Les monarchomaques - 5e partie : contre la France-Turquie
Submitted by Anonyme (non vérifié)Influencé par le Discours merveilleux, La France-Turquie, c’est à dire, conseils et moyens tenus par les ennemis de la Couronne de France, pour réduire le Royaume en tel état que la tyrannie turquesque fut publié en 1575, en trois parties distinctes tout d'abord.
La première, Conseil du Chevalier Poncet, donné en presence de la Royne mere & du Conte de Retz, pour reduire la France en mesme estat que la Turque, consiste en la présentation des conseils donnés par un chevalier Poncet à Catherine de Médicis après avoir visité l'empire ottoman.
Il s'agit sans doute d'une allusion à Maurice Poncet, auteur en 1572 d'un ouvrage appelant à la soumission de l'aristocratie : Remontrance à la noblesse de France de l’utilité et repos que le Roy apporte à son peuple: et de l’instruction qu’il doit avoir pour le bien gouverner.
Le chevalier Poncet donne comme conseil de supprimer physiquement les aristocrates pour les remplacer par des gens qui seront redevables de tout, de supprimer la propriété afin que tout soit centralisé sur une seule personne devenant incontournable.
La seconde partie consiste en la mauvaise défense de ce prétendu chevalier, niant dans L’Antipharmaque du chevalier Poncet avoir jamais donné de tels conseils.
Enfin, la troisième partie explique en conclusion l'arrière-plan général de la Saint-Barthélémy, sous le titre de Lunettes de Cristal de Roche, par lesquelles on voit clairement le chemin tenu pour subjuguer la France, à même obéissance que la Turquie: adressées à tous Princes, Seigneurs, Gentils-hommes, et autres d’une et d’autre Religion bons et légitimes Français. Pour servir de contre-poison à l’Antipharmaque, du Chevalier Poncet.
Voici un extrait de cette partie, qui là encore cible la tyrannie :
« Je parle seulement contre ceux qui nous ôtent par force, par subtilités indues, et par exactions, comme font journellement lesdits Italiens au vue, su, appui, et commandement de ladite Royne mere, du Maréchal de Rets, de Monsieur de Nevers, du Chancelier et autres de leur conseil & adherans, ainsi qu’à mon grand regret je le vois tous les jours et à toute heure, par faute que personne ne se présente pour si opposer de si bonne forte, que nous ne soyons plus sujets à leurs tyrannies sous l’autorité de notre Roy, lequel ne voit rien de ces affaires sinon ce qu’il leur plaît et par tel miroir qu’ils veulent (…).
Et nous permettons et souffrons que les étrangers non seulement mangent nos morceaux, nous sucent jusques aux os, tiennent les principaux estats et les meilleurs plus belles et fructueuses charges, mais encore qu’ils nous commandent à baguette, et nous empoisonnent quant il leur plaît outre les poisons dont ils ont contaminé notre nation et font perdre les âmes par tout genre de vice, comme d’usure, de tromperie, de trahison et dissimulation de sodomie et toute espèce de paillardise (…).
Voulons nous attendre qu’ils nous coupent la gorge, ou sinon qu’ils nous matent et mettent si bas par leurs subsides et inventions exactives, et par leur force (qui s’agrandit et augmente tous les jours) que nous ne puissions jamais relever, et qu’ils nous réduisent sous la diabolique servitude dont leurs desseins détestables, et l’étroite observation des préceptes et documents de Poncet [...], qui est si clair et suffisant pour montrer véritablement qu’ils nous mènent au grand chemin de la tyrannie Turquesque qu’il n’en faut nullement douter ? »
Le roi Charles IX y est présenté comme ayant été empoisonné par sa mère, car désireux de condamner la Saint-Barthélemy. C'est là qu'on reconnaît le caractère idéaliste de l'entreprise monarchomaque.
L'aristocratie catholique sut profiter de cette faille, avec les malcontents, éléments catholiques particulièrement insatisfaits du chaos dans lequel se trouvait le pays et ne comptant nullement accepter que des courtisans italiens remplacent l'aristocratie française.
Ces malcontents étaient proches de trois dirigeants : tout d'abord, on retrouve Henri Ier de Bourbon-Condé, figure de proue de l'aristocratie protestante et de ce fait, peu en mesure d'unir réellement les aristocrates catholiques malcontents autour de lui.
On a ensuite le frère du roi Henri III, François de France, qui effectivement parvient à unir autour de lui les malcontents, en prônant une ligne de tolérance. Il est aidé en cela par son beau-frère Henri de Navarre, le futur Henri IV, qui justement prendra sa place après sa mort de la tuberculose en 1584.
Dans tous les cas, les malcontents représentaient une ligne visant à faire cesser les guerres de religion, en assumant une ligne d'ouverture religieuse. Étienne Pasquier, un proche de Henri IV ayant mené un profond travail d'historien alors, résume ainsi ce moment d'émergence des malcontents :
« Nous commençâmes à être divisez en deux, par une étrange malédiction, et de deux noms misérables, de fraction, partialité et division, les uns appelez Papistes, et les autres Huguenots, combien que nous n’ayons autre qualité que celle de Chrétiens, qui nous est empreinte par le Saint Sacrement, et caractère de Baptême.
En ce malheur nous avons vécu plusieurs ans. Depuis, il en venu un tiers de mal contents, qui mêlent en leur querelle, l’État. »
Le grand représentant intellectuel du courant des malcontents fut le protestant Innocent Gentillet (1535-1588), auteur notamment en 1576 d'une Brieve remonstrance a la noblesse de France sur le faict de la Declaration de Monseigneur le Duc d'Alençon, mais surtout d'un Discours sur les moyens de bien gouverner & maintenir en paix un Royaume, ou autre Principauté divisez en trois parties: asavoir, du Conseil, de la Religion et de la Police que doit tenir un Prince:Contre Nicolas Machiauel Florentin, A Tres-haut et Tres-Illustre Prince François Duc d’Alençon, fils et frere de Roy, Troisiesme edition nouvellement reveue par l’Autheur.
Cette dernière œuvre, qui passa à la postérité sous le titre d'Anti-Machiavel, est dédié au frère du Roi, formant ainsi un appel à le soutenir. On lit dans l'épître lui étant dédié au début de l'œuvre qu'il faut agir en Français et bannir le style de Nicolas Machiavel :
« Vous y pourrez voir, Monseigneur, plusieurs beaux exemples des Rois de France vos ancêtres, & de plusieurs grands Empereurs, qui ont prospéré en leurs États, & qui ont heureusement gouverné leurs Royaumes & Empires, pour avoir eu gens de bien & sages en leur Conseil.
Comme par le contraire, ceux qui se sont servis de mauvais conseillers & gouvernez par flatteurs, ambitieux, avares, & surtout par étrangers, se sont toujours précipitez en quelque grand malheur, & ont mis leur État en branle ou en ruine entière, & leurs sujets en confusion & misère.
Qui est une faute où les Princes se laissent bien souvent & facilement tomber, de laquelle néanmoins ils se dussent plus garder : veu qu'il est certain qu'en toutes choses le mauvais conseil est cause de maux infinis, & principalement és affaires d'un Prince & d'une République.
C'est la principale & plus griefve maladie dont la pauvre France est aujourd’hui affligée, qui la mine & la ruine le plus : tellement qu'elle a bien besoin que vostre Excellence s’emploie à appliquer les remèdes nécessaires pour la guérir.
Vous pourrez aussi voir icy, Monseigneur, comme le devoir d'un bon Prince est d'embrasser & soutenir la Religion Chrétienne, & de chercher & s’enquérir de la pure vérité d'icelle, & non pas approuver ni maintenir la fausseté en la Religion, comme Machiavel enseigne.
Et quant à la Police, vostre Excellence y pourra voir aussi plusieurs notables exemples de vos progéniteurs Roys de France, & des plus grands & anciens Empereurs Romains, par lesquels quels appert que les Princes qui se sont gouvernez par douceur & clemence conjointe à justice, & qui ont usé de modération & debonnaireté envers leurs sujets, ont toujours grandement prospéré, & longuement régné.
Mais au contraire, les Princes cruels, iniques, perfides, & oppresseurs de leurs sujets, sont incontinent tombez eux & leur état en péril, ou en totale ruine, & n'ont guère long temps régné, & le plus souvent ont fini leurs jours par mort sanglante et violente.
Et d'autant que les exemples de bon gouvernement sont la plupart princes de la noble maison de France, dont votre Excellence est issue, je m’assure, Monseigneur, qu'ils vous esmouveront toujours de plus fort à ressusciter & faire reluire en vous les vertus héroïques de vos aïeuls : & à chasser hors de France les vices infâmes qui s'y enracinent, asavoir cruauté, injustice, perfidie, & oppression, ensemble les étrangers qui les y ont apportez, & les François degenereux & abâtardis leurs adhérents, qui favorisent à leurs tyrannies & oppressions, lesquelles traînent après elles la subversion de l’État du Royaume.
Cela même poussera votre Excellence à remettre sus la manière de gouverner vrayement Françoise, usitée par vos devanciers, & à bannir & renvoyer celle de Machiavel en Italie, dont elle est venue, à notre très grand malheur et dommage.
Dequoy tout le Royaume, nobles, ecclésiastiques, marchands et roturiers, voire les Princes & grands Seigneurs, vous seront à jamais grandement tenus & obligez : comme est le pauvre malade languissant, qui est en péril évident de mort, au prudent médecin qui le fuerit.
Et d'abondant, la postérité n'oubliera jamais un si grand bienfait, mais célébrera vos héroïques & magnanimes vertus par histoires & louanges immortelles. Et semble bien que Dieu voulant avoir pitié de la pauvre France, & la voulant délivrer de la sanglante & barbare tyrannie des étrangers, vous a suscité comme le fatal libérateur d'icelle, vous (dis-je) Monseigneur, qui estes Prince François, de la maison de France, François de nation, François de nom, & François de cœur & d’effet.
Car, à qui pourrait mieux appartenir l'entreprise de délivrer la France de tyrannie, & le los & honneurs d'un si haut & héroïque exploit, qu'à votre Excellence, qui n'a rien qui ne soit François ?
A qui peut la pauvre France mieux avoir son recours en son extrême péril & nécessite, qu'à celui qui est un vrai tige issu du bon Roy Louys XII, père du peuple, & du grand Roy François, Prince fort amateur de ses sujets, & du débonnaire Roy Henry second ? »
On l'a compris, l'ennemi, ce sont les courtisans italiens :
« Car ces Italiens ou italianisez, qui ont en main le gouvernail de la France, tiennent bien pour vraye la maxime de Machiavel, Qu’on ne se doit fier aux estrangers, comme aussi elle est veritable.
Est c’est pourquoy ils ne veulent avancer que gens de leur nation, ou quelques François bastards et degenereux, qui sont façonnez à leur humeur et à leur mode, et qui leur servent comme d’esclaves et vils ministres de leurs perfidies, cruautez, rapines, et autres vices.
Car quant aux bons et naturels François, ils ne les veulent avancer, parce qu’ils leur sont estrangers, et par consequent suspects de ne leur estre assez fideles, suyvant ladite maxime. »
Leur style, c'est celui qui aurait été enseigné par Nicolas Machiavel :
« Cest atheiste Machiavel enseigne au prince d’estre un contempteur de Dieu et de religion, et de faire seulement la mine, et beau semblant exterieurement devant le monde, pour estre estimé religieux et devot, bien qu’il ne le soit pas. Car de punition divine d’une telle hypocrisie et dissimulation, Machiavel n’en craint point, parce qu’il ne croit pas qu’il y ait un Dieu.
Conclusion, l’Italie, Rome, le pape et son siège sont vrayement la source et la fontaine de tout mespris de Religion, et l’escole de toute impieté. Et comme ils l’estoyent desja du temps de Machiavel (ainsi qu’il confesse) ils le sont encores plus aujourd’hui (...).
De sorte qu’en lieu de meurtriers et assassins ou massacreurs ils n’ont point de honte de se dire abbreviateurs de justice. Et pourquoy en auroyaient-ils honte ? veu que la justice d’aujourdhuy est exercee d’une sorte, qu’on la fait servir de palliation et couverture d’assassinemens, meurtres et vengeances. L’on void bien à l’œil qu’en plusieurs endroits la justice ne sert qu’à prester son nom, à ceux qui veulent estre veus bien faire en faisant mal contre leurs propres consciences, suyvans en cela la doctrine de Machiavel. »
Le vrai sens de la Saint-Barthélemy, ce n'est donc pas qu'un massacre de l'élite protestante, mais le début d'un massacre de l'ensemble de l'élite française pour la remplacer. Voilà comment la chose est présentée :
« A l’imitation desquelles ceste mesme race complotta, et fit executer, non pas en Sicile, mais en la France mesme, et parmi toutes meilleures villes du royaume, ce cruel et horrible massacre general de l’an M.D.LXXII. qui saigne tousjours, et duquel ils ont encores les mains et leurs espees ensanglantees. Duquel exploit ils se sont vantez et bravez incessamment depuis (...).
Mais je diray cecy en passant, que nos machiavelistes de France, qui furent autheurs et entrepreneurs des massacres de la journee de S. Barthelemy, n’avoyent pas bien leu ce passage de Machiavel que nous venons d’alleguer (...).
Ils devoyent considerer ces venerables entrepreneurs, ce que dit icy leur docteur Machiavel (et qu’ils ont veu depuis par experience) qu’un peuple ne peut manquer de chefs, qui luy renaissent tousjours à foison, en la place de ceux qu’on tue. S’ils eussent si bien noté ce passage de Machiavel, comme ils font les autres, tant de sang ne fust pas respandu, et leurs tyrannie eust (peut estre) plus duré qu’elle ne fera. »
En fait, ne pouvant vaincre le catholicisme, l'aristocratie protestante a fait de Catherine de Médicis l'ennemi suprême, afin de contrebalancer sa position de faiblesse, de faire en sorte que l'aristocratie catholique cesse son offensive en raison d'un ennemi commun : la faction italienne qui chercherait à tirer les marrons du feu.
Cependant, le problème est qu'à partir du moment où les malcontents rentrent en jeu, la question protestante passait en second lieu.
La première étape fut l'Édit de Beaulieu de 1576, réhabilitant les victimes de la Saint-Barthélemy et accordant une vaste liberté de culte aux protestants (sauf à Paris et à la Cour). Toutefois, la clause exigeant que le culte catholique puisse être repris dans les zones protestantes ne put être appliquée et amena la formation d'une Ligue catholique provoquant une nouvelle guerre de religions.
On passa alors des malcontents aux Politiques, qui se chargèrent de remettre la monarchie au centre du jeu, aux dépens de la position de force du catholicisme et surtout du protestantisme progressivement liquidé. Les grandes figures de ce courant furent La Boétie et Michel de Montaigne.