3 nov 2013

Manifestation contre l'écotaxe à Quimper, une mobilisation identitaire anti-populaire et anti-écologie

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Entre 15 000 et 30 000 personnes étaient présentes à la manifestation de Quimper en Bretagne hier. Le principal mot d'ordre était le refus de l'écotaxe sur les poids lourds et l'état d'esprit affiché était celui de vouloir « vivre et travailler au pays ». Comme cela était prévisible, quelques heurts symboliques ont opposés des manifestants jetant des chrysanthèmes et des pierres sur les gardes mobiles et les CRS.

Avec ce mouvement qui a pris pour symbole un bonnet rouge, une partie de la bourgeoisie industrielle et agro-industrielle bretonne réussit à emmener une partie des masses populaires dans un mouvement réactionnaire identitaire et profondément anti-écologique.

La révolte contre l'écotaxe s'est amplifiée avec la protestation violente menée par la FDSEA contre les portiques destinés à contrôler le péage des poids lourds. La FDSEA, la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles, est un groupement corporatiste patronal visant à défendre les intérêts locaux de petits et moyens capitalistes de l'agriculture. Mais cette contestation ne concerne pas que des exploitants agricoles.

La contestation est menée par toute l'agro-industrie capitaliste bretonne et notamment celle liée à l'exploitation et au meurtre des cochons. Il y a en arrière plan de cela l'industrie de la viande et du lait. Cela signifie donc toute une chaîne de production depuis les agriculteurs et les pêcheurs jusqu'aux centres commerciaux en passant par les usines d'élevage et les usines-abattoirs comme celles des groupes Doux ou GAD.

Le fond de cette révolte est porté par le capitalisme industriel et agro-industriel en Bretagne qui cherche à défendre sa place face à la concurrence internationale dans le cadre de la crise générale du capitalisme. Il est expliqué que la Bretagne, du fait de sa situation péninsulaire, serait encore plus isolée par la mise en place de cette taxe.

Il est significatif que les fameux bonnets rouges érigés en symbole du mouvement aient en fait été directement offerts à la FDSEA par l'entreprise Armor-Lux qui produit et vend ces bonnets dans la région. Mais il n'y a pas que cela : des chaînes d'hypermarchés locales, avec en tête le groupe breton E. Leclerc avaient participé à lancer le mouvement en fermant leurs magasins pendant une heure le mercredi 16 octobre selon le mot d'ordre de « dénoncer les risques de naufrage économique et social de la Bretagne ».

La spontanéité n'existe pas, ce mouvement contre l'écotaxe ne sort donc pas de nulle part. Déjà en juin 2013 un « Comité de Convergence des Intérêts bretons »  regroupant la bourgeoisie locale lançait « l’appel breton du 18 juin ». Il était notamment soutenue par l’organisation « Produit en Bretagne » qui regroupe 300 entreprises comprenant plus de 100.000 salariés. Son président Jakez Bernard a soutenu la manifestation de Quimper en expliquant que « la construction d’une France avec des régions fortes, ne peut que renforcer l’image globale de la France ».

Il y a de fait toute une dynamique bourgeoise en Bretagne qui tente de mobiliser. C'est pour cela qu'étaient présent à la manifestation de Quimper le Medef, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises des Côtes-d’Armor, l'Union professionnelle artisanale, le Comité départemental des pêches et des élevages marins du Finistère, la fédération des unions commerciales du Centre Ouest Bretagne ainsi que des élus liés à l'UMP.  La manifestation était également soutenue par l'association des commerçants de Quimper et celle des commerçants de Carhaix.

Il faut noter aussi dans la manifestation de Quimper la présence de Philippe Poutou du NPA qui soutient l'agitation populiste menée par le maire de la ville de Carhaix, Christian Troadec qui est un des initiateur de la manifestation. Il vise clairement à mobiliser les masses prolétaires derrière les capitalistes bretons, comme le montre cette déclaration :

« Pour faire face à tous ces problèmes, un rassemblement large s’est constitué autour des acteurs économiques, sociaux et culturels. Il regroupe des paysans, des marins, des ouvriers, des commerçants, des artisans, des petits patrons, des responsables d’industries, des élus, de simples citoyens… Bref, l’ensemble de la société bretonne. Ce rassemblement, une fois que nous serons sortis de la crise, aura un rôle important si nous voulons construire un vrai projet d’avenir pour une Bretagne belle, prospère et solidaire. Il appartient aux Bretons en premier lieu de prendre des initiatives et cela dans le cadre d’une Région Bretagne dotée de nouvelles compétences et de nouveaux pouvoirs »

Si l'écotaxe est refusée par les « bonnets rouges », ce n'est pas pour mettre en avant une véritable démarche écologique à la place. L'écologie est en fait comprise comme un frein à l'activité capitaliste, un frein qu'il faudrait faire sauter dans le cadre de la crise, au nom de nécessités immédiates.

Cela reflète pleinement la dimension bourgeoise et la nature profondément anti-populaire de ce mouvement de protestation.

Depuis le début du XXe siècle et surtout depuis les années 1960, la lutte des classes en Bretagne oppose les masses qui subissent la destruction de la nature (avec notamment la pollution des eaux) à l'agro-industrie capitaliste qui exploitent ouvriers et ouvrières (agricoles ou non) et massacrent les animaux.

La souillure des eaux et des sols en Bretagne, par le nitrate notamment, les problèmes des odeurs pestilentielles des exploitations porcines entre autre, ou encore les récentes pollutions des plages par des algues vertes sont des problèmes qui opposent historiquement les masses populaires à l'agro-industrie en Bretagne.

Si l'agro-industrie s'est développée en Bretagne sur une base intensive, c'est grâce à la concentration agricole permise par l’expropriation progressive des petits paysans et leur expulsion vers les centres industriels comme Saint-Nazaire, Brest, Lorient, Nantes, Rennes ou même Paris (il y eu pendant longtemps un quartier breton à Paris, aux abords de la gare Montparnasse).

Il est donc catastrophique de voir en ce moment des ouvriers et des ouvrières de Bretagne suivre l'appel des capitalistes et petits capitalistes bretons à se mobiliser. Et surtout à suivre les revendications de l'agro-industrie écocidaire.

Un sondage commandé par BFM-TV affirme que 67 % des français estiment que la suspension de l'écotaxe est justifié et il est significatif que ce sondage précise que cette suspension est « particulièrement approuvée » par 77 % des ouvriers et par 79 % des personnes vivants dans l'Ouest de la France.

Cela n'est nullement étonnant  puisqu'en Bretagne comme partout en France les masses subissent la crise du capitalisme avec notamment les nombreuses fermetures d'usines et d'entreprises ( Doux, Gad, Tilly ou encore Marine Harvest). Cela a une ampleur particulière en Bretagne où il y a une méfiance culturelle à l'égare des décisions vécues comme venant de Paris. C'est cela que cristallise le refus de l'écotaxe.

Aujourd'hui une partie des masses se retrouvent donc piégée par une révolte bourgeoise qui veut nier la lutte des classe. Il y a même une dimension corporatiste fascisante violente comme le montre cet incident rapporté par la presse locale :

« Un groupe d'agriculteurs s'en est pris à la sono des militants Force Ouvrière, qu'ils ont fait tomber à terre peu avant 15h, après avoir entendu des slogans hostiles au patronat. L'incident a pris fin rapidement. »

La bourgeoisie industrielle en Bretagne est aidée par un mouvement identitaire relativement puissant, avec une composante de gauche voir d’extrême-gauche, et une composante d’extrême-droite qui prend de l'ampleur.

Le mouvement « Breizhistance », c'est-à-dire historiquement la gauche indépendantiste bretonne était particulièrement actif dans la mobilisation qui a aboutit à la manifestation de Quimper hier. Le fond de sa démarche est d'expliquer que l'écotaxe n'est finalement pas importante en elle-même mais que « la Bretagne » doit décider de sa politique fiscale car cela répondrait à des spécificités historiques.

Ce mouvement identitaire breton met en avant un romantisme anticapitaliste, mais il n'y a là aucune cohérence. Il est expliqué que :

« c’est bien le capitalisme qui a créé ce modèle agricole ultra-productiviste, destructeur de notre environnement et qui conduit aujourd’hui à cette impasse. »

Et en même temps l'agro-industrie capitaliste bretonne est ouvertement défendue. L'écologie est totalement rejeté pour mettre en avant un pragmatisme capitaliste contre les animaux :

« Si la collecte du lait est hors taxe il doit en être de même pour d’autres transports comme les transferts locaux d’animaux vers les abattoirs ou encore ceux d’alimentation pour le bétail qui ne peuvent se faire que par la route. »

Breizhresistance ne dit rien de différent des identitaires d’extrême-droite quand il affirme :

« Nous manifesterons pour pouvoir vivre au pays et construire une société permettant aux travailleuses et travailleurs de Bretagne de s’émanciper en tant que peuple, nous manifesterons pour travailler dans un pays où les droits des travailleuses et travailleurs bretons seront respectés et non utilisés par la classe dominante à son profit, nous manifesterons pour pouvoir décider au pays par la création d’un parlement breton doté de compétences législatives et décisionnelles en matière de fiscalité et de choix économiques seules garantes de la gestion des intérêts du peuple breton. »

Les identitaires de Jeune-Bretagne, lié à ADSAV qui a été en quelque sorte la version bretonne du Front National de Jean-Marie Le Pen pendant les années 1980-1990, expliquent pour leur part que :

« Les Bretonnes et les Bretons ont le droit de vivre et de travailler au pays, dans leur pays, et cela, avant les autres »

« cela passe nécessairement par la mise en place d’une autonomie fiscale de la Bretagne, qui devra être approuvée, par référendum, dans le cadre de l’établissement de la démocratie directe en France. »

Si l'écologie est refusée, voire dénoncée et sabordée, c'est en soutien aux capitalistes qui entendent continuer à exploiter les prolétaires, à massacrer les animaux et à détruire les biotopes locaux.

Le mot d'ordre repris des années 1970 de « vivre et travailler au pays » prend ici un aspect particulièrement réactionnaire. Il exprime un refus de l'universalisme et de la planification à grande échelle de la production. C'est une expression petite bourgeoise qui veut la petite-production et le rapport à la « terre », au terroirs, plutôt qu'à la biosphère. C'est similaire à l'esprit qui domine dans le mouvement contre l'aéroport à Notre-Dame-des-Landes.

La mise en avant de ce slogan par la bourgeoisie bretonne et le fascisme est d'autant plus pervers qu'il fait écho à la situation d'une partie des masses obligée d'émigrer vers les grandes métropoles pour trouver du travail du fait de la crise et du chaos économique du capitalisme.

Pour faire face à la crise du capitalisme, les masses populaires bretonnes doivent saisir que la situation particulièrement tendue du prolétariat en Bretagne ne se résoudra pas dans la mise en avant d'une question nationale bretonne. La situation du prolétariat breton est l'expression de la contradiction ville-campagne dans le cadre national français. La situation du prolétariat rural en Bretagne est par exemple très similaire à celle du prolétariat rural en Mayenne toute proche.

Il n'y a pas de dynamique coloniale contre la Bretagne comme le prétend la petite-bourgeoisie locale en dehors des rapports de production. La bourgeoisie bretonne lutte pour sa place dans le cadre national français, elle entend s'appuyer sur la protection de l’État français dans sa concurrence avec les abattoirs allemands et roumains ou contre les exploitations de volailles au Brésil.

Le capital industriel en Bretagne a besoin du cadre national français pour exister, c'est pour cela d'ailleurs que l'entreprise Armor-Lux qui a fourni les bonnets rouges symbole de la lutte est la même qui avait fourni une marinière bleue marine à Arnaud Montebourg pour faire la promotion nationaliste du « Acheter français ».

La petite-bourgeoisie identitaire de Bretagne, de gauche ou de droite, est ici la bouffonne du capital industriel breton qui exporte sa viande porcine et ses poissons dans toute la France. Elle lui sert à mobiliser les masses hors de la lutte des classes et à les dévier de la nécessité de se tourner vers la biosphère. Elle lui sert aussi d'argument commercial pour vendre ses produits du « terroir » partout en France.

On ne peut pas comprendre la situation de l'agro-industrie capitaliste en Bretagne et sa dimension intensive et ultra écocidaire sans comprendre le rôle spécifique du Crédit Agricole, la première banque française depuis son rachat du Crédit Lyonnais.

L'infrastructure agro-industrielle bretonne a été mise en place notamment à partir des années 1960 par le pouvoir gaulliste, c'est-à-dire par l'impérialisme français. Cela s'est fait non pas contre le capital industriel breton, de manière extérieure, mais avec le capital industriel et agro-industriel breton, comme composante du capital industriel français.

C'est pour cela que les dirigeants de la FDSEA s'appuient aujourd'hui pour critiquer l'écotaxe sur les spécificités mises en place sous Charles De Gaulle dans les années 1960, à savoir la garantie de l'absence de péage autoroutier. La lutte des classes pour le prolétariat breton se situe donc dans le cadre national français, avec comme principal danger aujourd'hui le fascisme français comme expression de l'impérialisme français.

Les masses de Bretagne doivent rejeter les identitaires bretons comme serviteurs objectifs de l'impérialisme français. Elle doivent aussi rejeter les agitateurs populistes comme Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier soutenait la contre-manifestation réunissant plusieurs centaines de personnes à Carhaix (à l'initiative de la CGT) car la mobilisation de Quimper est en contradiction avec sa vision sociale-chauvine de la France. Jean-Luc Mélenchon affirmait de manière provocatrice à propos de la manifestation de Quimper que « les esclaves manifesteront pour les droits de leurs maîtres ».

Il est un manipulateur car pour sa part cela ne le dérange pas de s'afficher avec des grands dirigeants d'entreprises. Ce fut le cas lorsqu'il était venue chercher son pris d'« homme politique de l'année 2012 » offert le magazine bourgeois décadent GQ. Il avait tranquillement posé devant les logos de GQ et Lacoste, aux côtés de Xavier Romatet, PDG de Condé Nast France qui publie GQ, et de Yannick Bolloré, élu lui « businessman de l'année ».

Les masses populaires de Bretagne doivent lutter pour la République Socialiste de France et la reconnaissance de la biosphère. Elles doivent refuser que les prolétaires, la planète et les animaux soient les otages de l'agro-industrie bretonne qui entend continuer d’exploiter et de détruire la nature.

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