Humanisme, Lumières, Bourgeoisie - 3ème partie : la naissance de l’État français moderne avec François Ier
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le matérialisme dialectique enseigne que le passage à un niveau supérieur est une caractéristique du saut qualitatif. Ainsi, l’humanité a profité du passage des micro-États typiques du féodalisme à un État centralisé, généralisant la loi et la justice. C’est un progrès dans la civilisation et le refus des particularismes, à une époque où « l’univers » de la grande majorité des individus se résumait au cinq kilomètres environnant, où le pays est divisé entre 70 000 – 80 000 seigneuries.
L’État central généralise une justice unique, rejetant la violence des micro-univers repliés sur eux-mêmes et combattant de manière ultra-violente et tribale la moindre intervention extérieure. Il ne le fait pas sans mal, mais il profite d’une tendance irrépressible, celle de l’accumulation du capital.
Car les échanges économiques se généralisent au sein d’une même zone géographique, repoussant le chaos et en permettant une pacification du cadre des échanges, qui devient le cadre national où l’État régule la vie sociale.
C’est le moment où les villes se développent comme foyers de civilisation. Dans certaines situations, ces villes deviennent si puissantes, qu’elles deviennent littéralement des États-marchands, comme Gênes et Venise.
Le capital est alors déjà centralisé, fruit d’un long processus d’accumulation. De grandes familles de banquiers s’affirment, comme les Fugger (qui dominent la banque et la finance en Europe au Moyen-Âge comme à la Renaissance), les Médicis (de Florence, mais aux filiales bancaires à Londres, Lyon, Avignon, Bruges, Genève, Venise, Rome, Naples, Pise…).
Dans la future France, Lyon est alors la première place bancaire financière de France ; en 1502, ce sont pas moins de 40 entreprises de Florence qui ont des filiales dans cette ville, possédant une main-mise sur le commerce à longue distance en France.
La bourgeoisie qui se développe élève son niveau culturel, de par les échanges et son intense activité. Naturellement, cela correspond à la période des débuts de l’imprimerie ; des presses sont installées à Bâle en 1466, Rome en 1467, Paris en 1468, Venise en 1469, à Buda en 1471.
L’État central lui-même assume cette orientation. Matthias Corvin Ier de Hongrie (1443-1490) était par exemple un grand mécène, et disposait d’une bibliothèque fameuse, la « Bibliotheca Corviniana », avec entre 4000 et 5000 oeuvres, soit la plus grande après celle du Vatican.
En France, c’est François Ier qui va jouer le rôle historique d’implanter l’humanisme ans dans la culture nationale française, faisant de lui une figure essentielle de la Renaissance. En pratique, l’humanisme français été d’une extrême faiblesse ; les humanistes ont été peu nombreux et leur faiblesse les pousse au pessimisme moraliste (exactement comme lors de la falsafa à certains moments).
Néanmoins, cela est compensé par deux phénomènes : tout d’abord, François Ier est le premier roi à vraiment profiter d’une unité « nationale », une unité nationale d’autant plus importante qu’elle marque la sortie d’une période de troubles très importants et de présence militaire et idéologique anglaise (la « guerre de cent ans »).
Ensuite, par ses guerres dans ce qui sera l’Italie, François Ier a contribué à ce que la France se tourne vers ce pays et son humanisme, pillant tant les idées que des oeuvres (manuscrits, peintures, sculptures, etc.), faisant de la Renaissance italienne le modèle à suivre pour la France.
La Renaissance n’est donc pas ici une rupture avec la féodalité, mais sa modernisation poussée jusqu’à son plus haut degré. Il n’y pas tant un humanisme qu’une « modernisation » de l’appareil étatique, justement dans grande transformation « nationale » donnant naissance à l’État français moderne.
Les deux principales figures intellectuelles de l’appareil humaniste, Guillaume Budé et Jacques Lefèvre d’Étaples, considèrent d’ailleurs que le retour à la culture gréco-romaine va de pair avec le respect des institutions tant chrétiennes que monarchiques.
C’est la monarchie elle-même qui établit ainsi son caractère d’État central dans une démarche de civilisation, pavant la voie à Louis XIV. Loin d’être un simple facteur d’oppression, la monarchie est la garante de valeurs, comme le rappelle Ronsard :
Sire, ce n’est pas tout que d’être Roi de France
Il faut que la vertu honore votre enfance :
Un Roi sans la vertu porte le sceptre en vain
(Ronsard, Institution pour l’adolescence du Roi très chrétien Charles neuviesme de ce nom, 1562)
Lors de la visite de François Ier à Lyon en 1515, on a ainsi pu lire ce poème consacré aux « vertus du souverain » (et prétexté par une lettre de son nom royal) :
Je suis Rayson, qui du beau nom de François
Secunde lettre en main tiens pour blason
Signifiant qu’il doit, toute sayson,
Sur ses subjets tenir mesure et pois
Car pa rayson, suivant les justes loix,
Au peuple doibt administrer justice
Et le garder, par sa royale voyz
Et sa vertu en bon ordre et police.
La monarchie est la garante raisonnable de la justice et du bon fonctionnement de la société. Louis XII est déjà en 1506 surnommé « le père du peuple » par les Etats généraux qui saluent son respect des « coutumes » ; avec François Ier, les masses vivent une unification sans pareille mesure.
Point culminant de la fondation de l’État moderne français, l’administration choisit une seule langue pour son fonctionnement. En 1539 est mise en place l’ordonnance dit de Villers-Cotterêts (nom d’une ville picarde), appelée officiellement « Ordonnance générale en matière de justice et de police », généralise l’utilisation du français pour les arrêts et les procédures des cours de justice, ainsi que pour la rédaction des actes notariés.
La langue de la cour et des élites urbaines, langue la plus développée au niveau culturel, s’impose face aux langues populaires (notamment les langues d’oc parlées dans le sud de la France, mais également le breton et le basque).
L’État moderne donne alors naissance au Collège des lecteurs royaux, assumant également l’établissement définitif d’une bibliothèque du roi enrichie d’achats et du dépôt légal. Et dans la foulée, le poète Joachim du Bellay publie en 1549 Défense et illustration de la langue française (La Deffence, et Illustration de la Langue Francoyse), qui sert de manifeste aux poètes du groupe de la Pléiade qui inaugurent la littérature nationale.
La langue française alors sa reconnaissance officielle et sa production artistique ; elle est prête à prendre la place du latin dans le domaine scientifique. L’État national français a sa langue nationale ; les particularismes locaux sont définitivement dépassés ; c’est une victoire du progrès, permettant le passage à une étape supérieure de la civilisation.