Humanisme, Lumières, Bourgeoisie - 5ème partie : Calvin, héraut de la bourgeoisie européenne
Submitted by Anonyme (non vérifié)Mais à côté de l’Allemand Luther, il y avait eu le Français Calvin.Avec une rigueur bien française, Calvin mit au premier plan le caractère bourgeois de la Réforme, républicanisa et démocratisa l’Église.
Tandis qu’en Allemagne la Réforme luthérienne s’enlisait et menait le pays à la ruine, la Réforme calviniste servit de drapeau aux républicains à Genève, en Hollande, en Écosse, libéra la Hollande du joug de l’Espagne et de l’Empire allemand et fournit au deuxième acte de la révolution bourgeoise, qui se déroulait en Angleterre, son vêtement idéologique.
Ici le calvinisme s’avéra a être le véritable déguisement religieux des intérêts de la bourgeoisie de l’époque, aussi ne fut-il pas reconnu intégralement lorsque la révolution de 1689 s’acheva par un compromis entre une partie de la noblesse et la bourgeoisie.
(Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande)
Calvin, héraut de la bourgeoisie : la bourgeoisie française n’a jamais reconnu ce fait. Et pour cause : le protestantisme a échoué à être son drapeau en France, alors que la libre-pensée et le rationalisme porteront les Lumières et la révolution bourgeoise de 1789.
Les livres d’histoire ne parlent donc pas de Calvin, le considérant au mieux comme un Genevois, simple figure protestante. A Noyon, ville de Picardie où il est né en 1509, ce n’est que pendant l’occupation allemande durant la première guerre mondiale qu’une plaque sera apposée sur sa maison natale rebâtie au début du 19ème siècle.
Noyon elle-même est une ville peu connue. En ce début de 21ème siècle, c’est une petite ville d’un peu moins de 15 000 personnes, mais historiquement elle a été d’une grande importance en tant que centre chrétien du nord de ce qui sera la France.
Il s’agit en effet d’une ville d’importance pour les Francs, dont l’une des capitales est la toute proche Soissons. Charlemagne (en 768) et Hugues Capet (en 987) y ont été sacrés roi des Francs. Un très important évêché y existait, profitant notamment de la figure de l’évêque Saint-Eloi, ancien orfèvre et trésorier du roi Dagobert.
La ville devient même la première « commune libre » de l’histoire du royaume, en 1108, l’évêque s’alliant aux bourgeois de la ville, qui profite alors d’un grand élan économique, dans une Picardie qui a à l’époque l’une des populations les plus denses et est relativement prospère grâce au textile.
Lorsque Jean Calvin naît en 1509, Noyon n’est déjà quasiment plus que l’ombre de son riche passé : sa localisation géographique en a fait un lieu de passage des armées, notamment anglaises.
La superstition règne alors en maître dans le pays tout entier, poussé par l’obscurantisme catholique romain. L’exemple de Jeanne d’Arc, qui s’imagine que la parole divine s’adresse à elle pour qu’elle boute les Anglais hors de France, est très parlant.
Dans un même ordre d’idées, la cathédrale de Noyon, lors de grandes sécheresses ou de grandes pluies, expose la châsse (un cercueil servant de relique) de sainte Godeberthe, et prétend conserver un fragment d’un vêtement de la Vierge. On y trouve également la chasse de saint Eloi, qu’on sort notamment pour la fête de l’ascension. L’abbaye de Saint-Eloi, vers Arras, possède elle prétendument de la barbe et des cheveux de saint Eloi, du sang de Saint-Etienne, des cheveux de Saint Jean Baptiste et de Saint Jean l’Evangéliste, etc.
Le protestantisme se dresse contre ce type de superstitions, de manière véhémente comme en témoigne l’affaire des placards, en 1534. Il s’agit de placards, c’est-à-dire d’affiches de 37 centimètres sur 25, avec un préambule et quatre articles dénonçant la « mystique » de la messe ; on y lit notamment au sujet de celle-ci que « Le temps [est] occupé en sonneries, hurlements, chanteries, cérémonies, luminaires, encensements, déguisements et telles manières de singeries, par lesquelles le pauvre monde est comme brebis ou moutons, misérablement entretenus et promené par ces loups ravissant mangé, rongé et dévoré. »
Le titre des placards est explicite : « Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de la messe papale inventée directement contre la sainte cène de Jésus Christ » ; on les retrouve notamment affichés, dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, à Noyon, Paris, Rouen, Orléans, Tours, Amboise, Blois, et jusque sur la porte de la chambre du roi François Ier.
La répression qui suit cette affaire amène Calvin, déjà critique et ouvert au protestantisme, à rejoindre Strasbourg, puis la ville de Bâle en Suisse. Cette ville est dominée par les plus riches bourgeois, elle dispose de nombreuses imprimeries et soutient massivement la Réforme (120 textes de Luther sont publiés entre 1517 et 1528). C’est là que Calvin devient l’intellectuel organique de la bourgeoisie, pour ensuite rejoindre la ville suisse de Genève et devenir le héraut reconnu de la bourgeoisie européenne dans son affrontement avec le féodalisme.
Calvin va jouer en effet un rôle historique, en conférant à la Réforme des institutions, une organisation religieuse. A la critique religieuse de Luther succède une démarche institutionnelle pavant la voie à la bourgeoisie moderne. Il apporte la culture juridique française, avec toute sa rigueur. L’oeuvre majeure ici est Institution de la religion chrétienne, monument de 450 000 mots.
Le calvinisme correspond aux exigences du capitalisme : il rejette la question de l’au-delà, pour mettre l’accent sur le présent. Pour cela, Calvin va faire une formidable construction intellectuelle. Il explique en effet que Dieu est tout puissant, mais loin ; prier pour demander quelque chose à Dieu, que ce soit pour soi-même ou pour une personne défunte, n’a ici aucun sens et consiste en de la superstition.
Par contre, Dieu a envoyé un messager : le Christ ; ainsi, plutôt que d’espérer atteindre l’au-delà par différents « trucs » et tours de passe-passe (prières, etc.) s’adressant à Dieu (qui est loin), il faut vivre de manière strictement droite, en suivant l’exemple du Christ (qui est venu au plus près montrer l’exemple). Au sujet de « l’Ecriture sainte », il dit que « c’est la voie certaine pour nous guider, afin que nous ne soyons pas vagabonds et errants çà et là tout le temps de notre vie. »
Il n’y a donc plus de place pour un clergé enseignant « de l’extérieur » aux masses, ni un au-delà terrorisant et empêchant le présent d’être mis en valeur. Il y a par contre une morale organisée socialement exigeant de l’individu qu’il se comporte de manière urbaine, civilisée, dans une communauté travaillant pour montrer qu’elle suit le message du Christ.
Et, là est le paradoxe génial de Calvin, la mise en avant du présent et de la vie matérielle se fait au nom de l’au-delà. Le masque de la religion est placée sur le visage de la société bourgeoise. Calvin dit ainsi que : « Dieu est tenu pour Roi, quand les hommes, renonçant à eux-mêmes et méprisant le monde et cette vie terrestre, s’adonnent à la justice e dieu pour aspirer à la vie céleste (…). Car la condition du Royaume de Dieu est telle, qu’en nous voyant assujettis à sa justice, il nous fasse participants de sa gloire. »
Évidemment, le calvinisme nécessite la mise en avant d’une présence permettant l’intermédiaire entre la réalité et le monde divin (dictant la conduite à suivre) : d’où la mise en avant du Christ et uniquement du Christ, en tant que prétexte à un mode de gouvernement, à un mode de vie. Calvin dit que « La philosophie chrétienne veut qu’elle cède, et qu’elle se retire pour donner lieu au Saint-Esprit, et être domptée sous sa conduite, pour que l’homme ne vive plus de soi, mais ait en soi et souffre Christ vivant et régnant. »
Cette importance pratique du Saint-Esprit donnant le chemin de la vertu est très important dans la définition calviniste ; Calvin définit ainsi la trinité : « C’est qu’au Père, le commencement de toute action, et la source et origine de toutes choses est attribuée ; au Fils, la sagesse, le conseil et l’ordre de tout disposer ; au Saint-Esprit, la vertu et efficace de toute action. »
La société bourgeoise, en tant que communauté chrétienne (de type calviniste), devient donc le témoin de l’alliance maintenue entre Dieu et ses élus (c’est le principe aux Etats-Unis d’Amérique du « In God we trust », « God bless America », etc.), élus qui doivent obéir au injonctions du Saint-Esprit (en lisant et relisant la Bible en petites communautés) dans la pratique (forcément sociale).
Le calvinisme n’est donc pas un « fatalisme », comme a tenté de le présenter le catholicisme romain. Les succès du calvinisme dans les pays capitalistes – la Hollande, les Etats-Unis d’Amérique – témoignent du contraire.
S’il y a « prédestination » dans le calvinisme, c’est pour souligner l’idéal d’un individu à la vie bien réglée dans une société bien réglée, car ce style de vie permet une communion intime, complète, absolue, à la fois personnelle et sociale, avec Dieu.
Et ce style de vie qui permet d’affronter l’adversité de la concurrence. Engels, dans Socialisme utopique et socialisme scientifique, constate ainsi :
Mais là où Luther échoua, Calvin remporta la victoire. Le dogme calviniste convenait particulièrement bien aux éléments les plus hardis de la bourgeoisie de l’époque.
Sa doctrine de la prédestination était l’expression religieuse du fait que, dans le monde commercial de la concurrence, le succès et l’insuccès ne dépendent ni de l’activité, ni de l’habileté de l’homme, mais de circonstances échappant à son contrôle. Succès ou insuccès ne sont pas ceux de qui veut ou de qui dirige: ils tiennent à la grâce de puissances économiques supérieures à l’individu et inconnues de lui.
Cela était particulièrement vrai à une époque de révolution économique, alors que de nouveaux centres commerciaux et de nouvelles routes de commerce remplaçaient tous les anciens, que les Indes et l’Amérique étaient ouvertes au monde, et que les articles de foi économiques les plus respectables la valeur de l’or et de l’argent-commençaient à chanceler et à s’écrouler.
De plus la constitution de l’Église de Calvin était absolument démocratique et républicaine, et là où le royaume de Dieu était républicains, les royaumes de ce monde pouvaient-ils rester sous la domination de monarques, d’évêques et de seigneurs féodaux ? Tandis que le luthéranisme allemand devenait un instrument docile entre les mains des princes, le calvinisme fonda une République en Hollande et d’actifs partis républicains en Angleterre et, surtout, en Écosse.
Le rôle historique de Calvin est ainsi immense. Il pave la voie à une société organisée, une société moderne, une société assumant à tous les niveaux la civilisation en tant que principe. Il est le symbole d’une étape: celle de la bourgeoisie sortant l’humanité de la féodalité.