1 fév 2015

Gouvernement SYRIZA : nationalisme de «gauche» et liaisons avec l'impérialisme russe

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Hier, le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, était à Paris pour des rencontres à haut niveau, alors qu'il ne devait arriver que lundi et que ces derniers jours le gouvernement grec bataillait pour que l'Union Européenne arrête ses sanctions contre la Russie. En arrière-plan, il y a un moment important de la lutte des classes et des contradictions inter-impérialistes.

Car c'était la grande question après la victoire électorale de SYRIZA en Grèce et la formation de son gouvernement : qui allait avoir raison ?

Le matérialisme dialectique, pour qui SYRIZA représentait la fin d'une période de lutte de classe, la consécration de l'échec à donner quelque chose de productif aux mouvements de masse de ces dernières années ?

Ou bien le trotskysme pour qui cela marquait le début d'une nouvelle période de lutte ?

Ces deux positions ont été synthétisés par le PCMLM et le NPA. Selon le NPA :

« Il y a désormais l'espoir qu'après avoir été le laboratoire européen des politiques austéritaires, la Grèce devienne celui des mobilisations politiques et sociales victorieuses »

Tandis que pour le PCMLM :

« Son existence [à SYRIZA] est le produit de l'absence d'alternative révolutionnaire alors que la Grèce connaissait des émeutes importantes en 2008. Tant les réformistes de SYRIZA que les nazis de l'Aube Dorée ont grandi ensuite comme des alternatives internes au système capitaliste. Les deux ont utilisé une rhétorique nationaliste, le populisme, les appels à la modernisation de l'État, les critiques du « mauvais » capitalisme en particulier et ainsi protégeant le capitalisme en général. »

Or, que voit-on ? Que les masques sont rapidement tombés. La première chose qu'a faite SYRIZA, c'est de s'allier à un petit parti « souverainiste », appelé les « Grecs indépendants » et qui est une scission « anti-austérité », c'est-à-dire nationaliste, du principal parti de droite.

Pour que les choses soient bien claires, c'est le dirigeant de ces « Grecs indépendants », Pános Kamménos, qui est ministre de la défense. On sait que les dirigeants de SYRIZA avaient rencontré l'année dernière les hauts responsables de l'armée grecque : il est facile de voir quel genre d'accord il y a pu avoir.

SYRIZA est censé être pour la laïcité et pour la disparition des immenses privilèges de l’Église orthodoxe, or justement les « Grecs indépendants » sont les plus farouches défenseurs de l’Église orthodoxe.

Il y a ainsi un consensus qui s'est fait, non « pas contre nature », mais sur une base sociale : celle du nationalisme porté par un secteur de la bourgeoisie alliée à la Russie. Voilà ce qui unit les nationalistes de gauche de SYRIZA et les nationalistes de droite des « Grecs indépendants », au service d'un secteur de la bourgeoisie refusant l'hégémonie de forces impérialistes comme l'Allemagne ou les Etats-Unis.

La ligne est principalement farouchement opposée à l'impérialisme allemand, d'ailleurs le parti des « Grecs indépendants » s'est fondé symboliquement à Dístomo, village dont 218 habitants ont été assassinés par les Waffen SS en avril 1944.

Le nationalisme grec est également soutenu dans une logique anti-turque, au nom d'un côté du refus de l'OTAN au nom du pacifisme, mais surtout dans la tradition chauvine grecque. SYRIZA s'était ainsi distancé d'un de ses membres, Nassos Theodoridis, qui dénonçait les volontés d'hégémonie de l'armée grecque quant aux îles Imia, qui font quatre hectares et qui ont déjà risqué de provoquer deux guerres gréco-turques ces dernières années.

A cela s'ajoute la question de la minorité macédonienne et la folie nationaliste grecque, amenant le pays à catégoriquement rejeter l'emploi du terme Macédoine par le pays voisin (admise à l'ONU sous le nom de « Ancienne République Yougoslave de Macédoine » - FYROM : Former Yugoslav Republic of Macedonia - du fait de la pression de la Grèce).

La rancoeur des masses par rapport au capitalisme est ainsi transformé en combat anti-austérité se concrétisant par une ligne anti-Union Européenne en réalité au service d'un secteur particulier de la bourgeoisie, ainsi que de l'impérialisme russe.

L'impérialisme américain s’est débrouillé par ailleurs ces derniers jours, par l'intermédiaire d'un blogueur ukrainien et d'un « hacker » officiellement indépendant, pour balancer les liens entre SYRIZA et Alexandre Douguine.

Né en 1962, Alexandre Douguine est le grand théoricien russe de l'eurasisme « anticapitaliste » et ultra conservateur, tout en étant « social », avec une ligne national-révolutionnaire et occidentaliste, chrétienne mystique, etc.

Alexandre Douguine était auparavant une figure du mouvement russe dit « nationale-bolchevique », dont le masque impérialiste est tombé : il s'agit ici de former une idéologie pour un système d'Etats dont la Russie serait à la tête. Son ouvrage La Quatrième Théorie Politique a été publié en France par les éditions Kontre-Kulture, liées à Alain Soral.

Si Marine Le Pen a affirmé soutenir SIRIZA, c'est pour cela.

En juin 2014, eut ainsi lieu, comme l'a révélé un journal suisse, une réunion secrète à Vienne en Autriche, organisée par l'oligarque russe Konstantin Malofeev, responsable de la fondation Saint-Basile, avec Alexandre Douguine en invité principal. Une réunion dont les membres devaient venir en smoking et en robe, dans un palais baroque avec gala et concert.

Étaient présents le responsable de l'extrême-droite autrichienne FPÖ, Heinz-Christian Strache, ainsi que Marion Maréchal-Le Pen et Aymeric Chauprade, les deux représentant la ligne ultra-conservatrice au sein du Front National.

A cela s'ajoute le prince espagnol Sixte-Henri de Bourbon-Parme ainsi que le suisse Serge de Pahlen, responsable d'une entreprise dans la finance mais surtout mari de Margherita Agnelli, héritière de FIAT.

On trouve encore Volen Nikolov Siderov, responsable de l'extrême-droite bulgare avec son parti Ataka, des responsables de l'extrême-droite croate, des nobles géorgiens, etc.

Si l'on ajoute à ce panorama l'extrême-droite hongroise de Jobbik, le président tchèque Milos Zeman, dont le soutien à la Russie est très clair, on voit ce qui se passe.

SYRIZA s'intègre dans ce panorama, comme le montrent ses responsables. La première personne accueillie par Alexis Tsipras dans ses locaux de premier ministre grec, la Villa Maximos, a été l'ambassadeur russe.

Panagiotis Lafazanis, le nouveau ministre grec de l'énergie, a déclaré qu'il était contre l'embargo contre la Russie, et Nikos Kotzias, le nouveau ministre grec des affaires étrangères, est pareillement un pro-russe ouvert, étant par ailleurs proche d'Alexandre Douguine, comme l'est Dimitris Konstantakopoulos, un intellectuel membre de SYRIZA et ancien correspondant de l'agence de presse Athens News Agency à Moscou entre 1989 et 1999.

Alexandre Douguine a, de son côté, ouvertement salué SYRIZA depuis longtemps comme une force « non-conformiste » jouant un rôle positif contre la finance, etc. etc.

D'ailleurs, si on regarde la prose des responsables de SYRIZA, on voit que cela ne dépasse pas la critique de la finance, des Etats-Unis, de l'Allemagne, des banques, etc., bref un discours qu'on connaît en France avec les sociaux-chauvins et opportunistes du type Jean-Luc Mélenchon ou Clémentine Autain.

Il est très difficile de faire face à ce populisme de gauche, bien entendu; cela ne peut que rappeler comment le Programme Commun en 1981, allié au trotskysme, a balayé les positions révolutionnaires, liquidant tout ce qui n'était pas opportuniste, à part une petite minorité qui a pratiqué la fuite en avant avec Action Directe. La scène anarchiste va faire en Grèce la même erreur, sans aucun doute.

On a un témoignage assez intéressant du niveau de difficulté, avec les contorsions de « l'Organisation pour la Reconstruction du Parti Communiste de Grèce », l'OAKKE. Issu des années 1970 et soutenant Mao Zedong, l'OAKKE considère depuis les années 1990 que l'ennemi principal des peuples du monde est… l'impérialisme russe.

Totalement focalisée de manière unilatérale à ce sujet, c'est chez l'OAKKE une véritable obsession. C'est une caricature de la position maoïste des années 1970, lorsqu'avait été compris de manière correcte que le social-impérialisme soviétique de Brejnev était la principale menace de guerre.

Cela demande cependant de la dialectique, pour ne pas tomber dans le jeu d'un autre impérialisme. L'OAKKE tombe évidemment dans le piège, basculant dans le soutien au triste jeu de l'impérialisme américain et de l'Union Européenne, cette dernière étant même ouvertement soutenue par l'OAKKE pour, censément, contrer la Russie. L'OAKKE a même mis en avant un discours soutenant l'industrialisation du pays comme mesure anti-russe, la Russie étant considéré comme forçant à la fermeture des entreprises qui ne lui sont pas liées.

On s'imagine en tout cas facilement la position de l'OAKKE alors que SYRIZA s'impose, en étant pratiquement ouvertement en lien avec la Russie. Il y a une part de vérité, mais c'est formulé de manière tellement unilatérale, que cela ne saurait aboutir sur quelque chose.

Cela montre naturellement l'extrême complexité d'une analyse concrète d'un pays donné, et la nécessité des outils conséquents pour le faire : l'idéologie matérialiste dialectique.

Sans cela on laisse la place à l’irrationalisme, aux inventions et aux élucubrations (le queer comme figure révolutionnaire authentique, l'Occitanie comme « nation » opprimée depuis mille ans, etc.), au réformisme nationaliste qui ne sert qu'à moderniser le capitalisme, etc.

Dans un contexte comme celui de la Grèce, c'est explosif. Mais c'est une question générale. On imagine, avec anxiété, la terrible situation en Ukraine, pays passé sous l'hégémonie de l'impérialisme américain, tout en étant morcelé par l'impérialisme russe... D'un côté, un régime gangrené par les fascistes et soutenant l'OTAN, de l'autre des pseudos républiques niant l'existence de l'Ukraine et organisées par la Russie. Que l'on pense à la terrible situation des progressistes, des démocrates là-bas!

La juste compréhension des contradictions est donc une tâche difficile, mais impérative: sans cela on reste empêtré pour une ou plusieurs décennies! Aussi faut-il oeuvrer, avant la situation de crise, aux préparatifs idéologiques et culturels : la situation en France aboutira nécessairement à une crise historique. Rater ce saut, c'est perdre des décennies: la situation si faible des communistes aujourd'hui tient aux multiples défaites passées (1958, suite de 1968, notamment).

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