1 fév 1944

Poèmes sur Gabriel Péri - Louis Aragon (1944)

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Louis Aragon, 1944

[Honoré d’Estienne d’Orves est « celui qui croyait au ciel », Gabriel Péri « celui qui n’y croyait pas »; Gabriel Péri n'est par contre pas enterré au cimetière d'Ivry.]


Légende de Gabriel Péri

C'est au cimetière d'Ivry
Qu'au fond de la fosse commune
Dans 1'anonyme nuit sans lune
Repose Gabriel Péri
Pourtant le martyr dans sa tombe
Trouble encore ses assassins
Miracle se peut aux lieux saints
Où les larmes du peuple tombent
Dans le cimetière d'Ivry
Ils croyaient sous d'autres victimes
Le crime conjurant le crime
Etouffer Gabriel Péri
Le bourreau se sent malhabile
Devant une trace de sang
Pour en écarter les passantsIls ont mis des gardesmobiles
Dans le cimetière d'Ivry
La douleur viendra les mains vides
Ainsi nos maîtres en décident
Par peur de Gabriel Péri
L'ombre est toujours accusatrice
Où dorment des morts fabuleux
Ici des hortensias bleus
Inexplicablement fleurissent
Dans le cimetière d'Ivry
Dont on a beau fermer les portes
Quelqu'un chaque nuit les apporte
Et fleurit Gabriel Péri
Un peu de ciel sur le silence
Le soleil est beau quand il pleut
Le souvenir a les yeux bleus
A qui mourut par violence
Dans le cimetière d'Ivry
Les bouquets lourds de nos malheurs
Ont les plus légères couleurs
Pour plaire à Gabriel Péri
Ah dans leurs pétales renaissent
Le pays clair où il est né
Et la mer Méditerranée
Et le Toulon de sa jeunesseDans le cimetière d'Ivry
Les bouquets disent cet amour
Engendré dans le petit jour
Où périt Gabriel Péri
Redoutez les morts exemplaires
Tyrants qui massacrez en vain
Elles sont un terrible vin
Pour un peuple et pour sa colère
Dans le cimetière d'Ivry
Quoi qu'on fasse et quoi qu'on efface
Le vent qui passe aux gens qui passent
Dit un nom Gabriel Péri
Vous souvientil ô fusilleurs
Comme il chantait dans le matin
Allez c'est un feu mal éteint
Il couve ici mais brûle ailleurs
Dans le cimetière d'Ivry
Il chante encore il chante encore
Il y aura d'autres aurores
Et d'autres Gabriel Péri
La lumière aujourd'ui comme hier
C'est qui la porte que l'on tue
Et les porteurs se subtituent
Mais rien n'altère la lumière
Dans le cimetière d'IvrySous la terre d'indifférence
Il bat encore pour la France
Le coeur de Gabriel Péri

La Rose et le Réséda

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au cielCelui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelleLe grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

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