24 déc 2013

Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin - 10e partie : le positionnement pragmatique-machiavélique

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Ce qui est caractéristique d'une vision pragmatique-machiavélique, c'est qu'il y a toujours « quelque chose à dire », toujours un « positionnement » à avoir.

Contrairement en effet au matérialisme dialectique qui considère que la contradiction est interne et où il existe une certaine « attente », la vision pragmatique-machiavélique est perpétuellement « active » et tente de « composer » avec la réalité.

Cela sous-tend la présence de conseillers, dont l'importance est capitale.

Pour cette raison, le choix des conseillers est décisif : il faut que ceux-ci aient uniquement la raison d'Etat comme méthode et l'intérêt général – celui de l'Etat – en ligne de mire.

Richelieu dit ainsi :

« En matière d’État, il est souvent de la prudence d'approuver les choses que l'on ne peut empêcher. Le pire conseil qui puisse être est de ne s'arrêter à aucun.

Les intérêts publics doivent être l'unique fin du prince et de ses conseillers, ou du moins les uns et les autres sont obligés de les avoir en si singulière recommandation, qu'ils les préfèrent à tous les particuliers.

Il est impossible de concevoir le bien qu'un prince, et ceux dont il se sert en ses affaires, peuvent faire s'ils suivent régulièrement ce principe, et on ne saurait s’imaginer le mal qui arrive à un État quand on préfère les intérêts particuliers aux [intérêts] publics, et que ces derniers sont réglés par les autres.

La vraie philosophie, la loi chrétienne et la politique enseignent si clairement cette vérité, que les conseillers d'un prince ne sauraient lui mettre trop souvent devant les yeux un principe si nécessaire, ni le prince châtier assez sévèrement ceux de son conseil qui sont assez misérables pour ne le pratiquer pas. »

Richelieu en fait sa grande thèse, historique et capitale pour l'histoire de notre pays. De fait, un régime comme celui de la Ve République, avec son rapport ambigu entre président et premier ministre, est issu de cette conception de Richelieu.

Voici ainsi comment, dans ses Maximes, il présente ce dont dépend la félicité des États :

« Le plus mauvais gouvernement est celui qui n'a d'autre ressort que la tête d'un prince qui, étant incapable, est si présomptueux qu'il ne fait état d'aucun conseil ; le meilleur de tous est celui dont le principal mouvement est en l'esprit souverain qui, bien que capable d'agir par soi-même, a tant de modestie et de jugement, qu'il ne fait rien sans bon avis, fondé sur ce principe qu'un œil ne voit pas si clair que plusieurs (…).

Un prince capable est un grand trésor en un État ; un conseil habile et tel qu'il doit être n'en est pas un moindre, mais le concert de tous les deux ensemble est inestimable, puisque c'est de là que dépend la félicité des États. »

C'est cette conception du « ministère » qui a le plus frappé les esprits, et tant de nombreux témoins de l'époque que les intellectuels bourgeois ont par la suite réduit Richelieu à cette figure du ministre surveillant tout, manipulant tout, oppressant le peuple, etc.

C'est également l'impression du peuple à sa mort, et Corneille se permettra alors également ce « bon mot » :

« Qu'on parle mal ou bien du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n'en diront jamais rien :
Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal ;
Il m'a fait trop de mal pour en dire du bien. »

Corneille ira encore plus loin à la mort de Louis XIII, peu après celle de Richelieu qui fut son premier ministre:

« Sous ce marbre repose un monarque sans vice,
Dont la seule bonté déplut aux bons François,
Et qui pour tout péché ne fit qu’un mauvais choix
Dont il fut trop longtemps innocemment complice.

L’ambition, l’orgueil, l’audace, l’avarice,
Saisis de son pouvoir, nous donnèrent des lois ;
Et bien qu’il fût en soi le plus juste des rois,
Son règne fut pourtant celui de l’injustice.

Vainqueur de toutes parts, esclave dans sa cour,
Son tyran et le nôtre à peine perd le jour,
Que jusque dans la tombe il le force à le suivre.

Jamais de tels malheurs furent-ils entendus ?
Après trente-trois ans sur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre. »

De fait, ce qui a été retenu ce n'est pas tant la conception pragmatique-machiavélique comme aspect principal, mais le système « organique » d’État extrêmement bien organisé et délimité.

Voici précisément comment Richelieu formule cette conception :

« La réputation de l’État est préférable à toutes choses ; sans elle, tous les hommes et tout l'or du monde ne nous serviraient de rien, et nos vies et nos biens seraient exposés en proie à l'étranger.

La première et la plus grande obligation de l'homme est le salut de son âme, qui doit laisser la vengeance à Dieu et ne la pas prendre.

La plus grande obligation des rois est le repos de leurs sujets, la conservation de l’État en son entier et la réputation de leur gouvernement ; à quoi est nécessaire de repousser si bien les injures faites à l’État que la sévérité de la vengeance ôte la pensée d'y attenter une autre fois. »

La monarchie absolue a été une affirmation historiquement progressiste, et Richelieu en a été un moteur essentiel.

Mais comme le régime n'a été qu'une période de transition entre la féodalité développée (par rapport au moyen-âge) et l'effondrement de celle-ci, on l'a assimilé de manière simpliste à ce régime.

Ce sera précisément ce que feront Maurras et les « anti-dreyfusards », au nom de la primauté de l'Etat et de l'armée ; leur conception organique de l’État a été un fétichisme administratif, une caricature historique de ce qu'a mis en avant la monarchie absolue.

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