10 sep 2013

Egon Erwin Kisch et Bertolt Brecht - 3e partie : les débuts de Kisch

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Présenter tel quel la réalité ne suffit pas : c'est du matérialisme vulgaire. Les faits, présentés mécaniquement, sont incomplets. Il y a besoin d'une mise en forme : tel est le point de vue de Kisch.

Pour Kisch, un article doit se fonder sur l'expérience du journaliste plongeant dans la réalité, et retranscrivant la réalité. Kisch retravaillait donc ses textes à fond, pour vérifier que le message et l'impression donnée sont adéquats.

Comment Kisch est-il arrivé à cette conception? Sa vie elle-même, d'un énorme caractère, en témoigne.

Egon Erwin Kisch est né le 29 avril 1885 à Prague ; sa famille appartenait à l'importante minorité allemande de Bohême, la famille Kisch appartenant à la minorité juive de cette minorité allemande. Il a donc le même profil que Franz Kafka et, tout comme lui, il va se tourner vers le mouvement démocratique tchèque.

Il rentre ainsi en conflit avec la bureaucratie austro-hongroise, notamment à l'armée, où il rencontre des opposants au régime lorsqu'il est mis aux arrêts. Très tôt intéresse´par la littérature et lui-même écrivain, il s'ajoute un second prénom – Erwin – et rejoint comme journaliste deux quotidiens allemands de Prague: le Prager Tagblatt, puis Bohemia.

C'est là qu'il va donner impulsion à son approche : Kisch est, en effet, nommé aux faits divers de la ville de Prague. Kisch va mener ce travail pendant six années, de 1906 à 1913, en le révolutionnant.

Kisch ne va pas décrire de manière populiste les cambriolages, les incendies ou bien le monde de la prostitution, il va au contraire pratiquer l'immersion, plongeant dans les bas-fonds, afin de décrire les ressorts et les mécanismes des phénomènes.

Kisch ne se contentait pas des rapport de police, il menait ses propres enquêtes ; il n'hésitait pas à se faire passer pour un sans abri pour faire un article sur les asiles de nuit, etc.

Il suivait ses idées originelles, comme évaluer les réactions des gens et du responsable d'un wagon de tramway lorsqu'il laissait un gros pourboire à celui-ci (dans un quartier pauvre il a honte de son initiative, dans un quartier riche on croit qu'il veut épater sa voisine, dans un quartier intermédiaire le responsable du wagon devient obséquieux, etc.).

Cela va aboutir à une série de reportages, comme Depuis les rues et les nuits de Prague (1912), Aventure à Prague (1920).

Kisch a ainsi fréquenté la Bohème praguoise, faisant partie d'un milieu où il y avait notamment Paul Leppin, Rainer Maria Rilke, Max Brod, Franz Kafka, Jaroslav Hašek, etc. Et il n'a pas hésité à réaliser des « coups » pour soutenir le mouvement démocratique, dont le plus célèbre est l'affaire Reidl.

Alfred Reidl était un officier austro-hongrois travaillant pour le contre-espionnage et se révélant être devenu un espion pour la Russie. Son suicide « obligé » du 25 mai 1913 visait à étouffer l'affaire.

Kisch découvrit l'affaire de manière cocasse. Il était lié à une équipe de football de local, le Sturm Prag. Or, un membre de l'équipe rata un match du dimanche : ce serrurier civil avait été réquisitionné en catastrophe par l'armée pour perquisitionner chez l'espion.

Ne pouvant ouvertement expliquer la chose, Kisch réalisa un plan afin de jouer sur les contradictions de la bureaucratie. Sur la première page du quotidien Bohemia fut publié un démenti, expliquant en trois lignes qu'il avait été demandé en haut-lieu la confirmation du caractère erroné de la rumeur selon laquelle le suicide de l'officier Redl aurait un rapport avec une activité d'espionnage au service de la Russie.

La bureaucratie, dont une partie avait masqué l'affaire, ne sut pas si réellement il y avait eu lieu un démenti, et le résultat de cela fut que l'affaire fut ébruitée, notamment auprès de l'empereur.

Avec la guerre de 1914-1918, Kisch fut mobilisé et découvrit une horreur qu'il a retranscrit dans Ecris cela, Kisch! (1922). Le parallèle avec Henri Barbusse est admirable, puisque dans Le feu – journal d'une escouade, Barbusse a eu précisément la même démarche.

Blessé, il fut placé à la censure, et là il prit contact de manière encore plus franche avec les opposants. Déplacé finalement à Vienne pour rejoindre le centre de propagande du régime, il tisse des liens avec l'union de la jeunesse ouvrière indépendante, prenant part à la conférence clandestine de St. Aegyd am Neuwalde en novembre 1917.

Cette conférence rassemble une trentaine de représentants de comités d'usine et donne naissance à un comité d'action clandestin, dont Kisch était le représentant pour l'armée.

Suspect et renvoyé au front dans la marine, Kisch revint à l'effondrement du régime et devint le dirigeant de la Garde Rouge fondée le 1er novembre 1918. Il participa de plain-pied à la chute définitive du régime et la fondation de la République, le 12 novembre 1918.

Kisch commanda notamment l'opération contre la rédaction du quotidien Neue Freie Presse, en chassant les rédacteurs du journal (dont l'un de ses propres frères) afin de publier un numéro spécial du soir, le Parti Communiste de l'Autriche allemande exprimant « l'idée de la réalisation immédiate de la République socialiste. »

Kisch prit naturellement part à la bataille contre le courant réformiste, qui triompha cependant. Kisch avait rejoint les communistes, mais comme le tout jeune Parti Communiste il était sous l'hégémonie culturelle de la « Fédération des Socialistes Révolutionnaires », d'esprit gauchiste.

Kisch était d'ailleurs le responsable de Le Garde Rouge, l'organe de presse de cette fédération pour les soldats, « Le travailleur libre » étant celui pour les travailleurs.

Cependant, la social-démocratie disposait d'une tradition extrêmement puissante et n'eut pas de mal à liquider le gauchisme. Kisch dut abandonner son poste dirigeant dès le 18 novembre, pour être tout de même élu commissaire de la Garde Rouge part les soldats. En mai 1919, la Fédération rejoignit le Parti Communiste d'Autriche.

Kisch fut touché psychologiquement par la très grande campagne de calomnies lancée par les réformistes, et finalement il fut poussé hors du pays par le nouveau régime autrichien. Il revint alors à Prague, pour partir rapidement à Berlin. C'est la fin de la première période de Kisch et l'affirmation de son activité dans le cadre du mouvement communiste.

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