Humanisme, Lumières, Bourgeoisie - 6ème partie : la guerre de religions en France
Submitted by Anonyme (non vérifié)La religion est toujours le masque idéologique d’une classe sociale, le reflet d’une époque bien déterminée. Les luttes de classes en France ont donc, du XVe au XVIIe siècle, pris l’apparence de guerres de religion.
Ces guerres ont été nombreuses : huit dans la seconde moitié du XVIe siècle, avec des prolongements aux XVIIe et XVIIIe siècles. La raison en est que le protestantisme s’est largement développé, mais pas assez pour asseoir une hégémonie.
Le protestantisme, après une première vague, rassemble environ 10% de la population du royaume, formant 1500 communautés. Ces communautés sont soit noyées dans la masse urbaine (Paris, Lyon, Rouen, Orléans, Bourges), soit extrêmement bien implantées, principalement dans le sud du pays avec une sorte de « croissant huguenot » où l’on retrouve plus de 80% des protestants d’alors.
Les protestants sont des « lisant-écrivant » ; ils font partie des couches les plus alphabétisées, alors que l’écrasante majorité de la paysannerie reste dans le giron catholique romain. Le protestantisme est diffusé par des diplômés d’université, des laïcs et des clercs, des négociants, des marchands, des artisans.
A cela s’ajoute une partie de la noblesse, justement dans le midi. La raison en est une forte tradition d’autonomie et de décentralisation. La possible existence d’une nation occitane a été définitivement écrasée avec la croisade contre la religion cathare, au 13ème siècle. Mais si la noblesse et la population ont accepté leur intégration dans le royaume, leur riche culture les pousse à revendiquer une autonomie. Sans nul doute, on retrouve le même phénomène dans le Béarn et la population basque.
Cette volonté d’autonomie est en parfait accord avec les besoins de libertés des entrepreneurs, tant dans le Languedoc que justement dans des villes commerciales comme La Rochelle ou Lyon. C’est cette tendance historique qui fait face au centralisme de l’État national en train de naître, et qui est considéré par le cardinal de Richelieu comme un « État dans l’État. »
Cela est juste, comme en témoigne la constitution en février 1573 des Provinces de l’Union, sur le modèle néerlandais (et donc appelées par certains historiens « Provinces-Unies du Midi »).
Il va de soi qu’aujourd’hui, cette perspective communautaire-décentralisée n’a plus rien de progressiste et n’est qu’une fiction petite-bourgeoise visant à faire tourner en arrière la roue de l’histoire. Elle est évidemment présente dans le sud de la France (sous la forme de la fiction d’une « nation occitane » à laquelle il faudrait donner naissance et qui serait « naturellement » progressiste), mais également dans d’autres zones sous la forme ultra-réactionnaire des « identitaires » revendiquant une attachement « charnel » à leur « terroir. »
Ce qui s’est décidé à l’époque, c’était la nature de la construction de l’État national français : de manière ultra-centralisée, ou bien de manière décentralisée. La victoire monarchiste, en alliance avec le Vatican, a donné naissance à une France ultra-centralisée, identité qui ne changera nullement avec l’avènement de la république bourgeoise. La fin de cette dimension ultra-centralisée ne peut être amenée que par le dépassement de la France en tant que nation, et non son morcellement visant à ramener dans le passé, à l’époque de l’éclosion de la bourgeoisie en tant que classe.
La conception même d’une nation morcelée, à une époque de développement de la civilisation, est une contradiction en soi. C’est cela qui a été la cause de la défaite protestante, le protestantisme n’ayant pas réussi à lever le drapeau national.
Les protestants, considérant leur mouvement comme inéluctable car voyant comme leur ennemi le Vatican et non nécessairement la monarchie en soi (tout en rejetant son centralisme absolu), ont accepté de temporiser.
Les multiples guerres de religion (1562-1563, 1567-1568, 1572-1573, 1574-1576, 1576-1577, 1579-1580, 1585-1598) sont donc sanglantes, provoquant la mort de dizaines de milliers de personnes. et l’objectif est l’hégémonie idéologique.
Mais cette bataille pour le rapport de force est conçu, du côté protestant, comme devant faire boule de neige, et les pauses entre les guerres sont donc marquées par de multiples « édits » où les protestants se voient reconnus par la monarchie, avec l’obtention de plus ou moins de droits de culte.
Cela n’empêche pa la violence: à la fin du XVIe siècle, sur 337 lieux de culte (catholiques) du diocèse de Toulouse par exemple, le nombre d’églises ou de chapelles ayant dû affronter la colère protestante est le suivant : 45 ont été brûlés, 37 détruites, 23 mises en ruine, 19 n’ont plus de toiture, 14 ont été pillés ou sont en mauvais état.
Mais ce n’est pas l’aspect principal: le protestantisme espérait gagner la légitimité, l’hégémonie. Cet espoir sera vain.
En effet, les temps morts entre les guerres vont permettre à la monarchie de se développer en tant que culture nationale, et par là, de par le niveau civilisationnel plus élevé de la nation par rapport au localisme, de prendre le dessus culturellement.
A cela s’ajoute les multiples manoeuvres, comme le massacre de la Saint-Barthélemy, en 1572. Un attentat avait blessé à Paris le chef protestant Gaspard II de Coligny, et les représentants protestants venus protester sont massacrés dans un complot se transformant en pogroms anti-protestants à Paris, puis dans une vingtaine de villes de province.
A Paris, Coligny est ainsi achevé et sa tête envoyé au pape Grégoire XIII, pape qui fait tirer le canon du Château-Saint-Ange à Rome, commande une médaille commémorative, demande au peintre Vasari (auteur par ailleurs du premier recueil d’histoire de l’art, « Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes ») des oeuvres célébrant le massacre pour orner le Vatican.
Une autre manoeuvre fut la conversion au catholicisme du chef protestant Henri de Bourbon en 1593, permettant à celui-ci de devenir roi de France, sous le nom de Henri IV. Si cela permet un nouvel édit plus favorable, le status quo et le renforcement de la royauté jouent en défaveur de la culture protestante, dont la dynamique est cassée et semble aller contre la tendance à la construction nationale.
C’est en assiégeant et soumettant la ville protestante de La Rochelle, mais aussi en supprimant également les châteaux forts privés et en interdisant les duels, bastions féodaux, que Richelieu marque le triomphe des forces monarchistes tant sur les forces bourgeoises non parisiennes que sur la petite noblesse, et le développement de la construction nationale.
Une construction nationale sous l’égide de la monarchie, qui à son apogée « résout » la question protestante : Louis XIV fait paraître en 1685 l’édit de Fontainebleau qui oblige les protestant à se convertir ou s’exiler.
Double conséquence de cela, après l’échec du protestantisme, la bourgeoisie produira le mouvement des libertins (qui permettront l’éclosion des Lumières). La petite noblesse, elle, sera à l’origine du jansénisme, mouvement puritain de désengagement d’une société dominée par le pouvoir central.
Comme le constate Engels, dans Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, la religion devient alors un simple moyen idéologique pour tromper les masses, et ne peut plus jouer de rôle progressiste. Le protestantisme, en tant que religion « bourgeoise », a été la dernière religion à jouer un rôle progressiste authentique.
En France, la minorité calviniste fut, en 1685, opprimée, convertie au catholicisme ou expulsée du pays.Mais à quoi cela servit-il ? Déjà à cette époque, le libre penseur Pierre Bayle était à l’oeuvre, et, en 1694, naquit Voltaire. La mesure draconienne de Louis XIV (révocation de l’Edit de Nantes) ne fit que faciliter à la bourgeoisie française la réalisation de sa révolution sous la forme irréligieuse, exclusivement politique, la seule qui convînt à la bourgeoisie développée.
Au lieu de protestants, ce furent des libres penseurs qui siégèrent dans les assemblées nationales.
Par-là le christianisme était parvenu à son dernier stade. Il était devenu incapable de servir à l’avenir de manteau idéologique aux aspirations d’une classe progressive quelconque ; il devint de plus en plus la propriété exclusive des classes dominantes qui l’emploient comme simple moyen de gouvernement pour tenir en lisière les classes inférieures. A remarquer que chacune des différentes classes utilise la religion qui lui est conforme : l’aristocratie foncière avec le jésuitisme catholique ou le rigorisme protestant, la bourgeoisie libérale et radicale avec le rationalisme ; et que ces messieurs croient ou non à leurs religions respectives, cela ne fait aucune différence.