21 nov 2013

Abdelhakim Dekhar et le retour de l'affaire Michéa : l'expression d'une crise profonde

Submitted by Anonyme (non vérifié)

En tant que communiste, ayant le matérialisme dialectique comme idéologie, nous savons que le processus révolutionnaire est complexe et que de nombreuses personnes, sincèrement révolutionnaire, peuvent se tromper, s'égarer, et leur initiative se retourner en son contraire.

Pour cette raison, et avant même toute critique possible et nécessaire, il y a lieu d'expliquer que « Audry Maupin était un révolutionnaire ».

Il est nécessaire de le dire alors que les médias recommencent leur immonde cinéma réactionnaire au sujet de « tueurs nés », de délirants nihilistes, proches des islamistes, etc.

Et ce cinéma, il faut le dire et le redire, n'aurait pas pu être possible sans le caractère dégueulasse de ses anciens amis anarchistes, notamment de la CNT, qui se sont empressés de se dissocier et de ne pas défendre l'identité révolutionnaire – même erronée – d'Audry Maupin.

Nous avons déjà parlé de cette affaire, lors de l'évaluation de l'extrême-gauche du début des années 1990, Audry Maupin étant l'une des rares personnes à réfuter le légalisme totalement dominant et à soutenir la nécessité de l'affirmation d'une lutte authentiquement révolutionnaire, en rupture ouverte avec le système.

Audry Maupin n'est cependant pas parvenu à aller dans le bon sens, il a plongé dans l'insurrectionalisme anarchiste, rentrant dans ce milieu semi-criminel du mouvement autonome à Paris.

C'est dans ce cadre qu'on trouve Abdelhakim Dekhar, qui a donc été arrêté hier et qui est soupçonné d'être l'auteur du tir sur une personne au siège du journal Libération, ainsi que des tirs sur le siège de la banque Société Générale dans le quartier d'affaires parisien de La Défense, et d'une menace sur un journaliste de BFM TV.

A son arrestation en 1994 suite à la fusillade meurtrière provoquée par Audry Maupin et Florence Rey, Abdelhakim Dekhar est un personnage qui a tout de suite été présenté comme trouble, lui-même se voulant lié aux services secrets algériens.

Il a été accusé d'avoir été le guetteur à la pré-fourrière de Pantin, où Audry Maupin et Florence Rey avaient initialement tenté de mener un braquage, mais il a été acquitté pour cela.

Il a par contre été accusé d'être membre d'une « association de malfaiteurs » (qui débute avec un minimum de trois personnes, d'où l'intérêt de l'avoir afin de pouvoir organiser une telle accusation) ; ce qui lui a valu quatre années de prison.

Tout cela pour dire qu'on retrouve ici tous les ingrédients d'une mouvance décomposée, mêlant radicalisme et idéalisme, révolution et crime sur le mode du lumpen-proletariat, le tout formant un univers facilement glauque et particulièrement instable et particulièrement poreuse au fascisme.

Les actions d'Abdelhakim Dekhar ces derniers jours correspondent d'ailleurs tout à fait à l'idéologie fasciste, avec la dimension du desperado en révolte contre le monde moderne, contre les banques et les médias.

Il n'est nullement étonnant qu'il agit de manière strictement parallèle aux fameux bonnets rouges bretons, puisque justement une partie du mouvement autonome considère que « la casse » est fondamentalement révolutionnaire et valorise ainsi ce qui est en réalité un mouvement réactionnaire.

Le « pétage de plomb » d'Abdelhakim Dekhar intervient ainsi très précisément alors que les restes du mouvement autonome connaissent une crise profonde et sont à un tournant : soit elles continuent le spontanéisme mouvementiste mais basculent alors dans la réaction, soit elles assument un mouvementisme lié à des valeurs progressistes strictes et sur une base de classe.

La polémique actuelle au sujet d'une publication des « Éditions de l’Echappée » rassemblant des auteurs réactionnaires est un autre exemple actuel de cette heure des choix pour les « autonomes ».

Et donc, au début des années 1990, c'est déjà le choix du spontanéisme mouvementiste qu'avait choisi Audry Maupin, et les personnes révolutionnaires doivent non pas nier cela, mais le critiquer comme insuffisant, incorrect, anti-populaire.

Sans cela, on nie le processus révolutionnaire et sa complexité, pour se mettre au service du réformisme, et c'est très exactement ce qu'ont fait les gens du syndicat CNT alors, afin d'apparaître comme la seule option « rationnelle », « praticable », etc.

En réalité, et comme l'avait formulé un groupe autonome de la faculté parisienne de Tolbiac à l'époque, la ligne fondamentalement erronée d'Audry Maupin avait comme source le sabotage réformiste, qui refuse d'être « aussi radical que la réalité » et qui partant de là précipite les éléments radicaux dans de fausses options.

C'est la CNT qui est responsable des errements des radicaux de l'époque, en bloquant toute affirmation révolutionnaire au nom du « syndicalisme ».

L'émergence de la mouvance de « l'insurrection qui vient », avec Julien Coupat qui fut arrêté en 2008, est une contre-réaction, mais de l'intérieur même du problème.

En réalité, l'affirmation de la nécessaire radicalité révolutionnaire passe par l'analyse de la société française sur la base du matérialisme dialectique et l'émergence d'une pensée-guide, pour résoudre les contradictions existant dans la société française et organiser la révolution socialiste.

Sans cela, on fait un pas en avant deux pas en arrière. Ce qui veut dire qu'Audry Maupin n'a ainsi pas été anti-populaire dans ses agissements, car il était radical, mais parce qu'il a été incapable de formuler sa radicalité, telle est la réalité.

Le matérialisme dialectique fournit à l'inverse toutes les réponses aux questions des révolutionnaires sincères !

Et on a ainsi un exemple significatif avec la suite de l'Affaire Michéa, avec un affrontement idéologique entre des fascistes de gauche face aux queers et post-modernes.

Il y a deux ans environ, une polémique (voir ici et ) avait été lancée sur notre ancien média Contre-Informations contre le « Jura Libertaire », un blog anarchiste d'informations, en raison d'une référence au penseur réactionnaire Jean-Claude Michéa.

Cet auteur est typique du fascisme : s'affirmant de « gauche » radicale, il diffuse une critique idéaliste typiquement fasciste de la « révolte contre le monde moderne ».

Aussi, à l'époque, cela n'avait intéressé personne ; la prise de conscience de l'avancée du fascisme était encore très faible.

Et voici que la question Michéa revient, par l'intermédiaire des Éditions de l’Echappée. Ces éditions anarchistes ont fait véritablement très fort, publiant un ouvrage intitulé sobrement Radicalité, 20 penseurs vraiment critiques, avec une liste propre à satisfaire tous les fascistes de France :

Gunther Anders, Zygmunt Bauman, Cornelius Castoriadis, Bernard Charbonneau, Dany-Robert Dufour, Jacques Ellul, Ivan Illich, Christopher Lasch, Herbert Marcuse, Michela Marzano, Jean-Claude Michéa, Lewis Mumford, Georges Orwell, François Partant, Pier Paolo Pasolini, Moishe Postone, Richard Sennet, Lucien Sfez, Vandana Shiva, Simone Weil.

Tous diffusent la même idéologie de la « troisième voie » entre communisme et capitalisme, avec un même refus du « monde moderne », des masses qui seraient enclines à se fanatiser, un même éloge de l'individu réfractaire à tout ordre donné, etc.

Ces auteurs sont très appréciés par les fascistes pour leur rejet de la « société de consommation », de « l'uniformisation », voire de la « mondialisation », etc.

La présentation faite par les Éditions de l’Echappée est impressionnante : on retrouve tous les argumentaires des fascistes contre le « monde moderne ».

Il faut attirer ici l'attention sur le dossier en cours de publication sur lesmaterialistes.com au sujet des penseurs « post-modernes ».

Car les gens mis en avant par les Éditions de l’Echappée font également une critique des « post-modernes », mais par la droite, alors que la critique matérialiste dialectique est une critique progressiste des « post-modernes », du queer et autres libéraux décadents.

Voici donc la présentation de l'ouvrage Radicalité, 20 penseurs vraiment critiques par les Éditions de l’Echappée :

« Notre époque a la critique qu’elle mérite. Les pensées des intellectuels contestataires convoqués par les médias, révérés à l’université, considérés comme subversifs dans le monde militant – de Michel Foucault à Alain Badiou en passant par Toni Negri – participent au déploiement du capitalisme avancé. En s’acharnant à détruire les modes de vie et de production traditionnels, en stigmatisant tout lien avec le passé, en exaltant la mobilité, les processus de modernisation incessants et la puissance libératrice des nouvelles technologies, cette fausse dissidence produit les mutations culturelles et sociales exigées par le marché.

Percevoir le libéralisme comme un système foncièrement conservateur, rétrograde, autoritaire et répressif, entretient le mythe d’une lutte entre les forces du Progrès et celles du passé.

A contrario, d’autres penseurs conçoivent le capitalisme comme un fait social total qui développe l’esprit de calcul, la rationalité instrumentale, la réification, l’instantanéité, le productivisme, la dérégulation des rapports humains, la destruction des savoir-faire, du lien social et de la nature, et l’aliénation par la marchandise et la technologie.

Ce livre nous présente, de manière simple et pédagogique, les réflexions de vingt d’entre eux. Il nous fournit ainsi les armes intellectuelles pour ne pas servir le capitalisme en croyant le combattre, et pour en faire une critique qui soit vraiment radicale. »

Cette prose est authentiquement « contre le monde moderne », elle est profondément réactionnaire.

Il est ici parlant que la scène anarchiste, ou plutôt ce qu'il en reste tellement c'est un milieu décomposé, ne le voit même pas et s'insurge seulement du fait que le texte sur Michéa ait été écrit par un Charles Robin lié à l'extrême-droite liée à Alain Soral,

Or, qui sont les auteurs mis en avant dans Radicalité, 20 penseurs vraiment critiques ?

Ce sont des gens qui opposent capitalisme et communisme, marché et planification, et qui tous en appellent à une troisième voie.

Ivan Illich et Herbert Marcuse critique la domination technologique de la société et en appelle à une humanité non uniformisée par les institutions. Avec Cornelius Castoriadis, ils sont de grandes figures de l'assimilation des USA à l'URSS comme technocraties totalitaires.

On retrouve bien entendu d'autres « socialistes » farouchement opposés tant au capitalisme qu'au communisme : Simone Weil, Georges Orwell, Jean-Claude Michéa, Christopher Lasch. On retrouve également la théoricienne indienne Vandana Shiva qui est liée au milliardaire réactionnaire Goldsmith.

D'autres penseurs sont des figures actuelles du refus de l'uniformisation des individus, comme Lucien Sfez qui parle de la communication, Michela Marzano qui parle du corps et de l'individualisme, Dany-Robert Dufour qui aborde pareillement la question par la psychanalyse... ou encore l'artiste italien Pier Paolo Pasolini qui s'est opposé à la contestation italienne des années 1960.

On a des théoriciens critiquant la technique comme source de l'uniformisation des individus, comme Richard Sennet, Lewis Mumford, Bernard Charbonneau, Gunther Anders, Zygmunt Bauman et le théologien Jacques Ellul, François Partant qui est un théoricien d'un « après-développement ».

Enfin, on a Moishe Postone, qui a émis des questionnements intéressants sur la genèse de l'antisémitisme, tout en reliant cela finalement à une question « industrielle. »

On a ici la clef du problème : on a ici des thèses fascistes, ressemblant point pour point aux thèses dites « personnalistes » d'Emmanuel Mounier, dans les années 1930.

Mais, et c'est le point commun de la liste des auteurs, l'antisémitisme est refusé. C'est ainsi un fascisme qui refuse de se cimenter à l'extrême-droite, même si à part l'antisémitisme on retrouve point pour point les mêmes thèses anti-capitalistes romantiques.

On voit ici comment on en est à un tournant historique, et de comment, comme dans les années 1920-1930, le fascisme s'appuie sur des « déçus » de la révolution sociale, qui cherchent des voies « nouvelles », totalement idéalistes, formant un anti-capitalisme romantique de type fasciste.

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