Egon Erwin Kisch et Bertolt Brecht - 11e partie : la conception de Brecht
Submitted by Anonyme (non vérifié)Bertolt Brecht a tenté de formuler de manière élaborée sa conception que l'on doit qualifier de « post-expressionniste. »
A ses yeux, l'ennemi véritable est ce qu'on doit appeler le style hollywoodien, qui « force » à se reconnaître dans un personnage, à subir passivement des émotions, à ne pas réfléchir, à accepter tout comme un simple divertissement.
Cette critique est certainement juste. Néanmoins, niant la réalité sociale de l'art propre à chaque pays, avec un parcours particulier, il attribue la source du problème à la conception de la tragédie chez Aristote.
C'est nier que selon les époques et les classes sociales, la forme de l'approche d'Aristote peut être très différente ; les tragédies de Racine et de Corneille ne relèvent pas de l'esprit du cinéma hollywoodien, ce dernier a pu réaliser des chefs d'oeuvre typiquement américains transcendant leur étroitesse bourgeoise, etc.
Bertolt Brecht a tenté de formuler une conception universaliste de l'art, ce qui est juste, et il a puisé notamment en Chine ; cependant, son approche de l'histoire des arts est très formelle et il n'a pas compris la transmission, la question de l'héritage.
Voici d'ailleurs comment il oppose schématiquement les deux visions du monde dans le théâtre. Le tableau est indubitablement intéressant, avec des remarques pertinentes, mais il est idéaliste dans la mesure où il considère que c'est la vision du monde qui fait la réalité, et non le contraire.
La forme dramatique du théâtre |
La forme épique du théâtre |
est action, |
est narration, |
implique le spectateur dans l'action, |
Fait du spectateur un observateur, mais |
épuise son activité intellectuelle, |
éveille son activité intellectuelle, |
lui est occasion de sentiments. |
l'oblige à des décisions. |
Expérience vécue. |
Vision du monde. |
Le spectateur est plongé dans quelque chose. |
Le spectateur est placé devant quelque chose. |
Suggestion. |
Argumentation. |
Les sentiments sont conservés tels quels. |
Les sentiments sont poussés jusqu'à la prise de conscience. |
Le spectateur est à l'intérieur, il participe. |
Le spectateur est placé devant, il étudie. |
L'homme est supposé connu. |
L'homme est objet de l'enquête. |
L'homme immuable. |
L'homme qui se transforme et transforme. |
Intérêt passionné pour le dénouement. |
Intérêt passionné pour le déroulement. |
Une scène pour la suivante. |
Chaque scène pour soi. |
Croissance organique. |
Montage. |
Déroulement linéaire. |
Déroulement sinueux. |
Evolution continue. |
Bonds. |
L'homme comme donnée fixe. |
L'homme comme processus. |
La pensée détermine l'être |
L'être social détermine la pensée. |
Sentiment. |
Raison |
Voici un autre tableau, d'esprit similaire.
Forme dramatique |
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Forme épique |
La scène "incarne" un événement |
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Elle le narre |
Implique le spectateur dans une action |
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Fait de lui un observateur mais |
épuise son activité intellectuelle |
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éveille son activité intellectuelle |
lui est occasion de sentiments |
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l'oblige à des décisions |
lui communique des expériences |
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lui communique des connaissances |
Le spectateur est plongé dans une action |
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Le spectateur est placé face à cette action |
On opère sur la base de la suggestion |
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On opère sur la base de l'argumentation |
Les sentiments sont conservés tels quels |
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Ils sont poussés jusqu'à se muer en connaissances |
L'homme est supposé connu |
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L'homme est l'objet de l'analyse |
L'homme immuable |
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L'homme qui se transforme et transforme |
Les événements se déroulent linéairement |
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En faisant des méandres |
Natura non facit saltus |
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Facit saltus |
Le monde tel qu'il est |
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Le monde comme devenir |
Ce que l'homme doit faire |
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Ce que l'homme peut faire |
Ses instincts |
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Ses motifs |
Ce que Bertolt Brecht expose ici a un grand intérêt, et on le retrouve dans le principe du montage, théorisé notamment voire principalement par les cinéastes soviétiques, notamment Eisenstein.
Mais le matérialisme dialectique, ce n'est pas une méthode dialectique, c'est une expression dialectique issue du mouvement de la matière elle-même.
Ce n'est pas un choix de vouloir « coller » à la réalité, cela doit être une expression synthétique de la réalité elle-même. Cela pose la question de l'héritage, et c'est là que le réalisme socialiste se présente comme théorie matérialiste dialectique dans les arts et la littérature.