12 oct 2013

Les deux tournants : 1971-1973 et 1994-1995

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Quand on regarde la bataille contre le révisionnisme menée à partir de 1953, on peut voir qu'il y a deux tournants, deux périodes intenses et décisives pour la lutte des classes. A chaque tournant, c'est le courant non révolutionnaire qui l'emporta et posséda une base solide pour la période suivante.

Le premier tournant : 1971-1973

Le mouvement de mai et juin 1968 a apporté une grande base militante à l'extrême-gauche. Mais dès 1971-1973, la dynamique « gauchiste » est cassée.

La Gauche Prolétarienne a mené actions sur actions et s'est épuisée, basculant dans le populisme ultra-démocratique et procédant à son auto-dissolution en 1971.

La Ligue Communiste a elle mis en avant un mélange de guévarisme et de trotskysme, célébrant Ho Chi Minh et Che Guevara, organisant à partir de la « IVe Internationale » des luttes armées en Amérique latine, affirmant la primauté de l'anti-impérialisme, soutenant les mouvements « nationalitaires » (Basques, Bretons, etc.) en Europe, etc.

Cette stratégie, ce courant trotskyste l'abandonna grandement à son interdiction en 1973 suivant l'attaque, organisée avec le PCMLF, d'un meeting fasciste.

Après une reformation sous le nom de Ligue Communiste Révolutionnaire, la ligne redevient celle, classique, de l'entrisme trotskyste dans la social-démocratie et les revendications débordant celle-ci par la gauche.

Cela signifie en pratique que la proposition stratégique maoïste est « coulée » en 1973 et qu'inversement la LCR prend le premier rôle militant pour 30 ans, en se posant comme « aile gauche » de la social-démocratie.

Et que la social-démocratie peut, à la suite de mai 1968, se proposer comme pôle central du changement pour le « socialisme.

Le second tournant : 1994-1995

L'antifascisme alternatif de la fin des années 1980, la chute du mur de Berlin, l'effondrement de l'URSS et la première guerre du Golfe modifièrent les conditions de la donne du premier tournant de 1971-1973.

Au début des années 1990, différentes structures autonomes réapparaissent, la jeunesse de la LCR connaît une scission massive et militante (les Jeunesses Communistes Révolutionnaires - Egalité), l'extrême-gauche est fortement active.

Un moment-clef s'exprima alors sous la forme du rejet du projet de CIP (Contrat d'Insertion Professionnelle), un « smic jeunes » pour les moins de 26 ans, qui provoqua un immense mouvement de la jeunesse, marqué par de très nombreux affrontements avec la police, qui généralisa d'ultra-violentes brigades volantes en civil.

Le second moment-clef s'exprima directement dans le monde du travail et non plus simplement la jeunesse : l'opposition massive au « plan Juppé » sur les retraites et la Sécurité sociale, en novembre 1995. La mobilisation est immense et l'actualité sociale omniprésente dans tout le pays, avec une grande effervescence.

L'échec allait être double ici.

L'échec de 1994-1995

Tout d'abord, en octobre 1994, dans le mouvement autonome, une opération de récupération d'armes dans une fourrière de la région parisienne tourne au drame anti-populaire en raison d'une idéologie et d'une ligne erronées.

Audry Maupin, un insurrectionnaliste mouvementiste, est tué dans l'opération marquée par une prise d'otages de simples passants, dont un sera même tué.

Or, Audry Maupin avait milité dans le milieu anarchiste et autonome et il se produit une vague totale de dissociation et de dénonciation (dont un fameux lamentable article « anarchistes pas tueurs » publié par la Fédération Anarchiste).

Seul un groupe, largement dénoncé, publiera à la faculté de Tolbiac un document intitulé « Il faut être aussi radical que la réalité » et affirmera que les erreurs d'Audry Maupin ont comme origine le réformisme et les prétentions anarchistes.

Le syndicat anarcho-syndicaliste CNT, dont Audry Maupin avait été membre, se dissocia de son côté encore plus des autonomes, accueillant cependant de plus en plus ses activistes comme force militante, pour les éjecter au fur et à mesure de la croissance de la structure.

Et dans le mouvement autonome, la tendance dite « négriste » (en référence au théoricien « autonome » italien Toni Negri réfugié à Paris) , rejetant formellement toute violence révolutionnaire au nom d'un économisme de masse, triomphera totalement aux côtés des décomposés spontanéistes (Collectif d'agitation pour un revenu garanti optimal -CARGO et « Travailleurs, Chômeurs, et Précaires en colère » - TCP d'un côté, revue Tic-Tac de l'autre).

La contestation autonome n'eut ainsi pas d'impact suffisant lors du mouvement de 1995. De la même manière, les positions radicales chez les travailleurs furent écrasées lentement mais sûrement, notamment en raison du double jeu de la secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Nicole Notat.

Notat va feindre la lutte pour mieux soutenir le plan Juppé, mettant en avant une ligne de contestation « institutionnelle », acceptable, sans conflits, etc. Cela va impulser la dynamique d'un syndicalisme de discussion encore plus ouverte avec le gouvernement.

Et cela va renforcer les courants syndicalistes durs, comme l'Union syndicale Solidaires (avec les « SUD ») et la CNT.

La situation aujourd’hui et les deux tournants

La situation que l'on connaît au début des années 2010 est ainsi directement liée, pour une très grande partie, à ce tournant de 1994-1995. L'existence du Front de Gauche est culturellement liée à l'existence d'une « opposition » à Nicole Notat, mais de manière syndicale, dans la CGT, la CGT-FO, les syndicats SUD, la CNT, etc.

De la même manière, politiquement et idéologiquement, c'est le tournant de 1971-1973, marqué par la fin de l'affirmation révolutionnaire insurrectionnelle, qui prime encore.

Il y a là deux épisodes historiques qui forment un « verrou » aux luttes de classes.

Les grandes questions: