12 mai 2013

Humanisme, Lumières, Bourgeoisie - 9ème partie : le saut qualitatif culturel-civilisationnel et le développement des forces productives

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La sortie du Moyen-Âge, sous l’impulsion de la falsafa et du développement du capitalisme, a conduit à un grand développement des forces productives et la généralisation des techniques artistiques.

Ce développement a emporté sur son passage les vieilles conceptions. Si aujourd’hui, ces oeuvres peuvent paraître parfois très inégales, en raison du niveau technique dont nous disposons aujourd’hui, elles sont à l’époque à l’origine d’une véritable révolution culturelle.

Dans tous les domaines intellectuels, le bouleversement est complet ; même la religion catholique est obligée de moderniser son style pour suivre le courant et tenter de se maintenir idéologiquement.

Peinture, musique, théâtre, romans, poésie, politique, philosophie, morale, esthétique, mathématiques, physique, agriculture… L’humanité connaît un bouleversement sans pareil, alors que la féodalité atteint son apogée et que la bourgeoisie connaît en certains pays une naissance fulgurante.

De par cette situation, les marchands concurrencent donc les églises dans les domaines artistiques et intellectuels.

On a d’un côté des portraits comme celui du marchand londonien Thomas Gresham, par Adrian Quey (vers 1560), ou bien « Le prêteur et sa femme », réalisé au début du 16ème siècle par le flamand Quentin Metsys.

Habitant dans la ville bourgeoise d’Anvers, ce dernier fait partie de l’école flamande, avec Jan Van Eyck, Jérôme Bosch et Pierre Paul Rubens ; en Allemagne c’est Albrecht Dürer qui est le peintre et graveur représentatif de l’humanisme et de la Réforme.

Et de l’autre côté, on a la Chapelle sixtine réalisée par Michel-Ange, et les oeuvres formidables de Raphaël et Léonard de Vinci ; on retrouve également les italiens Tintoret, Véronèse, Titien, le grec El Greco qui a fondé l’école espagnole ou encore l’Italien Bernini, le « second Michel-Ange. »

Entre les portraits (de marchands, d’aristocrates, de la vie quotidienne) et les célébrations des moments religieux, on trouve également une « zone tampon » : la mythologie gréco-romaine. Les artistes « jonglent » entre ces pôles, selon leur situation historique, selon leur idéologie et leur marge de manoeuvre.

Car ici la référence à un passé gréco-romain idéalisé permet de contourner la religion catholique, tout en évitant un affrontement frontal, ce qui est relativement accepté part l’Église elle-même qui tient encore le haut du pavé et intègre à son hégémonie culturelle la gloire artistique.

Toutefois, le pouvoir royal lui-même n’est pas en reste puisque la monarchie française, qui est hégémonique, s’approprie l’architecture, tout d’abord avec les Châteaux de la Loire, puis avec ceux de Versailles, le Grand Trianon, et Vaux-le-Vicomte.

Les « Jardins à la française », créés par André Le Nôtre, forment le point culminant du classicisme français.

En Europe, l’art naît donc véritablement avec la Renaissance ; les progrès techniques permettent son développement de plus en plus massif, et il n’est plus de classe sociale qui puisse se permettre de ne pas l’assumer à grande échelle.

C’est la naissance de l’art en tant que valeur de civilisation ; les masses assument cette direction, elles soutiennent ce qui se présente comme un progrès, une avancée, tout comme la monarchie et la religion apparaissaient comme un progrès par rapport à l’esclavagisme et la barbarie passée.

L’effondrement de la monarchie française en 1789 est également le contre-coup de l’échec inévitable de la monarchie à pérenniser cette progression (la monarchie anglaise, elle, se maintenant en s’alliant avec la bourgeoisie, puis au moins symboliquement en lui cédant les commandes de l’État).

A partir de la Renaissance, il n’est plus de classe sociale qui puisse s’installer sans affirmer relever d’un niveau civilisationnel plus élevé.

Même au 17ème siècle, lorsque la religion catholique s’alliera à la pire réaction féodale pour contrer l’humanisme, elle devra assumer l’art de manière généralisée et se présenter comme une éthique « supérieure. »

L’art baroque naît donc dans le domaine architectural, dans le plan des églises érigées par les jésuites, qui forment le noyau dur intellectuel et culturel de la réaction catholique, de ce qu’on appelle la « contre-réforme. »

A l’architecture s’allie très vite la poésie maniérée visant à montrer le caractère triste et toujours changeant d’un monde qui serait marqué par l’omniprésence de la mort. Le baroque, idéologie de grande puissance, va marquer profondément des pays entiers, jusqu’à aujourd’hui : l’Espagne, l’Italie, ceux de l’Autriche-Hongrie.

Mais son incrustation au coeur des cultures nationales passe par une présentation culturelle, civilisationnelle ; la religion se présente comme une « morale. » De fait, le Moyen-âge est (définitivement) dépassé par le développement des forces productives, rien n’est plus comme avant.

Dès lors, la dimension culturelle n’échappe donc pas aux puissants. La monarchie absolue française contrôle ainsi très étroitement les productions culturelles, n’hésitant pas tantôt à intégrer Jean de La Fontaine, éminent défenseur du peuple, tantôt à mettre de côté Fénelon, le grand précurseur des Lumières (Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse).

Les dominants savent en effet, malgré leurs fondements féodaux, que l’évolution technique favorise (au moins pour l’instant) le développement de leur propre pays, que c’est la bourgeoisie qui est à l’origine de ce développement. Cela est d’autant plus flagrant si l’on voit qu’à cette époque, l’Europe est bien moins avancée que d’autres parties du monde.

L’Europe a 50 millions de personnes y vivant, contre 130 millions en Chine et cent millions en Inde ; Istanbul a déjà plus d’un demi million d’habitants et de fait l’Empire Ottoman était une très grande puissance militaire, tout comme la Chine.

Mais l’échec des ottomans à prendre la ville autrichienne de Vienne en 1529, après avoir pris le contrôle des Balkans et de la majeure partie de la Hongrie, symbolise la vigueur de la bourgeoisie, de la capacité de mobilisation nationale et du progrès technique.

C’est ainsi que l’université, lieu de savoir, est à la croisée des chemins des deux classes, féodale et bourgeoise. Dans le mot « université » on retrouve le mot univers : le projet est clairement de rassembler les savoirs, dans une perspective universelle. Cependant, les bénéfices vont à court terme encore aux institutions en place.

Au-delà des inévitables frictions et interdictions des idées nouvelles, cela permet un développement sans précèdent en Europe.

La médecine, reprise à la culture arabo-persane, est l’une des matières les plus importantes : l’École de médecine de Salerne (près de Naples) est fondée à la fin du 9ème siècle et est la plus importante du Moyen-Âge, la faculté de Montpellier fondée en 1289 prenant le relais à la Renaissance, toujours dans la continuité des avancées arabo-judéo-persanes.

Dans ce cadre, le livre de chevet de Henri IV est « Théâtre d’agriculture et mesnage des champs », d’Olivier de Serres, ouvrage qui en 1702 en est quasiment à sa centième édition !

Et l’université naît et acquière donc une signification essentielle, révolutionnaire, puisqu’elle va former l’appareil d’État des nouveaux États-nations : lorsque Gustave Vasa en Suède fait triompher la Réforme sur le catholicisme, il ferme l’université d’Uppsala (fondée en 1477) pour que les étudiants réquisitionnés deviennent des cadres de la nouvelle administration.

Pareillement, les hommes d’État de Grande-Bretagne commencent à passer par Oxford (1525) et Cambridge (1546), facultés tournées vers l’Italie. L’université de Cracovie, dans une Pologne assumant de plein pied la Renaissance, fondée en 1364, est pareillement un grand pôle de l’intelligence jouant un rôle historique en Astronomie, en ayant notamment comme professeur Nicolas Copernic (1473-1543), qui publie De revolutionibus orbium caelestium.

A Heidelberg, l’université fondée en 1386 est ainsi le lieu où Luther expose ses thèses (c’est la « dispute de Heidelberg »).

L’université est le symbole de l’intelligence, qui naît dans la féodalité, mais porte en elle les germes d’une société nouvelle. De grands penseurs saisissent cette porte ouverte sur le futur.

Francesco Guicciardini, homme politique de Florence, écrit une histoire de l’Italie dont il vérifie les sources, ouvrant la voie à une lecture historique scientifique, alors que Machiavel pose avec « Le Prince » les fondements de l’étude de la politique.

L’italien Tommaso Campanella publie « La Cité du Soleil », utopie philosophique et collectiviste, et Thomas More publie lui « Utopia. »

L’humanité prend conscience d’elle-même ; avec le progrès des forces productives, elle commence à se saisir elle-même, à se poser face à elle-même, à construire une morale, à exister en tant que tel, de manière non éparse, hasardeuse, purement spontanée. La civilisation s’installe durablement, gagnant chaque jour davantage en profondeur.