Au lendemain de l'accord Grèce - Union Européenne
Submitted by Anonyme (non vérifié)L'une des plus grandes erreurs qu'on puisse faire lorsqu'on étudie le mode de production capitaliste, c'est de s'intéresser à la production en oubliant les moyens de production. Car pour que les entreprises produisent, il faut qu'elles disposent non seulement de travailleurs, mais également de moyens de production eux-mêmes fournis par d'autres entreprises.
C'est en cela que le capitalisme fait boule de neige. C'est en cela que les anarchistes et les trotskystes ont tort : même si on pratiquait « l'autogestion » locale de chaque entreprise, on n'aurait aucune perspective d'ensemble, aucune planification centrale permettant d'attribuer les forces productives à tel ou tel secteur.
La crise actuelle en Grèce est incompréhensible sans saisir cela, et il en va de même avec le nouvel accord effectué entre l'Union Européenne et le gouvernement grec de Aléxis Tsipras, en cette mi-juillet 2015, peu après le référendum organisé en Grèce.
Récapitulons les points un par un pour y voir clair. La Grèce est un pays capitaliste très peu développé, avec des éléments féodaux très puissants, notamment l’Église orthodoxe qui est en même temps le plus grand propriétaire terrien, alors que ses membres sont payés par l’État.
Le régime est né de l'écrasement du mouvement communiste au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, notamment grâce à l'appui contre-révolutionnaire de la Yougoslavie titiste. Il s'en est suivi une série d'instabilité aboutissant notamment à la « Dictature des colonels » de 1967 à 1974.
Il s'en est suivi, de 1973 à 1993, un chômage important tournant autour de10 %, et surtout une inflation annuelle d'environ 18 %. Durant la même période l’État grec s'est endetté, la dette passant de 20 % du PIB à pratiquement 100 %, alors qu'en 1993 le taux d'intérêt atteignait déjà 25 %…
La Grèce, rentrée dans la Communauté Economique Européenne en 1981, a donc alors été happé par la force économique du moteur franco-allemand et son inflation s'est effondrée au début des années 2000, ainsi que le taux d'intérêt des prêts.
En janvier 2002 l'euro devient alors la monnaie officielle, au moyen d'escroqueries comptables faisant croire que le déficit annuel du gouvernement était de moins de 3 %.
L'économie grecque connaît alors un boom, son PIB par tête augmentant de 47 % entre 1996 et 2006.
Seulement, comme le régime est corrompu de bout en bout, la plupart des chiffres n'ont pas de sens ! Lorsqu'en 2009 le gouvernement révèle que son déficit est de 12.6% et pas de 6 %, c'est la panique et au début de 2010 les taux d'intérêts des emprunts grecs repassent à plus de 30 %…
De 2008 à 2014, l'économie grecque recule, au moins d'un quart… Le taux de chômage est officiellement de 25 %, alors que de toutes manières l'économie au noir est massive et qu'éviter de payer les impôts est un sport national.
D'ailleurs, les dépôts d'argent dans les banques sont passés de 250 à moins de 150 milliards d'euros de 2010 à 2015…
C'est la fuite individuelle, alors qu'en même temps, avec la spirale de l'endettement, celle de la Grèce est passé à pratiquement à 200 % du PIB…
Maintenant pour comprendre la crise grecque, regardons cette dette justement. Elle est de 260 milliards d’euros qui ont été fournis en 2010 par des Etats européens et pour une petite part (30 milliards) par le FMI.
Elle a été souvent « restructurée », parce que fin 2014 elle était à près de 320 milliards d’euros.
En fait, comme la Grèce ne peut plus emprunter, l'Union Européenne emprunte pour elle puis prête à la Grèce (au taux de 2,3%), au moyen d'un « Fonds européen de stabilité financière » devenu « Mécanisme européen de stabilité ».
Cela veut dire ici que les Etats sauvent les capitalistes, car en 2010, les dettes grecques auprès des banques françaises (57 milliards d’euros) et allemandes (34 milliards d’euros) ont été rachetés !
Reste à savoir maintenant que faire. D'un côté, cette situation vassalise la Grèce : la France a profité depuis 2010 de 729 millions d’euros fournis par la Grèce en tant que paiement des taux d'intérêt.
De l'autre, il y va de la stabilité de l'euro : c'est pourquoi l'Allemagne et d'autres pays sont plutôt pour expulser la Grèce de l'Union Européenne ou au moins de l'euro, voire de virer manu militari également le Portugal, l'Espagne, l'Italie et même la France.
C'est pourquoi François Hollande, soucieux de maintenir la France dans l'Union Européenne, a tout fait pour servir d'intermédiaire entre la Grèce et la France.
Reste à savoir pour la Grèce comment rembourser, car le nouvel accord prévoit de remettre un peu moins de 90 milliard d'euros à la Grèce. Voici les possibilités telles que les médias les présentent :
1. Privatiser massivement et pratiquer une austérité généralisée – c'est le plan de l'Union Européenne initialement ou en tout cas de l'Allemagne.
2. Pratiquer le keynésianisme par des mesures sociales. C'est la ligne de SYRIZA et de Jean-Luc Mélenchon, avec d'autres encore désireux d'aller à une sortie ouverte de l'euro pour gérer cela indépendamment (c'est par exemple la ligne de Yánis Varoufákis, l'ancien Ministre des Finances de la Grèce qui vient de démissionner).
L'accord signé est un « compromis », allant dans le sens de l'Union Européenne surtout. Impossibilité d'un déficit du budget, privatisation du réseau de transports électrique et d'autres secteurs publics jusqu'à obtention de 50 milliards d’euros, réforme des retraites, modification du code du travail, etc.
Ce qui nous ramène à ce qui était expliqué au tout début de cet article. En fait, le seul moyen pour la Grèce de se sortir de cette situation, c'est de :
- passer sous la coupe d'autres puissances impérialistes qui permettent de liquider la dette et de relancer l'économie, mais au prix d'une vassalisation (c'est la ligne pro-russe et pro-chinoise, que représente en grande partie SYRIZA par ailleurs) ;
- sortir de l'euro et refuser de payer les dettes, en relançant l'économie par la nationalisation des principaux moyens de production au sein d'une démocratie populaire rétablissant l'indépendance nationale.
La conception de Jean-Luc Mélenchon et du Front de Gauche en général est absurde, car il est toujours parlé des financiers qui possèdent les dettes – en fait, désormais les Etats – mais jamais de la haute bourgeoisie grecque - pratiquement oligarchique - qui ne connaît pas la crise, ainsi que les propriétaires terriens.
Il est ainsi absurde de faire comme Jean-Luc Mélenchon et de parler d'un « accord négocié le pistolet sur la tempe de Tsípras », ou de faire comme Clémentine Autain qui simule d'être scandalisée : « Nous sommes dans un état de colère magistral, c’est écœurant. Une telle brutalité et une telle violence, c’est inédit en Europe ».
C'est là du populisme qui nie ouvertement la question des choix productifs, qui nie les classes sociales !
C'est bien le sens du social-impérialisme, du social-chauvinisme. Rappelons ici que le gouvernement Tsipras consiste en SYRIZA et en un parti de « droite souverainiste » (en fait d'extrême-droite) qui représente les puissants armateurs et l’Église orthodoxe !
Le rôle du gouvernement Tsipras est de tenter une sortie social-chauvine, en préservant les intérêts de la haute bourgeoisie grecque par les mobilisations de masse – si possible dans l'Union Européenne, sinon en partie à l'extérieur.
Et si cela ne marche pas, c'est la porte ouverte au fascisme qui pratiquera une répression sanglante pour rétablir la production, dans le sens forcément de puissances impérialistes exerçant une pression énorme.
En fait, sans sortie par la démocratie populaire, le sort de la Grèce est scellée : dans le contexte de la crise générale du capitalisme, les forces productives ne pourront pas se relancer en raison de la bourgeoisie parasitaire. Une réorganisation par en haut, ultra-réactionnaire, apparaît alors comme inéluctable.