17 nov 2013

Poujadisme et « socialisme français »

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Quelle est la base sociale et culturelle de l'agitation menée par les « bonnets rouges » en Bretagne ? Il y a un terme dans le vocabulaire politique français qui permet de répondre en partie à cela : celui de poujadisme. Le mouvement de contestation en Bretagne contre l'écotaxe doit être qualifié de poujadiste dans sa dynamique.

Le poujadisme fait référence à une fronde de petits commerçants menée dans les années 1950 par Pierre Poujade. C'était une réaction corporatiste contre la modernisation du capitalisme qui se déroulait alors.

Le poujadisme désigne un mouvement d'essence petite-bourgeoise qui vise à préserver un statu quo dans le cadre de la société capitaliste. Le fond de la démarche est un individualisme borné basé sur la défense de la propriété privée.

Le poujadisme des petits commerçants des années 1950, tout comme celui des bonnets rouges en 2013, est d'ailleurs le produit d'une réaction violente contre « l'impôt ».

Pierre Poujade a été rendu célèbre en prenant la tête d'une opposition violente à un contrôle fiscal par des petits commerçants en 1953. Les bonnets rouges ont quant à eux été reconnus massivement comme une force sociale et politique après avoir détruit des portiques destinés à la perception de l'écotaxe.

Dans tout les cas, il y a un rejet de l'impôt, sur une base antisociale. C'est un refus de la collectivité au nom d'un repli sur soi corporatiste. Et dans le cas breton, ce repli corporatiste lié à l'agro-industrie est aussi un repli identitaire vers une Bretagne fantasmée.

Les impôts prélevés par l'État bourgeois au service des monopoles ne garantissent pas les intérêts des masses, c'est une évidence. Mais l'intérêt des masses, le point de vue populaire, c'est de se saisir du pouvoir d'État pour l'organiser de manière juste et efficace, sur la base de la socialisation, de la dictature du prolétariat. 

Au contraire de cela, Pierre Poujade dénonçait « l’État vampire » et aujourd'hui les bonnets rouges dénoncent le « centralisme parisien », selon la même vision du monde faisant la promotion du petit capitalisme local, de la petite production qui serait « assiégée ». Assiégée, bien entendu, à la fois par une bureaucratie étatique qui serait « socialiste » et par le grand capital.

On a là une vision petite-bourgeoise, et on retrouve derrière les bonnets rouges la FDSEA 29 regroupant des agriculteurs, Christian Troadec patron d'une marque de bière locale ou encore l'institut Locarn, à l'origine du label « produit en Bretagne » représentant 300 « petites » entreprises.

Il y a ici justement une contradiction dans le cas des bonnets rouges, une contradiction d'ailleurs typique des mouvements fascisants ou ouvertement fascistes. Car ce mouvement est soutenu, voire directement organisé, par des « gros » capitalistes : Alain Glon de l'institut Locarn par exemple est à la tête d'un groupe de 3700 salariés. Mais il y a aussi la direction du groupe GAD, Patrick Le Lay, etc.

Mais c'est justement la nature du fascisme que de brouiller les contradictions de classe et de faire « disparaître » la bourgeoisie derrière « le peuple ». Quand on parle de poujadisme, la question du fascisme est justement tout de suite liée.

Il est intéressant ici de voir qu'une partie de l'extrême-gauche soutient les « bonnets rouges » au nom des intérêts populaires, montrant qu'elle n'a strictement rien compris du fascisme comme mouvement mobilisant les masses.

Au lieu de dénoncer le hold-up fasciste sur les masses, il y a des gens pour soutenir les « bonnets rouges » au nom de la présence d'une partie des masses... C'est absolument plébéien et complètement en contradiction avec ce qu'enseigne le marxisme-léninisme-maoisme.

C'est une incompréhension de la démagogie fasciste. Le poujadisme affirmait, par exemple, une sorte de troisième voie sociale qui ne serait ni prolétarienne, ni bourgeoise, ce qui est caractéristique du fascisme. Pierre Poujade avait milité dans l'organisation de jeunesse du Parti Populaire Français du collaborationniste Jacques Doriot. 

Mais aussi, c'est à l'Union de Défense des Commerçant et Artisans, l'organisation de Pierre Poujade, que débuta Jean Marie Le Pen. Il fut élu député, à l'âge de 25 ans, en 1956, sous l'étiquette de l'Union et Fraternité Française menée aussi par Pierre Poujade.

Le poujadisme, c'est donc toute une tradition, et cela permet de comprendre le paysage politique actuel : des manifestations violentes, sociales mais réactionnaires. Oui les CRS sont attaqués, oui les portiques destinés au calcul de l'écotaxe sont détruits violemment, et tout cela, comme lors des manifestations contre le droit au mariage des personnes homosexuelles, par des mouvements réactionnaires.

Et on ne peut pas dire que cela n'était pas prévisible. Ceux qui dénonçaient le PCMLM pour avoir averti de la progression du fascisme, comme les anarcho-trotskystes qui tentent aujourd'hui de remettre les compteurs à zéro en tentant un hold-up pathétique sur l'antifascisme, ne peuvent que voir chaque jour le ciel leur tomber sur la tête.

Et ce n'est pas près de finir. Car à l'extrême-droite comme à l'extrême-gauche, il n'y a plus qu'un mot d'ordre : affirmer la possibilité d'un changement « radical » en dehors, voire sans la classe ouvrière. Cela passe par la mise en avant de mythes politiques, sur une base spontanéiste, volontariste et vitaliste.

Les variantes de ces mythes sont innombrables. Mais toutes ont un point commun : la dimension identitaire. Plus la crise économique s'approfondit, plus l'idéologie est réfutée au nom de l'économisme d'un côté, des positions identitaires de l'autre.

Toute valeur idéologique apparaît comme trop « lourde » à porter, comme contre-productive ; il ne faudrait surtout pas arriver avec du contenu, des exigences posées, il faudrait « inspirer » les masses au moyen d'une question « identitaire ».

S'inspirer d'une combat passant par la nation : voilà le mot d'ordre des réactionnaires, tant à l'extrême-droite qu'à l'extrême-gauche. Ce sont d'ailleurs là les thèses classiques du « socialisme français », du fascisme à la française. On retrouve les conceptions de Sorel et Proudhon, Barrès et Maurras.

On en arrive de plus en plus à la synthèse fasciste à la française, combinant syndicalisme et nationalisme. La classe ouvrière de France paie ici très cher le fait de ne pas avoir été à la hauteur et d'avoir été incapable d'assumer une réelle social-démocratie à la fin du 19e siècle.

Le PCMLM, inversement, affirme absolument le matérialisme dialectique le plus orthodoxe, la fidélité la plus complète aux enseignements de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong.

La véritable social-démocratie historique, qui a amené la synthèse entre le matérialisme dialectique et la classe ouvrière, est une expérience qu'il faut absolument étudier en France, pays où réformisme et anarcho-syndicalisme ont régné en maître, pavant la voie au « socialisme français » de type fasciste.

Comme le constate l'historien Zeev Sternhell :

« En effet, de tous les nouveaux courants de pensée, de toutes les écoles et de tous les systèmes, c’est le marxisme qui a le moins rapidement et le moins profondément pénétré en France.

On imagine mal un Lénine ou un Plékhanov venant chercher l’inspiration, pour régler quelque difficulté de doctrine ou de stratégie révolutionnaire, auprès d’un Guesde, d’un Lafargue, d’un Vaillant ou même d’un Jaurès.

En revanche, vers qui, sinon Le Bon, Barrès, Maurras, Drumont ou Sorel, pouvaient se tourner Corradini et Carducci, d’Annunzio, Papini et Ardengo Soffici, Cuza en Roumanie ou Ljotic en Yougoslavie, un Ammon ou un Labriola, voire un Pareto ou un Michels, sans parler de toute la phalange des non-conformistes du syndicalisme révolutionnaire?

Si l’Allemagne est la patrie de l’orthodoxie marxiste, la France est le laboratoire où se forgent les synthèses originales du XXème siècle.

Car c’est là que se livrent les premières batailles qui mettent aux prises le système libéral avec ses adversaires; c’est en France que se fait cette première suture de nationalisme et de radicalisme social que fut le boulangisme; c’est la France qui engendre aussi bien les premiers mouvements de masse de droite que ce premier gauchisme que représentent Hervé ou Lagardelle, gauchisme qui conduira finalement ses adeptes aux portes du fascisme. »

Tant à l'extrême-gauche qu'à l'extrême-droite, le mot d'ordre est : pratiquons un anti-capitalisme qui ne soit en rien lié au matérialisme dialectique, à Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong.

Anarcho-trotskystes et fascistes se concurrencent dans l'irrationalisme, dans le spontanéisme, dans la construction de mythes divers et variés, chargé de remplacer la « faiblesse » du marxisme.

L'historien Zeev Sternhell a tout à fait raison de constater que :

« Cependant, c’est toujours la révision du marxisme qui constitue la dimension idéologique la plus significative du fascisme.

D’ailleurs, à beaucoup d’égards, on pourrait écrire l’histoire du fascisme comme celle d’une incessante tentative de révision du marxisme, d’un effort permanent vers un néo-socialisme.

De Sorel à Déat et à Henri De Man dont l’influence sur le socialisme français est considérable, un même phénomène se fait jour constamment: la volonté de dépasser le marxisme.

Mais aller, pour reprendre le titre de l’oeuvre la plus importante de l’auteur belge [= Henri De Man], « au-delà du marxisme » conduit finalement en-dehors du marxisme.

L’oeuvre de Georges Sorel – tout comme celles d’Arturo Labriola et des syndicalistes révolutionnaires italiens – n’est rien d’autre qu’un dépassement « gauchiste » du marxisme, alors que celle de Déat et d’Henri De Man est une révision du marxisme par la droite.

Les solutions proposées par les uns et par les autres sont radicalement différentes, mais les questions fondamentales sont identiques. Tout comme les résultats politiques auxquels aboutissent les deux formes de révisionnisme.

En effet, depuis le début du siècle, la grande question sur laquelle se fait le partage entre les orthodoxes et les dissidents, de droite ou de gauche, est toujours la même: le marxisme classique est-il encore capable de jouer le rôle d’un facteur de transformation sociale?

Reste-t-il le facteur privilégié d’explication et d’analyse historiques? Permet-il de prévoir l’avenir?

Dans le cas des révisionnistes de gauche, comme dans le cas de tous ceux qui viennent de droite, la réponse est, à des degrés différents, négative.

C’est ainsi que Sorel, au milieu d’une carrière déjà très riche en production, écrit en 1906 les Réflexions sur la violence, qui restent à ce jour un classique du révisionnisme, mais d’un révisionnisme gauchiste, volontariste et vitaliste.

Cinq ans plus tard, Sorel inspire la création du Cercle Proudhon, et ses écrits de l’époque sont déjà franchement fascistes.

Le processus de glissement vers le fascisme s’accomplit ainsi avant la Grande Guerre et sans aucun rapport avec elle.

Il parvient à son terme au moment où, dans l’esprit de Sorel et des syndicalistes révolutionnaires de France et d’Italie, mûrit la conviction que le marxisme n’a pas de véritable réponse à la crise du capitalisme et que le prolétariat n’est pas porteur du fait révolutionnaire. »

Rejeter le « socialisme français » dans toutes ses variantes est une tâche vitale. C'est une question idéologique de fond : seul le matérialisme dialectique, idéologique révolutionnaire de notre époque, peut s'opposer de manière authentique au fascisme.

Et le poujadisme actuel n'est qu'une étape dans la marche avant du fascisme - d'où l'immense responsabilité de l'antifascisme, des révolutionnaires, de l'avant-garde fondée sur le matérialisme dialectique !

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