8 sep 2013

Egon Erwin Kisch et Bertolt Brecht - 1re partie : le reportage littéraire et théâtral

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Le 8 septembre 1943, il y a précisément 70 ans, Julius Fučík était assassiné par les nazis, après avoir subi l'emprisonnement et la torture.

Il avait été condamné à mort par un tribunal nazi à Berlin le 25 août 1943, et amené dans cette ville depuis la prison de Pankrac, à Prague.

Cependant, deux gardiens de la prison avait rassemblé clandestinement les écrits de Julius Fučík, qui furent rassemblés après 1945 en un ouvrage appelé  Reportage écrit sous la potence.

Ce reportage au sein de la prison, face à la barbarie fasciste, eu un énorme retentissement. C'était une représentation réaliste, sous la forme d'un témoignage ; c'était la dignité du réel qui s'imposait.

Et cela témoigne de l'importance de la question du reportage dans les Partis Communistes d'Allemagne et de Tchécoslovaquie. 

C'est, en effet, Egon Erwin Kisch qui fut le théoricien du reportage, et la démarche de Bertoldt Brecht est indéniablement proche de cette culture du témoignage et de la démonstration de ce qui devait être en vrai, à la place de l'oppression la plus sordide et de l'exploitation la plus crue.

Egon Erwin Kisch et Bertoldt Brecht représentent deux très grandes figures de la culture au 20e siècle, et le fait que si Brecht soit très connu en France, Kisch soit totalement ignoré, est une aberration.

Kisch n'est pas moins que le grand théoricien du reportage ; établissant la dignité du réel, il affirme que le journalisme doit se plonger dans la réalité pour la saisir. Brecht, en fait, ne fait pas différemment avec son théâtre. Les pièces de Brecht, si on y regarde bien, son très exactement des reportages.

D'où provient leur conception commune? Elle vient directement du naturalisme et de l'expressionnisme. Rejetant le réalisme « froid », qui rate la substance même d'un phénomène, Brecht et Kisch ont décidé d'employer les exigences naturalistes et expressionnistes – le culte du détail, l'expression « chaude » - dans le domaine littéraire.

C'est cela qui fait que les articles de Kisch atteignent la littérature et que les pièces de Brecht on une dimension d'enquête, de journalisme.

Regardons plus précisément en quoi consiste les pièces de Brecht. L'Opéra de quat'sous est une comédie musicale, nous plongeant dans les bas-fonds de Londres. La Mère nous fait suivre la mère d'une révolutionnaire russe, qui devient elle-même révolutionnaire.

Le film Ventres glacés nous montre des communistes berlinois. Les pièces La Résistible Ascension d'Arturo Ui et Grand-peur et misère du IIIe Reich sont pratiquement des reportages ouverts sur l'Allemagne au quotidien, alors que Dialogues d'exilés témoigne de l'état d'esprit des réfugiés.

La réalité de son époque est donc au coeur de la plupart des pièces de Brecht ; ce n'est que lorsqu'il s'en éloigne que la dimension « documentaire » disparaît.

Ainsi, Maître Puntila et son valet Matti se déroule en Finlande, La Bonne Âme du Se-Tchouan en Chine, Mère Courage et ses enfants pendant la Guerre de trente ans, La Vie de Galilée en Italie au 17e siècle, mais il s'agit toujours d'une parabole, à prétention universelle.

Cela montre que le Brecht qui témoigne de la réalité qu'il connaît directement le rattache au reportage. C'est dans l'esprit de l'expressionnisme ; les peintres Otto Dix et Georg Grosz n'ont pas fait autre chose, si l'on regarde bien.

On ne doit pas être étonné ainsi de retrouver, à leurs côtés, Egon Erwin Kisch, figure intellectuelle absolument incontournable des années 1920-1930, avec un impact important sur la culture mondiale.

Tout comme les auteurs et artistes reconnaissant la dignité du réel et cherchant à la représenter avec toute sa complexité, sans cacher ses côtés obscurs (nécessitant d'ailleurs leur abolition et la révolution), Kisch reconnaît la réalité. D'où son affirmation, incompréhensible pour qui ne voit pas le caractère dialectique de la réalité :

« Rien n'est plus estomaquant que la simple vérité, rien n'est plus exotique que notre environnement, rien n'est plus plein de fantaisie que l'objectivité. »

Aux yeux de Kisch,  « Rien n'est plus sensationnel dans le monde que l'époque à laquelle on vit. »

C'est une affirmation éminemment matérialiste dialectique, à l'opposé, comme on le voit, du romantisme qui idéalise un « passé » (le moyen-âge, pour la version romantique traditionnelle) ou bien un ailleurs (la figure de Che Guevara est ici un bon exemple d'idéalisme).

Il faut bien voir cependant que ni Kisch ni Brecht n'ont atteint une pleine compréhension du matérialisme dialectique dans la littérature et les arts. Ils restent viscéralement liés à l'expressionnisme, ils n'arrivent pas jusqu'au réalisme socialiste et la reconnaissance de l'héritage.

Cela fait la faiblesse de Brecht, et c'est dans un esprit très futuriste, dans la logique du cinéaste Dziga Vertov (qui a théorisé le « ciné-oeil »), que Kisch considère que:

« Qu’est ce que je pense du reportage ? Je crois que c’est la nourriture littéraire de l’avenir. Je parle bien sûr du reportage de qualité.

Le roman n’a pas d’avenir. Il n’y aura plus de romans, il n’y aura plus de livres de fiction. Le roman est la littérature du siècle dernier. Chaque roman écrit il y a trente ou quarante ans est illisible. Les romanciers si populaires jadis dans la littérature allemande sont tellement oubliés que la jeunesse d’aujourd’hui ne connaît même pas leurs noms.

Qu’est ce qu’il nous reste de la littérature française du siècle dernier ? Presque rien d’autre que Balzac et Zola. Et pourquoi justement eux ? C’est qu’ils ont décrit leur siècle comme s’ils étaient des reporters et ont utilisé dans leurs romans la technique du reportage. (…)

Le reportage est un problème d’actualité. Je crois qu’un jour les gens ne liront rien d’autre que la vérité sur le monde. Le roman psychologique ? Non. Le reportage. L’avenir est au reportage véridique, réaliste et généreux. »

Il y a là une conception expressionniste ; en 2013, la jeunesse francaise se désintéresse totalement du roman, mais de tous les romans, y compris réaliste, et si elle s'intéresse à des reportages, ce sont ceux qui ont une portée populiste, racoleuse, avec un voyeurisme assumé. Les reportages sur la vie quotidienne comme ceux sur Facebook où une personne raconte sa vie ne sont que des élucubrations subjectivistes.

Kisch et Brecht ont donc raison d'affirmer le reportage, le regard avec la dignité du réel, mais ils ont eu tort de nier l'héritage, constitués des chefs d'oeuvre les plus grands, qui synthétisent la réalité.

La distinction de ces deux aspects permet néanmoins de comprendre de manière approfondie la perception de la réalité que l'on peut avoir, son degré de synthèse. Elle est incontournable pour qui entend saisir le matérialisme dialectique pour comprendre le monde.