2 oct 2013

Egon Erwin Kisch et Bertolt Brecht - 9e partie : Joseph Roth

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Grand ami d'Egon Erwin Kisch, Joseph Roth (1894 – 1939) est une très grande figure de l'histoire du journalisme.

Juif galicien d'Autriche-Hongrie à l'écriture brillante, son tempérament excentrique en fera également une personnalité très appréciée, exerçant encore aujourd'hui une très grande fascination dans le milieu littéraire français.

Écrivain libéral progressiste très proche des communistes, il tentera finalement de faire revenir l'empereur des Habsbourg en Autriche fasciste afin de faire s'unifier toutes les forces pour s'opposer à l'Allemagne hitlérienne.

Journaliste d'une grande productivité, Roth a également écrit des nouvelles et quelques romans, qui sont très clairement dans une perspective de reportage. Son œuvre majeure, La Marche de Radetzky (1932), est une véritable aventure dans une Autriche-Hongrie agonisante. En voici un extrait.

« Les Trottas étaient d'une jeune génération. Leur ancêtre avait reçu le titre de noblesse après la bataille près de Solférino. Il était Slovène.

Sipolje – le nom du village d'où il venait – devint son prédicat nobiliaire. C'est pour un acte particulier que l'avait choisi le destin. Lui a fait cependant en sorte que les temps suivants l'oublient de leur mémoire.

Dans bataille pour Solférino, en tant que lieutenant il commanda un mouvement à l'infanterie. Depuis une demi-heure, la bataille était en cours. Trois pas devant lui, il voyait les dos blancs de ses soldats. Le premier rang était à genoux, le second était debout. Ils étaient tous joyeux et certains de la victoire. Ils avaient abondamment mangé et bu d'eau de vie, aux frais et en l'honneur de l'Empereur, qui était depuis hier sur le champ de bataille.

Ici et là il y en avait un pour tomber du rang. Immédiatement Trotta sautait dans chaque brèche et retirait les fusils orphelins des morts et des blessés.

Il ferma bientôt plus densément les rangs éclairci, il les élargissait bientôt de nouveau, épiant dans de nombreuses directions avec un œil cent fois plus aiguisé, écoutant précautionneusement dans de nombreuses directions avec une oreille tendue (…).

Le brouillard bleu gris entre les fronts s'éclaircissait un peu. On se retrouva d'un coup dans une chaleur méridienne [de midi] du soleil argenté, couvert, orageux. Là apparut entre le lieutenant et les dos du lieutenant l'empereur avec deux officiers de l'état-major. Il voulait justement placer sur se yeux une jumelle de campagne militaire qu'un de ses accompagnateurs lui passait.

Trotta savait ce que cela signifiait : même si l'on considérait que l'ennemi avait compris qu'il avait lieu de procéder à une retraite, son arrière-garde était ainsi forcément tourné contre les Autrichiens, et qui levait des jumelles lui donner à reconnaître qu'il s'agissait d'un objectif ayant comme valeur d'être frappé. Et c'était le jeune Empereur.

Trotta sentait sa gorge se nouer. Des gelées incandescentes étaient mise en branle dans tout son corps par la peur de la catastrophe impensable, sans limites, qui anéantirait lui-même, le régiment, l'armée, l’État, le monde entier.

Ses genoux tremblaient. Et le ressentiment éternel de l'officier subalterne du front contre les hauts messieurs de l’État-major, qui n'ont aucune idée de la pratique amère, commanda au lieutenant son attitude, qui inscrivit son nom de manière ineffaçable dans l'histoire de son régiment.

Il saisit des deux mains les épaules du monarque, afin de le faire s'abaisser. Le lieutenant avait pourtant trop fortement effectué sa prise. L’Empereur tomba tout de suite. Les accompagnateurs plongèrent sur celui qui était en train de tomber.

A cet instant, un tir perça l'épaule gauche du lieutenant, ce tir précisément, qui était escompté pour le cœur de l'Empereur. Lorsque celui-ci se releva, le lieutenant s'effondra. »

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