Michel de Montaigne

3 juin 2017

Michel de Montaigne se donna comme devise et comme symbole une balance avec écrit « Que sais-je ? », question formée par Pyrrhon, le théoricien du scepticisme, qui appelle à tout remetre en cause. Toutefois, rien de baroque chez Montaigne ; il ne s'agit pas de nier la vérité. Il s'agit de reconnaître qu'elle est mouvante, qu'elle est de nature politique. Il faut savoir gérer et pour cela il faut savoir évaluer. La philosophie de Michel de Montaigne, s'il fallait la résumer, consiste en une apologie de l'évaluation.

Les situations changeant toutes – Michel de Montaigne ne peut pas comprendre le matérialisme dialectique encore, historiquement – il ne donne pas un manuel, par conséquent, mais des pistes, des exemples, afin de s'inspirer, d'être capable de soupeser, d'évaluer...

1 juin 2017

Récapitulons : Michel de Montaigne est un averroïste politique. Il appuie la faction dite des politiques, car elle lui semble le plus propice à la mise en avant du matérialisme, au moins relativement. Pour ce faire, il écrit des Essais où il dit tout et son contraire, afin de feindre l'incohérence pour mieux développer des thèmes laïcs et matérialistes sans que cela soit ostensible. Il s'oblige à saluer le catholicisme, mais ses raisonnements et sa culture puisant dans une Antiquité gréco-romaine est entièrement politique et morale, et nullement catholique.

Pour ce faire, il prétend uniquement être un naïf tourné vers l'esprit pratique ; il se veut candide : « Ma philosophie réside dans l’action, dans la pratique naturelle et immédiate, peu dans la spéculation. Ah ! Si je pouvais prendre du plaisir à jouer aux billes et à la toupie ! »...

29 mai 2017

Dans sa défense de Raymond Sebond, Michel de Montaigne ne parle donc pratiquement pas de Raymond Sebond. Il y parle toutefois extrêmement longuement des animaux. Raymond Sebond considérait que la religion et la Nature disaient la même chose ; quand on lit Michel de Montaigne, on a bien plutôt l'impression que l'être humain est un animal comme les autres, tout à fait dans la tradition du matérialisme. La manière avec laquelle il aborde la question des animaux est clairement athée.

Il a une réelle compassion pour les animaux, qu'on ne trouve que dans l'athéisme, qui célèbre la vie en général...

28 mai 2017

Le passage le plus connu des Essais touche, paradoxalement, la religion. Michel de Montaigne y prend la défense de Ramon Sibiuda (vers 1385 - 1436), un théologien catalan, dans un chapitre très long, bien plus long que les autres. Il semble dédié également à Marguerite de Valois, fille de Henri II et de Catherine de Médicis, femme d’Henri de Navarre, le futur Henri IV.

Ce qui est très paradoxal, c'est que Michel de Montaigne raconte un nombre incroyable de choses dans ce chapitre, mais en tout cas pas de Raymond Sebon. Il raconte avoir traduit une œuvre de Raymond Sebond à la demande de son père, qui s'y intéressait. C'est peut-être une couverture : Raymond Sebond considère en fait, dans la logique de la Renaissance, que la religion et la nature disent la même chose, que donc les sciences naturelles sont un moyen de retomber en quelque sorte sur la religion. C'est le fameux principe averroïste de la double vérité...

25 mai 2017

Avoir son avis pour soi, c'est forcément pratiquer la double vérité : on apparaît d'une certaine manière, aux yeux de l'Église, mais on a un avis personnel. Les commentateurs bourgeois ne sont jamais arrivés à trancher sur le caractère religieux ou non de Michel de Montaigne. Tout comme pour Molière, ils soupçonnent l'athéisme, mais ils voient que dans sa vie, Michel de Montaigne a respecté la religion, que dans les Essais le catholicisme est mis en avant. Ils ratent en fait le principe averroïste de présenter de manière indirecte les thèses de l'athéisme, en raison de la censure et de la répression.

On sait que chaque page des Essais contient une ou plusieurs citations d'auteur de l'antiquité, qu'il s'agit d'une oeuvre de réflexion, avec un regard critique sur soi-même. Il y a de la curiosité, un travail réel qui est fait. Or, Michel de Montaigne explique que pour apprécier la religion, il ne fait pas juger, il faut être pratiquement idiot...

24 mai 2017

Michel de Montaigne est donc prisonnier d'une contradiction : il veut des consciences organisées, mais a une lecture pessimiste de la nature humaine.

N'étant pas calviniste, il ne croit pas en la rationalité de tout un chacun. Il représente uniquement les intérêts rationalistes de l'appareil d'État. C'est l'averroïsme politique au sens strict.

Ce faisant, Michel de Montaigne n'a pas le choix : il va attribuer à son époque les faiblesses empêchant l'avènement de ce qu'il conçoit...

21 mai 2017

S'il est inconséquent avec le calvinisme en raison de son averroïsme politique, on comprend d'autant mieux le choix de Michel de Montaigne de parler de l'Amérique. On sait à quel point Montaigne est choqué, ému quand il parle de la situation là-bas. Il constate ainsi :

« Peu importent leurs noms [de certains peuples des Indes nouvelles], car ils n’existent plus; la désolation due à cette conquête, d’un genre extraordinaire et inouï, s’est étendue jusqu’à l’abolition complète des noms et de l’ancienne topographie des lieux. »

C'est que le thème du nouveau monde découvert n'est pas qu'un prétexte à un discours faisant une réflexion sur la culture, la nécessité de prendre position de manière adéquate, etc. Il y a à l'arrière-plan une dénonciation indirecte de l'Espagne catholique...

18 mai 2017

Les commentateurs bourgeois considèrent que Michel de Montaigne a une visée introspective : c'est sur lui qu'il réfléchit, c'est de lui-même qu'il parle, il est sa propre fin. Ce n'est pas du tout le cas ; il y a une véritable conception générale qui se forme ici. Michel de Montaigne formule la théorie de la conscience, de la psychologie, propre au néo-stoïcisme qui est l'idéologie de la monarchie absolue. Sans Michel de Montaigne, on n'a par la suite ni René Descartes, ni Jean Racine. C'est un fait indéniable et les jansénistes l'auront très bien compris, Blaise Pascal se chargeant d'attaquer Michel de Montaigne et sa conception de la conscience.

Le premier aspect de la conscience définie par Montaigne est nécessairement celle de l'autonomie. On doit bien voir que le néo-stoïcisme est obligé, pour avoir un effet, d'emprunter une partie de la conception calviniste, afin de justifier l'action sur le monde. Montaigne utilise donc l'antiquité gréco-romaine pour mettre en avant l'idéal d'un être conscient de lui-même, capable de choix par lui-même...

14 mai 2017

Si les Essais de Montaigne sont si connus, ce n'est pas seulement parce qu'il fait l'éloge des politiques face aux factions. Il synthétise également leur style, en s'appuyant sur le stoïcisme. Cette philosophie de l'antiquité considère que le destin existe et est inévitable : on peut accepter les faits ou les refuser, ils n'en sont pas moins là, il faut faire avec. Tout semble donc relativement imprévisible dans une bonne mesure.

11 mai 2017

Michel de Montaigne travaillait dans sa bibliothèque, dans une tour de son domaine et y avait fait graver des phrases sur les poutres et les solives du plafond. On lit ainsi cette citation de Pline :

« Il n’est rien de certain que l’incertitude, et rien de plus misérable et de plus fier que l’homme. »

On y lisait aussi cette sentence de Sextus Empiricus :

« Il n’y a aucun argument qui n’ait son contraire, dit la plus sage école philosophique. »...

9 mai 2017

Michel de Montaigne vit à une époque de guerre civile ; on ne peut pas comprendre les Essais si on ne comprend pas qu'il tente de formuler un style qui corresponde aux politiques, la faction qui prône la stabilité de l'État au-dessus de tout.

Voici comment il présente la situation politique de son époque :

« En temps ordinaire, quand tout est tranquille, on se prépare à des événements modérés et courants ; mais dans la confusion où nous nous trouvons depuis trente ans, tout Français est à chaque instant sur le point de voir basculer son destin en particulier comme celui de la société toute entière... »

7 mai 2017

L'éloge de la « politique » contre le raffinement, de Sparte contre Athènes, est au cœur des Essais de Michel de Montaigne. C'est en cela qu'il faut comprendre les références aux autres pays, notamment à l'Amérique.

On sait que  Michel de Montaigne, dans les Essais, a traité de la question des « cannibales » en Amérique ; c'est un argument ethno-différencialiste utilisé systématiquement dans les cours de français au lycée.

2 mai 2017

Michel de Montaigne s'appuie donc sur Plutarque, en empruntant massivement à sa traduction réalisée par Jacques Amyot. Mais ce n'est pas tout, il emprunte également énormément à Sénèque.

Or, justement, les œuvres de Plutarque traduites par Jacques Amyot ont eu un retentissement gigantesque sur la sphère intellectuelle française à leur parution ; les tragédies françaises qui apparaissent puisent régulièrement en elles, ainsi que dans une autre grande référence : Sénèque, justement.

Michel de Montaigne est ainsi pratiquement au démarrage de la grande vague « néo-stoïcienne » reprenant les questions de morales telles que comprises par Plutarque et le stoïcien Sénèque...

30 avr 2017

Michel de Montaigne appartient au camp des politiques, qui entendent préserver la loyauté et la légitimité du régime face à tout trouble ; l’État prime sur tout. À ce titre, Michel de Montaigne n'est pas un réel humaniste : s'il était conséquent, il prendrait partie pour les calvinistes, qui représentent le camp du progrès.

25 avr 2017

Socialement, Michel de Montaigne (1533-1592) est exemplaire du penseur au service de la monarchie absolue. Il appartient à une famille de négociants ayant fait fortune à Bordeaux, appelée les Eyquem, qui acheta la petite seigneurie périgourdine de Montaigne et se fit anoblir. Le père de Michel de Montaigne, dans ce processus, abandonna le commerce et participa à des campagnes militaires, avant de grimper les échelons municipaux, jusqu'à devenir maire de Bordeaux.

La logique de ce processus est résolument au service de l’État et de son idéologie. Ce n'est pas la religion qui domine, mais la figure de l'individu qui administre dans un cadre social précis...

22 déc 2016

Pour comprendre la genèse du mercantilisme, il faut en France remonter au XVIe siècle. On sait que les guerres de religion ont secoué terriblement le pays alors, amenant la fraction dites des politiques à lancer une opération dont la réalisation sera l'arrivée au trône de Henri de Navarre, sous le nom de Henri IV.

L'Édit de Nantes ne fut qu'un aléas dans l'histoire du drame protestant, dans la mesure où les huguenots furent toujours plus les victimes de la monarchie absolue en formation. Toutefois et justement, la monarchie devenant absolue est née en profitant des guerres de religion pour former une faction au-dessus de la mêlée...

30 nov 2016

Le Discours de la servitude volontaire est incompréhensible sans saisir la définition de la nature humaine qu'on y trouve. S'il est parlé de servitude volontaire, c'est qu'à la suite d'Aristote et de l'averroïsme, la pensée est considérée comme une page blanche.

On est ici très proche de la théorie matérialiste dialectique du reflet...

26 nov 2016

Dans le Discours, il est expliqué que les aides les plus proches du tyran sont aisément sacrifiables et sacrifiés :

« Qu’on parcoure toutes les anciennes histoires, que l’on considère et l’on verra parfaitement combien est grand le nombre de ceux qui, étant arrivés par d’indignes moyens jusqu’à l’oreille des princes, soit en flattant leurs mauvais penchants, soit en abusant de leur simplicité, ont fini par être écrasés par ces mêmes princes qui avaient mis autant de facilité à les élever qu’ils ont eu d’inconstance à les conserver. »

Cela tient à la nature même du tyran, qui par définition pratique la terreur permanente pour s'imposer toujours de nouveau, cherchant à apparaître comme incontournable...

25 nov 2016

Dans le Discours de la servitude volontaire, on trouve une grande réflexion sur les aides administratives et techniques dont dispose le tyran. Ce dernier profite du soutien d'une poignée de gens, qui sont au coeur de ce que nous devons désormais appeler l'appareil d’État.

Voici comme est présenté le « secret » de l'existence même de la domination du tyran : déjà, il ne s'agit pas du pouvoir armé...

23 nov 2016

Le Discours de la servitude volontaire dénonce les superstitions, tout le folklore utilisé par le puissants pour justifier leur parasitisme général. Redonnons un exemple parlant :

« Le premiers rois d’Égypte ne se montraient guère sans porter, tantôt une branche, tantôt du feu sur la tête : ils se masquaient ainsi et se transformaient en bateleurs.

Et pour cela pour inspirer, par ces formes étranges, respect et admiration à leurs sujets, qui, s’ils n’eussent pas été si stupide ou si avilis, n’auraient dû que s’en moquer et en rire. »

21 nov 2016

Comme on le sait, la monarchie française s'est fondée en lien étroit avec la religion. C'est un processus qui prolonge les périodes romane et gothique.

Ainsi, la légende catholique veut que Clotilde la femme de Clovis, alla prier avec un ermite, dans la forêt de Cruye (désormais forêt de Marly), lorsqu'un ange apparut et lui demanda de remplacer les trois crapauds de l'écusson royal par trois fleurs de lys en or.

On retrouve par la suite la fleur de Lys à l'époque de la dynaste carolingienne (à la suite de Charlemagne), avant d'être officialisé en tant que tel par Louis VII le Jeune au XIIe siècle. Il semble bien cependant que le nombre de trois fleurs de lys fut décidé par Charles V le Sage au XIVe siècle, en référence à la « Sainte Trinité »...

19 nov 2016

On se souvient que Michel de Montaigne avait prétendu dans les Essais que le Discours de la servitude volontaire était une sorte d'écrit de jeunesse d'Etienne de La Boétie, qui serait sans prétention, juste un exercice de style ayant comme but de témoigner de la connaissance de l'histoire de la Grèce et de la Rome antiques.

C'est clairement un masque pour une tentative d'analyse du principe d'opinion publique. L'auteur du Discours fait exactement comme l'auteur des Essais : il propose, soupèse, fait des digressions… Il n'y aucune rupture entre le Discours et les Essais à ce niveau...

18 nov 2016

Dans le Discours de la servitude volontaire, on trouve cet appel pathétique :

« Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner) ! c’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel...»

16 nov 2016

Lorsque dans les Essais, Michel de Montaigne annonce que c'est Etienne de La Boétie qui a écrit le Discours de la servitude volontaire, il fait une révélation à laquelle personne ne s'attendait. En feignant d'avoir voulu le publier, mais de ne plus le pouvoir, il attire l'attention de manière précise dessus.

En plaçant 29 poèmes à la place du Discours, il souligne bien l'importance de ce dernier, par son absence dont il est pourtant parlé, et qu'il faut même combler. En en parlant au sein d'un vaste discours philosophique sur l'amitié, il se couvre : s'il parle du Discours de la servitude volontaire, ce n'est qu'en référence à son ami… qui fut comme une partie de lui-même... Michel de Montaigne a de plus bien souligné par ailleurs qu'il a connu Etienne de La Boétie parce qu'il avait connu son Discours

15 nov 2016

Toute l'interprétation bourgeoise du Discours de la servitude volontaire s'appuie sur ce que prétend Michel de Montaigne dans ses Essais. Or, on va vite comprendre qu'il serait très naïf de le faire.

Il dit au chapitre 25, au détour d'un passage n'ayant rien à voir :

« Ainsi ce mot de lui [c'est-à-dire Plutarque], selon lequel les habitants d’Asie étaient esclaves d’un seul homme parce que la seule syllabe qu’ils ne savaient pas prononcer était « non », et qui a peut-être donné la matière et l’occasion à La Boétie d’écrire sa « Servitude volontaire ». »..

14 nov 2016

Le thème du Discours de la servitude volontaire d'Etienne de La Boétie est simple : le peuple accepte un régime en lequel il ne croit pas ou ne devrait plus croire, par la force de l'habitude. Nicolas Machiavel en Italie à la même époque avait raisonné au sujet de cette question de l'opinion publique, tout comme Kautilya en Inde au IVe siècle avant Jésus-Christ. Cependant, Machiavel et Kautilya s'adressaient au Roi, tout au moins le prétendaient-il.

Or, le Discours de la servitude volontaire parle du peuple, en espérant faire réagir les couches intellectualisées non liées au « tyran ». C'est précisément la position de Jean Calvin...

29 mar 2012

La bibliothèque de Montaigne a joué un grand rôle en France, pays où la constitution d'une bibliothèque fournie est obligatoire pour toute famille un tant soit peu cultivée – même si les livres ne sont jamais touchés. C'est une bibliothèque en quelque sorte symbolique, typique d'un esprit respectueux de l'humanisme, de la culture, de la civilisation. Mohamed Merah était totalement étranger à cela, non pas cependant parce qu'il était « étranger » de par la nationalité, même si cela a joué, ses origines algériennes l'emprisonnant en partie dans l'idéologie semi-féodale caractérisant l'Algérie...

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