12 mai 2013

Humanisme, Lumières, Bourgeoisie - 2ème partie : introduction

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La France de la période capitaliste est le fruit d’un long processus, au travers duquel la bourgeoisie est née, s’est développée, a tenté de prendre le pouvoir, et enfin l’a pris en réussissant à le conserver.

La période de la naissance de la bourgeoisie est celle de l’humanisme et de la Renaissance. La période de son développement, ce sont les 17ème et 18ème siècles avec comme aboutissement la révolution française. Enfin, c’est dans la seconde partie du 19ème siècle que la bourgeoisie prend le pouvoir en France, et le conserve.

La bourgeoisie n’a ainsi et évidemment pas disparu à la fin du 16ème, pour réapparaître au début du 18ème siècle ; il n’est pas possible de considérer séparément l’humanisme et les Lumières, ni d’oublier la période intermédiaire.

On peut et doit penser à la figure de Spinoza, qui a vécu au 17ème siècle, période historique où c’est la réaction qui prédominait. Il serait absurde d’oublier cette figure essentielle de la pensée humaine, sous prétexte qu’il serait arriver trop tard pour l’humanisme, et trop tôt par rapport aux Lumières, alors que justement il est le prolongement de l’un et l’annonciateur de l’autre, jouant pour l’Europe le rôle qu’Averroès aurait pu jouer pour le monde arabo-persan.

En ce qui concerne la France, oublier le 17ème siècle serait pareillement oublier les « libertins », qui sont justement les partisans du matérialisme et les champions des idées progressistes à leur époque (tel Savinien Cyrano de Bergerac), ou encore les oeuvres littéraires de Molière, dont le caractère bourgeois est évident.

L’exemple de Molière est très parlant en France, car le terme « bourgeois » désigne celui qui habite le bourg, la ville. La bourgeoisie naît avec la ville, et mourra avec elle, car le socialisme amènera le dépassement de la contradiction entre les villes et les campagnes.

Les villes témoignent de la vigueur de la bourgeoisie ou, inversement, sa faiblesse. Car c’est dans les villes que naît la bourgeoisie, sous la forme des artisans et des marchands. Ceux-ci sont à l’origine d’une petite production marchande fondée sur la propriété privée et le travail personnel ; organisés en corporations et en guildes, ils affirment leurs intérêts face aux forces féodales.

Dans la culture arabo-persane, la philosophie (appelée falsafa) ne put pas s’imposer, en raison de l’absence de bourgeoisie solidement ancrée dans les villes, et ce malgré ses formidables apports à la science et à la pensée humaine. Les forces féodales dominaient culturellement et économiquement ; la culture urbaine était enserrée par le féodalisme.

Un exemple similaire existe en Europe. Du 12ème au 17ème siècle, le nord de l’Europe avait connu l’alliance des villes de la Hanse (Riga, Stockholm, Hambourg, Cracovie, Lübeck, Rostock, Dantzig, etc.) autour de la Baltique, mais les forces féodales parvinrent à contrecarrer cette émancipation de la bourgeoisie commerciale.

Près de 80 villes appartenaient à cette ligue hanséatique, qui pratiquait le commerce avec l’Angleterre, la Scandinavie, la Pologne et la Russie. Les produits industriels d’Europe occidentale (draps de Flandre et d’Angleterre, toiles, articles métalliques d’Allemagne, vins de France…) étaient échangés contre les fourrures, les peaux, le lard, le miel, le blé, le bois, la poix, les tissus de lin et autres articles artisanaux du nord-est de l’Europe.

Cependant, aux 15ème et 16ème siècles, la bourgeoisie connaît également une période florissante dans le sud de l’Europe. Elle parvient ainsi à maintenir son existence, grâce à des villes qu’elle contrôle, dont les plus connues sont Florence, Venise, Gênes ; elle pouvait alors soutenir les penseurs et artistes qui regardaient le monde dans une manière que l’on doit qualifier de matérialiste, tout en se maintenant sur le plan militaire grâce à des États (de type républicain notamment).

Friedrich Engels constate ainsi l’origine du capitalisme, du capital industriel, par rapport à la Hanse et à l’Italie :

Le marchand était l’élément révolutionnaire dans cette société où tout était stable, pour ainsi dire par hérédité ; le paysan recevait par héritage et de façon presque inaliénable non seulement son arpent, mais aussi sa position de propriétaire libre, de fermier libre ou dépendant ou de serf ; l’artisan de la ville, son métier et ses privilèges corporatifs ; chacun d’eux recevait en outre sa clientèle, son marché, de même son habileté formée dès sa jeunesse pour ce métier héréditaire.

C’est dans ce monde qu’apparut le commerçant qui devait être à l’origine de son bouleversement. Il n’en fut pas le révolutionnaire conscient, mais bien au contraire la chair de sa chair, le sang de son sang (…).

Il [= le capital industriel] s’était déjà ébauché au Moyen-Âge, et ce dans trois domaines ; navigation, mines, industries textiles.

A l’échelle où les républiques maritimes italiennes ou hanséatiques pratiquaient la navigation, celle-ci était impossible sans matelots, c’est-à-dire sans salariés (dont la condition de salariés pouvait se dissimuler sous des formes d’association avec participation aux bénéfices) ; quant aux galères, il leur fallait également des rameurs, salariés ou esclaves ; les membres d’une association pour l’extraction des métaux qui, à l’origine, étaient des travailleurs associés, s’étaient déjà presque partout constitués en sociétés par actions pour l’exploitation de l’entreprise au moyen de salariés.

Dans l’industrie textile, le commerçant avait commencé à prendre directement à son service les petits tisserands en leur fournissant le fil qu’il faisait transformer pour son compte en tissu, contre un salaire fixe, bref, en devenant, de simple acheteur, un entrepreneur.

Nous trouvons ici les premiers débuts de la constitution de plus-value capitaliste.

(Complément au supplément du livre III du Capital).

Afin de défendre leurs activités, et de par leur position privilégiée, ces entrepreneurs développèrent une vision du monde, une idéologie, et modifièrent les arts en leur faveur. La richesse de la peinture hollandaise ne s’explique pas sans le succès commercial de la république des Provinces-Unies ; la pensée de Machiavel ne se laisse pas comprendre sans une vision globale des progrès de la bourgeoisie dans la future Italie.

Friedrich Engels dit ainsi et justement de cette période que :

Ce fut le plus grand bouleversement progressiste que l’humanité eût jamais connu, une époque qui avait besoin de géants et oui engendra des géants : géants de la pensée, de la passion et du caractère, géants d’universalité et d’érudition.

Les hommes qui fondèrent la domination moderne de la bourgeoisie furent tout, sauf prisonniers de l’étroitesse bourgeoise.

(La dialectique de la nature)

A ce titre, la période de la Renaissance italienne, celle de l’humanisme qui est l’idéologie prolongeant cette Renaissance, est un moment essentiel de l’histoire humaine. C’est cette période qui va permettre aux Lumières d’exister, à la bourgeoisie de s’affirmer, au mode de production capitaliste de s’imposer. Sans l’humanisme italien de la Renaissance, il n’y aurait pas de Lumières françaises.

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