29 mai 2017

Montaigne figure averroïste - 15e partie : un point de vue matérialiste sur les animaux

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Dans sa défense de Raymond Sebond, Michel de Montaigne ne parle donc pratiquement pas de Raymond Sebond. Il y parle toutefois extrêmement longuement des animaux. Raymond Sebond considérait que la religion et la Nature disaient la même chose ; quand on lit Michel de Montaigne, on a bien plutôt l'impression que l'être humain est un animal comme les autres, tout à fait dans la tradition du matérialisme. La manière avec laquelle il aborde la question des animaux est clairement athée.

Il a une réelle compassion pour les animaux, qu'on ne trouve que dans l'athéisme, qui célèbre la vie en général. Le passage suivant est d'une clarté limpide quant à l'appel à la compassion :

« Quand tout cela en seroit à dire, si y a-il un certain respect, qui nous attache, et un général devoir d’humanité, non aux bêtes seulement, qui ont vie et sentiment, mais aux arbres mêmes et aux plantes.

Nous devons la justice aux hommes, et la grâce et la benignité aux autres creatures, qui en peuvent être capables. Il y a quelque commerce entre elles et nous, et quelque obligation mutuelle.

Je ne crains point à dire la tendresse de ma nature si puérile, que je ne puis pas bien refuser à mon chien la fête, qu’il m’offre hors de saison, ou qu’il me demande.

Les Turcs ont des aumônes et des hôpitaux pour les bêtes : les Romains avaient un soin public de la nourriture des oies, par la vigilance desquelles leur Capitole avoit été sauvé : les Athéniens ordonnèrent que les mules et mulets, qui avoyent servi au bastiment du temple appellé Hecatompedon, fussent libres, et qu’on les laissa paître par tout sans empêchement.

Les Agrigentins avoyent en usage commun, d’enterrer sérieusement les bêtes, qu’ils avaient eu chères : comme les chevaux de quelque rare mérite, les chiens et les oiseaux utiles : ou même qui avaient servi de passe-temps à leurs enfants. Et la magnificence, qui leur éstoit ordinaire en toutes autres choses, paroissait aussi singulièrement, à la somptuosité et nombre des monuments élévés à cette fin : qui ont duré en parade, plusieurs siècles depuis.

Les Egyptiens enterrayent les loups, les ours, les crocodiles, les chiens, et les chats, en lieux sacrés : embausmaient leurs corps, et portaient le deuil à leurs trépas.

Cimon fit une sépulture honorable aux juments, avec lesquelles il avoit gagné par trois fois le prix de la course aux jeux Olympiques. L’ancien Xanthippus fit enterrer son chien sur un chef, en la côte de la mer, qui en a depuis retenu le nom. Et Plutarque faisait, dit-il, conscience, de vendre et envoyer à la boucherie, pour un léger profit, un bœuf qui l’avoit long temps servi. »

Cependant, si cette compassion est clairement affichée, elle ne parvient pas à se prolonger, en raison de l'époque. Elle est un aspect, obligatoire, du matérialisme ; à l'époque de Michel de Montaigne, elle n'est possible que relativement. C'est bien la preuve de l'athéisme de Montaigne, de son caractère averroïste, qui n'est pas très avancé en certains domaines, mais qui y tend forcément. On ne peut pas expliquer sa sympathie pour les animaux sans l'athéisme.

Si l'on y regarde bien, le fait qu'il parle très longuement des animaux correspond d'ailleurs clairement à son entreprise de relativiser la religion et l'anthropocentrisme. Sa démarche est matérialiste et d'autant plus masquée que ses exemples vont du plus sérieux à l'absurde ; la tendance est en tout cas très claire. Voici comment il explique que... les éléphants ont également des éléments de religions :

« Nous pouvons juger de cela : Nous pouvons aussi dire, que les éléphants ont quelque participation de religion, d’autant qu’après plusieurs ablutions et purifications, on les voit haussant leur trompe, comme des bras ; et tenans les yeux fichez vers le Soleil levant, se planter longtemps en méditation et contemplation, à certaines heures du jour ; de leur propre inclination, sans instruction et sans précepte. Mais pour ne voir aucune telle apparence en les autres animaux, nous ne pouvons pourtant établir qu’ils soient sans religion, et ne pouvons prendre en aucune part ce qui nous est caché. »

Michel de Montaigne n'hésite pas à faire un rapprochement très clair entre la vie organique des animaux et la nôtre :

« La manière de naître, d’engendrer, nourrir, agir, mouvoir, vivre et mourir des bêtes, étant si voisine de la nôtre, tout ce que nous retranchons de leurs causes motrices, et que nous ajoutons à notre condition au-dessus de la leur, cela ne peut aucunement partir du discours de notre raison. Pour réglement de notre santé, les médecins nous proposent l’exemple du vivre des bêtes, et leur façon : car ce mot est de tout temps en la bouche du peuple :

Tenez chaults les pieds et la teste,
Au demeurant vivez en bête. »

Non seulement la raison n'est pas une différence réelle, mais au fond les animaux eux-mêmes raisonnent. Voici un exemple typique tel que Michel Montaigne peut en donner dans les Essais :

« Pour ce qui est de l’astuce malicieuse, en est-il un meilleur exemple que celui du mulet du philosophe Thalès? Com-me il traversait une rivière alors qu’il était chargé de sel, il ytrébucha malencontreusement, et mouilla les sacs qu’il portait.S’étant rendu compte que le sel dissous avait allégé sa charge, il ne manquait jamais ensuite, dès qu’il rencontrait un ruisseau, des’y plonger avec ses sacs, jusqu’à ce que son maître, ayant décou-vert son stratagème, le fasse charger de laine. Se trouvant déjoué,il abandonna sa ruse! Il y a des animaux qui nous renvoient natu-rellement l’image de notre cupidité, car ils cherchent obstinémentà s’emparer de tout ce qu’ils peuvent et le dissimulent soigneuse-ment, même s’ils n’en ont pas l’usage. »

Il présente même l'espèce humaine comme assez folle pour aller vers l'auto-destruction, ce qui montre bien que sa raison n'est nullement supérieure :

« Quant à la guerre, qui est la plus grande et la plus magnifique des actions humaines, j’aimerais bien savoir si l’on peuten tirer argument pour notre supériorité, ou bien au contraire unepreuve de notre faiblesse et imperfection. Car elle est vraiment la science de nous déchirer et entretuer, de provoquer la ruine et la perte de notre propre espèce, et il me semble qu’elle n’offre pas grand-chose qui puisse être désiré par les animaux qui ne la connaissent pas.

Quand donc un lion plus vaillant 
A-t-il ôté la vie à un autre? 
Dans quelle forêt un sanglier est-il mort sous la dent 
D’un plus fort que lui? [Juvénal]  »

La force elle-même n'est pas un critère :

« En ce qui concerne la force, il faut bien dire qu’il n’estpas d’animal au monde qui soit en butte à autant d’attaquesque l’homme. Ne parlons pas de baleine, d’éléphant, de croco-dile ni d’autres animaux dont un seul peut venir à bout d’untrès grand nombre d’hommes: les poux suffirent à rendre vacantela dictature de Sylla... Le cœur et la vie d’un grand empereur triomphant, voilà le déjeuner d’un petit ver!  »

Cela amène même Michel de Montaigne à exprimer la thèse matérialiste qui affirme qu'il n'y a aucune différence de nature entre les humains, entre les animaux : tous sont en pratique de la matière déterminée. On est là aux antipodes de la religion ; on a un universalisme d'une franchise totale.

« Les âmes des empereurs et celles des savetiers sontfaites sur le même moule.

Quand nous considérons l’importancedes actions des princes et leur poids, nous nous persuadons qu’ellessont produites par des causes tout aussi importantes et pesantes.Mais nous nous trompons: ils sont mus et retenus dans leurs mouvements par les mêmes ressorts que nous dans les nôtres.

C’estla même raison qui nous fait nous quereller avec un voisin et qui jette les princes dans la guerre. Celle qui nous fait fouetter un laquais, quand il s’agit d’un roi, lui fait ruiner une province. Ils ont des désirs aussi futiles que les nôtres, mais ils ont plus de pouvoir. De semblables désirs agitent un ciron [un acarien] et un éléphant.  »

Michel de Montaigne donne une multitude d'exemples valorisant les animaux. Voici comment il présente la fidélité – et il faut rappeler ici qu'il vit dans un siècle de guerres de religions, de trahisons incessantes. Il faut bien comprendre qu'il sait que certaines des histoires qu'il puise dans l'antiquité sont invraisemblables, mais il considère qu'elles donnent une bonne tendance.

« En ce qui concerne la fidélité, on peut dire qu’il n’est aucun animal au monde qui soit aussi traître que l’homme. Les livres d’histoire racontent comment certains chiens ont cherché àvenger la mort de leur maître.

Le roi Pyrrhus ayant rencontré unchien qui montait la garde près d’un homme mort, et ayant en-tendu dire que cela faisait trois jours qu’il était là, donna l’ordred’enterrer le corps et emmena ce chien avec lui.

Mais un jourqu’il assistait aux présentations d’ensemble de son armée, le chienaperçut les meurtriers de son maître, courut vers eux avec forceaboiements et en grande colère, fournissant ainsi le premier in-dice qui mit en route la justice, et lui permit de tirer vengeancede ce meurtre peu de temps après.

Le chien du sage Hésiode en fit autant, quand il confondit les enfants de Ganistor de Naupacte, meurtriers de son maître.

Un autre chien, gardien d’un temple d’Athènes, ayant aperçu un voleur sacrilège qui emportait les plusbeaux joyaux, se mit à aboyer contre lui tant qu’il pouvait. Mais les gardiens ne s’étant pas réveillés pour autant, il se mit à le suivre, et, le jour s’étant levé, se tint alors un peu plus loin de lui, mais sans jamais le perdre de vue. Si l’homme lui offrait à manger, il n’en voulait pas, mais faisait fête de la queue aux passants qu’il rencontrait, et acceptait de leurs mains ce qu’ils lui donnaient. Si son voleur s’arrêtait pour dormir, il s’arrêtait aussi au même endroit. L’histoire de ce chien étant parvenue aux gardiens du temple, ils le suivirent à la trace, questionnant les genssur son poil, et le retrouvèrent enfin dans la ville de Cromyon, avec le voleur qu’ils ramenèrent à Athènes, où il fut puni.

Et les juges, en reconnaissance de sa bonne conduite, attribuèrent surle Trésor Public une mesure de blé pour la nourriture du chien,et prescrivirent aux prêtres d’avoir soin de lui. Plutarque raconte cette anecdote comme une chose très connue et qui serait arrivée à son époque.  »

Michel de Montaigne donne également des exemples d'animaux qui s'entraident, qui s'unissent pour défendre l'un d'entre eux attaqué. Il donne des exemples d'alliance entre espèces, comme celle d'un crocodile et d'un petit oiseau mangeant ses restes, etc. Il considère que les animaux, relevant de la Nature, connaissent les sciences ; voici un exemple :

« Dans la façon de vivre des thons, on remarque une singulière connaissance des trois parties de la mathématique: ilsenseignent à l’homme l’astronomie car ils s’arrêtent là où le solstice d’hiver les surprend, et n’en bougent plus jusqu’à l’équinoxequi suit. Voilà pourquoi Aristote lui-même leur concède volontiersce savoir.

Quant à la géométrie et à l’arithmétique, on peut voirqu’ils forment toujours leur banc selon un cube, carré sur toutes les faces, avec un corps de bataillon solide, fermé et disposé sur six faces égales, puis nagent dans cette formation carrée, aussi large derrière que devant, de sorte que si l’on en voit et compte un rang, on peut aisément en déduire l’effectif de toutes la troupe,puisque leur nombre en profondeur est égal à celui de la largeur, et la largeur, à la longueur. »

« Dans les jardins de Suse, des bœufs étaient employés àarroser et à faire tourner de grandes roues qui servaient à tirerde l’eau, et auxquelles des baquets étaient attachés (comme cela se voit souvent en Languedoc). On leur avait ordonné de tirer par jour jusqu’à cent tours chacun, et ils étaient si habitués à ce nombre, qu’il était impossible, même de force, de leur en fairetirer un tour de plus: ayant accompli leur tâche, ils s’arrêtaient tout net. Nous sommes, nous, adolescents avant même de savoircompter jusqu’à cent, et nous venons de découvrir des peuples qui n’ont aucune connaissance des nombres. »

La charge matérialiste est la plus forte, lorsque Michel de Montaigne montre que les animaux raisonnent, que leurs choix sont de même nature que les nôtres. Tout est une question de situation :

« Voyez par exemple comment font les habitants de Thrace quand ils veulent se risquer sur quelque rivière gelée: ils lâchentun renard devant eux , et quand celui-ci est près du bord, il ap-proche l’oreille de la glace pour savoir si le bruit de l’eau en dessous est proche ou lointain, en déduit que l’épaisseur est plus oumoins grande, et donc avance ou bien recule...

Quand on voit cela, ne peut-on penser que lui passent par la tête les mêmes idées quecelles que nous aurions nous aussi dans cette situation, et qu’ils’agit là d’un raisonnement et d’une conclusion qui viennent du bon sens naturel, comme: « ce qui fait du bruit est agité; ce qui est agité n’est pas gelé; ce qui n’est pas gelé est liquide, et cequi est liquide ne peut supporter de poids. »

Car attribuer cetteattitude uniquement à une finesse d’ouïe particulière, sans faireintervenir le raisonnement ni la déduction, c’est là une chimère,et cela ne peut trouver place en notre esprit. Il faut en juger demême pour de très nombreuses sortes de stratagèmes et d’inventions par lesquelles les animaux se protègent de nos entreprises à leur encontre.

 Et si nous croyons tirer quelque avantage du fait qu’ilnous est possible de les attraper, de nous en servir, d’en user ànotre convenance, il ne s’agit là que d’un avantage du même genre que celui que nous avons nous-mêmes les uns sur les autres: nous imposons ces conditions à nos esclaves.

Et en Syrie, les Climacides n’étaient-elles pas des femmes, elles qui, à quatre pattes,servaient de marchepied et d’échelle aux dames pour monter en voiture? La plupart des gens libres acceptent de remettre, pourde bien faibles avantages, leur vie et leur personne à la discrétiond’autrui. Les femmes et les concubines des Thraces se disputentle droit d’être choisies pour être immolées sur le tombeau de leur mari. Les tyrans ont-ils jamais manqué d’hommes qui leur fussent entièrement dévoués? Et certains d’entre eux n’ont-ils pas ajouté à cette dévotion l’obligation de les accompagner dans la mortcomme dans la vie?

Des armées entières se sont ainsi remises entre les mains de leurs chefs. La formule du serment dans la rude école des gladiateurs comportait ces mots: « Nous jurons de nous laisser enchaîner, brûler, battre, tuer par le glaive, et supporter tout ce queles gladiateurs professionnels supportent de leur maître, en mettant très religieusement et leur corps et leur âme à son service »,

Brûle-moi la tête si tu le veux, perce-moi d’un glaive,
Laboure-moi le dos à coups de fouet. [Tibulle]

C’était un engagement véritable, et pourtant il s’en trouvaitdix mille dans l’année pour entrer dans cette corporation, et y périr.

Quand les Scythes enterraient leur roi, ils étranglaientsur son corps sa concubine favorite, son échanson, son écuyer,son chambellan, son valet de chambre et son cuisinier. Et à l’anniversaire de sa mort, ils tuaient cinquante chevaux montés par cinquante pages, empalés jusqu’au gosier, et ils les laissaient ainsi,comme à la parade, autour de la tombe. »

Le but de Michel de Montaigne est de montrer que si les animaux raisonnent comme nous, s'ils savent choisir les bonnes plantes pour se guérir, c'est bien que la science de la nature vaut celle de la religion, et qu'elle est même plus certaine. Voici un point de vue absolument clair :

« Car alléguer, pour déprécier les animaux, qu’ils ne savent cela que par la seule leçon et enseignement de Nature, cen’est pas leur ôter leurs titres de science et de sagesse: c’est aucontraire le leur attribuer à plus forte raison qu’à nous encore, puisqu’ils ont eu une maîtresse d’école aussi sûre! »

Cela l'amène à un éloge de la connaissance, de la recherche des multiples aspects. Sa constatation suivante est absolument dialectique :

« Quand je joue avec ma chatte, qui sait si je ne suis pas son passe-temps plutôt qu’elle n’est le mien? Nous nous ta-quinons réciproquement. Si j’ai mes heures pour jouer ou refuserde le faire – il en est de même pour elle.  »

Il faut la science, car le langage ne suffit pas. Voici de manière assez spectaculaire comment il montre qu'il existe un langage des mains, preuve que les animaux peuvent aussi communiquer, mais différemment de nous. Puisque nous pouvons parler et utiliser le langage des mains, eux-mêmes peuvent avoir trouver leurs propres voies.

« Et que dire des mains? Nous demandons, nous promettons, nous appelons, nous congédions, nous menaçons, nousprions, nous supplions, nous nions, nous refusons, nous interro-geons, nous admirons, nous comptons, nous confessons, nous nousrepentons, nous craignons, nous avons honte, nous doutons, nous instruisons, nous commandons, nous incitons, nous encourageons,nous jurons, nous témoignons, nous accusons, nous condamnons,nous absolvons, nous injurions, nous méprisons, nous défions,nous nous fâchons, nous flattons, nous applaudissons, nous bénissons, nous humilions, nous nous moquons, nous nous réconcilions,nous recommandons, nous exaltons, nous festoyons, nous nous réjouissons, nous nous plaignons, nous nous attristons, nous nousdécourageons, nous nous désespérons, nous nous étonnons, nousnous écrions, nous nous taisons...

Que ne faisons-nous pas avec une variété aussi infinie que celle de la langue elle-même! 

Avec la tête nous convions, nous renvoyons, nous avouons, nous désavouons, nous démentons, nous souhaitons la bienvenue, nous ho-norons, nous vénérons, nous dédaignons, nous demandons, nous éconduisons, nous égayons, nous nous lamentons, nous caressons, nous réprimandons, nous soumettons, nous bravons, nous exhortons, nous menaçons, nous rassurons, nous interrogeons...

Et que dire des sourcils? des épaules?

Il n’est pas de mouvement quine parle, c’est un langage intelligible sans qu’il soit enseigné, etc’est pourtant un langage public, ce qui fait que, quand on voitla variété des autres et l’usage spécifique qui en est fait, on estplutôt porté à penser que celui-ci est bien le propre de la naturehumaine. Je laisse à part ce que la nécessité apprend à ceux qui enont soudainement besoin: les alphabets de doigts, la grammaire des gestes, et les sciences qui ne s’exercent et ne s’expriment que par ces moyens-là.  »

Par conséquent, il faut faire avec les animaux la même chose qu'on fait avec des gens qu'on ne connaît pas : les découvrir.

« Nous admirons et apprécions mieux les choses qui noussont étrangères que les choses ordinaires: sans cela, je ne me se-rais pas attardé à dresser cette longue liste; car à mon avis, celuiqui examinerait de près ce que l’on peut voir chez les animauxqui vivent parmi nous, pourrait trouver chez eux des choses aussiadmirables que celles que l’on recueille dans les pays étrangerset à d’autres époques. C’est une même nature qui s’y manifeste.Celui qui en aurait évalué l’état actuel pourrait certainement entirer la connaissance de son passé comme de son futur.

J’ai vu autrefois des hommes amenés par mer de lointains pays, et parceque nous ne comprenions pas leur langage, et que leur compor-tement, leur attitude, leurs vêtements, étaient très éloignés desnôtres, qui d’entre nous ne les considérait comme des sauvages etdes brutes?

Qui n’attribuait à la stupidité et à la bêtise le faitqu’ils soient muets, ignorants de la langue française, ignorant nosbaisemains et nos révérences contorsionnées, notre port et notremaintien... Comme s’il s’agissait du modèle auquel doit forcémentse conformer la nature humaine! Nous condamnons tout ce qui nous semble étrange, etque nous ne comprenons pas. Il en est de même dans le juge-ment que nous portons sur les animaux: ils ont bien des traitsqui s’apparentent aux nôtres et dont nous pouvons tirer, par comparaison, quelque conjecture.  »

Michel de Montaigne fait ainsi l'éloge de la réalité, de sa complexité, de la nécessité de raisonner.

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