L'alcoolisme - rapport d'Emmanuel Wurm (1914)
Submitted by Anonyme (non vérifié)BUREAU SOCIALISTE INTERNATIONAL
Maison du Peuple Bruxelles
Congrès Socialiste International de Vienne (23-29 août 1914)
Documents
4° COMMISSION : L’ALCOOLISME
RÉSUMÉ DU RAPPORT D'EMMANUEL WURM
LA LUTTE CONTRE LES DANGERS DE L'ALCOOL
1) LES EFFETS DE L’ALCOOL.
Les boissons alcooliques contiennent de l’alcool éthylique agissant comme d’autres stimulants de nerfs (café, thé, tabac), ayant un effet toxique dès qu’ils dépassent en force et en quantité les limites permises pour chaque individu. L’alcool n’est donc pas un poison absolu, mais son pouvoir toxique exige une certaine quantité et une concentration de la boisson. Il a pour effet de commencer par exciter les nerfs, il semble les animer, puis il les engourdit, les étourdit, les endort.
Les propriétés excitantes et paralysantes de l’alcool ont pour conséquence de faire supporter les épreuves avec plus de facilité, d’émousser le sentiment de malaise et d’éveiller une sensation de plaisir : le buveur est « égayé ». C’est à cause de cet effet euphorique, – et non pas seulement à cause du goût agréable des boissons alcooliques, – que presque tous les peuples en consomment depuis des siècles, pour augmenter le plaisir de la vie, faire fuir l'ennui et oublier les privations. L’alcool ne donne de nouvelles forces ni au corps, ni à l’esprit.
La capacité de travail commence par être plus forte, mais seulement en employant les forces présentes d’une façon plus intense sans en augmenter les effets. Au contraire, elle est diminuée et par là épuisée plus rapidement. L’alcool ne donne pas de force, mais il la trompe, et l’épuisement rapide pousse à la consommation constante et croissante d’alcool.
L’alcool est absolument superflu pour la nutrition. L’alcool n’augmente pas la chaleur du corps, mais par la paralysie des nerfs, il dilate les vaisseaux sanguins et active l’action du coeur. Le sang afflue à la surface de l peau, la rougit et donne la sensation du chaud. Mais comme en même temps le sang entre en meilleur contact avec l’air froid, le corps est refroidi plus rapidement qu’en l’absence de consommation alcoolique. Le danger de congélation est donc plus grand.
La capacité de résistance intellectuelle n’est pas non plus augmentée par l’alcool, mais au contraire paralysée. Cette paralysie fait justement disparaître le sentiment de la faiblesse, de la faim et un sentiment de bien-être apparaît au premier plan : l’alcool se présente comme un ami. Mais, ces effets disparaissent rapidement, si l’on ne consomme pas. de nouveau de l’alcool. Des quantités toujours plus grandes sont nécessaires pour maintenir l'illusion : la consommation de l'alcool devient l’abus.
Les effets de l’alcool sont d'autant plus forts que le climat ou la saison sont chauds, et principalement quand la consommation de l’alcool est faite avant que l’effet de l’ancienne consommation ait disparu.
Cependant, tous les effets de l’alcool ne se présentent pas d’une façon uniforme pour tous les hommes, mais : plus la faiblesse cérébrale ou physique du buveur est grande, soit par faiblesse nerveuse, héréditaire ou acquise, soit par maladie, nourriture insuffisante, surmenage ou épuisement, plus est grand l’effet des boissons alcooliques et plus grande est l’incapacité de se modérer en buvant (Manque de résistance à l’alcool).
Chez les enfants et les jeunes gens, dont les cellules corporelles sont encore en croissance et par là plus sensibles, les dangers de l’alcool sont plus grands que pour les personnes âgées.
II) LES BOISSONS ALCOOLIQUES.
L'eau-de-vie et les liqueurs contiennent de 15 à 50 p. c. d’alcool. . le vin de 8 à 16 p. c., le cidre de 4 à 7 p. c., la bière fermentée avec dépôt de 3 1/2 à 5 p. c. La bière qui comprend moins de 2 1/4 p. c. n'est pas comptée comme boisson enivrante, par exemple, la bière ordinaire (bière simple, faible) à une teneur de 1/2 à 2 p. c. d'alcool.
Les effets de l’alcool sont encore augmentés par l’acide carbonique, par exemple, le moût en travail, le champagne, l’eau de vie additionnée d’eau minérale (whisky avec soda) et encore par les huiles éthérées, contenues dans certains vins et certaines eaux de vie (par exemple de l’eau de vie de grains, liqueurs, Mixed drinks) et l’alcool amylique contenu dans l’eau de vie insuffisamment rectifiée.
On ajoute des matières spéciales à la boisson pour lui donner plus de « fumet » et l’apparence qu’elle contient plus d’alcool. Même quand ces produits ne sont pas nuisibles, ils sont dangereux parce qu’ils augmentent la soif et poussent à la boisson. Ils sont encore plus dangereux quand ils sont composés de produits assoupissants comme l'absinthe, etc.
Les boissons alcooliques ne sont nutritives que pour autant qu’elles contiennent des matières nutritives comme le sucre dans la bière (5 à 8 p. c.) et dans des vins doux (3 à 12 p. c.). Mais le pain blanc contient de l’amidon qui a la valeur du sucre et vaut dix fois plus que la même quantité de bière.
Le vin ne contient pas d’albumine. La bière en contient dans une proportion presque nulle, parce que l’albumine, contenue dans l’orge s’enlève en bonne partie par la préparation. Pour pouvoir la conserver et la clarifier, elle ne peut contenir qu’un dixième d’albumine comparativement à la même quantité de pain.
La bière n’est donc pas du « pain liquide ». L’eau-de-vie ne contient ni sucre ni albumine; les liqueurs contiennent 25 p. c. de sucre et plus, mais beaucoup d’alcool et elles sont très enivrantes.
III) LES LIMITES DE LA MODERATION.
Les limites de la modération pour les adultes sains dans l’espace de 24 heures vont jusqu’à la consommation de boissons qui contiennent 20 gr. d’alcool pur (25 cm3), correspondant environ à un demi-litre de bière ou à 1/3 de liter de vin, ou à 1 décilitre d’eau de vie (à 25 p. c. d'alcool). Jusqu'à ces limites, la consommation de l'alcool n’est pas nuisible, quand les effets de cette quantité ont disparu avant qu’un nouvel alcool ait été consommé, temps qui diffère selon les individus. Plus la boisson est riche en alcool, plus elle paralyse la volonté et la discipline personnelle et pousse à la consommation abusive. C’est pourquoi la consommation de l’eau de vie conduit souvent à l’abus d’alcool, de même que la consommation de vins forts, tandis que pour la bière et les vins légers, d’autres causes (et particulièrement les moeurs et la coutume) doivent entrer en jeu pour pousser à l’abus de l’alcool.
Les limites de la modération ne sont donc pas les mêmes pour toutes les personnes. Elles n’ont pas non plus la même durée pour la même personne, mais elles dépendent des dispositions corporelles et mentales du buveur. Elles changent selon l’âge, le travail produit et la nourriture, les saisons ou la disposition de l’esprit. Si le consommateur modéré d’alcool est poussé à dépasser les limites de la modération, il doit se restreindre bien plus et devenir enfin abstinent total. L’abstinence totale est aussi nécessaire pour les personnes nerveuses, malades des nerfs ou les anciens buveurs.
C’est donc l’effet individuel de l’alcool qui détermine s’il est nécessaire d’être modéré ou complètement abstinent.
Mais il est nécessaire pour tous les deux de garder la possession de soi-même, ce qui est dépendant, comme toute exigence morale, les conditions de vie.
L’abus de l’alcool produit la misère, mais aussi la misère produit l’abus de l’alcool.
Pour lutter avec succès contre les conséquences de l’alcoolisme, il faut en déterminer les causes, qui, par la force des circonstances extérieures, poussent à la consommation de l’alcool et nuisent à la santé.
La lutte contre les dangers de l'alcool est donc non seulement un devoir individuel, mais principalement de l’hygiène sociale.
IV) L'ABUS DE L’ALCOOL.
a) Les conséquences individuelles.
L’alcool, vite résorbé par les muqueuses de la bouche et de l'estomac, circule – d’autant plus vite qu’il est plus concentré –. Il suit le flux du sang dans tous les organes et dans toutes les membranes où il est brûlé dans l’eau et l’acide carbonique ; mais quand il est pris en plus grandes quantités, il reste décomposé et produit ses effets désastreux sur les organes et les tissus.
Les nerfs vasculaires se dilatent et toutes les muqueuses sont saturées de sang, ce qui facilite l’inflammation (catarrhes). Les muqueuses de l’estomac sont plus particulièrement excitées, et la digestion est entravée et non activée, comme on le croit généralement. C’est justement cette paralysie qui semble tranquilliser la faim, tandis qu’en réalité, elle ne fait que ralentir la transformation de la matière. Plus l’estomac est vide, mieux l’alcool entre en contact avec les parois de l’estomac, et son effet est d’autant plus rapide et plus pernicieux.
L’activité du foie, de la bile, des rognons et du coeur est poussée à l’extrême, puis paralysée et diminuée d’une façon durable. La consommation immodérée de la bière est outre cela nuisible à l’activité du coeur, et le coeur est dilaté (coeur de bière).
La consommation immodérée de l’alcool entrave encore la faculté visuelle et paralyse les muscles des yeux.
La capacité du sang de former des produits qui s’opposent aux germes maladifs, s’affaiblit : ce qui rend plus sensible à l’infection, à la contamination sexuelle, et à la tuberculose et rend la guérison plus difficile. La calcination des artères est activée. Les reins et le cerveau sont excités, puis engourdis et paralysés. La. faculté de comprendre est alourdie. Les capacités d’attention et de jugement sont diminuées. Les muscles sont paralysés (tremblement des mains). Les troubles mentaux sont de plus en plus fréquents et rendent le buveur mentalement et corporellement de plus en plus incapable. Le système nerveux est affaibli et il devient psychopatique ou neurasthénique. La faiblesse mentale acquise ou héritée, conduit facilement à l’ivrognerie et ces consommateurs d’alcool, quoiqu’ils commencent modérément, vont enfin à la folie (folie de la persécution), qui ne prend fin qu’à la mort.
La consommation occasionnelle de l’alcool conduit trop souvent à l’abus chronique croissant de l’alcool, parce qu’elle affaiblit la force de volonté et la capacité de jugement.
Même quand la consommation forte et régulière d’alcool ne porte en apparence aucune atteinte à la santé, – pas même par manifestations enivrantes, – les effets finissent par apparaître, généralement sous forme d’affaiblissement de la mémoire, affaiblissement du cerveau, idiotisme, stupidité, conduisant souvent au suicide.
Les effets dégénérants, diminuant la durée de la vie de celui qui abuse de l’alcool, ne peuvent être mis en doute.
Selon la statistique absolument sérieuse sur les causes de décès, publiée par la ville de Bâle de 1900 à 1908, 10,7 p. c. des hommes de plus de 20 ans seraient morts des effets de l’alcoolisme.
Les descendants des buveurs s’en ressentent aussi, soit par influence directe de l’alcool lors da la procréation (altération des germes) et l’infériorité des enfants qui en résulte, soit par action indirecte sur eux (négligence du ménage, altération du caractère des parents, l’entraînement des enfants à boire).
Les mères qui nourrissent doivent le plus possible être abstinentes pour ne pas faire de mal au nourrisson par le lait alcoolisé de la mère.
b) Les conséquences sociales.
En appauvrissant l’esprit et le corps, le buveur devient de plus en plus incapable de résister aux conséquences de la misère. L’ouvrier, en particulier, devient indifférent et ne participe pas aux efforts de sa classe. Dans l’enivrement, il vend même sa voix, en période électorale, à ses exploiteurs. L’alcoolisme n’est donc pas seulement un obstacle à la lutte de classe, mais un moyen de domination de la classe au pouvoir.
Une autre conséquence de l’emploi abusif de l’alcool est la brutalité sans égard de l’alcoolique envers lui-même (manque de soins personnels joint à toutes les débauches y compris les sexuelles – de là, l’extension des maladies sexuelles, la passion du jeu, etc.) comme d’autres encore (disposition à la grossièreté et au crime, traîtrise envers les camarades de classe par escroquerie et sarrasinage).
Les femmes ont particulièrement à souffrir de l’ivrognerie de leur mari, autant de sa brutalité que de la misère économique qui est toujours une des conséquences de l’ivrognerie.
L’alcool pervertit la femme, lui enlève la force de volonté et de réflexion, et la conduit souvent à la prostitution ou contribue du moins à ce que les prostituées ne puissent pas se relever.
Le buveur devient encore une charge pour l’Etat et la Municipalité, car en s'appauvrissant, en devenant malade et brutal, il augmente les dépenses des caisses d’assistance, de maladies ainsi que des asiles d’aliénés, des prisons et des pénitenciers.
Chaque année nous constatons que non seulement l’habitude de la boisson, mais un seul enivrement conduit beaucoup de gens en prison.
V) LES CAUSES DE L’ABUS DE L’ALCOOL.
C’est le mode de production capitaliste qui a surtout augmenté le danger de l’alcool par ses exigences économiques intellectuelles pour les grandes masses de la population. Il les augmente encore continuellement, non seulement par la misère physique, mais encore par la misère psychique. Ce développement économique a pour conséquence d’augmenter fortement l’affaiblissement nerveux qui aide à diminuer la capacité de résister à l’alcool, – « le savoir boire ». Le danger de l’alcool, qui précédemment n’était qu’un danger individuel, est devenu, en période capitaliste, un danger pour la masse, une manifestation de la maladie sociale, qui s’accroît avec l’augmentation de la production capitaliste. La misère économique et morale a poussé occasionnellement à s’enivrer, puis la boisson est devenue une habitude et l’enivrement un besoin irrésistible, et l’obligation sociale du commencement reste habitude, même quand les premières conditions économiques causales ont disparu et que de meilleures conditions de vie sont entrées en vigueur.
a) Les causes physiques.
C’est premièrement la misère économique qui en première ligne pousse à l’abus de l’alcool, particulièrement le manque de nourriture suffisante, de logement, les locaux ouvriers, l’insécurité de l’existence, le manque de distractions nobles et de plaisir à la vie. Si la nourriture n’est pas suffisante, elle ne rassasie pas; si elle ne contient pas assez de matières nutritives, elle ne renforce point. La faim et le sentiment de faiblesse ne sont pas écartés à leur source par l’alcool, mais seulement à leurs effets, en les engourdissant.
Si la nourriture est trop uniforme ou n’est pas préparée d’une façon appétissante, soit par manque de moyens, de temps ou de connaissance de la personne qui prépare les repas, l’alcool devient alors un excitant pour le palais et l’estomac. Ainsi, l’insuffisance de nutrition, et la consommation modérée régulière de l’alcool sont-elles en relation réciproque. La nutrition insuffisante pousse à la consommation de l’alcool, et cette dernière n'étant pas nourrissante, ralentissant la digestion et l’acquisition de nouvelles forces, elle double et augmente l’insuffisance de la nutrition.
Le logement surpeuplé et inhabitable pousse les habitants à la boisson, soit qu’ils engourdissent leur ennui chez eux, soit qu’ils aillent au plus confortable cabaret.
Si les locaux ouvriers ne sont pas suffisamment aérés, s’ils sont nauséabonds et poussiéreux, trop chauds ou trop froids, on consomme des boissons alcooliques pour passer la soif alors qu’au contraire le contenu d’alcool ne fait que l’augmenter. -
C’est pourquoi il est dans l’intérêt des ouvriers de leur procurer dans ies locaux ouvriers des boissons sans alcool froides ou chaudes (eau potable, minérale, limonade, café, thé, lait, cacao et fruits). Trop souvent c’est le contraire. La consommation de l’eau de vie et de la bière est même facilitée et il n’y a pas même d’eau fraîche à boire.
Il faut encore ajouter que plus l’industrie se développe, pluș le logement de l’ouvrier est éloigné du lieu de travail et plus on l’oblige, dans une mesure toujours croissante, à prendre son repas de midi loin de sa famille. En général, les fabricants ne donnent aucune occasion aux ouvriers de se procurer un repas, de sorte que le travailleur est obligé de se rendre au restaurant où l’on consomme de l’alcool.
Si la durée du travail est trop longue, le travail trop pénible, les repos trop courts, l’alcool trompe la fatigue et pousse l’ouvrier à juger trop haut ses capacités de travail. La sécurité en est diminuée, en conséquence les dangers et les accidents sont augmentés, parce que l’alcool ne donne pas de force.
Dans les endroits où le travail des femmes en fabrique se fait dans des conditions de travail et de salaire misérables, on voit aussi des femmes et des filles – qui sans cela ne consommeraient que très peu d’alcool, – en consommer modérément, puis en abuser.
b) Les causes morales.
Dès que le travail devient monotone, particulièrement dans le travail aux pièces, augmenté dernièrement encore par le système Taylor, – dès qu’il ne fait pas travailler l’esprit, – que ce travail soit en fabrique, à l’atelier, au magasin, au comptoir ou au bureau, – il produit, surtout quand il est de longue durée, un sentiment d’ennui, et l’alcool doit servir à engourdir l’individu quand l’effort intellectuel manque ou qu’il ne se produit pas par suite de l’insuffisance de l’instruction.
Les soucis et les chagrins provoqués par les ressources insuffisantes viennent encore s’ajouter aux craintes de l’insécurité de l’existence, et, comme de nouvelles catégories professionnelles dépendent de plus en plus du capital, cette insécurité devient la règle pour une toujours plus grande couche de la population.
Le manque de plaisir à la vie, le sentiment d’ennui pousse à oublier la misère dans l’enivrement.
Mais justement ceux qui oublient la misère de cette façon n’ont plus l’excitant pour la combattre, et le buveur reste sans résistance, tombant de degré en degré dans la misère,
D’autre part, le mode de production capitaliste a créé pour les jouisseurs, les possédants, des conditions de vie qui les poussent à abuser de l’alcool. La course au prcflt se fait sans arrêt, excite les nerfs par les hauts et les bas de la lutte de la concurrence et des crises économiques.
Il faut y ajouter une surabsorption d’aliments savoureux, l’insuffisance d’intérêt intellectuels, l’ennui horrible en dehors de l’activité professionnelle, de sorte que dans ces milieux aussi l’alcool est accueilli favorablement et produit son effet corruptible.
VI) LA LUTTE CONTRE LES DANGERS DE L’ALCOOL.
Ceux-là justement, qui souffrent le plus de l’exploitation capitaliste, ceux qui sont le plus sujets aux dangers de l’alcool ont le plus grand intérêt à se prémunir. En effet, pour que la classe ouvrière se lève pour son émancipation politique et économique du capitalisme, la condition essentielle est, que sa volonté et sa force ne soient pas affaiblies par l’abus de l’alcool. D’autre part, ce n’est que quand la classe ouvrière aura acquis une influence politique et économique qu’elle pourra se libérer complètement des dangers de l’alcool.
Comme le Parti socialiste dans tous les pays, même sous la domination du capitalisme, lutte pour la protection économique et intellectuelle des ouvriers, il lui faut déjà maintenant soutenir toutes les mesures propres à combattre les dangers de l’alcool.
Il faut y ajouter, en première ligne, toutes les mesures qui améliorent la situation économique et morale des classes travailleuses.
A côté de cette méthode sociale indirecte, deux méthodes directes entrent encore en considération pour combattre les dangers de l’alcool :
L’emploi de la force publique de l’Etat ou des Communes pour la suppression de l’abus de l’alcool (méthode physique) et l’influence de la population par l’éducation, l’avertissement et l’exemple (méthode psychique).
1) L’INFLUENCE SOCIALE.
Le relèvement économique et intellectuel de la classe ouvrière est la première condition pour lutter avec succès contre l’alcoolisme. Pour réaliser ce progrès de civilisation, il est nécessaire préalablement de faire disparaître les conséquences les plus désastreuses de la production capitaliste par une législation protectrice efficace nationale et internationale.
Il faut recommander particulièrement : La réduction d’une journée de travail à 8 heures au maximum. L’interdiction du travail de nuit ou le travail par équipe dans les usines exigeant le travail de nuit.
L’intervalle de repos suffisant pendant le travail. La protection des enfants, des jeunes gens et des femmes. L’observation rigoureuse de l’hygiène industrielle dans les ateliers et à la technique du travail.
En particulier : L’obligation législative pour le patron de fournir, dans les locaux de travail, une bonne eau potable et des boissons sans alcool, à des prix convenables.
En même temps, les salaires des ouvriers doivent augmenter avec l’aide des organisations syndicales, et, à travail égal, paye égale aux femmes et aux hommes.
La législation sur les impôts et les douanes doit être faite de façon à ne pas augmenter le prix de la vie de la masse populaire.
La spéculation sur les terrains et les logements dans les villes et les communes doit être entravée par une législation et par l'action des coopératives.
Les organisations coopératives peuvent empêcher l’augmentation des prix de la vie en supprimant les intermédiaires inutiles.
La protection de la santé publique doit être poussée au plus haut point par les institutions de l’Etat et des Communes, et particulièrement les soins corporels doivent être favorisés par des cours et la création de places publiques pour jeux publics et exercices de gymnastique, ainsi que des établissements de bains.
L’éducation du peuple doit être relevée par l’Etat et les Communes par la gratuité d’un enseignement suffisant dans les écoles publiques, des cours obligatoires de cuisine et d’économie domestique pour les jeunes filles. Il faut aussi créer des bibliothèques, des salles de lecture, des maisons du peuple et des jeunes gens aussi bien que des exécutions artistiques et des soirées scientifiques payés par les fonds publics.
2) L’EMPLOI DE LA CONTRAINTE LEGISLATIVE.
a) La prohibition de la production et de la vente.
Le moyen le plus radical d’écarter la consommation de l’alcool par la méthode physique semble être la défense légale de la production, de la vente et de l’importation de toutes les boissons alcooliques (prohibition), du moins de toutes les boissons contenant plus de 2 1/4 p. c. d’alcool (boissons fortes).
Mais l’application de cette défense pourrait être détournée de mille façons, tant qu’existeront les causes sociales qui provoquent l’engourdissement des sens ou qui demandent un stimulant. D’autre part, la soif de plaisir et de jouissance pousse à remplacer l’alcool par d’autres excitants encore plus dangereux (éther, morphine, opium, hachisch, cocaïne). La législation prohibitive seule, sans être accompagnée de mesures énergiques pour améliorer les conditions économiques et l’éducation du prolétariat, n’est qu’une hypocrisie consciente de la classe possédante.
Elle veut faire croire qu’elle désire sérieusement le relèvement du prolétariat, tandis qu’elle ne fait pas autre chose que d’enlever à la vue du public les conséquences les plus désagréables de l’abus de l’alcool. En même temps, elle refuse de faire, pour combattre effectivement le danger, les dépenses nécessaires pour des buts de développement et de civilisation.
Actuellement dans les 10 « Etats secs » de l’ « Union Américaine » (Maine, Kansas, Dacota du Nord, Alabama, Oklahoma, Géorgie, Mississippi, Caroline du Nord,Tennessee et Virginie occidentale), la production et la vente des boissons alcooliques sont défendus. Mais, comme les lois fédérales sont en vigueur pour le commerce entre les Etats, on ne peut empêcher le passage de l’alcool d’un Etat à l’autre. En conséquence, la vente secrète de l’alcool n’est pas entravée et les lois prohibitives ne gênent pas beaucoup le capital de l’alcool, ce qui est le principal pour le législateur.
En outre, les « Etats secs » ont une population très faible, sans grandes villes et ils sont peuplés principalement de fermiers, dont l’occupation ne pousse pas à la consommation de l’alcool. Enfin dans les grands villages la prohibition n’est qu’une farce et la vente clandestine de l’alcool fleurit.
La prohibition complète (fabrication, importation et vente) existe seule en Islande (depuis le 1er janvier 1912) et seulement pour les boissons qui ont plus de 2 1/4 p. c. d'alcool.
La prohibition de l’eau de vie fut introduite dans la mer du Nord par une entente internationale qui interdit la distribution ou l’échange des boissons spiritueuses à toutes les personnes se trouvant à bord d’un bateau ou faisant partie de son équipage.
Dans quelques colonies africaines, anglaises et allemandes, il existe aussi une interdiction totale de vendre de l’eau-de-vie ou tout au moins de la vendre aux indigènes.
Mais l’application de la prohibition n’est possible que dans les pays qui ne produisent pas de boissons alcooliques ou qui ont interdit la production existante et à condition que l’importation de marchandises ne puisse être faite qu’à certaines stations douanières rigoureusement contrôlées.
La prohibition est nécessaire sous les tropiques, car dans les climats très chauds, l’alcool, même en petite quantité, paralyse la force de volonté. Par conséquent, comme on est poussé à boire beaucoup à cause de la forte sensation de soif, l’alcool constitue un grave danger pour la santé, la capacité, le bien-être des indigènes comme des blancs. Les indigènes particulièrement, qui ont une force morale et de volonté peu développée pour résister aux effets de l’alcool, en abusent facilement. L’alcool les décime et les anéantit.
La défense d'avoir des distilleries à domicile est absolument nécessaire, parce que cette tolérance favorise extraordinairement l’ivrognerie. Les distilleries à domicile n’existent que dans les petites exploitations agricoles dont les propriétaires cherchent à oublier leur existence misérable dans une boisson facile à fabriquer et ainsi ils sont conduits à abuser de l’alcool; ce qui augmente leur difficultés et leurs misères.
Il faut demander la prohibition sous la forme de la défense de délivrer des boissons alcooliques, au moins de tous les spiritueux, aux enfants et aux jeunes gens. L’alcool agit plus violemment et exerce des ravages plus profonds sur les organismes des jeunes gens, même en quantité moindre, que chez les adultes.
Celui qui donne de l’alcool aux enfants commet un crime. L’alcool ne leur donne pas de force, mais affaiblit leurs nerfs. Ils deviennent neuropathes et plus tard alcooliques. Le devoir des parents, particulièrement des mères, est d’apprendre immédiatement aux enfants combien les boissons alcooliques sont pernicieuses.
a) Limitation des débits.
Le deuxième genre de mesures législatives prises par les Etats ou les Communes concerne les locaux de vente des boissons alcooliques, et particulièrement des restaurants, cafés et cabarets. Malgré la liberté du commerce et de l’industrie, aujourd'hui proclamée partout, ces établissements ne peuvent être tenus qu’avec une permission dans presque tous les Etats. Dans quelques pays seulement, cette permission n’est requise que pour la vente de l’eau-de-vie, et en Italie pour les boissons qui ont plus de 21 p. c. d’alcool. L’autorisation est donnée soit par l’Etat, soit par les Communes aux conditions suivantes :
On doit prouver les qualités personnelles du tenancier (bonnes moeurs) ou payer une taxe, qui dans certains Etats, par exemple, dans le Nord de l’Amérique est si élevée que le nombre des établissements reste relativement petit.
Ou : le besoin de ces établissements est apprécié soit par les autorités, soit par décision de tous les adultes d’une municipalité (droit de vote municipal, option locale) ou par une certaine proportion entre le nombre des restaurants et de la population, selon les situations locales, en prévoyant une certaine distance entre ces établissements et les fabriques, les maisons d’éducation, les hôpitaux et les cimetières.
Ou : la vente de l’alcool est concédée exclusivement à une société d’utilité publique, qui n’autorisera la vente que dans l’intérêt du bien-être de la généralité (système de Gothebourg).
Ou : la vente d’une quantité déterminée pour chaque habitant ne peut être "servie par le tenancier de l’établissement qu’avec une certaine quantité de nourriture (système de Stockholm).
Les défenseurs de ces mesures se trouvent dans tous les groupes politiques. Ils partent de ce point de vue que plus les occasions de consommer de l’alcool sont nombreuses, plus la tentation est grande. L’exactitude de cette opinion n’est pas encore vérifiée. L’augmentation des débits peut pousser à l’augmentation de la consommation de l’alcool, mais on n’a pu prouver nulle part que leur diminution – si elle n’est pas jointe à des mesures d’ordre social et de civilisation – peut avoir pour conséquence de diminuer l’abus de l’alcool.
En outre, à la suite de la réduction du nombre des autorisations, on a constaté qu’à la place de petits débits nombreux, il est une quantité moindre d’établissements, mais ceux-ci ont des locaux très vastes, possédés par de grands capitalistes (brasseurs ou marchands en gros de spiritueux), nantis de tous les moyens d’attractions (locaux luxueux, musiques, etc.).
Ce système a produit une plus forte fréquentation, on a retenu le client plus longtemps et on l’a poussé à une consommation plus forte d’alcool. C’est aussi pourquoi les tenanciers, grands capitalistes, sont de chauds défenseurs de la réduction des concessions, de même que les grandes brasseries, parce que ce système augmente la vente, sans qu’ils soient obligés de fournir aux cafetiers des hypothèques sur la maison et des prêts pour leurs installations. Ils préfèrent quelques gros clients aux nombreux petits clients peu solvables ou bien encore, ils aiment mieux tenir eux-mêmes quelques grands restaurants ou cafés.
D’autre part, quand le débit est trop éloigné du logement de l’ouvrier et à la campagne principalement, au lieu de la bière, on boit de l’eau de vie, plus facile à transporter.
Le système des concessions donne encore la possibilité aux autorités d'exercer sur les cafetiers une influence politique défavorable aux partis de minorité et d’entraver le droit d’assemblée et de réunion. L’option locale n’empêche pas cet abus, car il peut être exercé par le parti politique majoritaire au pouvoir, dans la municipalité.
Le Système de Gothebourg donne le droit à une société d’utilité publique de vendre seule des boissons alcooliques à des prix élevés, de façon à faire reculer le buveur. Les bénéfices sont versés à l’Etat et à la Commune et doivent être employés dans un but d’utilité publique. Ce système, employé en Suède (Bolag) et en Norvège (Samlag), n’a limité en aucune façon l’abus de l’eau de vie, car l’Etat et les Communes ayant un bénéfice à la vente, n’ont aucun intérêt à la voir reculer, mais ils sont au contraire satisfaits d’avoir un impôt pour couvrir les frais de dépenses d’utilité publique indispensable.
Le système de Stockholm (Do Bratt) qui existe depuis février de l’année courante, ne donne l’occasion à tout habitant de plus de 25 ans d’acheter de l’alcool qu’à un seul endroit et au plus un litre par semaine, ce qui est contrôlé par un livre et une carte de contrôle.
Une autre disposition ne permet au cafetier de ne vendre qu’une certaine quantité de spiritueux avec bénéfice, mais il est obligé de verser à une société le bénéfice d’une plus grande vente. Cette société crée elle-même des restaurants où les clients ne peuvent consommer un verre (4 1/2 centl.) d’eau-de-vie ou 4 décl. de bière qu’en consommant en même temps des aliments.
Ce système permet-il un contrôle, principalement dans les grandes villes ? C’est ce qui n’est pas encore prouvé.
Quoi qu’il en soit, il faut demander que les débits de boissons non-alcooliques puissent être créés sans limitation quelconque.
c) Les limitations des heures de vente.
La limitation des heures de vente des boissons alcooliques dans les magasins et les restaurants a aussi ses défenseurs dans tous les groupes politiques. Ils recommandent :
La défense de vendre toutes boissons alcooliques pendant la nuit, et défense de vendre de l’eau-de-vie les jours de paie, à partir de l'heure de paie ainsi que le dimanche.
Mais toutes les mesures coercitives de ce genre sont sans valeur, si toutes les conditions sociales qui poussent à l’abus de l’alcool ne sont pas écartées en même temps. Sans cette condition préalable, toutes les interdictions ne sont que des mesures unilatérales, dont on peut abuser pour chicaner les ouvriers.
Les locaux de récréation, les gargottes desservies par des femmes, – en réalité des bordels dissimulés, – ne peuvent être combattus avec succès que lorsqu’on ne pourra employer du personnel féminin majeur, avec un salaire fixe suffisant, sans bénéfice sur la vente, avec pension gratuite complète et en plaçant le restaurateur sous la surveillance d’inspecteurs professionnels pour le contrôle de l’application de ces dispositions.
On doit demander de l’Etat et des communes :
De créer et tenir des restaurants et débits sans aucune obligation de consommer des boissons alcooliques et où l’on puisse obtenir des boissons sans alcool à des prix équitables. En outre, les locaux doivent être à la disposition gratuite de tous les partis politiques.
De plus il pourrait créer et tenir des locaux de vente de café, de cacao, de limonade et de lait dans les réfectoires des établissements publics (ateliers, chemins de fer, bâtiments juridiques et militaires, champ d’exercice des troupes), avec des débits de bonnes boissons sans alcool. -
d) La lutte par l’impôt.
L’imposition des boissons alcooliques et le monopole est absolument inutile dans la lutte contre l'alcool. Bien plus, l’Etat a aussi intérêt à pousser à l’augmentation de la consommation de l’alcool. Les classes les plus pauvres et les moins instruites de la population sont poussées de cette façon à s'alcooliser par leur misère économique et morale et ont encore moins d’argent pour leur nourriture après cette augmentation. C’est de cette manière qu’on les pousse à abuser de l’alcool.
L’imposition des boissons à faible titre d’alcool (bière, vin, cidre) ne fera qu’augmenter la consommation de l’eau de vie.
Tant que les Etats retireront une bonne partie de leurs recettes de l’impôt sur l’eau de vie, ils ne peuvent avoir intérêt à limiter ou à défendre la consommation de l’eau de vie, et cela d’autant moins quand les producteurs d’eau de vie sont les grands propriétaires qui comme en Prusse et par conséquent dans toute l’Allemagne tout comme en Autriche et en Russie ont le pouvoir politique en mains.
Malgré notre hostilité à l’imposition des boissons alcooliques, le devoir de la social-démocratie est d’exiger, dès qu’un impôt semblable est entré en vigueur, d’obtenir qu’une grande partie au moins de ces taxes et surtout de l’impôt sur l’eau de vie soit employée par l’Etat pour combattre les dangers de l’alcool.
e) La lutte par la législation sur l’ivrognerie.
Les lois sur l’ivrognerie qui punissent l’ivrogne sont absolument inutiles à combattre l’abus de l’alcool. En réalité, ce sont des lois d’exceptions contre la population la plus pauvre, car les riches peuvent s’y soustraire facilement.
L’ivrogne ne peut pas être guéri par une punition, mais par des soins médicaux comme tout autre malade. Le désir de boire est en lui-même déjà une maladie. La plus grande partie des alcoolisés sont psychopathiques. Pour guérir les ivrognes, il faut créer et entretenir par des fonds publics, des instituts et des asiles pour les alcoolisés, dirigés par des médecins.
Les ivrognes, qui deviennent un danger à la sécurité des autres et particulièrement de leur famille, doivent être internés dans des asiles de ce genre jusqu’à leur guérison. La famille de l’ivrogne doit être entretenue pendant ce temps par la Commune ou l’Etat. Les Communes doivent surtout prendre position en faveur des enfants des parents alcooliques.
Les punitions ne doivent être appliquées qu’à ceux qui donnent à boire aux personnes qui sortent de ces hospices ou qui leur : versent des boissons alcooliques.
L’admission de l’enivrement comme circonstance aggravante en cas de délit ou de crime, est tout aussi erronée, comme si l’on voulait condamner un malade à cause de sa maladie. Cette conception est conforme à l’idée religieuse selon laquelle la maladie est un péché qui ne peut être pardonné que par une punition.
D’autre part, il vaut la peine de prendre en considération le système Pollard (employé par le juge américain Pollard à Saint-Louis au début de ce siècle). Les actes répréhensibles commis sous l’action des boissons alcooliques des personnes non condamnées jusqu’alors, sont pardonnés à condition que l'inculpé promette de s’abstenir de toute boisson enivrante. Cette remise de la peine ne pousse le buveur à résister aux tentations que si ce stimulant est plus fort que les tentations qui résultent des conditions de vie.
3) L'INFLUENCE PAR L'EDUCATION.
L'action pour combattre les dangers de l’alcool par l'éducation se divisent également en deux groupes :
L’éducation pour abstinence totale de toute boisson alcoolique (abstinence totale).
L’éducation pour la consommation modérée des boissons alcooliques (tempérance).
a) Abstinence et tempérance.
Si chaque goutte d’alcool était un poison, l’abstinence totale seule serait exacte. Mais l’alcool, comme nous l’avons montré au début, n’est pas néfaste pour chacun dans la même mesure et jusqu’à une certaine limite. Pour chaque personne, il y a une limtie de modération jusqu’à laquelle chacun peut consommer de l’alcool sans danger. La tempérance suffit donc. i
Pour certaines activités, il est vrai, qui demandent une attention soutenue, en cas de danger pour sa propre vie ou celle des autres, l’abstinence totale est absolument indispensable avant et pendant cette action, particulièrement dans l’exploitation des navires, des chemins de fer et dans les services des machines dangereuses, etc. Pour les psychopathes, dont la sensibilité et la volonté sont en-dessous de la moyenne et qui sont donc incapables de se dominer à cause de leur faiblesse nerveuse, la limite de la modération atteint la limite de l’abstinence.
Pour eux, chaque goutte d’alcool est un poison, car elle leur enlève la possibilité de conserver une mesure. Puisque le mode de production capitaliste par son activité exténuante augmente constamment le nombre des faibles – de nerfs – d’une façon excessive, il est de toute nécessité, pour un plus grand nombre d’ouvriers qu’ils ne le savent eux-mêmes, de vivre totalement abstinents pour ne pas aggraver leur misère. Le premier devoir de propagande est d’instruire la population sur les effets de l’alcool et ses dangers, afin que chacun sache s’il doit s’en tenir à la modération ou aller jusqu’à l’abstinence totale.
L’Etat et les Municipalités, comme toutes les organisations ouvrières, ont donc le devoir de travailler à cette éducation par la parole, les écrits, les images (expositions circulantes).
b) Organisations spéciales.
Le devoir des organisations ouvrières politiques et syndicales est d’éduquer la population à l’acquisition de ces connaissances. Les ouvriers organisés doivent donner aux non-syndiqués un exemple de la consommation modérée de l’alcool. Ils ne doivent pas se moquer de l’abstinence ou de la modération, mais les soutenir.
Les organisations spéciales pour la modération et l’abstinence totale ne sont admissibles pour les socialistes que si elles sont en relations étroites avec le mouvement socialiste.
Il ne peut pas y avoir d’organisations neutres, car la libération des ouvriers du danger de l’alcool est conditionnée par leur libération du joug du capitalisme. Ceux qui veulent combattre le capitalisme ne peuvent pas être neutres au point de vue politique, mais il faut qu’ils adhèrent au parti socialiste.
Les organisations bourgeoises soutiennent l’état économique du peuple quand elles ne travaillent pas à l’augmenter encore en luttant contre le mouvement ouvrier. L’intérêt de ces organisations à combattre les abus de l’alcool n’existe que tant que la capacité de travail des ouvriers est diminuée et que les impôts des riches sont augmentés pour venir en aide aux victimes de l’alcool.
D’autre part, en participant à des sociétés antialcooliques bourgeoises, les ouvriers sont maintenus loin de leurs associations politiques et syndicales.
C’est pourquoi le Congrès de la Social-Démocratie allemande à Leipzig 1909 a déclaré :
« Comme l’activité politique et syndicale du mouvement ouvrier est entravée par les organisations abstinentes placées sur le terrain bourgeois, le Congrès du Parti socialiste recommande aux abstinents membres du Parti de ne pas adhérer à ces organisations. »
c) La coutume de boire.
Les ouvriers organisés devraient veiller, pour autant qu’ils peuvent exercer une influence, à ce que dans leurs réunions on n'ait plus l’habitude de boire et de pousser à l’abus de l’alcool. Ils doivent supprimer, par exemple, la « béjaune » pour les nouveaux arrivants dans un atelier, – la « régale » des syndicats comme chez les charpentiers, – les beuveries en commune à la manière des étudiants. Ces coutumes nous viennent d’un passé barbare. Elles rappellent la vie des soudards et ne conviennent pas à des ouvriers éduqués. -
d) L’obligation de boire.
Les ouvriers organisés doivent en outre combattre de toute leur énergie toute instigation dangereuse à l’abus de l’alcool, comme l'obligation de boire dans les restaurants. Ces derniers ne sont plus seulement fréquentés librement, comme lieu de récréation, mais principalement parce que des affaires personnelles y doivent être réglées : soit à cause du métier (placement, versement de secours, versement du salaire) ou pour des soins (repas à proximité des locaux de travail, absence de chez soi des célibataires ou des voyageurs de commerce), ou pour une manifestation politique, syndicale, coopérative ou éducative.
Il faut encore ajouter que pour la plus grande partie de la population, pour les ouvriers et les petits bourgeois, leurs logements sont trop petits pour cultiver leurs relations personnelles avec leurs amis. Le restaurant est le seul endroit qui leur permet la vie de société.
Cette fréquentation régulière des restaurants conduit à la consommation régulière et modérée de l’alcool, augmentée encore par les aliments fortement épicés des restaurants. Les boissons sans alcool sont vendues à des prix très élevés dans l’intérêt des brasseries qui sont les vrais propriétaires de la plus grande partie des restaurants, pour faire augmenter la consommation de la bière.
L’obligation de boire la plus grave existe dans les restaurants placés sur le lieu de travail, dans des cantines, tenues par les chefs mêmes des ouvriers.
Pour combattre l’obligation de boire, les mesures suivantes sont nécessaires :
1) On demandera législativement:
Que défense soit faite aux patrons et à leurs employés de donner à crédit ou de livrer des boissons alcooliques à la place du salaire en espèces, aux personnes qu'ils occupent (truck-système, consommation dans l’établissement, dans les brasseries).
Qu'il soit interdit de tenir des bureaux de placement joints à un logement ou à un établissement où l’on vend de la bière ou des boissons alcooliques.
Que les patrons soient obligés de procurer une bonne eau potable dans les locaux ouvriers et des boissons sans alcool à un prix convenable.
2) LE DEVOIR DES ORGANISATIONS OUVRIÈRES.
Les organisations ouvrières doivent veiller à ce que dans toutes leurs réunions, soit amicales, sóit politiques ou économiques, à leurs fêtes, la démonstration du 1er mai, et à l’occasion du versement de leurs cotisations, à leurs bureaux de placement, leurs caisses de maladie, etc., toute obligation et toute invitation à consommer des boissons alcooliques soient abolies et que l’on mette à la disposition de tous des boissons sans alcool à un prix abordable. Il est tout au moins du devoir des ouvriers organisés d’interdire complètement l’eau de vie en cas de grève et de lock-out, et de pousser les non-syndiqués à s’en abstenir également.
Les locaux pour assemblées ou séances, doivent être loués afin que l’indemnité donnée au cafetier remplace la consommation de boissons (abolition de l’obligation de boire). Là où il n’est pas possible de payer cette location, les dépenses devraient être couvertes par les cotisations des membres, quitte à les augmenter, car l’obligation de consommer des boissons alcooliques à ceux qui fréquentent les assemblées revient encore plus cher, et c’est encore une imposition qui empêche beaucoup de personnes de fréquenter les assemblées.
Les syndicats ou le Parti doivent verser une allocation directe pour l’entretien d’une maison syndicale (Maison du Peuple). C’est aussi un devoir des sociétés coopératives de consommation de créer des restaurants alimentaires non alcooliques pour autant que ceux-ci ne sont pas créés par l’Etat ou les Communes.
Les locaux de jeunesse et les oeuvres pour jeunes gens en-dessous de 18 ans ne doivent jamais délivrer des boissons alcooliques.
On organisera des réunions scientifiques et artistiques pour les jeunes et pour les adultes afin de les éduquer, de les divertir pour ne pas sentir le besoin de l’alcool et faire digression à ce danger.
VII) DECISIONS DES PARTIS ET DES SYNDICATS.
Le Congrès socialiste allemand d'Essen en 1907 a accepté à l’unanimité, sur la base de ces principes, la résolution suivante, présentée par moi, pour combattre l'abus de l’alcool :
RÉSOLUTION :
« Les dangers de la consommation de l’alcool sont augmentés pour les populations travailleuses à la suite du développement du mode de production capitaliste.
Les mêmes conditions qui poussent à l’appauvrissement général ont aussi poussé à la consommation immodérée de l’alcool et en ont augmenté les effets nocifs : le surmenage, l’insuffisance des salaires, l’insalubrité du logement et du lieu de travail.
Le mauvais état économique et social et les moeurs de boire qui en résultent, habituent et incitent l’ouvrier à une forte consommation d’alcool.
Cette habitude a pour conséquence d’inciter économiquement à une consommation abusive de l’alcool, dont souvent on ne peut plus se défaire, même quand les causes économiques ont disparu.
Les adversaires bourgeois de l’alcool présentent en général l’alcoolisme comme une cause de la misère du peuple, créée par sa propre volonté, et ils détournent l’attention – non sans intention chez quelques-uns – des causes économiques et sociales du mal, tandis que d’autre part, ils cherchent à corriger la prétendue mauvaise volonté du buveur par des lois coercitives et pénales, de telle sorte qu’il est puni doublement pour des fautes dues aux conjonctures existantes.
Le capitalisme et son représentant au point de vue des intérêts, l’Etat, ne sont favorables à la suppression de l’alcoolisme que pour autant qu’ils souffrent de la charge que sont toujours les victimes et pour autant encore qu’ils subissent un dommage par suite du fait que les ouvriers voient amoindrir leur capacité de travail.
Le Congrès déclare donc que :
Les ravages de l’alcoolisme ne peuvent être ni diminués ni écartés par des lois coercitives et pénales. Les lois sur l’ivrognerie et la punition des ivrognes ne sont que des lois d’exception contre la population pauvre, car les riches peuvent s’y soustraire facilement. L’ivrogne ne doit pas être remis au juge, mais au médecin comme tout autre malade, et il faut créer, au moyen de fonds publics, des asiles pour ivrognes dirigés par des médecins.
La limitation du nombre des cafés et restaurants ainsi que la vente des spiritueux ne fera que chasser vers le domicile privé l’alcoolisme qui est aujourd’hui un mal public.
Le renchérissement par l’impôt des boissons à faible dose alcoolique (bière, vin, cidre) ne fait qu’augmenter la consommation de l’eau de vie.
Plus l’impôt sur l’eau-de-vie est élevé, plus les classes pauvres sont pillées, car la consommation n’est limitée que d’une façon insignifiante.
Pour combattre les dangers de l’alcool, le Congrès demande :
La réduction de la journée de travail à 8 heures maximum;
L’interdiction du travail de nuit, sauf dans les établissements à travail ininterrompu où l’on établira le travail par équipes;
L’établissement de repos suffisants pendant le travail;
L’interdiction aux patrons ou leurs employés de livrer à crédit ou de vendre des boissons alcooliques en remplacement du salaire des ouvriers employés (truck-système).
L’interdiction absolue de tenir des bureaux de placement joints à un logement ou à un établissement où l’on débite des boissons alcooliques;
L’observation rigoureuse de l’hygiène industrielle dans les ateliers et aux méthodes de travail;
Protection des enfants, des jeunes gens et des femmes;
La fixation de salaires suffisants;
L’abolition de tous les impôts indirects renchérissant le prix de la vie;
L’abolition de la spéculation sur les terrains et les logements;
Le relèvement de l’éducation publique en étendant et en complétant l’école selon les résolutions du Congrès de Mannheim, sur l’éducation populaire ;
La réforme énergique des logements, la création de colonies de vacances, de maisons du peuple et de salles de lecture.
Il est recommandé aux organisations ouvrières d’abolir toute obligation de boire des boissons alcooliques au cours de leurs réunions et assemblées éducatives, ainsi que dans leurs bureaux de placement, et de supprimer complètement les boissons à l'occasion du paiement des secours de grève, de s’occuper de l’éducation par la parole et les écrits sur les dangers de l’alcool et, particulièrement, chez les enfants et les jeunes gens, et de déraciner les moeurs qui poussent à l’abus de l’alcool. En aucun cas il ne pourra être donné de l’alcool aux enfants.
Cette lutte efficace contre les dangers de l’alcool ne peut être menée que par les organisations politiques et syndicales du prolétariat conscient, parce qu’elle améliore la situation économique de celui-ci et parce qu’elle lui apprend à trouver des satisfactions, des distractions et du plaisir dans la lutte contre le capitalisme pour la libération de l'appauvrissement, et de l'exploitation, au lieu de chercher un oubli dans la consommation de l’alcool. »
Le Congrès du Parti socialiste allemand de 1909, tenu à Leipzig a interdit complètement la consommation de l’eau-de-vie pour des raisons politiques. La résolution dit :
« L’augmentation de l’impôt sur l’eau-de-vie, décidée par la majorité du Reichstag agrarienne cléricale et réactionnaire, a principale- ment pour but de créer des ressources exigées par la politique insensée d’armements, et d’en rejeter le poids sur les plus pauvres.
En même temps, le maintien de la politique du « contingent fixe » permet d’assurer aux grands propriétaires agraires une augmentation de profit de plus de 50 millions de marcs par année aux frais des buveurs d’eau de vie. Pour s’opposer à cette exploitation criminelle du peuple et en même temps lutter contre les misères matérielles et morales que provoquent la consommation de l’eau de vie, le Congrès adresse un appel à tous les membres du Parti et à tous les ouvriers pour qu’ils renoncent à boire de l’eau de vie.
Les organisations du Parti et la presse du Parti sont invitées à faire connaître cette décision, pour que l'application en soit la plus énergique possible. »
Le boycott de l'eau de vie fut appliqué avec assez de succès pour en faire diminuer la consommation. Mais comme la décision n’est valable que pour les membres du Parti et comme la majorité des buveurs d’eau-de-vie, et surtout les immodérés, ne sont pas membres des organisations socialistes, on ne put et on ne peut pas faire disparaître les abus de la consommation de l’eau de vie par une décision de Parti.
Plusieurs Congrès syndicaux allemands se sont aussi prononcés centre l'abus de la consommation de l’alcool.
Le Congrès du Parti socialiste autrichien s'est prononcé dans le même sens en 1903. Après un discours du camarade Dr Fröhlich, la résolution suivante fut acceptée à l’unanimité :
« Le Congrès voit dans l’alcoolisme un détériorant dangereux des capacités intellectuelles et physiques de lutte de la classe ouvrière, une lourde entrave à toutes les aspirations organisatrices de la social démocratie, aucun moyen ne doit être épargné pour en combattre les effets pernicieux.
Le premier moyen dans cette lutte devra être de relever la situation économique du prolétariat ; ce moyen devra être complété nécessairement par une éducation sur les effets de l’alcool pour ébranler en même temps les préjugés sur la boisson.
Le Congrès recommande à toutes les organisations du Parti et à tous les membres du Parti, de soutenir tous les efforts effectués . contre l’alcoolisme et il déclare qu’un des premiers pas importants dans cette lutte, est d’abolir la boisson dans toutes les assemblées du Parti. Les membres du Parti socialiste, gagnés à l’abstinence, doivent recommander comme moyen puissant de propagande contre l’alcool l’affiliation à des sociétés d’abstinence qui de leur côté doivent veiller à ce que leurs membres fassent leur devoir envers leurs organisations politiques et syndicales. »
Les camarades suisses ont fait part de cette opinion dans leur programme; ils disent :
« Lutte contre l’alcoolisme;
Emploi approprié de la dîme de l’alcool et, essentiellement, soutien de tous les efforts que font les travailleurs et leurs organisations pour rester indépendants des établissements de consommation, la création de Maisons du Peuple, de locaux publics pour assemblées et de salles de lecture, l’organisation de représentations artistiques et scientifiques, de conférences, de concerts, de représentations dramatiques et de visites des musées. »
Les camarades hollandais se prononcent dans leur programme électoral en faveur de l’option locale.
D’autre part : les camarades de Norvège, de Suède et de Finlande recommandent l’abstinence.
En Norvège, le Congrès de Stavanger, de Pâques 1912, décida ce qui suit :
« Le Congrès du Parti voit dans la lutte contre la plaie de l’alcoolisme une condition indispensable pour relever la classe ouvrière. Les associations et les organes du Parti doivent briser toutes relations avec le capital-alcool. Il faut travailler à limiter le plus possible le commerce de l’alcool pour arriver à l'interdire dans tout le pays. »
En Finlande, le Congrès du Parti a pris, en 1889, à l’unanimité la décision que voici dans son programme :
Loi interdisant la production et la vente de boissons enivrantes.
La même demande a été faite en 1903, au Congrès de Forssa et figure encore au programme actuel du Parti.
Au Danemark et en Angleterre, nos camarades demandent la limitation des concessions d’eau de vie.
VIII) LA CONSOMMATION ET L’IMPOSITION DES BOISSONS ALCOOLIQUES ET LE CAPITAL-ALCOOL.
La variété de boissons alcooliques consommées dans les divers pays, varie selon le climat pour autant que celui-ci détermine le choix des matières premières nécessaires à la fabrication.
Dans les pays du Sud, le vin domine. C’est aussi la plus ancienne boisson enivrante du monde. La connaissance de sa préparation remonte bien avant l'histoire connue.
La préparation de la bière (orge fermentée, vin d’orge) était déjà connue en Egypte 2,000 ans avant J.-C. Ce n’est qu’à partir du 8° siècle après J.-C. que la bière additionnée de houblon est devenue la boisson principale des pays pauvres en vin.
L’art de préparer une boisson par distillation du vin et encore plus fortement enivrante que celui-ci fut découvert au moyen-âge par des alchimistes. Le produit de la distillation fut désigné sous le nom arabe d’alcool, ou en latin de spiritus vini, esprit de vin, ou vin distillé, ou aqua vitæ, eau-de-vie. Au 16e siècle, on distillait autant de bière fermentée que de vin. Plus tard, on employa, non pas de 1’orge, mais du seigle et du blé.
La misère de la Guerre de Trente-Ans répandit la consommation de l’eau-de-vie en Allemagne.
Depuis les débuts du 19e siècle on employa des pommes de terre au lieu du blé pour préparer l’eau de vie. La distillation de l’eau de vie devint une industrie secondaire des grands propriétaires agrariens, particulièrement en Prusse, si bien qu’au milieu du siècle dernier, elle devint le centre de la fabrication de l’eau de vie du monde entier. Depuis les années 70, la Russie lui fait une forte concurrence. Aujourd’hui, l’Allemagne, la Russie et l’Autriche sont les principales productrices d’eau de vie de pommes de terre. C’est la triple alliance de l’eau de vie.
Le titre, la force de l’eau-de-vie est calculé selon la quantité d’alcool pur que le liquide contient : cent pour cent de volume sont égaux à 84 p. c. de poids; l’esprit de vin a habituellement 80 p. c. de volume et l’esprit de vin rectifié (purifié et renforcé) 95 pour cent.
Le vin est généralement consommé dans le Sud, où il est bon marché. Là, il contient, comme aux États-Unis, 10 pour cent d’alcool, en Allemagne et en Suisse 10 pour cent, et dans les autres pays, 12 pour cent d’alcool.
La consommation du vin est difficile à constater pár les statistiques, car quelqués pays seulement en contrôlent la consommation (par imposition) et pour le cidre (4-7 p. c. d’alcool) il n’y a de contrôle nulle part.
La bière a presque partout le même contenant d’alcool. La bière en fûts conservables, fortement fermentée : de 3 1/2 à 5 p. c.; la bière peu fermentée ne se conservant que peu de temps : (bière simple, bière faible) de 1 1/2 à 2 p. c.
L’eau de vie est vendue en Russie à 50 p. c. de volume, en Allemagne précédemment de 25 à 30, actuellement, en moyenne, de 15 p. c. de volume; en Italie la loi de 1912 détermine que l’eau de vie, ayant plus de 21 p. c. d’alcool, est soumise à concession.
En comptant la consommation de l’alcool, il ne faut pas seulement tenir compte de la quantité, mais aussi de la force de la boisson et il ne faut faire de comparaison qu’avec l’alcool absolu, contenu dans ces boissons.
Dans les calculs sur la consommation de l’alcool par tête de population, on prend en considération toute la population.
Cependant on ne considère comme consommateurs que les personnes qui ont plus de 15 ans, de sorte que pour la même consommation on boit bien plus dans les régions où les enfants sont nombreux que là où il y a peu d’enfants.
La statistique de la consommation ne donne aucune indication sur l’abus de l’alcool puisqu’elle n’indique que la consommation totale annuelle. Celui qui consomme 1 décilitre d’eau de vie par jour et qui reste ainsi dans les limites de la modération en comptant la consommation annuelle (36 1/2 litres par année), est placé au même point que le consommateur qui est sobre toute la semaine et qui boit 7 décilitres d’alcool le dimanche.
La consommation annuelle des boissons alcooliques et de la quantité totale de l’alcool est la suivante, selon les enquêtes et les estimations de l’année dernière, par tête et par année :
|
Quantité totale d'alcool |
Vin |
Bière |
Eau-de-vie litres d'alcool absolu |
France |
21,6 |
160,0 |
45,0 |
6,8 |
Italie |
14,4 |
118,0 |
1,0 |
2,9 |
Belgique |
12,8 |
4,6 |
230,0 |
5,4 |
Suisse |
12,0 |
70,0 |
71,0 |
3,8 |
Danemark |
9,9 |
1,5 |
87,0 |
11,6 |
Grande Bretagne |
9,5 |
1,2 |
117,0 |
1,0 |
Allemagne |
9,0 |
5,8 |
106,0 |
2,9 |
Autriche-Hongrie |
9,0 |
30,0 |
42,0 |
8,0 |
Bulgarie |
7,5 |
31,0 |
2,7 |
0,5 |
Etats-Unis |
6,3 |
2,6 |
78,0 |
5,2 |
Suède |
5,6 |
0,6 |
50,0 |
6,0 |
Roumanie |
4,6 |
19,0 |
2,0 |
4,0 |
Russie |
3,4 |
4,0 |
5,0 |
2,8 |
Norvège |
2,4 |
1,1 |
13,0 |
3,1 |
Finlande |
2,3 |
0,5 |
5,0 |
2,0 |
La faible moyenne de la consommation de l’alcool et de l’eau de vie en Russie s’explique parce que sur les 125 millions de sa population, il y a environ 20 millions de musulmans absolument abstinents et 5 millions de sectes d’abstinents, de sorte que la consommation par tête pour les habitants en cause n’est plus 3,4 litres absolus d’alcool, mais 4 litres. Il faut encore dire que la population campagnarde, qui boit moins que celle des districts industriels, est en immense majorité. En 1908, par exemple, on comptait 2,2 litres à la campagne et dans les villes 7,7 litres d’alcool absolu.
Avec l’augmentation du bien-être, les pays consommateurs d’eau de vie remplacent l’eau de vie par la bière, par exemple l’Allemagne. En calculant les dépenses pour l’alcool faites par les différentes couches de la population, il ne faut pas oublier que la même quantité d’alcool contenue dans la bière est 1/3 à 1/2 fois plus chère que celle contenue dans l’eau de vie.
L’imposition des boissons alcooliques forme une partie im portante des recettes de presque tous les Etats. Les plus fortes se trouvent en Russie (26 p. c.), aux Etats-Unis (25 p. c.), en Grande-Bretagne (23 p. c.), en Allemagne (20 p. c.), en Hollande (16 p. c.), en Suède et en Belgique (15 p. c.), au Danemark (12 p. c.), en France et en Norvège (11 p. c.), en Autriche-Hongrie et en Suisse (9 p. c.), en Portugal et en Bulgarie (4 p. c.), en Italie (2 p. c.). Le total de ces impôts représente une somme de 5 milliards de marcs par année.
Un capital de plusieurs milliards est placé dans les vignes, les brasseries et les distilleries d’eau-de-vie. En Europe seulement, il y a deux millions et demi de débits de bière qui, pour la plus grande partie, dépendent des brasseries ou sont possédés par elles. Les distilleries sont possédées en grande partie par les grands propriétaires agraires, les nobles, les princes et l’église.
Le capitalisme de l'alcool défend et protège l’abus de l’alcool. Les finances énormes dont il dispose ne le mettent pas seulement en mesure de créer des restaurants attrayants, mais aussi de se faire une réclame dans la presse capitaliste et d’empêcher par son influence sur les gouvernements, l’administration et le pouvoir législatif, que les lois contre l’alcoolisme portent atteinte à ses intérêts.
Les gouvernements et le capital-alcool sont intéressés de la même façon à l’abus de la consommation de l’alcool. De nombreux capitalistes actionnaires sont intéressés aux bénéfices de la consommation du vin, de la bière et de l’eau-de-vie. Chaque recul leur cause des pertes. Les Etats couvrent une bonne partie de leurs dépenses par un impôt sur l’alcool. Toute diminution de recettes les obligerait à introduire d’autres impôts qui ne seraient pas supportés principalement par la population pauvre, comme c’est le cas pour l’impôt sur les boissons. C’est pourquoi le gouvernement et le capital-alcool ne sont intéressés à combattre l’abus de l’alcoolisme que pour autant qu’il leur crée des charges pour ses victimes pour les dépenses de secours aux assistés, aux hôpitaux et aux prisons, et qu’il diminue la capacité d’exploitation des ouvriers.
La libération de la classe ouvrière du joug de l’alcoolisme ne sera l’oeuvre que de la classe ouvrière elle-même par l’éducation, en influençant la situation économique et politique en faveur de la classe ouvrière contre les intérêts des gouvernements et des capitalistes (1).
RÉSUMÉ.
L’alcool contenu dans les boissons alcooliques est aussi toxique que d’autres stimulants des nerfs, par exemple le café, le thé et le tabac, dès que la force et la quantité de l’alcool dépassent la limite permise à chaque individu.
Cette limite dépend de l'individualité, du milieu social où le buveur vit et ce dernier influence à son tour les dispositions individuelles.
Les effets de l’alcool consistent à commencer par exciter les nerfs, qu’il paraît animer, puis il les paralyse, les engourdit et les endort.
Il ne donne de nouvelles force ni en cerveau ni en corps. Plus la faiblesse est grande, soit par jeunesse, soit par hérédité, maladie, nourriture insuffisante ou surmenage, plus sont grands les effets engourdissants des boissons alcooliques, plus est grande l’incapacité et plus il est nécessaire d’être modéré.
La limite de la modération n’est donc pas toujours la même pour tout le monde ni pour chacun; elle varie pour tous selon le temps et dépend de la disposition momentanée de l’esprit et du corps du buveur.
Selon les conséquences individuelles de l’alcool, il est nécessaire de combattre ces dangers soit par la modération, soit par l’abstinence totale. Dans les deux cas, la condition principale est la possession de soi-même dont l’application dépend des conditions de vie. La misère produit l’abus de l’alcool et l’abus de l’alcool produit aussi la misère. . La lutte contre le danger de l’alcool n’est donc pas seulement un devoir individuel, mais en première ligne, un devoir d’hygiène sociale.
L’abus de l’alcool est une manifestation de la maladie sociale. Le mode de production capitaliste avec sa grande production d’alcool, avec son intérêt capitaliste à la plus grande consommation d’alcool par les masses du peuple et sa tendance à ruiner les masses physiquement et socialement, a transformé l’abus de l’alcool en un phénomène de masse dont l’effet désastreux augmente toujours, et plus la position du peuple est misérable, moins il est capable de résister.
En même temps l’abus de l’alcool constitue un obstacle énorme au mouvement ascensionnel de la classe ouvrière. Il la rend incapable de résistance contre les causes de sa misère qui, en particulier, rend l’ouvrier indifférent aux efforts de sa classe et constitue pour les classes au pouvoir un moyen de domination.
RÉSOLUTION.
En conséquence, le Congrès déclare : Le danger de l’alcool ne pourra être écarté si l’on n’abolit en même temps la misère économique et intellectuelle des masses.
Comme les partis socialistes de tous les pays, même sous la domination du capitalisme, luttent pour la protection économique et intellectuelle des ouvriers, ils doivent soutenir aussi tout ce qui est propre à combattre le danger de l’alcool.
En conséquence, il demande à l’État et aux communes, en premier lieu, de prendre toutes mesures capables d’améliorer la position économique de la classe ouvrière.
Une législation protectrice du travail efficace, nationale et internationale, conformément aux résolutions acceptées par les congrès socialistes internationaux.
L’abolition de tous les impôts indirects et monopoles, renchérissant les denrées alimentaires; des mesures contre la spéculation sur les logements et les terrains.
Le relèvement de l’éducation populaire et particulièrement aussi la diffusion d’un enseignement propre à enrayer les dangers de l’alcool, par des bibliothèques, des salles de lecture, des maisons du peuple et de la jeunesse, et des manifestations artistiques, payées par les fonds publics.
En outre, la création de salles de réunion mises à la disposition de tous les partis politiques, des restaurants de même que des réfectoires dans les entreprises et bâtiments publics (ateliers, chemins de fer, édifices publics, casernes et places d’exercices des troupes), sans obligation de prendre des boissons alcooliques et livrant des boissons sans alcool à des prix abordables.
L’interdiction de vendre des boissons alcooliques aux enfants et aux jeunes gens.
Enfin le Congrès déclare que :
L’interdiction complète ou partielle de vendre des boissons alcooliques (prohibition) pour combattre les dangers de l’alcool, est une mesure impropre si elle n’est pas accompagnée de mesures d’ordre social; car elle pousse cette consommation vers des milieux incontrôlables. La prohibition ne peut être applicable que là où la production peut être empêchée et où l’importation des marchandises est soumise au contrôle le plus sévère.
L’imposition des boissons alcooliques par des impôts ou des monopoles d’Etat ne sert pas non plus à limiter l'abus de la consommation de l’alcool, mais elle ne fait qu’étendre l’augmentation de la misère.
La punition de l’ivresse est sans effet : elle n’est qu’une loi d’exception contre les plus pauvres, car les riches peuvent facilement s’y soustraire.
Les ivrognes seront placés dans des asiles dirigés par des médecins et, en même temps, leurs parents recevront des secours suffisants.
L’aggravation de la peine pour crimes et délits parce qu'ils ont été commis en état d’ébriété ne peut être admise.
En même temps, le Congrès recommande chaleureusement aux organisations ouvrières, politiques et syndicales, d'étendre l'enseignement sur les dangers de l’alcool et les moeurs bachiques;
D’abolir toute obligation de consommer des boissons alcooliques dans les réunions; de mettre à la disposition des membres des boissons sans alcool à des prix abordables et, en cas de besoin, d’abolir l’obligation de boire en payant au tenancier un prix de location;
D'interdire complètement la consommation d’eau-de-vie en cas de grève ou de lock-out; D’empêcher tout débit de boissons alcooliques dans les locaux et les réunions de jeunes gens âgés de moins de 18 ans.
A côté de l’action des organisations politiques et syndicales pour combattre l’abus de l’alcool, le Congrès recommande aussi l’action coopérative, car elle atténue l’augmentation du prix des denrées alimentaires et des logements des ouvriers et, par là, les rend plus capables de résister aux dangers de l’alcool.
Les organisations spéciales de tempérance ou d’abstinence n’ont d'utilité que si elles sont en relations étroites avec le parti socialiste.
D’autre part, le Congrès déclare :
Les organisations bourgeoises et neutres qui ne combattent pas par elles-mêmes les causes primordiales économiques et politiques du danger de l’alcool sont sans valeur pour les ouvriers. De plus, elles rendent ceux-ci étrangers aux organisations politiques et syndicales de leurs camarades de classe.
Le Congrès déclare enfin :
Malgré la différence des voies et moyens, employés par les partis socialistes et les syndicats des divers pays pour lutter contre les dangers de l’alcool, parce que les conditions politiques et sociales de chaque pays sont divergentes, tous les socialistes sont cependant d’accord pour conduire cette lutte systématiquement et avec la plus grande énergie, dans l’intérêt de la libération du prolétariat et de la victoire finale du socialisme.
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(1) Voyez : Emanuel Wurm: Alkoholfrage und Sozialdemokratie (La question de l’alcool et le Parti socialiste). Rapport fait au congrès socialiste d’Essen en 1907. Berlin 1908, Buchhandlung Vorwärts.
Emanuel Wurm : Die Alkoholgefahr, ihre Ursache und ihre Bekämpfung (Le danger de l’alcool, ses causes et la lutte antialcoolique) et : Die alkoholischen Getränke und ihre Besteuerung (Les boissons alcooliques et leurs impositions). Hamburg 1912, Erdmann Dubber.