12 mai 2013

Humanisme, Lumières, Bourgeoisie - 8ème partie : la formation de l’État moderne par l’administration « géométrique »

Submitted by Anonyme (non vérifié)

La formation de l’esprit national français culminant dans le « classicisme » caractérisé par l’alliance monarchie – religion (avec la prépondérance de la monarchie) va de pair avec la formation de l’État français, en tant qu’administration à l’échelle nationale.

La notion de république est au centre des préoccupations, en tant que « res publica », chose publique. Jean Bodin en fait la théorie, dans son oeuvre principale, La République (1576), où il donne les contours juridiques de la monarchie.

Dans le cadre de l’esprit national, cette conception est « géométrique » ; Cardin Le Bret explique dans le classique « De la souveraineté du Roy » (1632) que « La souveraineté n’est non plus divisible que le point en géométrie. »

Le roi n’est pas le centre, mais l’axe central. Si l’on est encore incertain du fait que le jeune Louis XIV ait jamais affirmé que « L’État c’est moi! », on connaît par contre ses dernières paroles, très parlantes ici : « Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours. »

De la même manière, Jean-Baptiste Colbert, importante figure de la finance au 17ème siècle, avait comme devise : « Pro rege, saepe, pro patria semper » soit « Pour le roi souvent, pour la patrie toujours. »

Le même Colbert rappelle également que « Le roi veut qu’il y ait de l’uniformité dans son royaume » (lettre à Henri d’Aguesseau, intendant de Languedoc, 26 avril 1675).

Car la monarchie absolue, c’est avant tout une administration nationale. La loi devient la même dans tout le pays, le roi exige impôts et soldats. Le pays devient unifié.

Une imprimerie royale est ainsi fondée au 17ème siècle par Louis XIII, au Louvre, pour imprimer les actes royaux. Les avocats et les juristes forment une nouvelle profession d’importance, alors que se développe le droit dans tout le pays. En 1764, le dépôt étatique des actes légaux contenait déjà 350 000 actes (originaux, copies, imprimés).

L’application des décisions royales passe par une administration développée : des officiers (chargé d’offices, c’est-à-dire d’administration de domaines précis, la charge étant héréditaire et pouvant se vendre), des commissaires (qui sont des chargés de mission temporaires), et enfin les ingénieurs et techniciens (fortifications, ponts et chaussées, marine, géographes…), les commis (employés aux écritures), les inspecteurs (chargés de la vérification, véritables policiers de la monarchie)…

On a déjà les bases d’une administration étatique moderne, ainsi que le principe d’une formation par l’État des cadres de la nation : l’École des ponts et chaussées est fondée en 1747, l’École du génie de Mézières en 1748, l’École des mines en 1783.

On a également une affirmation du caractère général de la société française, avec les « états généraux », rassemblant des représentants des « sujets » du roi, présentant des « doléances. » Ces états généraux se sont réunis à Tours en 1484, à Pontoise en 1561, à Blois en 1576 et en 1588, à Paris en 1593 et en 1614, à Versailles en 1789.

A cela s’ajoute les assemblées des notables (1506, 1527, 1558, 1560, 1575, 1583, 1596, 1617, 1625, 1626, 1787, 1788), qui émettent des « avis. » Il n’est nullement difficile ici de voir comment se préfigurent d’un côté le Parlement (forme « moderne » des états généraux) et de l’autre le Sénat (forme « moderne » des assemblées des notables).

Si on ajoute les secrétaires d’État, le département de la guerre, le département de la marine, le département des affaires étrangères et le département des finances, on voit que la bourgeoisie n’a rien inventé et directement repris, à la monarchie absolue, le principe d’administration moderne.

Avec Versailles, où s’installent les ministres et leurs services, on a également la formation d’une capitale administrative. Cette capitale devient le centre culturel, le bastion idéologique de la monarchie. L’existence de la cour, soit 10 000 courtisans, est la preuve de la fin de la France des « fiefs » telle qu’elle existait encore au 16ème siècle. Le Roi veille et surveille tout.

La destruction de la « cour des miracles » à Paris – les quartiers de Paris incontrôlés et incontrôlables de par la population lumpen – témoigne de cette généralisation de l’ordre, de ce progrès de civilisation.

La France devient alors une nation, la « France, mère des arts, des armes et des lois » telle que l’avait défini Du Bellay au 16ème siècle, et telle que la République bourgeoisie du début du 21ème siècle l’assume encore.

Ce cadre national va permettre à l’antithèse de la féodalité, le capitalisme, de s’affirmer franchement, donnant à la bourgeoisie la capacité de diriger la nation. Richelieu, cardinal renforçant l’État et contribuant à la naissance de l’Académie française, pave la voie institutionnelle à la naissance de l’État bourgeois républicain.