8 Jan 2014

Affaire Dieudonné : comment on retrouve les mêmes positionnements que lors de l'affaire Dreyfus

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Regardons en arrière, cette fameuse affaire Dreyfus. A l'époque, il y avait trois tendances : les dreyfusards qui refusaient catégoriquement l'antisémitisme...

En face d'eux, les anti-dreyfusards ne voulant pas que l'on remette l'armée française en cause, voire le plus souvent étant franchement antisémites...

Et à côté, toute une extrême-gauche refusant de défendre Alfred Dreyfus, car c'est un soldat et un bougreois, rejetant la lutte contre l'antisémitisme qui dévierait des luttes économiques, syndicales.

Et enfin, on retrouvait comme aujourd'hui une grande masse de gens à l'esprit typiquement petit-bourgeois souhaitant qu'on « cesse d'en parler » pour ne pas faire de vagues et maintenir l'illusion du ronron quotidien.

Le résultat a été que c'est Émile Zola qui a sauvé l'honneur de la culture et de la civilisation, avec son fameux « J'accuse ».

On retrouve la même chose aujourd'hui, on retrouve les mêmes lignes.

Les nouveaux dreyfusards qui refusent Dieudonné : une cause démocratique et antifasciste

Exactement comme à l'époque de l'affaire Dreyfus, on a des gens qui refusent l'antisémitisme, des démocrates qui tapent du poing en disant qu'ils refusent ce qu'il se passe.

La dynamique, ici, est la même qu'à l'époque du Front populaire, où tous les démocrates, au sens très large, se sont unis face au fascisme. C'est cela qui a donné le Front populaire, le front unique antifasciste.

Ce front unique est revenu historiquement avec le mouvement contre Dieudonné, traversant les camps et unissant autour d'une cause antifasciste : le refus catégorique de l'antisémitisme.

Ces démocrates sont de différent type ; certains sont des bourgeois, d'autres des communistes. Mais ils ont un point commun, au-delà de leurs divergences essentielles : le refus de l'antisémitisme, et au-delà peut-être même, au fond, un refus du fascisme.

Quelqu'un comme la ministre de la culture Aurélie Filipetti est une réformiste, quelqu'un au service de la bourgeoisie, mais sa ligne est claire : « nécessité urgente : arrêter la propagande négationniste de Dieudonné », « M. Dieudonné n’est plus un comique. Il est devenu un militant négationniste et révisionniste ».

On retrouve pareillement des propos très durs chez le président François Hollande, le ministre de l'intérieur Manuel Valls, la candidate à la mairie de Paris Anne Hidalgo. Ce sont des bourgeois, au fond réactionnaires et en tout cas des serviteurs de la fascisation, mais d'esprit démocrate et leur refus de l'antisémitisme est sincère.

Cela fait que ces bourgeois reviennent par ce chemin sur le terrain de la social-démocratie historique, qu'ils sont des alliés objectifs dans la lutte contre le fascisme. On est dans la même dynamique d'en 1934-1936 avec le Front populaire, toute proportion gardée et ici pour une cause unique : le refus de l'antisémitisme, comme au moment de l'affaire Dreyfus.

Les anti-Dreyfusards, qui soutiennent Dieudonné : un produit de la décadence capitaliste

Le libéralisme n'existe plus que dans les têtes, alors que derrière ce sont les monopoles qui s'approprient le contrôle de la société française. C'est ce libéralisme vulgaire qui prend la défense de Dieudonné, au nom du « droit » de pouvoir tout dire, n'importe comment.

En réalité, cela révèle de la décadence, du refus de la culture. Rire de la shoah demande une désintégration avancée des valeurs morales.

On a ici le produit d'une société en roue libre, sans repères ni valeurs, prisonnière de la décadence du capitalisme, de son pourrissement à l'époque de sa crise générale.

Dans ce contexte, l'anticapitalisme romantique qu'est l'antisémitisme se diffuse à grande vitesse, comme un terrible poison. Dieudonné se veut le vecteur d'une conception « anti-esclavagiste » et donc « anti-sioniste », bref d'une rébellion « anti-système » aux contours flous et irrationnels typique du fascisme.

L'extrême-gauche et son « ni ni » : hier Clémenceau, aujourd'hui Valls

Nous l'avons documenté au moment de l'affaire Merah, et pareillement pour Dieudonné : l'extrême-gauche n'a rien dit. Elle ne parle jamais de l'antisémitisme. Le mot « juif » lui est totalement inconnu. C'est un fait documenté.

Or, depuis quelques jours, subitement on voit apparaître des positions sur Dieudonné... qui en même temps parlent du ministre de l'intérieur Manuel Valls, pour les mettre sur le même plan.

Sous prétexte que Manuel Valls soit un réactionnaire de par sa fonction, et de par sa personnalité politique (lui-même se veut un nouveau Georges Clémenceau), Dieudonné est mis sur le même plan que lui.

Or, justement Georges Clémenceau était-il un réactionnaire forcené ? Oui. Mais l'était-il quand il a été un dreyfusard activiste, publiant pratiquement 700 articles en faveur d'Alfred Dreyfus, entre 1899 et 1903 ? La réponse est non.

C'est même à Georges Clémenceau qu'Emile Zola a justement donné le manuscrit de « J'accuse ! ». Les deux étaient des bourgeois, mais dans la contradiction principale face à l'antisémitisme, ils étaient progressistes.

De la même manière, Manuel Valls n'est que l'agent de la pression antifasciste sur la question de l'antisémitisme : les activités de Dieudonné doivent être écrasés, absolument et sans discussion.

L'extrême-gauche refuse de soutenir la lutte contre l'antisémitisme, hier parce que Dreyfus était un bourgeois devenu soldat et parce que des bourgeois étaient dreyfusards, aujourd'hui parce que le Ministère de l'intérieur est réactionnaire.

Elle imagine un complot de la part du gouvernement pour renforcer sa position, ce qui est d'ailleurs le même discours que les complotistes et autres relativistes tentant de masquer la signification de Dieudonné.

Faire cela, c'est nier l'importance capitale de la lutte conte l'antisémitisme, c'est nier que l'antisémitisme est l'aspect principal du moment, que l'idéologie du pogrom s'est tellement diffusée qu'il faut dire « stop ! » le plus vite possible.

En fait, on peut même dire que l'extrême-gauche n'a parlé de Dieudonné que pour parler de Manuel Valls, c'est absolument évident quand on lit la presse de l'extrême-gauche qui, agonisante, ne sait rien faire d'autre que de la retape sur le dos d'une « figure » particulière, hier Nicolas Sarkozy, aujourd'hui Manuel Valls.

Jaurès et Guesde lors de l'affaire Dreyfus

Il y a deux catastrophes historiques pour la cause de la révolution en France. La première, c'est l'apolitisme de la Charte d'Amiens de la CGT.

La seconde, c'est le fait que les réformistes socialistes du camp de Jean Jaurès ont été dreyfusards, mais pas les socialistes partisans de la révolution du camp de Jules Guesde.

Cela a anéanti la crédibilité des révolutionnaires, alors que les réformistes faisaient eux au moins œuvre utile.

Voici le pathétique Appel aux travailleurs de France effectué le 24 juillet 1898 par Jules Guesde et Paul Lafargue :

« Les prolétaires n'ont rien à faire dans cette bataille qui n'est pas la leur et dans laquelle se heurtent des Boisdeffre et des Trarieux, des Cavaignac et des Yves Guyot, des Pellieux et des Galliffet.

[Général de Boisdeffre, chef de l'Etat-major quand les poursuites auront lieu contre Dreyfus, royaliste et clérical. Trarieux, sénateur opportuniste, mais dreyfusard. Cavaignac, ministre de la Guerre dans le ministère Brisson (juin-octobre 1898) violemment antidreyfusard.

Yves Gugot, dreyfusard, après avoir collaboré en 1871 au journal « Les Droits de l'homme », de Jules Guesde, il avait combattu le socialisme. Pellieux, un des généraux responsables de l'arrestation de Dreyfus. Galliffet, un général versaillais, qui se distingua par sa cruauté au moment de la Commune.]

Ils n'ont, du dehors, qu'à marquer les coups et à retourner contre l'ordre - ou le désordre social - les scandales d'un Panama militaire s'ajoutant aux scandales d'un Panama financier.

Nous entendons bien qu'il peut y avoir des victimes et que c'est pour leur libération que, faisant appel aux plus nobles sentiments, on voudrait nous entraîner dans la bagarre.

Mais que pourraient être ces victimes - de la classe adverse - comparées aux victimes par millions qui constituent la classe ouvrière, et qui, enfants, femmes, hommes torturés dans les bagnes patronaux, passés au fil de la faim, ne peuvent compter que sur elles-mêmes, sur leur organisation et leur lutte victorieuse pour se sauver?

C'est à elles, à elles seules, que se doit le parti socialiste, le parti ouvrier, qui après avoir arraché, comme il était nécessaire, son masque démocratique à l'antisémitisme ne saurait, sans duperie et sans trahison, se laisser un seul instant dévier de sa route, suspendre sa propre guerre et s'égarer dans des redressements de torts individuels qui trouveront leur réparation dans la réparation générale.

C'est à ceux qui se plaignent que la justice ait été violée contre un des leurs, de venir au socialisme qui poursuit et fera la justice pour tous et non au socialisme à aller à eux, à épouser leur querelle particulière. »

On a là un refus net du combat politique. Et ce que Jules Guesde expliqua par la suite encore dans un meeting en 1900, d'autres le disent aujourd'hui encore : Dieudonné n'est qu'un produit du système, tout comme Valls, donc on s'en « moque » de tout cela :

« Ce que nous voyions, en effet, dans l'affaire Dreyfus, c'étaient les hontes étalées qui atteignaient et ruinaient le régime lui-même. »

La juste position de Rosa Luxembourg

A l'opposé de la position anti-politique de Jules Guesde et des pseudos révolutionnaires, Rosa Luxembourg souligna l'importance de participer à la bataille politique, et cela en tant que ligne rouge dans la bataille.

Voici ce qu'elle expliqua :

« Le principe socialiste de la lutte de classes exige l'action du prolétariat partout où ses intérêts en tant que classe sont en cause. Cela est le cas pour tous les conflits qui divisent la bourgeoisie. Tout déplacement dans les rapports des puissances sociales de la société bourgeoise, tout changement dans les rapports politiques du pays influe aussi en première ligne sur la situation de la classe ouvrière.

Nous ne pourrions assister à ce qui se passe à l'intérieur de la bourgeoisie, comme des témoins indifférents, qu'au cas où le socialisme pourrait être réalisé à l'extérieur de la société bourgeoise, par exemple par la fondation dans chaque pays d'une colonie séparée.

Mais comme nous ne songeons pas à émigrer pour ainsi dire de la société bourgeoise dans la société socialiste, mais au contraire à renverser la société bourgeoise par des moyens créés au sein même de cette société, le prolétariat doit s'efforcer, dans sa marche en avant vers la victoire, d'influencer tous les événements sociaux dans le sens qui lui est favorable. Il doit tâcher de devenir une puissance qui, dans tous les événements politiques de la société bourgeoise, pèse d'un poids de plus en plus lourd dans la balance.

Le principe de la lutte de classes non seulement ne peut l'interdire, mais au contraire il impose l'intervention active du prolétariat dans tous les conflits politiques et sociaux de quelque importance qui se produisent à l'intérieur de la bourgeoisie.

Pour ce qui est de l'affaire Dreyfus en particulier, l'intervention du prolétariat dans ce cas n'a besoin pour être justifiée ni de ce point de vue général au sujet de conflits bourgeois, ni du point de vue des intérêts de l’humanité pour la société.

Car dans le cas Dreyfus se sont manifestés quatre facteurs sociaux qui lui donnent directement le cachet d'une question intéressant la lutte de classes, ce sont : militarisme, chauvinisme-nationalisme, antisémitisme et cléricalisme. Ces ennemis directs du prolétariat socialiste, nous les combattons toujours dans l'agitation générale par la parole et la plume en vertu et de nos principes et de nos tendances générales.

Combien incompréhensible serait-il donc de ne pas entrer en lutte contre ces ennemis là où il s'agissait de les démasquer, non pas en tant que clichés abstraits mais en se servant des vivants événements du jour.

La participation même des socialistes au mouvement provoqué par l'affaire Dreyfus ne peut donc faire aucun doute au point de vue de la lutte de classes. Il ne peut donc s'agir que du comment de cette participation. A ce point de vue le rôle de la classe ouvrière socialiste se distingue essentiellement du rôle des éléments « révisionnistes » bourgeois.

Tandis qu'il ne s'agissait pour ceux-ci que de la réparation d'un assassinat légal, le cas présentait aux socialistes l'occasion rare de rendre évidente la désagrégation de la société bourgeoise.

Tandis que les éléments bourgeois, par leur action sur l’État-major, voulaient guérir le militarisme de son abcès afin de le rendre capable de vivre, les socialistes au contraire étaient forcés de combattre le système même du militarisme dans sa décadence et de lui opposer la revendication des milices et de l'armement populaire.

L'attitude du parti socialiste pouvait donc se différencier d'une façon tellement fondamentale de celle des dreyfusards bourgeois qu'on n'avait même pas besoin de parler d'un appui du monde « révisionniste » bourgeois de la part des socialistes, ces derniers ayant trouvé l'occasion de mener une lutte tout à fait indépendante, c'est-à-dire une lutte de classes nettement caractérisée qui les différenciait des autres fractions du mouvement. »
(Affaire Dreyfus et cas Millerand, 1899)

Faire front face à l'antisémitisme, comme étape antifasciste

Il faut retranscrire aujourd'hui la position de Rosa Luxembourg. Il faut soutenir le mouvement de dénonciation de Dieudonné, et affirmer que : oui il est juste de l'interdire, oui il est juste de le réprimer.

Seulement les révolutionnaires ne se font pas d'illusions : ils savent que Dieudonné aurait dû être réprimé hier, qu'il y a encore plein de Dieudonné, que l'écrasement de l'antisémitisme ne se décrète pas mais nécessite une révolution culturelle bouleversant la société.

Cela, le Parti Socialiste ne le veut pas, car il est pieds et poings liés par rapport au capitalisme, parce que qui plus est il soutient les thèses post-modernes comme étant « progressistes » et ainsi donne des armes au fascisme.

Ce moment historique de lutte contre l'antisémitisme doit donc être compris pour ce qu'il est, être assimilé comme patrimoine d'une lutte prolongée – face au fascisme qui se profile inévitablement avec la crise générale du capitalisme !

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