Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin - 3e partie : « Je m'en vais, mais l’État demeurera toujours »
Submitted by Anonyme (non vérifié)La monarchie absolue a joué un rôle progressiste en unifiant le pays, en permettant l'existence d'un marché important et de l'administration de l’État. Le capitalisme n'aurait pas pu se développer dans un pays où régnait le chaos, et où un marché organisé ne disposait pas de ressources suffisantes.
Ainsi, les monarchies absolues ont dû produire leur idéologies unificatrice. C'est ce qu'on fait Akhénaton, Ashoka, Akbar le Grand et Jules César, en construisant un nouvel universalisme, une façon de vivre plus moderne et progressiste.
L’État apportait un saut civilisationnel, en tant que grand intégrateur. Dans cet esprit, on trouve dans notre pays Philippe de Beaumanoir (1250-1296), qui a recueilli en 1283 les lois de droit coutumier dans ses Coutumes de Beauvaisis, et qui était considéré par Montesquieu, un des plus grands penseurs des Lumières, comme « la lumière de son temps ».
N'oublions pas non plus la description que Joachim Du Bellay (1522-1560), un de nos plus grand poètes, fait de la France dans un vers devenu célèbre : « France, mère des arts, des armes et des lois ».
En Inde, Chāṇakya (vers 370–283 avant notre ère) a eu un rôle de premier plan, en tant que ministre et stratège de Chandragupta Maurya. Il considérait qu'il y avait quatre branches de lois (chattushpadah) : le dharma (préceptes reposant sur la vérité), le vyavahara (accords et usages), le charitra (l'histoire, les coutumes), et le rajashasan (les édits royaux).
Ashoka, le petit fils de Chandragupta Maurya, a élaboré un concept de dharma adapté au nouvel empire, au delà des castes et du brahmanisme. L'empirisme en est la méthode principale.
Chāṇakya considérait déjà en son temps que les édits royaux étaient supérieurs au dharma, c'est-à-dire, à l'époque, la religion. Comme il l'écrit dans Arthashastra, « l’État c'est le roi (raj-rajyam) ».
Et l’État, c'est la prospérité de la société. La hiérarchie y est stricte. Bien sûr, cela signifie une administration très développée, que l'Arthashastra décrit avec précision. Il n'y a pas d’État sans administration :
« Le pouvoir ne peut être exercé efficacement qu'avec l'assistance de tiers. Une roue ne tourne pas seule. C'est pourquoi [le monarque] doit nommer des ministres et prendre en compte leurs opinions. »
Barani affirme de la même façon que l'administration doit être entièrement contrôlée par le roi, et donne une liste complète de ministres, d'un cabinet pour les décisions importantes. De plus, les lois suivent en apparence la Sharia religieuse, mais obéissent en fait au « Zawabit », c'est-à-dire les lois et les décrets de l'État, au nom de l'Istihasan (le bien public).
Nous trouvons ici la description de ce qu'est une nation dans son affirmation primitive : un pouvoir militaire utilisant une administration, qui explique sa domination sur un territoire, sur un peuple, de façon organique.
Nous trouvons aussi dans la loi romaine des concepts exprimant cela : la « summa potestas » (le pouvoir souverain) et le « plenitudo potestatis » ( la plénitude des pouvoirs ). En France, c'est le concept de « souveraineté » qui a été employé.
Et cette souveraineté dépasse le roi lui-même : parmi les dernières paroles de Louis XIV, il y a cette phrase centrale : « Je m'en vais, mais l’État demeurera toujours ».
Le roi est un instrument – il est vrai, l'instrument principal – de l’État. Le roi doit accepter la réalité (et pas la religion), mais ne pas y plonger comme un tyran. S'il est tout puissant, c'est parce que l’État est tout puissant.
De ce fait, un roi doit se forger comme un instrument destiné à assurer la prospérité. On lit dans l'Arthashastra :
« Les freins à la prospérité sont : la passion, la colère, la nervosité, la pitié, la timidité, la bassesse, l'arrogance, une nature compatissante, de la considération pour l'autre monde, la bigoterie ».
« Car, si l'un des trois [buts de la vie], le bien spirituel, le bien-être matériel et le plaisir sensuel, est recherché à l'excès, il se trouve compromis, et par là même compromet les trois autres. »
Cela est vrai aussi pour les ministres. Dans son Testament Politique, le ministre Richelieu écrit à ce propos :
« La probité d'un ministre public ne supporte pas une conscience craintive et scrupuleuse, au contraire il n'y a rien de plus dangereux au gouvernement de l’État, vu qu'ainsi que du manquement de conscience il peut arriver beaucoup d'injustices et de cruautés ; le scrupule peut produire beaucoup d'émotions et d'indulgences préjudiciables au public, et qu'il est très certain que ceux qui tremblent aux choses les plus assurées, par la crainte de se perdre, perdent souvent les Etats lorsqu'ils pourraient se sauver avec eux. »
Ici la politique naît avec l’État dans sa forme la plus structurée, qui décide et détient la souveraineté. Il agit de manière « scientifique », avec comme but la prospérité, sans parti pris quant à ce qui est bien ou mal.
L’État moderne se fonde sur l'organisation de toute la société, qui doit obéir au souverain, la « figure » de l’État, qui doit lui-même se subordonner à l' « art » de la politique.
Le siège de la Rochelle, orchestré directement par le ministre Richelieu de septembre 1627 à octobre 1628, est un exemple particulièrement cruel. Cette ville était l'une des plus peuplées de France, avec ses 30 000 habitants.
Le principal bastion protestant a ainsi été encerclé, isolé par 12 kilomètres de fortifications, 11 forts et 18 redoutes. Même l'accès à la mer était défendu par un mur maritime de 1400 mètres, construit sur des épaves lestées par un remblai.
A la fin du siège, les vieillards, les femmes et les enfants furent expulsés de la ville et moururent dans les tranchées, puis les 5000 combattants finirent par se rendre après 14 mois de siège.
Tel était le prix de l'intérêt national : la cruauté est une composante du devoir de l’État. Dans ses mémoires, Richelieu explique en ces termes le sens de ce siège :
« Il étoit vrai que si le Roi ne prenoit La Rochelle cette fois-ci, il ne la prendroit jamais, et les Rochelois et les huguenots seroient plus insolens que jamais, et que tous les ans on auroit la guerre par les huguenots et les grands factieux, la plupart desquels, et tous les petits qui vouloient faire fortune dans la confusion, appréhendoient qu’elle fût prise, autant que l’Angleterre, l’Espagne et tous les princes voisins ; mais que si le Roi la prenoit, il auroit la paix pour jamais ; que sa réputation passeroit celle de ses prédécesseurs ; qu’il seroit le plus puissant roi de l’Europe, et arbitre des affaires de la chrétienté ; que, sans doute, un tel dessein seroit beaucoup traversé, qu’il y trouveroit beancoup de difficultés, mais qu’il étoit certain que, s’il persévéroit, il l’emporteroit ...
Alors on entreprit, à bon escient, le siège de La Rochelle. »
Nous sommes ici au cœur de la « raison d’État ».