1er mai 2014 : la CNT face aux «décompos» de l'anarchisme
Submitted by Anonyme (non vérifié)Ces derniers jours, une intense polémique traverse le mouvement anarchiste ; d'apparence anecdotique, elle est toutefois d'une grande signification.
Le cortège anarchiste du premier mai 2014
Les faits semblent banals : lors de la manifestation anarchiste du 1er mai à Paris, qui a au départ un parcours différent du cortège « traditionnel » et rassemble plusieurs centaines de personnes, des gens sont allés faire une opération de « récupération » au Franprix.
Ce vol de bières, ou cette « autoréduction » selon le point de vue, s'est simplement conclu sur une action consistant à briser des vitrines (celles du Franprix, puis d'un magasin Monoprix), amenant une intervention policière. Le tout bien entendu au grand dam des organisations à l'appel de ce cortège : la CNT et la Fédération Anarchiste, mais aussi cette année Alternative Libertaire, la CNT-AIT.
Les événements se sont alors précipités à l'arrivée dans le quartier de Belleville, que certains groupes autonomes anarchistes tentent de transformer en bastion. Un compte-rendu trouvable sur internet raconte ainsi :
« Arrivée au niveau du métro Belleville, ça se speede d’un coup sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. Certains camarades s’appliquent à défoncer une agence du Crédit Lyonnais.
Lafon, le super flic de la DCRI chargé de l’extrême gauche à Paris, cherche à s’interposer pour arrêter les vilains casseurs. Grave erreur. L’imprudent se fait rosser. Non sans quelques dissensions dans le cortège, il se carapate en courant grâce à une exfiltration par le SO de la CNT.
Passé ce léger incident, on continue à descendre la rue du Faubourg du Temple. Une autre banque est éclatée. Puis c’est au tour de Monoprix de se faire complètement exploser la vitrine. A noter que celle-ci n’a résisté que 6 secondes. Pas très solide. Décidément malchanceuse, c’est encore une banque LCL qui se fait casser sa devanture. Métro Goncourt on voit pour la première fois des robocops, en l’occurrence des gardes mobiles, qui essuient quelques rares jets de bouteilles. »
Un remake de Barcelone 1937
Il n'en fallait pas moins pour provoquer, dans le contexte intense de crise idéologique en France et pour l'anarchisme en particulier, une série d'embrouilles à n'en plus finir, allant des insultes aux menaces en passant par de nombreux textes relatant les incidents.
Les organisations reprochent aux personnes ayant attaqué le Franprix de n'avoir rejoint le cortège que pour casser et se replier dans le cortège par la suite pour couvrir ses actions (un écran d'un distributeur bancaire sera également attaqué), tandis que les autres accusent les organisations anarchistes d'avoir basculé dans le « réformisme » et d'avoir un service d'ordre n'assumant pas la confrontation avec la police.
Or, il est évident que dans un contexte extrêmement tendu où le fascisme progresse à pas de géant, les quelques actions de casse, en hold up d'une manifestation du 1er mai, n'expriment que la décomposition et la volonté de briser la scène anarchiste en général, et la CNT en particulier.
Tout cela, au nom de la « radicalité », exactement de fait comme en 1937 lorsque la frange « radicale » a rejeté la CNT pour sa participation, tout à fait juste, au gouvernement antifasciste.
La CNT française se retrouve ainsi dans un paradoxe terrible : elle est farouchement anticommuniste, mais elle paie le prix de son anticommunisme car l'anarchisme exprime la décomposition petite-bourgeoise et entend bien amener « sa » CNT dans l'auto-destruction...
Suivra-t-elle les délires des décomposés, ou bien se recentrera-t-elle sur l'unité des progressistes ?
Les contradictions de la CNT dues à son origine
Ce qui prête à sourire malgré le contexte est que des événements similaires se sont déjà déroulés de par le passé, lorsque des gens avaient attaqué le cortège du Parti Socialiste lors d'une manifestation. C'est un très vieux débat, et surtout un débat totalement faux.
En effet, lorsque la CNT s'est développée à partir des années 1990, elle a phagocyté l'ensemble de la scène anarchiste. Celle-ci avait largement profité de la vague antifasciste des années 1980 (avec les SCALP), qui s'est effondrée malgré sa dimension populaire, en raison de l'absence d'avant-garde communiste capable d'impulser une analyse correcte du fascisme.
Face alors au Parti « communiste » français et à une Ligue Communiste Révolutionnaire phagocytant les mouvements sociaux à coups d'infiltrations au moyen de permanents, les anarchistes se sont repliés sur leur tradition en France : le syndicalisme dit révolutionnaire.
La CNT a alors été portée par toute la scène anarchiste (et donc y compris une annexe comme les « maoïstes » de l'OCML - Voie Prolétarienne), intégrant l'ensemble des libertaires, les restes de la Gauche Prolétarienne, les restes des autonomes (les autres partant dans l'économisme mouvementiste en soutien aux chômeurs, sur le modèle « italien » proposé par Toni Negri).
L'anarchisme a alors été totalement dominé par la ligne de la CNT, qui a obtenu une reconnaissance générale de l'extrême-gauche et même médiatique. Et la CNT a mené une ligne entièrement syndicaliste, avec une sorte de bras « musclé » consistant en une scène redskins lui étant reliée, avec comme groupe de musique phare la « Brigada Florès Magon ».
Reprocher un manque de « radicalité » à la CNT est donc absurde, car cela n'a rien de nouveau. Depuis le départ, la CNT s'est posé comme terre à terre, rejetant les idéologies, cherchant à rassembler sur des bases minimes, par souci de « l'efficacité ».
Il y a bien sûr toujours eu une contradiction entre le discours « radical » de la CNT - « ça va péter » - et son activité, et elle a pensé éviter les problèmes en considérant que ses activités étaient en soi porteuses du soulèvement à venir. En période de reflux, le vernis craque.
La CNT et l'avenir
Paradoxalement, c'est cette nouvelle situation qui fait que la CNT peut avoir un véritable sens historique. Dans le passé, la CNT s'est imaginée protagoniste, mais elle était en réalité le produit de la dépolitisation, de l'anticommunisme et de la crise de couches petites-bourgeoises.
Or, dans le contexte actuel, les générations de personnes formées à la lutte par la CNT peuvent s'avérer fondamentalement utiles aux masses qui vont subir toujours plus d'agressions de la part de la bourgeoisie.
La CNT, en ce sens, a un avenir. Mais cela ne saurait être s'il n'y a pas de rupture avec l'anticommunisme extrêmement virulent et les fascinations universitaires petites-bourgeoises, qui ont fait que la CNT a largement abandonné le projet de société communiste libertaire, pour se rapprocher concrètement de démarches post-modernes comme les « indigènes de la république ».
Il est d'ailleurs à noter qu'une partie des personnes à l'origine des vols de bière pendant la manif du 1er mai viennent d'une frange issue de la CNT mais totalement tombée dans le post-modernisme à la « indigènes de la république » qui est à l'origine de l'« Action Antifasciste Paris-Banlieue (AFA) ».
La CNT a par ailleurs connu en 2012 une scission d'une part importante de sa base partie créer la « CNT - Solidarité Ouvrière » (en réference au nom du journal de la CNT espagnole historique). L'origine de cette scission est la volonté de ses protagonistes de pousser encore plus loin l'abandon du projet de société communiste libertaire et d'adopter à la place une ligne relevant uniquement du « syndicalisme autogestionnaire » du type de celui de la CFDT des années 1970. Cette nouvelle structure adopte donc une ligne ultra-démocratique et « pragmatique » quant à son développement (acceptation des permanents syndicaux, image plus propre, banderole imprimée de manière professionnelle, etc.)
La CNT se décompose depuis plusieurs années : pourquoi ? Parce qu'elle a basculé dans l'ultra-gauche, en raison du travail au corps de l'anarchisme petit-bourgeois et du trotskysme.
Les syndicats sont en perte de vitesse générale, ils sont décrédibilisés (comme le montre un récent sondage publié dans les média réactionnaires) : la CNT a un boulevard pour elle historiquement, mais elle n'a pas les moyens de son projet, parce qu'il lui manque la liaison avec les masses, non pas simplement socialement, mais culturellement (en raison de la démarche redskins qui est devenue une « valeur en soi », une « mode » et nie le reste) et idéologiquement parce que les bases élémentaires de la démarche ouvrière sont : la rationalité, la planification, le drapeau de la révolution, l'esprit de stratégie.
Toutes ces erreurs sont, de fait, issus de la Charte d'Amiens, de son esprit anti-politique : associé à l'anticommunisme virulent, c'est fatal et la CNT a basculé dans la dépendance culturelle et idéologique des petits-bourgeois. Avec la crise générale du capitalisme, cela signifie l'affaiblissement, et cela fait d'elle la victime potentielle des « décompos », ces décomposés de l'extrême-gauche qui entendent non pas dépasser la CNT, mais simplement la supprimer.
En cela, ils révèlent leur nihilisme. Quant à la CNT, sans réflexion sur la social-démocratie historique et la liaison entre réflexion et organisation, elle est condamnée à ne pas savoir se transformer, se dépasser.