1 fév 2007

Brochure ANTIFASCISME - Zeev Sternhell

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Présentation

Zeev Sternhell, né en 1935, est un universitaire israélien né en Pologne. Il est connu en France pour avoir été le seul historien institutionnel à considérer que le fascisme a existé en France. Sternhell considère même que l’idéologie fasciste est née en France dans la seconde moitié du 19ème siècle, avant d’être adoptée dans d’autres pays, notamment en Italie.

La France comme laboratoire idéologique du fascisme

A l’opposé de l’interprétation de Gramsci, Sternhell considère que le fascisme est une idéologie extrêmement cohérente, qui s’est développée lentement et synthétise plusieurs courants d’idées. Historien universitaire, Sternhell a étudié la France de la fin du 19ème siècle, notamment l’oeuvre de Maurice Barrès, le principal intellectuel d’extrêmedroite avec Charles Maurras. Barrès critiquait le « éracinement », la perte des valeurs nationales, identitaires, et a développé ainsi une critique « de droite » du capitalisme. Sternhell a de cette manière constaté que les conceptions du fascisme italien provenaient de France. Sternhell s’intéresse principalement à l’histoire des idées; il analyse très peu les classes sociales; ce qui l’intéresse, c’est l’idéologie. De là, il affirme que :

« Si l’Allemagne est la patrie de l’orthodoxie marxiste, la France est le laboratoire où se forgent les synthèses originales du XXème siècle.

C’est là que se livrent les premières batailles qui mettent aux prises le système libéral avec ses adversaires; c’est en France que se fait cette première suture de nationalisme et de radicalisme social que fut le boulangisme; c’est la France qui engendre aussi bien les premiers mouvements de masse de droite que ce premier gauchisme que représentent Hervé ou Lagardelle, gauchisme qui conduira finalement ses adeptes aux portes du fascisme. »
(Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: les origines françaises du fascisme 1885-1914)

Pour Sternhell en effet, le fascisme est le fruit d’un refus du marxisme par une partie de la gauche française. A la fin du 19ème siècle le courant syndicaliste révolutionnaire est très puissant en France, il domine la CGT et s’oppose à la social-démocratie. Rejetant le marxisme qu’ils assimilent au réformisme social-démocrate, les syndicalistes révolutionnaires vont chercher d’autres voies. Est alors élaboré par Georges Sorel (1847-1922) le principe de la « grève générale » qui sert de mythe mobilisateur, avec la « violence créatrice » des masses organisées en syndicats. « Le syndicat : tout l’avenir du socialisme réside dans le développement autonome des syndicats ouvriers » (Matériaux pour une théorie du prolétariat).

Mais les masses restant rétives au projet syndicaliste révolutionnaire, la déception amène l’adhésion massive à l’idéologie nationaliste. C’est en quelque sorte un retour à l’idéologie de Proudhon soutenu par Napoléon III, et la mise en avant du corporatisme : la société est divisée en corporations, le tout chapeauté par l’Etat. Les royalistes de l’Action française s’empresseront de reprendre cette idée, expliquant que le royalisme c’est «l’anarchie plus un »: le roi au milieu des corporations maintient la cohésion sociale. Et cela explique aussi pourquoi en 1914, les syndicalistes révolutionnaires s’engageront massivement dans l’Union sacrée, jusqu’à Emile Pouget qui expliquait avant celle-ci les valeurs du sabotage contre le capitalisme.

Comme le dit Sternhell :

« Incontestablement, certains syndicalistes révolutionnaires se considèrent comme une aristocratie nouvelle menant à la guerre – la guerre sociale – l’immense armée des prolétaires.

Comme Sorel et Berth, les autres théoriciens de ce syndicalisme subissent aussi l’influence de Nietzsche. Ils accueillent avec faveur son mépris de la mentalité bourgeoise et n’hésitent pas à faire un révolutionnaire de son surhomme. Son concept de l’élite, l’importance qu’il attache à la violence, à l’héroïsme, au dynamisme et à la foi, à l’activisme en somme, vont fortement modifier le marxisme jusque-là professé par les syndicalistes. Dès lors, ceux-ci vont mettre l’accent sur la puissance créatrice de l’individu et sa capacité de changer le cours de l’histoire.

L’élan révolutionnaire devient ainsi fonction de foi et non plus conscience de l’évolution historique. Voilà pourquoi la rencontre avec l’Action française ne sera pas fortuite, mais le résultat d’une conception très proche du politique et des forces historiques. »
(Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche: l’idéologie fasciste en France)

Le fascisme comme « refus de la vie commode »

Dans la logique de Sternhell, le fascisme est une idéologie quasi mystique, un idéalisme « antibourgeois », une version « révolutionnaire», anti-matérialiste. Le « refus de la vie commode » mis en avant par Mussolini est en quelque sorte une tentative de dépasser le pourrissement des institutions pour éviter que le dépassement ne soit fait par les marxistes. Le fascisme forme une nouvelle élite, aux valeurs de combat, capable de restaurer les valeurs, de créer des institutions nouvelles, s’exprimant par la guerre vue comme une « hygiène de vie. »

Sternhell analyse précisément cette idéologie qu’est le fascisme :

« Le sens de l’urgence d’une renaissance physique de la nation est alors extrêmement vif. Cette idolâtrie du sport et de l’activité physique, la vénération de la vie en plein air, mais aussi de la vie en groupe et de l’esprit d’équipe, permettent de creuser un fossé quasiment charnel entre la société libérale et bourgeoise, sédentaire, conformiste et individualiste, et le nouveau monde fasciste, viril, puissant, fondé sur l’exaltation de ces valeurs collectives par excellence que sont la nation et la race. «Une nation est une, exactement comme est une l’équipe sportive» écrit Brasillach... »
(Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche: l’idéologie fasciste en France)

Mais l’historien souligne également de manière très nette l’aspect anti-matérialiste du fascisme. Le fascisme se pose comme anti-marxisme, comme anti-matérialisme; pour lui la solution est dans l’idéalisme, dans le fait de transcender son être tel un aristocrate pour servir le grand tout qu’est la nation. Selon Sternhell, l’idéologie fasciste n’aurait pas pu naître de cette manière s’il n’y avait pas eu des syndicalistes révolutionnaires pour affirmer que le marxisme était faux, qu’il prétendait expliquer tout alors que ce n’était pas possible. Le fascisme se fonde sur une critique du marxisme faite au sein de la gauche.

« Les divers courants de la psychanalyse, les disciples et les vulgarisateurs de Freud ont abondamment développé les découvertes du maître pour en conclure l’impuissance de l’homme à changer son propre sort ou le cours de l’histoire. Selon eux, la condition humaine est fixée pour l’éternité par les impulsions de l’inconscient.

L’oeuvre de Le Bon [auteur de Psychologie des foules], de Tarde, de Freud, de Jung, favorise grandement la percée d’une pensée politique anti-intellectualiste, anti-rationaliste et déterministe.

Que Freud se doit lui-même défini comme conservateur n’est pas fortuit; qu’il fut finalement très proche d’un Walras, d’un Pareto ou d’un Mosca n’est pas une coïncidence inexplicable.

Et ce n’est pas non plus l’effet du hasard si les Origines de la France contemporaine [de Taine] présentent des ressemblances avec Psychologie collective et analyse du moi [de Freud].

Toute cette convergence d’idées tient de l’essence d’une même idéologie marquée par la crainte de la foule, de la vile populace et des forces obscures mises à jour par la démocratie.»
(Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français)

Le fascisme c’est donc le rejet de la démocratie en tant que telle : Sternhell n’est jamais ouvertement clair à ce sujet, mais il est évident de ce qu’il explique que le fascisme se combat par un front populaire. Et il est évident ici que ce front populaire doit avoir des valeurs antifascistes, c’est-à-dire anti-aristocratiques, anti-élitistes.

C’est seulement en France qu’existe cette image « progressiste » ou « créatrice » de  Nietzsche, véhiculée par des philosophes français. En Allemagne comme dans tous les autres pays, Nietzsche a toujours été compris comme un ultra-conservateur élitiste, haïssant le peuple et appelant à la naissance des surhommes.

Le philosophe allemand de la fin du 19ème siècle (donc de la même époque que Marx) est ainsi presque un modèle pour comprendre les valeurs du fascisme :

« Son dégoût [à Nietzsche] de la réalité, de la société moderne et du progrès technique l’amènent, à la fin de sa vie, non seulement à dénoncer la civilisation de son temps, mais à souhaiter sa ruine et à annoncer l’avènement d’un âge nouveau, héroïque et viril.

Le nouveau type d’homme vivra dangereusement et sera fait pour dominer. L’humanité selon Nietzsche se divise en vile multitude et en élite: chacune de ces deux catégories remplit une fonction différente et a une morale différente.

L’élitisme nieztschéen n’est pas un phénomène isolé: il se rencontre avec l’élitisme de Renan et de Taine, avec les conceptions sociales de Dostoïevsky, ou encore avec l’élitisme que Mosca, Pareto et l’école italienne de sociologie politique ont érigé en un véritable système de gouvernement (...).

Bien sûr, la philosophie de Nietzsche n’a souvent que peu de chose à voir avec la légende nietzschéenne, ou même avec le nietzschéisme élémentaire qui se répand alors bien au-delà du cercle des lecteurs attentifs, dans la plupart des cas d’ailleurs dans un sens totalement opposé à celui que Nietzsche lui-même donnait à ses intentions.

C’est pourtant ce nietzschéisme là qui influencera si profondément la jeune génération européenne de la fin du siècle. C’est ce nietzschéisme qui, avec le message de Dostoïevsky dont le nationalisme russe rappelle parfaitement le pangermanisme de Treitschke et dont la haine de la civilisation scientifique et industrielle et du rationalisme occidental est soeur de la haine de Nietzsche, formera cette synthèse curieuse et qui devrait être plus tard terriblement explosive.

En condamnant le positivisme, cette synthèse ne s’attaque plus seulement à certaines structures sociales ou à la nature des institutions politiques, mais aussi à la civilisation occidentale en soi, considérée comme radicalement viciée. »
(Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français)

Toute cette évolution explique paradoxalement pourquoi en France le fascisme a eu du mal à se développer, tout en conservant des bastions.

« Il convient de mentionner le niveau intellectuel tout à fait exceptionnel de la littérature et de la pensée fascistes [en France]. L’oeuvre de Gentile mis à part, il n’existe nulle part en Europe d’idéologie fasciste de qualité comparable.

Il importe ensuite de souligner que, parallèlement à l’aspect mystique et irrationnel, romantique et émotionnel, le fascisme français s’est donné aussi une dimension planiste, technocratique et « manageriale », serait-on tenté de dire. Cet aspect essentiel, et souvent méconnu, du fascisme provient de la crise du socialisme d’alors, elle-même résultat de l’impuissance de la pensée marxiste à répondre au défi  que présente la crise du capitalisme.

Plus qu’ailleurs, c’est en France que fleurissent toutes les chapelles du fascisme, tous les clans et groupuscules possibles et imaginables.

Ce foisonnement de tendances et d’écoles est certes pour beaucoup dans l’impuissance politique du fascisme français. Mais il atteste aussi de sa richesse idéologique et de son potentiel. L’imprégnation fasciste dans ce pays fut bien plus profonde et les milieux touchés bien plus nombreux qu’on ne l’imagine ou qu’on ne le reconnaît d’ordinaire »
(Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche: l’idéologie fasciste en France).

Figures marquantes de France: