30 sep 2013

Egon Erwin Kisch et Bertolt Brecht - 7e partie : Henri Barbusse, figure française du reportage

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Henri Barbusse (1873-1935) est en quelque sorte le Egon Erwin Kisch français. Bien entendu, les deux se connaissaient, et le voyage de Kisch en Australie a été organisé par Barbusse.

Ce dernier a en effet été au début des années 1930 une figure maîtresse de l'antifascisme en Europe ; écrivain basculant dans le camp progressiste, il rejoint le Parti Communiste en France et devient l'un des artisans principaux du principe du Front Populaire.

Henri Barbusse est l'auteur de deux œuvres historiques, directement liés au principe du reportage et donc au post-expressionnisme / post-naturalisme, dans la veine de Kisch.

Sa première grande œuvre est Le Feu, « journal d'une escouade », qui est un succès retentissant pour sa description de la guerre de 1914-1918. L'impact est tel qu'il reçoit le prix Goncourt 1916, en pleine guerre. Après 1918, Henri Barbusse sera également le premier président de l'Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC).

Oeuvre majeure de la littérature mondiale, Le Feu est bien entendu passer aujourd'hui sous silence par la bourgeoisie, qui ne la mentionne même plus lorsqu'est traité cette guerre, préférant le décadent semi-fasciste Voyage au bout de la nuit de Céline.

Voici comment est présenté un bombardement :

« Tout à coup une étoile intense s’épanouit là-bas, vers les lieux vagues où nous allons : une fusée. Elle éclaire toute une portion du firmament de son halo laiteux, en effaçant les constellations, et elle descend gracieusement avec des airs de fée.

Une rapide lumière en face de nous, là-bas ; un éclair, une détonation.

C’est un obus !

Au reflet horizontal que l’explosion a instantanément répandu dans le bas du ciel, on voit nettement que, devant nous, à un kilomètre peut-être, se profile, de l’est à l’ouest, une crête.

Cette crête est à nous dans toute la partie visible d’ici, jusqu’au sommet, que nos troupes occupent. Sur l’autre versant, à cent mètres de notre première ligne, est la première ligne allemande.

L’obus est tombé sur le sommet, dans nos lignes. Ce sont eux qui tirent.

Un autre obus. Un autre, un autre, plantent, vers le haut de la colline, des arbres de lumière violacée dont chacun illumine sourdement tout l’horizon.

Et bientôt, il y a un scintillement d’étoiles éclatantes et une forêt subite de panaches phosphorescents sur la colline : un mirage de féerie bleu et blanc se suspend légèrement à nos yeux dans le gouffre entier de la nuit.

Ceux d’entre nous qui consacrent toutes les forces arc-boutées de leurs bras et de leurs jambes à empêcher leurs vaseux fardeaux trop lourds de leur glisser du dos et à s’empêcher eux-mêmes de glisser par terre, ne voient rien et ne disent rien. Les autres, tout en frissonnant de froid, en grelottant, en reniflant, en s’épongeant le nez avec des mouchoirs mouillés qui pendent de l’aile, en maudissant les obstacles de la route en lambeaux, regardent et commentent.

– C’est comme si tu vois un feu d’artifice, disent-ils.

Complétant l’illusion de grand décor d’opéra féerique et sinistre devant lequel rampe, grouille et clapote notre troupe basse, toute noire, voici une étoile rouge, une verte ; une gerbe rouge, beaucoup plus lente.

On ne peut s’empêcher, dans nos rangs, de murmurer avec un confus accent d’admiration populaire, pendant que la moitié disponible des paires d’yeux regardent :

– Oh ! une rouge !… Oh ! une verte !…

Ce sont les Allemands qui font des signaux, et aussi les nôtres qui demandent de l’artillerie. »

Sa seconde œuvre très célèbre, et directement lié au mouvement communiste, est Un monde nouveau vu à travers un homme, publié en 1935 et consacré à la construction du socialisme en URSS.

Voilà ce qu'il dit au sujet de Staline :

« Revenons encore une fois à la figure de cet homme qui est toujours entre ce qui est fait, et ce qui est à faire. (Aussi bien, sa parole la plus habituelle, quand on l'entretient sur le travail, c'est : « Ce qui est n'est rien à côté de ce qui doit être »).

Il est la cible de nos ennemis, et ils ont raison, dit Knorine. Il est le nom de notre Parti, dit Boubnov.

C'est le meilleur de la vieille cohorte de fer, dit Manouilski. Les vieux bolcheviks, on les respecte, dit Mikoyan, pas parce qu'ils sont vieux, mais parce qu'ils ne vieillissent pas.

Son histoire est une série de réussites sur une série de difficultés monstres. Il n'y a pas une seule année de sa carrière depuis 1917 où ce qu'il a fait n'eût illustré un autre. C'est un homme de fer. Son nom le dépeint : Staline — acier.

Il est inflexible et flexible comme l'acier. Son pouvoir, c'est son formidable bon sens, l'étendue de ses connaissances, son étonnant rangement intérieur, sa passion de netteté, son inexorable esprit de suite, la rapidité, la sûreté, et l'intensité de sa décision, sa perpétuelle hantise de choisir les hommes qu'il faut.

Les morts ne survivent que sur la terre. Lénine est partout où sont les révolutionnaires. Mais on peut dire : C'est en Staline plus que nulle part ailleurs, que se trouvent la pensée et la parole de Lénine. Il est le Lénine d'aujourd'hui. (…)

Il balance et réfléchit beaucoup avant de proposer certaines mesures (beaucoup ne veut pas dire

longtemps). Il est extrêmement circonspect et n'accorde pas facilement sa confiance. Il disait à l'un de ses proches collaborateurs, qui se méfiait d'un tiers : « La méfiance saine est une bonne base de travail collectif. » Il est prudent comme un lion.

Cet homme net et lumineux est, nous l'avons bien vu, un homme simple. Ce n'est difficile de le rencontrer que parce qu'il travaille toujours. Quand on va le voir, dans une salle du Kremlin, on rencontre en tout et pour tout, trois ou quatre personnes au pied d'un escalier et dans des vestibules.

Cette simplicité organique n'a rien à voir avec la simplicité « au chiqué » de tel monarque Scandinave qui daigne sortir à pied dans les rues ou d'un Hitler faisant claironner par ses propagandistes qu'il ne fume pas et ne boit pas de vin.

Staline se couche régulièrement à 4 heures du matin. Il n'a pas 32 secrétaires, comme Lloyd George, il n'en a qu'un, le camarade Proskrobitchev. Il ne signe pas ce que d'autres écrivent. On lui fournit le matériel, et il fait tout.

Tout lui passe entre les mains. Et cela n'empêche pas qu'il réponde ou fasse répondre à toutes les lettres qu'il reçoit. Quand on le rencontre, il est cordial, familier. Sa « franche cordialité », dit Serafima Gopner, « sa bonté », « sa délicatesse », dit Barbara Djaparidzé, qui lutta à côté de lui en Géorgie. « Sa gaieté », dit Orakhélachvili. Il rit comme un enfant. (…)

Si Staline a foi dans la masse, la réciproque est vraie. C'est un véritable culte que la Russie Nouvelle a pour Staline, mais un culte fait de confiance, et jailli tout entier d'en bas.

L'homme dont la silhouette sur les affiches rouges, se détache, encastrée dans celles de Karl Marx et de Lénine, est celui qui s'intéresse à tout et à tous, qui a fait ce qui est et qui fera ce qui sera. Il a sauvé. Il sauvera.

Nous savons bien que selon les paroles mêmes de Staline, « les temps sont révolus où les grands hommes étaient les principaux créateurs de l'histoire ». Mais s'il faut nier le rôle exclusif exercé sur les événements par le « héros », tel que le pose Carlyle, il ne faut pas contester son rôle relatif.

Là aussi, il faut penser que ce qui est pareil, s'obéit. Le grand homme est celui qui, prévoyant le cours des choses, le devance au lieu de le suivre et, préventivement, agit contre quelque chose, ou agit pour.

Le héros n'invente pas la terre inconnue, mais il la découvre. Il sait susciter les vastes mouvements de masses — et pourtant ils sont spontanés —, tellement il en connaît les causes. La dialectique, bien appliquée, tire d'un homme ce qu'il contient — d'un événement aussi.

Dans toutes les grandes circonstances, il faut un grand homme, comme une machine centralisatrice. Lénine et Staline n'ont pas créé l'histoire — mais ils l'ont rationalisée. Ils ont rapproché l'avenir.  »

Henri Barbusse est la grande figure française du reportage, son œuvre s'inscrit directement dans la période entre expressionnisme / naturalisme et le réalisme socialiste.