12 juin 2013

La social-démocratie (1883-1914) - 10ème partie : la social-démocratie autrichienne

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Le pays qui a été le plus marqué par le marxisme a été l'Autriche, dans sa partie autrichienne et tchèque. Le contexte était celui d'une tension entre l'aristocratie, la monarchie tendant à être absolue, et la bourgeoisie.

La monarchie avait toujours considéré le parlementarisme comme une extrême menace pour elle, même si à l'inverse elle devait profiter de l'élan bourgeois pour moderniser le pays, ce dont les forces féodales ne voulaient même pas entendre parler.

La grande révolution populaire – échouée – de 1848 n'avait pas été la seule menace ; les défaites face à l'Italie et face à l'Allemagne rendaient impérative une modernisation, condition absolue pour maintenir le régime.

C'est par cette modernisation que va naître la classe ouvrière en Autriche-Hongrie. Les conditions de lutte restèrent cependant très différentes. En Hongrie, la révolte de 1848 avait également, voire surtout, été portée par la petite noblesse.

L’Autriche fit payer le prix fort à cela en supprimant toutes les libertés, pratiquement jusqu'en 1867, date où l'empire d'Autriche devint l'empire d'Autriche-Hongrie. Pour cette raison, la classe ouvrière de Hongrie ne put véritablement se développer qu'à partir de cette date, soit tardivement, et le processus fut très lent.

Dans la partie autrichienne, la classe ouvrière était déjà existante et mieux organisée ; cependant, elle était divisée pour des raisons nationales, puisque la Bohême, bastion ouvrier, ainsi que la Moravie, étaient tchèques.

De fait, la partie hongroise était plus arriérée économiquement, alors qu'avaient connu une réelle industrialisation la Bohême, la Moravie et la Basse-Autriche, ainsi que relativement le Vorarlberg et la Silésie, ainsi qu'en partie en Styrie.

Par contre, du côté autrichien, l'économie était également pré-industrielle en Galicie, en Bucovine, en Carinthie, au Tyrol, à Salzbourg, en Haute-Autriche ainsi que dans la zone côtière (avec Trieste), tout comme la partie hongroise ne connut que tardivement une classe ouvrière en expansion.

De plus, un autre problème pour l'affirmation de la classe ouvrière était que l'industrie lourde était dispersée et que la ville de Vienne avait une économie fondée sur le petit commerce. Cela signifiait que la classe ouvrière de la capitale se plaçait nécessairement comme tendance de gauche à l'intérieur du mouvement libéral bourgeois confronté au féodalisme.

De plus, pour contrer la féodalité et aller vers la monarchie absolue, l'empereur avait également « libéré » en partie les paysans, qui ne devaient plus payer qu'un tiers de la valeur de leur terre à l'ancien propriétaire terrien. Ce système renforça le rôle des banques et l'Autriche fut dès la fin du 19ème siècle très largement dominé par les monopoles.

Le capitalisme autrichien était donc particulièrement marqué par une dimension autocratique, c'était un capitalisme par en haut, très brutal. En Haute-Autriche, il y avait ainsi même davantage d'éléments plébéiens que d'ouvriers à proprement parler ; la classe ouvrière n'était organisé tout d'abord qu'avec des associations d'entraide.

La diffusion du marxisme joua cependant un rôle capital, permettant l'émergence d'une social-démocratie devenant de plus en plus puissante, s'enracinant très profondément ; c'est Victor Adler (1852-1918) qui joue la rôle central dans ce processus, en s'appuyant sur son ami Friedrich Engels.

Il est à noter que Lénine, dans son article Friedrich Engels, écrit à la mort de celui-ci, mentionne Adler pour souligner le rôle d'Engels :

« Le social-démocrate autrichien Adler à fait très justement remarquer qu'en éditant les livres II et III du Capital Engels a élevé à son génial ami un monument grandiose sur lequel il a, sans s'en douter, gravé son propre nom en lettres ineffaçables.

Ces deux livres du Capital sont en effet l'oeuvre de deux hommes: Marx et Engels. Les légendes antiques rapportent des exemples touchants d'amitié.

Le prolétariat d'Europe peut dire que sa science a été créée par deux savants, deux lutteurs, dont l'amitié surpasse tout ce que les légendes des Anciens offrent de plus émouvant. Engels, avec juste raison, somme toute, s'est toujours effacé devant Marx. «Auprès de Marx, écrivait-il à un vieil ami, j'ai toujours été le second violon.»

Son affection pour Marx vivant et sa vénération pour Marx disparu étaient sans bornes. Ce militant austère et ce penseur rigoureux avait une âme profondément aimante. »

Pour la social-démocratie autrichienne, la première étape fut, les 5 et 6 avril 1874, le Congrès de Neudörfl, à un kilomètre de la ville ouvrière de Wiener Neustadt : 74 délégués de 50 endroits représentaient 25 000 ouvriers se rassemblèrent.

La seconde étape fut, du 30 décembre au 1er janvier 1889, le congrès de Hainfeld, qui marqua la naissance du Parti Ouvrier Social-Démocrate (c'est au sujet de ce congrès que parle Karl Kautsky lorsqu'il est cité par Lénine dans Que faire ? quant à l'importance de la théorie et de la direction).

Le congrès assumait les thèses du marxisme de manière telle qu'il fut ouvertement salué par Engels et Kautsky ; il représentait l'expression la plus avancée de la classe ouvrière sur le plan international.

Le capitalisme était reconnu comme exploiteur et l'Etat comme l'outil de la bourgeoisie ; le programme visait l'abolition de la propriété privée et la propriété collective des moyens de production.

Il était également affirmé que le porteur de la lutte pour le socialisme « ne pouvait être que le prolétariat avec une conscience de classe et organisé en parti politique. »

Le SDAP se donnait comme tâche « d'organiser politiquement le prolétariat, de l'emplir de la conscience de sa situation et de ses tâches, de le rendre et de le conserver capable de combat tant moralement que physiquement. »

Le SDAP affirmait également qu'il s'opposerait à toute tentative de masquer les antagonismes de classe, tout comme la manipulation des ouvriers par les les partis dominants.

En ce sens, le SDAP était un parti du même type que la social-démocratie allemande. Le succès fut à la mesure : en deux ans, les effectifs passèrent de 15 000 à 45 000 ; le 1er mai 1890 fut un très grand succès qui fut salué par Engels (« Nulle part on aurait pu faire la même chose ou quelque chose de proche »).

Dans une lettre du 17 juillet 1894, Engels dit aux ouvriers d'Autriche :

« Vous êtes dans un mouvement politique ascendant... Vous êtes à l'offensive, et une à qui sans aucun doute la victoire est assurée.

A l'opposé, nos gens ne sont en France, en Allemagne, en Italie, même pas dans une défensive pleine d'espoir... Vous attaquez, gagnez pas à pas du terrain, chaque partie de terrain obtenue et occupée renforce non seulement votre position, mais amènent des renforts à vos masses...

Déjà maintenant, le fait qu'en Autriche sera donné une réforme électorale de quelque type que ce soit a assuré le droit de vote général en Allemagne.

Vous avez ainsi en ce moment une mission très importante. Vous devez former l'avant-garde du prolétariat européen, initier l'offensive générale. »

Cependant, la question des nationalités va être l'écueil sur lequel va se briser la social-démocratie, alors que l'empire austro-hongrois va s'effondrer à l'époque de l'impérialisme.