5 Jan 2014

Le significatif silence de l'extrême-gauche sur Dieudonné

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Il y a bien peu, voire aucune réaction au sujet de Dieudonné à l'extrême-gauche. Tout le contraire de la clarté que nous cherchons à avoir.

Commençons par noter les positions claires et nettes.

L'Association France-Palestine Solidarité a publié un communiqué intitulé « Dieudonné, l’imposteur raciste, n’est pas l’ami du peuple palestinien », le 3 janvier, où il est clairement expliqué que :

« Dieu­donné n’est pas un simple humoriste, c’est avant tout un militant poli­tique d’extrême-droite. Et il y a une spé­ci­ficité. Avec une forme d’expression par­ti­cu­lière (humour), un voca­bu­laire pseudo-​​révolutionnaire (anti­système), et une cible du style fas­ciste des années 30 (le complot du "pouvoir juif mondial", de la finance mon­diale, de l’axe Israël-​​USA …), Dieu­donné attire cer­taines caté­gories, par­ti­cu­lièrement dans la jeu­nesse, que le Front national serait inca­pable de mobi­liser.

C’est le cas par exemple quand il fait applaudir le néga­tion­niste Robert Fau­risson par 5.000 per­sonnes au Zenith en 2008. C’est le cas aussi quand il inter­viewe Serge Ayoub, alias Batskin, le chef de l’organisation d’extrême-droite JNR, Jeu­nesses natio­na­listes révo­lu­tion­naires, dis­soute après la mort de Clément Méric. La vidéo se conclut par une poignée de main entre ces deux hommes et une décla­ration « On repré­sente la France d’en bas … on a le même ennemi, c’est une évidence ».

C’est le cas aussi quand il prétend défendre les Pales­ti­niens en déve­loppant des thèses racistes et anti­sé­mites sous le couvert de l’antisionisme. Il détourne ainsi au profit de l’extrême-droite le juste sen­timent d’exaspération face à l’amalgame fait par les sou­tiens de la poli­tique israé­lienne entre anti­sio­nisme et anti­sé­mi­tisme. Il donne prise à tous ceux qui se com­plaisent dans une dénon­ciation sélective des diverses formes de racisme. Il fait le jeu d’Israël et de tous ses sou­tiens qui cherchent à dis­cré­diter voire cri­mi­na­liser toute forme de contes­tation de la poli­tique israé­lienne.. »

Il est tout de même étonnant de voir un tel décalage entre ce qui est dit de manière juste dans ce texte et la pratique puisque l'AFPS organise régulièrement des événements en commun avec les ultra-conservateurs de l'Union des Organisation Islamiques de France, ou son émanation le Comité de Bienfaisance et de Secours avec la Palestine, dont l'islamiste post-moderne Tariq Ramadan, qui soutient officiellement Dieudonné et la « quenelle », est un des intellectuels les plus connus.

Du côté trotskyste

Lutte Ouvrière, dans son journal, a publié un petit article « Affaire Dieudonné : combattre l'antisémitisme et le racisme » contre Dieudonné où l'on peut lire :

« Les prises de positions antisémites de Dieudonné sont révoltantes, quelle que soit la façon dont on essaye de les justifier et de les banaliser. Certains font mine de prétendre qu'il ne s'agirait que de traits d'humour, ou de simples propos qui, en fin de compte, relèveraient de la seule liberté d'opinion et d'expression. Mais l'alibi hypocrite est trop complaisant et trop facile dans un contexte où les préjugés racistes les plus réactionnaires font surface (…). Il faut combattre ces ignomonies car elles ont toujours été utilisées pour dresser les exploités les uns contre les autres afin de préserver la domination des exploiteurs. »

On peut regretter le manque de profondeur de l'analyse, la position a le mérite d'exister.

On ne trouve par contre rien au Nouveau Parti Anticapitaliste, inévitablement par calcul, car le public de Dieudonné est précisément celui qu'aimerait toucher le NPA, à savoir une jeunesse de banlieue souvent d'origine immigrée, de culture petite-bourgeoise, influencée par la religion et anti-capitalisme de façade.

On ne trouve rien chez le Parti Ouvrier Indépendant, grosse structure trotskyste à la ligne purement syndicale, et donc évitant la politique.

Du côté des anarchistes : le silence complet

Les anarchistes sont un mouvement populiste et anti-politique ; la règle est au romantisme individualiste ou bien au syndicalisme révolutionnaire. Cette tradition du 19e siècle est tout à fait maintenu.

La Fédération Anarchiste ne parle pas de Dieudonné. La Coordination des Groupes Anarchistes a de son côté publié un document le 2 janvier 2014, intitulé « La CGA contre le racisme d’Etat ! ». On n'y trouvera pas un mot sur l'antisémitisme, ni sur Dieudonné.

Rien non plus chez Alternative Libertaire (bien qu'un article belge contre Dieudonné soit republié sur le site), rien chez l'Organisation Communiste Libertaire.

Un exemple de confusion pour des raisons « syndicales »

Du côté du syndicat CNT, il y a un communiqué du 4 janvier, où pareillement on ne trouve rien, le document en restant strictement et uniquement sur le plan syndical.

Ainsi, la grande actualité qu'est malheureusement Dieudonné ne compte pas par rapport aux succès syndicaux locaux électoraux des « derniers mois » : « la CNT se félicite des résultats des élections professionnelles dans trois entreprises distinctes au cours du dernier mois. »

Il est étrange de voir un tel décalage, alors qu'inversement les « bonnets rouges » sont ouvertement, et fort justement, dénoncés :

« Les « bonnets rouges » qui regroupent certes des salarié-e-s en colère victimes de plans sociaux, sont un conglomérat hétéroclite de patrons et de réactionnaires cherchant à récupérer la légitime colère de la classe ouvrière à leurs propres fins poujadistes et contre-révolutionnaires. »

Pourquoi les « bonnets rouges » sont-ils attaqués aussi fortement, mais pas Dieudonné ? Car la CNT refuse la politique, comme tous les anarchistes. Le phénomène étant « hors syndicat », il n'existe pas.

On trouve la même chose chez les « Alternatifs », des autogestionnaires issus du PSU des années 1970. Fin novembre, les « bonnets rouges » sont dénoncés :

« le mouvement des « bonnets rouges » apparaît clairement pour ce qu’il est : une opération de manipulation de la population savamment orchestrée par le patronat breton et les libéraux de la FNSEA. »

Mais sur Dieudonné, rien.

Du côté des marxistes-léninistes et des faux maoïstes

Les faux maoïstes (drapeau rouge, futur rouge ou encore Voie Prolétarienne) ne disent rien, comme il se doit. Du côté marxiste-léniniste (issu du P « C » F), on n'a rien chez le PRCF, rien chez l'URCF.

Du côté marxiste-léniniste « pro-albanais », on ne trouve rien au PCOF, rien chez le ROC-ML. Par contre, le site « communisme et bolchevisme » (également « pro-albanais ») tombe le masque.

On pouvait facilement voir déjà que l'apologie de l'URSS de Staline relevait de l'infantilisme et de l'escroquerie de par l'absence de contenu en termes d'économie politique. Là où nous parlons de Staline et de son contenu, ce site s'appuie juste sur les images de l'URSS des années 1930.

A un moment, cela ne peut plus tenir, et là on touche le fond avec une apologie de Dieudonné ici mis en archives (voir plus bas) tellement elle va loin dans le nazisme.

Dieudonné serait un subversif, un dangereux artiste engagé, combattant valeureusement le sionisme, et son public une base populaire révolutionnaire ; évidemment la question de l'antisémitisme est passée sous silence. On a là le contraire de la mise en avant de l'idéologie communiste, et par contre un véritable populisme typique du fascisme. 

Une preuve de plus - s'il en fallait une de plus, dans le contexte actuel - que le fascisme mobilise à l'extrême-gauche sur la base de l'anti-capitalisme romantique. 

Les enseignements de « l’affaire Dieudonné »

Après une quinzaine d’années passées loin de la scène médiatique d’où il a été brutalement excommunié après avoir commencé à dénoncer le passé colonial de l’Occident ainsi que l’influence du sionisme dans le monde politique et des affaires, l’humoriste Dieudonné M’bala M’bala est aujourd’hui de nouveau projeté sur le devant de la scène politico-médiatique.

Il faut dire qu’en dépit du long et assourdissant silence des médias officiels à son sujet, l’humoriste engagé s’est en effet lentement mais sûrement reconstitué un public fidèle, malgré l’image- épouvantail « d’antisémite » que lui a forgé la presse bourgeoise.

Au cours de ces années, le discours de l’artiste s’est radicalisé et il a à plusieurs reprises pris le contre-pieds des intérêts fondamentaux des USA, de la France, de l’Angleterre, etc., en dénonçant par exemple les crimes commis quotidiennement dans la plus totale impunité par l’Etat israélien à l’égard d’un peuple palestinien martyr, mais aussi en exprimant son soutien aux ennemis déclarés des puissances impérialistes en déclin, à l’instar de l’Iran d’Ahmadinejad entre autre.(1)

Parallèlement, l’humoriste a poursuivi ses spectacles, et en dépit du dénigrement systématique dont il a fait l’objet, a vu ses salles continuer à se remplir. Aujourd’hui, chaque vidéo postée par Dieudonné sur sa chaîne Youtube est visionnée au bas mot un million de fois, chose de plus en plus inadmissible pour l’ordre bourgeois.

En effet, Dieudonné véhicule la plus totale insoumission vis-à-vis des médias officiels et des politiciens au pouvoir. Ainsi, il contribue à faire naître la défiance des larges masses exploitées à leur égard. A une époque où le fossé ne cesse de s’approfondir entre les élus de la « démocratie représentative » et le peuple qu’ils sont censés représenter, le discours de Dieudonné contribue à semer les graines de la fronde sociale.

La cible de Dieudonné ne se cantonne en effet pas à la dénonciation de la politique agressive des puissances impérialistes dominantes, mais prend de plus en plus la forme d’une ébauche de critique radicale du système. Nous en citerons un exemple concret dans sa vidéo intitulée « Dieudonné répond à François Hollande » datée du 21 décembre 2013 et vue pas moins de deux millions de fois en une quinzaine de jours.

Dans cette vidéo, l’humoriste donne tout de suite le ton en rappelant l’exercice d’allégeance et d’humiliation concédée par « notre » président au lobby sioniste à l’occasion de son discours au diner annuel du CRIJF (Conseil représentatif des institutions juives de France) du 16 décembre dernier. « C’est toujours un grand moment, déclarait François Hollande, où l’opposition rêve d’être à la table centrale et où la majorité sait que c’est forcément pour un temps précaire, alors que vous vous êtes permanent dans l’institution ».

Pour achever « notre » président, l’humoriste entonne ensuite une petite chanson de sa composition sur l’air d’un chant de la résistance :

« François,

la sens-tu,

qui se glisse

dans ton cul ,...

la quenelle !? »

Et d’ajouter pour enfoncer le clou :

« Alors apparemment, il la sent, il la sent François. Là je crois que si tu la sens pas, c’est que tu as perdu tout sens commun. Il faut que tu te fasses opérer ». Mais surtout, un peu plus loin, ce sont les fondements même du capitalisme, à savoir l’esclavage salarié, que dénonce Dieudonné.

« Alors évidemment, le maître esclavagiste, le maître banquier, c’est lui qui dirige tout dans nos vies (...)

C’est lui qui te réveille le matin avec le réveil : « Allez, faut aller bosser ! » « Non, je veux pas. » « Oui mais

t’es obligé, faut rembourser le crédit, connard ! » (...) Alors t’arrives au boulot : « Allez, bosse, bosse, bosse ! (...) T’as fini, t’es fatigué, allez rentre chez toi, allez, vas-y, allumes ta TV, baise ta femme, mange, consomme. » Et si tu ne veux pas, tu es un mauvais esclave. Et le maître esclavagiste, il est même capable de dire (...) que t’es un raciste. (...) Un mauvais esclave devient très vite un raciste, c’est ça que j’ai remarqué... » (2)

Pour ne rien « arranger », l’humoriste ne se contente pas de dénoncer ces faits, mais appelle quotidiennement à la résistance et à la désobéissance civiles : « on s’est libéré dans nos têtes », en popularisant notamment le geste de la « quenelle ». Ce dernier est bien loin du « salut nazi inversé » que mettent en avant les exploiteurs pour diaboliser l’humoriste. Il consiste tout simplement à signifier au système ─ de façon certes aussi peu « élégante » que « diplomatique » ─, qu’on « l’encule » bien profondément, lui qui nous le rend quotidiennement si bien... La photographie qui suit, représentant une des « quenelles » qui a mis le feu aux poudres, est des plus équivoques. On y voit le ministre de l’Intérieur « quenellisé » à son insu par un groupe de jeunes lors d’un déplacement à Millau le 21 septembre 2013.(3)

La critique sociale de Dieudonné ainsi que ses appels à témoigner d’une forme de résistance sont évidemment inacceptables pour l’ordre bourgeois, car elles constituent les prémices d’une critique radicale des fondements du capitalisme : qu’il s’agisse de l’Etat et des médias non représentatifs des intérêts du peuple, ou bien de l’esclavage salarié.

Or l’humoriste a une audience de plus en plus large, en dépit du black-out et de la vindicte médiatique dont il est l’objet depuis plusieurs années. C’est ainsi que les exploiteurs, excédés de voir se propager ce discours et ces pratiques bien peu respectueuses à leur égard, somment aujourd’hui l’attelage gouvernemental au pouvoir de faire taire par n’importe quel moyen l’artiste, tous les moyens précédents, à l’instar des menaces et des amendes ayant lamentablement échoué. C’est ainsi que notre sinistre de l’Intérieur a dernièrement proposé rien de moins que d’étudier les recours juridiques et législatifs pour interdire les spectacles de l’humoriste et le réduire au silence. Chose à priori ardue de l’avis des juristes. Ne reste donc plus aux « élus » qu’a tenter de saboter localement, aussi discrètement qu’officieusement la tenue des spectacles de l’humoriste, à l’instar des mairies de Nancy et de Metz...(4)

En effet, les déclarations de Manuel Valls ont à l’évidence été contre-productives en offrant à l’humoriste une campagne de publicité gratuite, et il faudra donc opérer plus souplement, « dans la coulisse » et au cas par cas... Comme on le voit, dès qu’il se sent menacé, l’ordre bourgeois foule au pied les règles les plus élémentaires de sa « démocratie modèle » ! Ceci illustre le mépris réel du démocratisme bourgeois pour ses propres mots d’ordre de « liberté d’expression » en période de crise économique et de contestation sociale croissante larvée.(5)

S’il est une chose à retenir de « l’affaire Dieudonné » en cours, c’est que la tentation croissante du recours aux méthodes réactionnaires héritées du fascisme se fait de plus en plus sensible à mesure que la défiance des masses populaires s’accroit à l’égard du lobby politico-médiatique. « Le maître esclavagiste, soulignait Dieudonné dans sa vidéo du 21 décembre, il est en panique, vous le voyez, et donc, il veut nous terroriser, et de manière complètement illégale, vous vous souvenez du discours de Valls ».

Pour les communistes, la critique et l’audience de Dieudonné sont évidemment les bienvenues, car elles constituent une accroche potentielle à la critique marxiste du capitalisme. La critique sociale de Dieudonné a quelque chose de sain quand elle replace au centre de la problématique la question de l’esclavage salarié, constituant ainsi un embryon de la désaliénation des masses populaires. Cette dernière représente en effet le premier pas fait en direction du combat pour leur émancipation économique, sociale et politique du joug du Capital. C’est évidemment une abomination pour l’ordre bourgeois qui l’a bien compris et qui par conséquent cherche à abattre par tous les moyens ce dangereux artiste (bien) engagé. Vincent Gouysse, pour l’OCF, le 03/01/2014

Notes :

1 Cf. Vincent Gouysse, Le Réveil du dragon, pp. 312-313 • 2 Source de la vidéo d’où sont extraites ces citations : http ://www.youtube.com/watch ?v=q9sYwdkw9ok • 3 Source de la photo : « Quenelle » de Dieudonné : Manuel Valls piégé lors d’un déplacement, Le Figaro.fr, 30/12/2013 • 4 Dieudonné : Nancy et Metz demandent l’interdiction de ses spectacles, Huffingtonpost.fr, 02/01/2014 • 5 Cf. Vincent Gouysse, Les classes sociales sous l’impérialisme, pp. 49 et 83.  

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