L'extrême-gauche et la question du barrage anti-FN au second tour des élections régionales de 2015
Submitted by Anonyme (non vérifié)Quelle position faut-il avoir face à la possibilité de victoire du Front National dans six régions, lors du second tour des régionales de décembre 2015 ? Cela reflète l'interprétation qu'on a eu du Front National, l'analyse qu'on a du fascisme.
Cela reflète aussi le rapport aux masses en général, au « peuple de gauche » en particulier. Il existe, en effet, parfois, une certaine pression qui fait qu'une organisation doit s'adapter, malgré ses propres conceptions.
A cela s'ajoute un autre aspect : encore faut-il qu'une position soit exprimée. L'ampleur du succès du Front National a tétanisé beaucoup de monde, et certaines organisations n'ont pas pris position encore, ou pris position très tardivement.
De notre point de vue, il faut faire obstacle au Front National : il n'y a pas le choix, il faut nuire à son développement. Il faut bien distinguer les forces conservatrices, réactionnaires, du fascisme ; il y a une différence qualitative.
L'extrême-gauche, il y a 25 ans, aurait pensé de même, avec différentes variantes, mais entre-temps elle est devenue une ultra-gauche, résolument anarcho-trotskyste.
Il y aurait un système, dont le Front National ne serait qu'un aspect plus « dur », qui devrait être battu sur le terrain des revendications économiques, conformément à la théorie élaborée par Léon Trotsky dans Le programme de transition.
Aussi, voici un petit panorama de positions qui ont été prises, les plus significatives ; cela servira pour l'avenir, car si l'extrême-gauche espère que le succès du Front National n'est qu'un « accident de parcours » dans le train-train de la société française, en réalité la question antifasciste va être toujours plus brûlante.
Demain, on regardera avec attention qui a compris l'ampleur du problème fasciste et qui l'a nié.
« Dans la rue et les mobilisations »
Historiquement, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) et Alternative Libertaire (AL) ont toujours été extrêmement proches, surtout lorsque le NPA était encore la Ligue Communiste Révolutionnaire.
Leurs lignes sont similaires en quasiment tous les points, le NPA étant issu du trotskysme le plus proche de l'anarchisme marxisant, AL étant inversement issu de l'anarchisme marxisant le plus proche du trotskysme.
A ce titre, tous deux prônent l'action « dans la rue et les mobilisations » et ont réagi immédiatement en ce sens après le premier tour, rejetant tout vote lors du second tour des régionales, mais sans le dire ouvertement, privilégiant une approche indirecte afin de prétendre posséder une dimension concrète contre le « système ».
Du côté du NPA, qui a pris position dès le 6 au soir, on doit pratiquement lire entre les lignes :
« Le combat contre le FN est indissociable de celui contre les politiques sécuritaires, racistes, militaristes, antisociales, d'où qu'elles viennent, en premier lieu quand elles viennent de celles et ceux qui gouvernent.
Ces prochaines semaines, c'est dans la rue et les mobilisations, pour la défense des droits démocratiques et de la solidarité, contre la régression sociale, qu'il faudra engager la riposte. »
(Élections régionales : gauche et droite ouvrent la voie au pire, le monde du travail doit riposter)
Alternative Libertaire ne dit pas autre chose, avec son communiqué du 7 décembre 2015, intitulé « Le barrage à l’extrême droite, c’est dans les luttes sociales et solidaires ».
Toutefois, Alternative Libertaire précise bien que le choix de vouloir faire barrage à l'extrême-droite est tout à fait compréhensible. Alors que le NPA a contourné la problématique, Alternative Libertaire est plus claire :
« C’est pourquoi, au lendemain du 1er tour des élections régionales, nous proposons de refuser de diviser un peu plus les anticapitalistes à propos du second tour.
Aussi Alternative libertaire affirme comprendre celles et ceux qui vont une nouvelle fois refuser de participer à la mascarade électorale ; et comprendre aussi celles et ceux qui feront le choix, dans les régions concernées, de faire barrage à une victoire de l’extrême droite. »
Cette position se veut ouverte, mais elle est contradictoire. On ne voit pas si le Front National présente une différence qualitative ou pas avec les autres partis. On sent bien ici que la situation dérange, qu'elle pose problème.
Tant le NPA que AL jouent les ultras, assimilant le gouvernement et l'extrême-droite dans une sorte de tendance de fond, sans voir les nuances et la différence de fond, mais comprenant que les masses les plus conscientes les voient…
Reste que ni l'un ni l'autre n'appellent à bloquer le Front National électoralement pour l'empêcher de triompher au second tour des régionales.
Le silence anarchiste
On se doute bien que ceux que la situation dérange le plus, ce sont les anarchistes, qui par définition rejettent la politique. L'anarchisme, par définition, met tout le monde dans un même sac et ne va pas chercher de nuances.
On est ici dans le populisme anti-parlementaire, dans un « tous pourris » à l'apparence radicale mais étant en réalité un apolitisme dédaigneux à prétention sociale. Le succès du Front National rend pourtant ce positionnement relativement intenable.
Le silence semble être alors l'option la plus facile : on ne trouve aucune position chez la Fédération Anarchiste, chez la Coordination des Groupes Anarchistes, chez l'Organisation Communiste Libertaire, chez la CNT, chez la CNT-SO, chez le Réseau No Pasaran, etc.
Seul le groupe « La Horde » - qui a développé une ligne « antifasciste radicale » servant de masque à un néo-anarchisme – a pris directement position, sur une base on ne peut plus vide de sens et résolument petite-bourgeoise :
« Difficile dans cette situation de ne pas se sentir un peu dépassé-e : car comment arriver à tenir sur tous les fronts, surtout quand dans le même temps on a le sentiment que l’ensemble des luttes qui ont porté les mouvements émancipateurs et protestataires sont en berne ?
Bien malin-e sera celui ou celle capable de répondre, mais en attendant, nous restons persuadés que c’est en reliant entre elles les luttes (même affaiblies) pour la défense des libertés et des droits de chacun-e, quelque soit son statut administratif, sa nationalité, ses désirs et ses choix, pour l’égalité et la justice sociale, pour la solidarité internationale, que nous parviendrons, comme nous le pourrons, à braver la tempête qui s’annonce… »
Peut-on faire plus creux que de parler de « désirs », de « choix », de « l'égalité », de « justice sociale » ? En tout cas, il ne s'agit pas là d'un positionnement antifasciste, visant à la constitution d'un Front et ayant comme perspective le blocage systématique et complet d'un ennemi prioritaire et ciblé : le fascisme.
Les partisans du bulletin contestataire
Une autre approche, relativement originale, concernant le vote de ce dimanche consiste à appeler à un mettre un bulletin dans l'urne avec inscrit dessus « Lutte Ouvrière » ou bien « ça suffit je veux que ça change je vote Parti révolutionnaire Communistes ».
Dans ce dernier cas, il s'agit d'une organisation toute récente et issue notamment de l'URCF, qui a longtemps été une opposition de gauche dans le PCF des années 1990.
Ce coup du « bulletin » est en fait une réédition de ce qu'avait fait les marxistes-léninistes dans les années 1960 face au PCF lorsque ce dernier avait soutenu la candidature de François Mitterrand. C'est du symbolisme, du témoignage, quelque chose de tout à fait vain.
L'idée est de se présenter comme « seule alternative » et de demander aux gens d'exprimer une sorte d'attitude de martyr. Au fond, le vote FN n'est pas pris au sérieux, ce serait épidermique, et tant Lutte Ouvrière, qui se présentait partout et a récolté un peu plus de 1 %, que le « Parti révolutionnaire Communistes », qui se présentait seulement dans les Pays de la Loire (0,17 % des voix), aimeraient canaliser cette « colère » ouvrière qui n'aurait pas de réel fond.
Cette option n'a, dans les faits, aucune chance d'aboutir, de par l'absence de dimension culturelle, de profondeur idéologique, de compréhension de la société française.
Même si leur obstination est connue, du moins pour Lutte Ouvrière qui maintient sa ligne de sorte de « parti syndicaliste » depuis cinquante ans, la situation a changé : le Front National n'est pas soutenu par des prolétaires qui se trompent, mais par des prolétaires happés par une lame de fond fasciste. C'est tout à fait différent et le populisme d'extrême-gauche n'a aucune chance de réussir.
Voici le mot d'ordre du Parti révolutionnaire Communistes :
« ne votez ni pour les uns ni pour les autres dimanche prochain. Notre Parti révolutionnaire Communistes est le seul qui appelle à la lutte contre les multinationales capitalistes qui règnent sur la France. »
Voici l'explication de Lutte Ouvrière :
« Tout en rejetant le Front national, il n’est pas question pour Lutte ouvrière de défendre auprès de son électorat l’idée que des hommes de droite, avec des idées aussi crasseuses que celles du FN, puissent servir de rempart contre le parti d’extrême droite. Quant à voter pour une liste socialiste, ce serait remercier le PS d’avoir fabriqué le succès de l’extrême droite.
Gauche gouvernementale, droite ou extrême droite, elles sont toutes prêtes à s’en prendre aux immigrés, aux associations, aux libertés publiques. Celles d’entre elles qui ont une parcelle de pouvoir le font déjà. Ce n’est pas aux travailleurs conscients de choisir laquelle des cliques bourgeoises prendra les mesures contre les classes populaires.
Il ne reste aux électeurs du monde ouvrier, qui refusent au deuxième tour de choisir entre la peste et le choléra, qu’à glisser dans l’urne un bulletin affirmant leur appartenance au « camp des travailleurs ». »
Le Front de gauche présenté comme solution
Le Parti Communiste des Ouvriers de France a réagi tardivement, seulement le 9 décembre 2015. La position compliquée reflète certainement les doutes qui ont dû se poser. Ce parti, historiquement d'orientation « pro-albanaise », a toujours soutenu le Front de Gauche et considère que si celui-ci est partie prenante, alors on peut faire barrage au Front National avec le Parti Socialiste.
Voici son explication des cas de figures :
« Notre consigne, dans le cas d’un duel droite – PS, est l’abstention.
Cela est également valable dans le cas d’une triangulaire, où le FN n’est pas en mesure de gagner.
En aucun cas nous n’appelons à votre pour les listes de droite, pour soi disant « faire barrage au FN ».
La seule exception à cette orientation, c’est dans le cas où le FN peut réellement gagner et où la liste PS, qui a fusionné avec la liste FdG, est en mesure de l’empêcher. Dans ce cas, nous appelons à faire barrage au FN en votant pour cette liste. »
Cette position met dans un mêmes sac la droite que l'extrême-droite, ce qui ne correspond pas à la réalité politique. De plus, si le Parti Socialiste est un parti néfaste, pourquoi perdrait-il cet aspect si le Front de Gauche s'allie à lui ? Et d'ailleurs, si faire front est nécessaire et possible, pourquoi ne pas considérer que face à la menace fasciste, cela doit être de la manière la plus étendue possible ?
Cela témoigne que la ligne du Parti Communiste des Ouvriers de France est de voir le Front de Gauche se développer à tout prix, afin de le parasiter au mieux. Cette ligne est exactement la même, en fait, que tous les partis « pro-albanais » dans le monde (notamment en Équateur et en Turquie).
Le refus de voir les choses en face
Ce ne sont que quelques exemples de positions prises, parmi bien d'autres, même si ce sont les plus significatives, de par l'importance de ces organisations dans l'extrême-gauche. Tout le monde sent bien qu'il y a un glissement de terrain, que la situation a profondément changé.
Le silence prédomine parfois, chez d'autres des incantations sur les mouvements sociaux sont prononcés, parfois on tente de se rassurer à coups d'évaluation du nombre de voix qui seraient « stables » (alors que la montée en puissance du fascisme au sein des masses est évidente pour qui vit au milieu d'elles), quand on ne nie pas ouvertement que le Front National soit fasciste.
Cela montre au fond que l'extrême-gauche n'a pas réellement cru que le capitalisme s’enfoncerait dans une crise générale, que le fascisme avancerait réellement, que, en fin de compte, le scénario des années 1930 se rééditerait. On peut opposer cela à notre propre positionnement, largement documenté, qui part de loin puisque nous avons compris la tendance de fond.
A ce titre aujourd'hui se juge aussi avec demain, barrer la route au Front National, le ralentir, est une tâche nécessaire.