les rencontres précédentes.

Nous n'avions pas applaudi à l'entreprise de Berchtes gaden et, de ce fait, nous n'avons pas éprouvé la honte qu'ont ressentie après Berchtes gaden ceux qui se penchèrent sur les résultats. M. Chamberlain est revenu des Alpes bavaroises avec un ultimatum.

VA-T-ON CEDER A UN NOUVEL ULTIMATUM ?

Il est revenu des bords du Rhin avec un second ultimatum. Nous souhaitons qu'il n'y ait pas d'ultimatum de Munich. Que M. Daladier relise donc dans l'avion le récit hallucinant des entretiens germano-britanues fait hier aux Communes par M. Chamberlain. Après ces lectures, on sait à quoi s'en tenir sur la nature de ces « conversations », où l'un des interlocuteurs a placé le revolver sur la table et menace à tout bout de champ de mettre en marche son armée.Nous ne jugeons pas les voyageurs de Munich sur leurs intentions. Nous apprécions les voyages précédents à leurs résultats. Nous constatons que ces résultats ont été déplorables ; que les pèlerinages au Canossa hitlérien ont aggravé les exigences nazies et rendu le danger de guerre plus pressant.

Nous en concluons que la méthode employée n'est pas une bonne méthode.

RESURRECTION DU « CLUB DES CHARCUTIERS »

La rencontre de Munich appelle une autre observation. En fait, elle ressuscite le pacte à quatre. Il est inouï de penser qu'une conférence va décider du sort de la Tchécoslovaquie en l'absence de la République tchécoslovaque.

Il est inouï de penser qu'à la table de Munich s'assiéra l'Italie, qui n'a d'autre qualité que celle d'alliée de l'Allemagne et de première protagoniste du démembrement tchécoslovaque, mais que de la conversation, l'U. R. S. S. Sera exclue — l'U. R. S. S.. associée de la France, et aujourd'hui liée par un pacte d'assistance mutuelle avec la Tchécoslovaquie.

Le pacte franco-soviétique prévovait cependant la collaboration des deux pays. On voudrait savoir quel rôle, de l'avis de M. Daladier, doit jouer le pacte franco-soviétique dans la politique extérieure de la France. Toute la tactique du pangermanisme a consisté à isoler la France de ses amis de l'Est et du Sud-Est.

Cet effort a été couronné de succès après Berchtes gaden en ce qui concerne la Tchécoslovaquie. Veuton achever l'œuvre de destruction en ce qui concerne l'Union Soviétique ? Le gouvernement français estime-til que son rôle est celui de fossoyeur des traités qui protègent la France ? Quand on parla pour la première fois du pacte à quatre en 1934, MM. Herriot, Delbos, d'autres encore, dénoncèrent ce projet comme un danger mortel pour la France. Et pourtant l'Allemagne et l'Italie étaient encore membres de la S. D. N.

Le pacte projeté se rattachait à celui de Genève. L'Allemagne n'était pas encore en Rhénanie, l'Italie n'avait pas conquis Tethiopie, l'Autriche n'était pas annexée. Il n'y avait pas d'axe Rome-Berlin. Feu Lautier écrivait : « C'est le club des charcutiers ». Du moins, les charcutiers n'étaient alors qu'en puissance. Maintenant, ils sont en pleine activité, et c'est précisément pour charcuter qu'ils s'assemblent pour la première fois. Ce club prétendra demain à la direction de l'Europe. Imaginez dans quelle posture se trouvera le porte-parole de la France, et vous comprendrez ce que représente cette prétention. Berchtes gaden pouvait n'être qu'une défaite, Munich risque d'être le début d'un grand effondrement, la première étape du glissement vers la mise au pas.

IL FAUT TENIR FERME

Et maintenant, estil possible de limiter les dégâts ? Est-il possible, si déplorable que soit la méthode, de faire en sorte que la réunion de Munich ne renouvelle pas les effroyables erreurs des réunions précédentes ? Oui, sans doute.

A condition de se décider à suivre les conseils que nous avions donnés avant Berchtes gaden.

La réunion de Munich ne peut servir la paix que si elle est l'occasion(Tune affirmation solennelle de la solidarité des puissances pacifiques en face de ceux qui veulent incendier le monde. Depuis deux jours, la France et la Grande-Bretagne se sont associées sur une ligne de résistance.

Un communiqué du Foreign Office a souligné devant l'univers la communauté de résolution de Paris, de Londres et de Moscou. Aussitôt, les peuples ont repris confiance. La voix américaine a retenti. La Pologne a battu en retraite. Bucarest et Belgrade ont intimé des avertissements significatifs.

Tout cela au grand désarroi de ceux qui trahissent la paix, de notre cinquième colonne qui, sous la conduite de Flandin et des marchands de canons, veut livrer les vies françaises aux carnassiers nazis.

Pour MM. Daladier et Chamberlain, il n'est qu'une façon de servir la paix : c'est celle qui consiste à tenir ferme sur la ligne de résistance francobritannique établie après Godesberg.

La France et la GrandeBretagne doivent s'en tenir au plan du 18 septembre et n'en pas démordre. Elles ne pourraient le faire, répétonsle, qu'en décidant la disparition de la Tchécoslovaquie.

LE PLAN DE GODESBERG C'EST LA MORT DE LA TCHECOSLOVAQUIE

Hitler a voulu faire croire au monde que le plan de Godesberg reproduisait celui de Londres. M. Flandin l'a répété. M. Bonnet le prétend lui aussi et, pour le démontrer, il a fait publier hier soir dans un journal considérable une carte falsifiée.

Eh bien ! ces trois personnages sont des menteurs fieffés.Le plan de Godesberg scinde la Tchécoslovaquie. Il place sa capitale sous la menace des canons allemands. Il livre sans délai tous les ouvrages fortifiés de Tchécoslovaquie sans laisser au nouvel Etat le temps de se protéger.

L'exécution du « plan » de Godesberg signifierait l'annexion au Reich de 3.736.000 habitants du territoire tchèque, dont 816.000 Tchèques.

Comme le nombre de Tchèques habitant les régions à grande majorité allemande est de 382.000 personnes, il est clair que le plan de Godesberg prévoit l'annexion à l'Allemagne d'un territoire à population de 434.000 citoyens, en majorité tchèque. Cependant, le mémorandum ne se borne pas à cela.

Il réclame la cession à échéance de territoires à population tchèque nettement en majorité. Il s'agit d'un territoire habité par 1.300.000 Tchèques, dont 1.116.000 Tchèques et 144.000 Allemands seulement.

Rien de semblable n'avait été prévu à Berchtesgaden, ni à Londres. Rien de semblable n'a été demandé à la Tchécoslovaquie.

DALADIER, DITES NON !

C'est pour cela que le gouvernement français a repoussé l'ultimatum, c'est pour cela que Prague l'a déclaré « définitivement et inconditionnellement inacceptable » et que M. Chamberlain a dit que les prétentions du Führer étaient « déraisonnables. » Encore une fois les ministres français et britanniques n'ont qu'à répéter cela à Hitler et à le répéter sur le ton qu'il faut. La guerre s'est rapprochée de nous chaque fois qu'on a cédé.On demande au chef du gouvernement français de montrer au Führer que le Front de la paix est une réalité agissante, on lui demande de prononcer enfin ce NON qui fera reculer la guerre et permettra aux peuples, au peuple allemand compris, de pousser un grand soupir de soulagement.

Les grandes questions: