Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin - 11e partie : la typologie typique de la France du 17e siècle
Submitted by Anonyme (non vérifié)A partir du moment où l’État est la chose principale qui compte, alors le raisonnement peut s'appliquer de manière unilatérale.
D'un côté, c'est un aspect progressiste, car l'intérêt de tous prime sur l'intérêt de quelques uns. De l'autre, de par la réalité de la monarchie absolue, on est dans une démarche calculatrice, utilitariste, déconnecté du processus historique général.
C'est cela qui amène à des « excès », à une généralisation de l'arbitraire. Exactement comme dans le classique indien qu'est l'Arthashastra, on a dans les Maximes de Richelieu des appels au « secret » comme nécessité pour l'efficacité :
« Les plus grandes affaires n'ont souvent qu'un instant qui ne revient plus lorsqu'il est passé.
Le secret et la discipline sont nécessaires au bon succès des affaires, vu que ce qui surprend étonne d'ordinaire de telle sorte qu'il ôte souvent les moyens de s'y opposer, et que, poursuivre lentement l'exécution d'un dessein et le divulguer, est le même que parler d'une chose pour ne pas la faire.
Le maître du vaisseau ne rend point de raison de la façon avec laquelle il le conduit. Il y a des affaires dont le succès ne dépend que du secret, et beaucoup de moyens propres à une fin ne le sont plus lorsqu'ils sont divulgués. »
Toute remise en cause de l'ordre revient pareillement à une attaque contre l'intérêt général. On a ici le facteur civilisateur de la monarchie absolue, qui écrase les tendances centrifuges de l'aristocratie.
Richelieu a ici parfaitement constaté que ces tendances sont « naturelles » et qu'il est nécessaire de les écraser, qu'on ne peut pas faire autrement :
« En matière de crime d’État, il faut fermer la porte à la pitié, et mépriser les plaintes des personnes intéressées, et les discours d'une populace ignorante, qui blâme quelquefois ce qui lui est plus utile et souvent tout à fait nécessaire.
En plusieurs monopoles, factions et séditions qui se sont faites de mon temps dans ce royaume, je n'ai jamais vu que l'impunité ait porté aucun esprit naturellement à se corriger de sa mauvaise inclination, mais au contraire tous se sont retournés à leur premier vomissement, et souvent avec plus d'effet la seconde fois que la première. »
Richelieu, comme mentionné, a ainsi une vision historique ; il affirme la nécessité de « se mettre au service », de servir une cause plus grande que soi. On a là un grand dépassement historique de la position individualiste de la noblesse.
Richelieu affirme donc simplement, dans ses Maximes, montrant qu'il est conscient de sa triste « réputation » :
« Je ne prends pas garde à tout ce qui se dit et fait contre moi, je me contente de contribuer ce que je puis afin que les affaires de mon maître aillent bien, et n'estime pas que ce soit trop acheter la gloire de servir un grand prince, que d'être calomnié de ceux qui sont ennemis envieux des prospérités du roi. »
Ce faisant, Richelieu a ouvert une nouvelle voie : celle de l'interprétation des individus par rapport à leur positionnement.
C'est là une démarche essentielle à la dynamique pragmatique-machiavélique, qui raisonne en terme binaire d'utile et d'inutile, de fonctionnel et de non-fonctionnel, etc., c'est-à-dire de fait de manière mécanique.
On a là un moment clef de l'histoire de France. On ne peut ainsi pas comprendre la typologie faite par Molière dans ses pièces (L'avare, Le bourgeois gentilhomme, le faux dévot Tartuffe, le libertin Dom Juan, La malade imaginaire, etc. etc.), Les caractères de La Bruyère ou bien sûr les Fables de La Fontaine sans voir qu'il y a en arrière-plan le même type d'évaluation, produit par la situation historique en France.
Il va de soi que lorsqu'il est de plus question de l’État, la question des « caractères » est d'autant plus importante, ce que souligne Richelieu de la manière suivante :
« Les fautes des hommes particuliers sont singulières et ne tirent point de suite après elles, mais celles de ceux qui sont dans les charges publiques, et dans les principales, tirent après elles des conséquences si grandes en nombre, et si importantes, qu'on ne peut le juger que par les effets qui suivent longtemps après. »
Et voici comment il formule la base de son raisonnement calculateur :
« Les imprudents sont capables d'entreprendre beaucoup d'action avec violence, mais leur retour est toujours lâche.
Il ne faut jamais, en affaire d'importance, prendre assurance en foi d'autrui, mais en sa propre puissance.
Il faut juger les sentiments des personnes, non par leurs paroles, mais par leurs véritables intérêts.
Il est à remarquer qu'ainsi les raisons fortes et solides sont excellentes pour les grands et puissants génies, les faibles sont meilleures pour les médiocres parce qu'elles sont plus de leur portée. »
Voici en fin des exemples parlants des types définis par Richelieu. Au moyen du matérialisme historique, on comprend rapidement qu'il évalue cela en fonction de l'utilité ou de la non-utilité, etc.
Il y a ainsi déjà les opportunistes qui ne pensent qu'à grimper l'échelle sociale de l'administration :
« Il n'y a point de peste si capable de ruiner un État que les flatteurs médisants et certains esprits qui n'ont autre dessein que de former des cabales et des intrigues dans les cours. »
Il y a les grand esprits qui doivent avoir de la suite dans les idées, sans quoi ils sont contre-productifs au régime administratif de la monarchie absolue, gigantesque appareil assumant ni plus ni moins que la direction de la société elle-même :
« Les plus grands esprits sont plus dangereux qu'utiles au maniement des affaires ; s'ils n'ont beaucoup plus de plomb que de vif argent, ils ne valent rien pour l’État.
Il y en a qui sont fertiles en inventions et abondants en pensées, mais si variables en leurs desseins, que ceux du soir et du matin sont toujours différents, et qui ont si peu de suite et de choix en leurs résolutions qu'ils changent les bonnes aussi bien que les mauvaises, et ne demeurent constants en aucune. »
Il y a l'attitude nécessaire du prince – c'est-à-dire du roi, « prince » étant ainsi entendu comme chez Machiavel, pour désigner le dirigeant central du régime – qui doit éviter de se faire manipuler, tromper, manoeuvrer par les opportunistes :
« Pour ferme et constant que soit un prince, il ne peut, sans grande imprudence, et sans s'exposer à sa perte, conserver auprès de lui de mauvais esprits qui peuvent le surprendre à l'imprévu, ainsi que, pendant la contagion, une vapeur maligne saisit en un instant le cœur et le cerveau des hommes les plus forts et les plus robustes, lorsqu'ils pensent être les plus sains.
Il faut chasser ces pestes publiques et ne les approcher jamais, s'ils n'ont entièrement déposé leur venin, ce qui arrive si peu souvent que le soin qu'on doit avoir du repos oblige plutôt à la continuation de leur éloignement que la charité ne convie à leur rappel.
Je mets hardiment cette proposition en avant, parce que je n'ai jamais vu aucuns esprits amateurs de factions et nourris aux intrigues de la cour perdre leurs mauvaises habitudes et changer de nature que par impuissance, qui même, à parler proprement, ne les change pas, puisque la volonté de mal faire leur demeure lorsqu'ils n'en ont plus de pouvoir.
Il n'y a point de peste si capable de ruiner un État que les flatteurs, médisants et certains esprits qui n'ont autre dessein que de former des cabales et des intrigues dans les cours. »