Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin - 13e partie : «La souveraineté n'est non plus divisible que le point en géométrie»
Submitted by Anonyme (non vérifié)En plus de ses Maximes, Richelieu a laissé un Testament politique, mais également une correspondance de 7000 pages.
Et Richelieu n'est bien sûr pas le seul à avoir formulé son avis ; toute l'époque est marquée d'ouvrages sur la politique, comme par exemple De l'intérêt des Princes et Etats de la Chrétienté (1634) écrit par le protestant Henri de Rohan, ou inversement les Considérations politiques sur les coups d'Etat (1639) de Gabriel Naudé, apologie de la Saint-Barthélémy au nom de la raison d'Etat.
On peut également mentionner celui qui fut historiquement le seul « orateur du roi pour les discours d'État », François de Colomby, qui écrivit en 1631 De l'Autorité des rois, où l'on peut lire que :
« Les armes soutiennent la cause des Princes, mais les livres de la bonne trempe en font connaître l'équité et tournent les affections publiques, du côté même qu'ils font paraître la justice. »
« Il ne suffit pas que les Princes soient autorisés du Ciel ; il faut que leurs sujets le croient. »
Nous sommes ici au cœur de la dynamique intellectuelle pragmatique-machiavélique, et Louis XIV a lui-même laissé des écrits : des Mémoires, un Journal, des Instructions politiques et morales, des Réflexions sur le métier de roi.
Dans cette dernière œuvre, Louis XIV donne son point de vue sur la tâche qui a été la sienne :
« Rien n’est si dangereux que la faiblesse, de quelque nature qu’elle soit. Pour commander aux autres, il faut s’élever au-dessus d’eux ; et après avoir entendu ce qui vient de tous les endroits, on se doit déterminer par le jugement qu’on doit faire sans préoccupation et pensant toujours à ne rien ordonner ni exécuter qui soit indigne de soi,du caractère qu’on porte, ni de la grandeur de l’État.
Les princes qui ont de bonnes intentions et quelque connaissance de leurs affaires, soit par expérience, soit par étude, et une grande application à se rendre capables, trouvent tant de différentes choses par lesquelles ils se peuvent faire connaître, qu’ils doivent avoir un soin particulier et une application universelle à tout.
Il faut se garder contre soi-même, prendre garde à son inclination et être toujours en garde contre son naturel. Le métier de roi est grand, noble et délicieux, quand on se sent digne de bien s’acquitter de toutes choses auxquelles il engage ; mais il n’est pas exempt de peines, de fatigues, d’inquiétudes.
L’incertitude désespère quelquefois ; et quand on a passé un temps raisonnable à examiner une affaire, il faut se déterminer à prendre le parti qu’on croit le meilleur.
Quand on a l’État en vue, on travaille pour soi. Le bien de l’un fait la gloire de l’autre. Quand le premier est heureux, élevé et puissant, celui qui en est cause en est glorieux, et par conséquent doit plus goûter que ses sujets, par rapport à lui et à eux, tout ce qu’il y a de plus agréable dans la vie.
Quand on s’est mépris, il faut réparer la faute le plus tôt qu’il est possible, et que nulle considération en empêche, pas même la bonté. »
La position de Louis XIV a été obtenue de haute lutte, notamment face à la « Fronde » de la noblesse ; il faut ici mentionner le théoricien Claude Joly (1607-1700), qui tenta de s'opposer à l'idéologie dominante avec ses Maximes véritables et importantes pour l'institution du Roi.
Cependant, de par les succès de la royauté, l'histoire retient Cardin Le Bret (1558-1655) qui joua un rôle central juridiquement, devenant pratiquement le juriste de Richelieu, voire son porte-parole.
Sa présence historique est notable, ayant vécu sous six rois (d'Henri II à Louis XIV), servant quatre d'entre eux ; son œuvre majeure est un ouvrage de 1632 sur la souveraineté royale : Œuvres qui contient un sçavant Traité de la Souveraineté du Roy Ses Harangues ses Plaidoyers à la Cour des Aydes & au Parlement de Paris reduits en forme de Decifions.
Cardin Le Bret va très loin dans ses exigences juridiques nouvelles : les charges des officiers ne doivent plus dépendre de l'hérédité, le pouvoir de police doit revenir au pouvoir central, le roi doit pouvoir lever librement des tailles et des subsides sans demander l'accord des Etats généraux du Parlement, les droits domaniaux doivent être étendus aux fleuves navigables, les grands chemins, les forêts, les mines, selon lui « la condition ecclésiastique est presqu'égale à celle des autres sujets », etc.
Il conçoit même une sorte de concept d'état d'urgence, affirmant :
« Pour subvenir à une nécessité pressante pour le bien public, il semble alors que toutes choses soient permises. »
Il résume dans une formule, bien sûr de manière pragmatique-machiavélique, « logique », comment il pose la question :
« La souveraineté n'est non plus divisible que le point en géométrie. »
On a là le point culminant d'une évolution de la tradition dit du « Miroir des princes », de l'averroïsme politique où les conseillers prônent le matérialisme. Bien sûr, l'oeuvre la plus célèbre de cette tradition est Il Principe, c'est-à-dire Le Prince, de Machiavel.